samedi 8 avril 2023

Empicassés

 
Voilà,
s'il ne fut pas un artiste aussi complet que Michel-Ange en son temps, qui en plus d'être peintre et sculpteur était architecte — et quel architecte, puisqu'on lui doit tout de même le palais Farnese, l'extraordinaire basilique Sainte Marie des anges et des martyrs, la chapelle des Médicis, la bibliothèque Laurentienne et la basilique Saint-Pierre pour ne citer que quelques-unes de ses réalisations —, Picasso demeure la figure majeure du XXème siècle en matière de peinture. On peut lui préférer Matisse, lui opposer Bacon, Klee, Kandinsky (pour lequel j'ai une particulière admiration car il fut quand même l'inventeur de l'abstraction) ou encore le tendre et merveilleux Mirò, si joyeusement coloré (pour ma part ils me sont tous aussi nécessaires, et je ne parle que de ceux qui ont contribué à l'art moderne du XXeme siècle), mais nul autre n'a fait preuve d'une aussi infatigable persévérance à transgresser les codes de la peinture, et d'une telle puissance de travail. Toujours il a cherché à se renouveler, exploitant le moindre accident, assemblant des objets incongrus pour les transformer en sculpture, métamorphosant parfois des petits cailloux en pierre gravée. Celui qui, à treize ans, dessinait mieux que Raphaël, n'a eu de cesse d'explorer de tordre de déconstruire d'expérimenter avec une aisance déconcertante qu'il lui fallait à chaque fois interroger, remettre en question transgresser nier abolir. 
Hier sur Arte j'ai regardé un passionnant documentaire intitulé "Picasso l'inventaire d'une vie", grâce auquel j'ai appris des nouvelles choses le concernant. On y raconte comment Maurice Rheims, un célèbre commissaire-priseur, se consacra à l'inventaire de son œuvre. Il pensait que cela durerait six mois, cela lui a pris huit ans. Il y raconte sa surprise de découvrir autant de toiles et d'œuvres diverses que Picasso avait produites et entreposées dans ses différentes propriétés et dont personne n'avait soupçonné l'existence : 1885 peintures, 11748 dessins,  1228 sculptures,  2800 céramiques, 18 000 gravures, 6000 litho. Un inventaire qui s'est évalué au début des années quatre vingt, à 1 milliard 300 millions de francs dont 20% sont revenus à l'État français. 
En 1972, pour fêter son 90ème anniversaire, huit toiles du maître malaguène, — les seules dont disposaient alors les collections nationales — furent exposées dans la grande galerie d'honneur du musée du Louvre parmi les chefs d' œuvre du passé. Je me souviens y être allé, et c'est à cette occasion que je fis sa découverte. C'était la première fois qu'on rendait un tel hommage à un peintre encore en vie. Seul Georges Braque en 1963 avait auparavant connu le privilège d'être invité de son vivant au Louvre, mais dans un espace qui lui était entièrement dédié. Il est amusant de constater que tous deux, qui travaillèrent presque de concert à l'invention du cubisme, aient, à quelques années d'écart ainsi partagé cette faveur.
Le film est parsemé de nombreuses anecdotes. L'une en particulier m'a touché. celle de Pierre Daix, qui a beaucoup écrit sur lui, et qui visiblement ne s'est jamais vraiment remis d'avoir connu cet homme tant son émotion est palpable à chacune de ses interventions. Lors de sa dernière visite chez Picasso, celui-ci, avant qu'il ne se séparent, l'emmène dans une petite pièce et tient à lui montrer posée sur une méridienne, la toile ultérieurement  titrée "L'autoportrait devant la mort", le dernier qu'il réalisa.
 

 
Comme on fête le cinquantième anniversaire de sa mort, de nombreux documentaires sont diffusés autour de Picasso. L'un deux est consacré à Françoise Gilot, qui vécut avec lui après-guerre. C'est une femme très intéressante et une peintre très talentueuse. Elle ne s'en laissa pas compter par son illustre compagnon qui n'était pas un homme facile à vivre, à cause de son machisme très espagnol. Il se comportait souvent en tyran domestique. Ce fut la seule femme qui sut se tirer des griffes de Picasso et refaire sa vie, rapidement après l'avoir quitté, la seule peut-être pour démentir cette chanson des Modern Lovers. Picasso fit en sorte de l'invisibiliser, en exigeant de son galeriste qu’il cesse de l’exposer. Le génie n'est pas exempt de mesquinerie. Lorsque Françoise Gilot, exilée aux États-Unis, publia un livre sur sa vie avec Picasso, ce dernier fit tout — sans succès d'ailleurs— pour empêcher sa parution. Et lorsqu'il fut traduit en français, Picasso mobilisa le ban et l'arrière-ban des intellectuels français pour empêcher sa publication. Une pétition fut signée par de nombreux artistes qui par ailleurs se targuaient d'être d'ardents défenseurs de la liberté. Aragon et la Triolette, Césaire, Alain Cuny, Michel Leris, même Jacques Prévert, Vercors, Jean-Louis Barrault et Madeleine Renault, Serge Reggiani, Maurice Rheims, Geneviève Anthonioz De Gaulle... Cocteau, qui toute sa vie fut pourtant confit, d'une admiration peu payée en retour à l'égard du peintre (qui s'en amusait d'ailleurs), eut l'élégance de ne pas signer. Bref, l'homme si sûr de son génie, pouvait être mesquin cruel et d'une grande lâcheté. 
Claude Arnaud, dans un récent ouvrage intitulé "Picasso tout contre Cocteau", confie, que Michel Leiris, surnommait Picasso, "le mage noir", et que ce dernier disait "chaque fois que je change de femme je devrais brûler la précédente". Espérons qu'il ne parlait que des toiles peintes où celles-ci étaient représentées. A un spectateur indignée par un portrait de femme de Picasso, Colette rétorqua un jour "elle n'est pas affreuse, elle est empicassée" . Claude Arnaud, fait malicieusement remarquer  que "empicassé" est le mot qu'utilisent les paysans breton pour désigner une vache à qui leurs voisins ont jeté un sort.
J'ai choisi pour illustrer cet article trois œuvres mineures, aperçues lors de l'exposition Picasso et la préhistoire. De petits galets sculptés, qui révèlent la part d'enfance chez cet artiste. 
Un être qui fit longtemps mon bonheur, un jour me raconta que, lorsqu'elle était enfant, elle pensait être la reine des cailloux. A sa façon Picasso lui aussi régnait sur eux, leur accordant parfois son onction de vieil enfant ("ce pervers polymorphe", selon Freud), lui qui sa vie durant prétendait s'efforcer de dessiner comme eux.

7 commentaires:

  1. There are many artists and works of the 20th century. But there is only Picasso. In earlier times, Turner has had a strong effect on me, but... Picasso is something else. Everything he did was amazing. It's the same for me with music... I love many works and many composers, but really, when all is said in done, I must have Bach, Beethoven, Debussy, Ravel, and Mahler.

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  2. J'aurais tant aimé regarder le documentaire (non disponible dans votre pays disent-ils, vive l'Europe). Alors merci de l'avoir détaillé. Tu as raison, toujours se renouveler, une énergie extraordinaire.
    Parmi toutes les femmes de sa vie, je ne connaissais pas Françoise Gilot, un travail intéressant.
    Merci pour tout, bon dimanche.

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  3. Picasso was most amazing. Thank you for yet another history lesson.

    I'm sorry I'm so late. Workers showed up this morning to tear out our kitchen for the last part of the remodel and we had no idea they were coming. We worked our behinds off cleaning out all the drawers and cabinets.

    Thank you for joining the Awww Mondays Blog Hop.

    Have a fabulous Awww Monday and week. ☺

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  4. Fun to see. I clicked and the film isn't available it says where I live in USA. Enjoyed reading about it.

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  5. Such interesting art work! Thanks for sharing and for linking up with #MySundaySnapshot.

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  6. Picasso was an amazing artist, but also a gifted artistic entrepreneur. Add to that his astute reading of the zeitgeist at pivotal historical moments and his early adoption/adaption of it, and you have an artist who became rich and famous during his lifetime (not a common thing!). I admire many of his works (many of them not as well known or as appreciated as they should be - e.g. many of his drawings and graphic works), but I also recognise that much of what he produced was related to business and money-making (yes artists have to live too, but some develop expensive tastes commensurate with their success). As far as his personal life is concerned, yes there are failings there, and especially - as you note - the way he (mal)treated some of his partners and closest associates, which is not something that endears him to me. There lies the rub: Can we separate the art from the person? Can we consider the products of his imagination completely apart from the effects he had on other people? This is a matter that has vexed many people when they consider the art of artists who are less than exemplary and "good" human beings, the art of fascists, nazis murderers, etc, etc. Thanks for taking part in the "My Sunday Best" meme.

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