mercredi 26 mai 2021

Le Mur des Fédérés

Voilà,
ces jours-ci marquent le 150ème anniversaire de la semaine sanglante de la Commune. Comme l'histoire est écrite par les vainqueurs, et qu'aujourd'hui en France la gauche est moribonde, il n'en est guère fait mention ces derniers temps et on ne le commémore plus. Le mur des Fédérés, constitue une partie de l'enceinte du cimetière du Père-Lachaise. Là, 147 fédérés, combattants de la Commune, ont, à la fin du mois de , été fusillés par l'armée versaillaise puis jetés dans une fosse commune ouverte au pied du mur. Depuis lors, ce lieu symbolise la lutte pour la liberté, la nation et les idéaux des communards. Ce bas-relief créé en 1909 par Paul Moreau-Vauthier avec les pierres originales du mur portant encore les impacts de balles surprend par ces nombreuses silhouettes fantomatiques comme moulées dans la pierre. Il se veut cependant un  hommage à toutes les victimes des révolutions. En son centre, une allégorie de la Justice tente d’arrêter les deux clans ennemis. Une citation de Victor Hugo  y proclame aussi "Ce que nous demandons à l’avenir, ce que nous voulons de lui, c’est la justice ce n’est pas la vengeance". L'occasion de rappeler ici cette histoire que les britanniques aiment bien raconter à propos de notre nation : "si les français aiment tant les guerres civiles c'est que ce sont les seules qu'ils sont sûrs de pouvoir gagner". On ne louera jamais assez, l'humour anglais et les vertus de ce peuple qui nous a débarrassé de Napoléon.
(Linked with Monday Murals

lundi 24 mai 2021

Still waiting


 
Voilà,
depuis janvier 2019, il n'y a plus d'espèce d'escargot endémique sur l'île d'Hawaï. La mairie de Paris sans concertation a fait arracher la glycine centenaire de chez Plumeau sur la butte. En Australie dans la Nouvelle Galle du Sud on a vu, il y a quelques mois des migrations de mygales fuyant des inondations diluviennes. De plus en plus de tableaux lumineux remplacent les affiches en papier dans le métro parisien. Aujourd'hui, en France, réaliser des podcasts est devenu très tendance. Dans ce pays au ministère des finances, alors qu'il y a dix ans ils étaient 12 ne restent désormais, que quatre inspecteurs pour traiter environ 450 dossiers concernant la fraude fiscale évaluée aux environs de 100 milliards par an. Par contre on a embauché 400 agents pour contrôler les chômeurs. Depuis le début de l'année le nombre de morts quotidiens du Covid équivaut à un crash d'avion journalier. Le gouvernement du Japon a décidé de rejeter de l'eau contaminée de Fukushima à la mer. Il y a longtemps pendant quelques semaines je suis sorti avec une femme qui ressemblait un peu à Patrick Juvet. Quand je vois passer de jeunes et ravissantes mères de famille en compagnie de leur fils je ne peux m'empêcher de penser que leur marmot aura un Œdipe forcément chargé. Je ne comprends toujours pas comment utiliser le rasoir pour donner l'illusion d'une barbe de trois jours. Des millions de gens se sont retrouvés à lire un jour un compte-rendu médical où il était question d'opacité en verre dépoli. Un matin, en France, avant le temps des masques et des tests PCR, une femme prénommée Vanessa s'est levée pour participer à une manifestation et on lui a tiré dessus. Une "balle de défense" propulsée à plus de 300 km/h a percuté son visage. Elle a perdu un œil, une partie de l’odorat, du goût. Sa vie a basculé. Et puis ensuite l'épidémie, le confinement. Comment tu fais dans ces cas là pour être heureux ? Des courants d'eau chaude attaquent le glacier Thwaites en Antarctique et menacent sa stabilité. A cause du blocage du canal de Suez et de la pandémie, le Royaume-Uni a un temps été confronté à une pénurie de nains de jardin. Les zombies sont des corps morts qui s'acharnent à vivre, j'en connais. C'est dans le lent désastre qu'il nous faudra malgré tout cultiver la joie. La forêt amazonienne dégage désormais plus de gaz carbonique qu'elle n'en absorbe. John Lennon était un excellent siffleur. Un petit trou du cul prétentieux a depuis sa cambrousse a essayé de me nuire. Des pluies acides ravageront la planète qu'il y aura toujours des cons pour se préoccuper du prochain mercato des stars du football. Une secouriste de la croix rouge a été insultée sur les réseaux sociaux à cause d'une photo où on la voit serrer dans ses bras, pour le réconforter un africain qui vient d'échapper à la mort. Deux bœufs musqués ont été euthanasiés dans un zoo américain en raison du changement climatique. Qui se brosse les dents récure son squelette. Une infection grave, dite du champignon noir, touche les immunodéprimés en Inde. On envisage la possibilité dans un proche avenir d'implants cérébraux pour des orgasmes sur demande. En Californie un séquoia se consume toujours depuis l'année dernière. Un pan de l’inlandsis du Groenland serait sur le point de basculer. La ville de Mexico s'enfonce inexorablement dans le sol. Des responsables de l'US Navy envisagent  de revenir à la navigation au sextant. Des ingénieurs ont inventé un parquet capable de produire de l'électricité grâce à nos pas. L'aéroport de Dubaï utilise des détecteur d'iris. Un drone a exploré un des réacteurs de la centrale de Tchernobyl. On a récemment inventé le néologisme infodémie pour désigner l’inflation d’informations dont nous disposons actuellement.
I push the fact in front of me
Facts lost
Facts are never what they seem to be
Facts cut a hole in us
Facts are useless in emergencies
Facts are simple and facts are straight
Facts are lazy and facts are late
Facts all come with points of view
Facts don't do what I want them to
Facts just twist the truth around
Facts are living turned inside out
Facts are getting the best of them
Facts are nothing on the face of things
Facts don't stain the furniture
Facts go out and slam the door
Facts are written all over your face
Facts continue to change their shape
Still waiting, still waiting, still waiting
Still waiting, still waiting, still waiting
Still waiting, still waiting, still waiting
Still waiting, still waiting, still waiting 
(Talking heads)

dimanche 23 mai 2021

Make art with money

Voilà,
c'est à Moret-sur-Loing, charmante bourgade de l'Ile de France, que le peintre impressionniste Alfred Sisley vint finir ses jours. C'est aussi là que, durant l'été 2019 j'ai aperçu cette petite œuvre murale, tout à fait originale, dont le billet restitue l'échelle. (Linked with monday murals)

samedi 22 mai 2021

Sait-on jamais


Voilà
au cas où, mieux vaut prendre les devants et proposer un choix pertinent. Être prévoyant quoi! même si je ne suis pas particulièrement pressé, les temps sont incertains pour les gens de mon âge on ne cesse de nous le répéter tous les jours à la radio. Et puis on assiste si souvent à des cérémonies ratées. Voilà donc des airs où je me reconnais. Ça sert aussi à ça la musique non ? À décliner d'une certaine manière son identité quand les mots n'y peuvent suffire.

 La sonate en C sharp de Scarlatti par Clara Haskil ah oui sûr
 Saturday Morning  ou bien Poinciana d'Ahmad Jamal ça aussi c'est pas mal
My favorite thing joué au piano par George Shearing
 le début de Rosetti Noise de Harold Budd
Houses in motion de Talking Heads  parce que ça m'a fait rêver et danser
le largo du concerto grosso N°5 de Avison, interprétée par l'académie de St Martin in the Fields et dirigée par Sir Neville Marriner 
a rainbow in curved air de Terry Riley
Le poème de Verlaine Écoutez la chanson bien douce adapté par Léo Ferré
 l'aria "Erbarme dich" dans la passion de Saint Matthieu de Bach, mais c'est quand même un peu triste et solennel
l'andante ma moderato du String sextet en B majeur de Brahms
Le salon de Godowski joué par Jorge Bolet
 Le prélude de César Franck
 the unanswered question de Charles Ives, c'est assez class et aussi beau que de circonstance
Sirènes de Debussy
Skokiaan de Louis Armstrong c'est joyeux
L'impromptu pour piano en la bémol majeur opus 90 de Schubert 
Le prélude pour piano opus 18 de César Frank
Sexteto mistico de Heitor Villa-Lobos 
  L'andante du sextuor à corde No 1 en si-bémol majeur, opus 18 de Brahms
L'adagio Assai de Maurice Ravel
l'allegro malinconico de la sonate pour flûte et piano de Poulenc
L'Aquarium de Saint-Saens mais dommage maintenant ça fait un peu trop festival de Cannes
L'orage de Brassens parce que je la chantais à ma fille quand elle était petite
Blue Monk  ou misterioso de Thelonious Monk
  All blues de Miles Davies
Jan founmi de King sunny Ade
Big swifty de Frank Zappa
Nuages de Django Reinhardt ça serait de circonstances
La sérénade pour cordes Opus 3 numero 5 attribuée à Haynd mais paraît-il composée par Roman Hoffsetter
et encore tomorrow never knows qui serait de circonstance
le menuet pour quintette à cordes de Boccherini
la sonate au clair de lune de Debussy
la première gnossienne de Satie par Anne Quefellec
Le quatuor à cordes Opus 41 n°2 de Schumann
l'andante du concerto en B mineur op 61 pour violon d'Edward Elgar, mais c'est un peu long
Youkali de Kurt Weil dans la version de Romain Leleu
All white de Soft Machine
"Farewell to Philosophy" de Gavin Bryars
Dujii de Kool & the Gang
 
Bon en même temps tout ça est un peu absurde. Il y a encore tant de morceaux que je pourrais ajouter, et puis c'est une question d'humeur et de moment.

jeudi 20 mai 2021

La Force de l'Habitude


Voilà,
on peut imaginer qu'il leur est souvent arrivé, à ces deux là, de venir se poser sur ce banc pour y lire, à la fois ensemble et séparés. Cette scène, saisie avant la diffusion des vaccins me touche parce que deux temporalités semblent s'y frotter. En effet, elle évoque à la fois un monde ancien — il deviennent rares aujourd'hui, les gens tenant entre leur mains autre chose qu'un smartphone —, en même temps qu'elle nous assigne à l'étrangeté de cette époque nouvelle où les masques chirurgicaux sont devenus les accessoires obligés de notre quotidien. Il y a un an pourtant, les voix officielles affirmaient avec conviction qu'il ne servaient à rien. Passons. Cette proximité entre deux corps au visage à moitié dissimulé montre aussi comment la force de l'habitude que je prête à ce qui me paraît comme un "vieux couple" s'accommode de l'injonction serinée sans cesse depuis des mois, à la radio, à la télévision, de se soumettre aux gestes barrières et à la distanciation sociale.

mardi 18 mai 2021

Entre deux mondes

 

Voilà, 
"La tristesse nous laisse entre deux mondes, ni désespoir ni indifférence, elle est une promenade au bord de la catastrophe, mais avec élégance, comme un enfant qui court le long d'une falaise sans percevoir le danger, les yeux dans la fracture du ciel, le dessin des nuages, la douceur du vent. Elle n'a pas d'épaisseur propre, pas d'écho. Elle délimite un espace intérieur flou, déraisonnable, où l'on reste au bord des larmes avec en même temps un apaisement étrange. La tristesse peut submerger, mais elle apaise aussi ; elle a un pouvoir d'adhérence qui enveloppe le corps dans une sensation cotonneuse d'étrangeté à soi-même, comme un chagrin d'amour dont on aurait subitement perdu le sens, mais pas la nostalgie." écrivait Anne Dufourmantelle, dans "Éloge du risque". Comme je voudrais qu'elle fût encore là. Son intelligence sa sensibilité et sa clairvoyance me manquent. Surtout dans cette période confuse et troublée où bien des repères disparaissent. Sans doute son discernement aurait-il contribué à débrouiller toute cette complexité dans laquelle je me sens comme pris au piège. Je me suis toujours plus ou moins bien sorti de l'adversité jusqu'à présent. Mais tant de choses me pèsent désormais. A commencer par mon propre corps. Je pourrais toutefois en rire, s'il y avait du moins quelqu'un avec qui en plaisanter.

dimanche 16 mai 2021

Où aller maintenant ?

 
Voilà
un poème de Paul Celan
 
"Mais voici que rétrécit le lieu où tu te tiens :
Où aller, maintenant, dénué d’ombre, où aller ?
Monte. À tâtons, monte.
Te voilà plus ténu, plus méconnaissable, plus fin !
Plus fin : un fil
où l’étoile veut glisser et descendre :
pour nager en bas, tout en bas,
où elle se voit scintiller : dans la houle
des mots qui cheminent."
Paul Celan 
 
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samedi 15 mai 2021

Comment va le monde Monsieur ?

 
Voilà,
le choc t'a bien tassé quand même, un refrain trottine dans ta tête Chico Buarque d'accord d'accord d'accord, tu flagades en retournant chez toi puis entre cuisine et salon, tu déballes tes courses, ne te souviens plus, c'est lui qui un temps fut ministre de la culture du Brésil ou un autre et tu te demandes pourquoi tu mets les fruits au réfrigérateur, ah penses tu quel con tu ne t'es pas lavé les mains en arrivant, et tu n'as pas encore enlevé ton masque tu ne te sens pas très bien tu voudrais dormir mais redoutes de ne jamais plus te relever si tu t'allonges. Allez un coup de gel hydroalcoolique et ça repart ! Et puis toujours ce froid ces giboulées. Merde on est en mai quand même. Saint Mamert, Saint Pancrace, et Saint Servais, allez vous faire foutre. Tu songes à ce sans-abri aperçu dans la rue sous son parapluie multicolore, vêtu en eskimo qui avait bien l'air de se les peler et ce dialogue dans "Timon d'Athènes" de Shakespeare affleure à ta mémoire :  
— Comment va le monde Monsieur ? 
— Il s'use à mesure qu'il dure Monsieur.

mardi 11 mai 2021

Fête à Saint-Louis-en-L'Isle


Voilà,
ce n'est pas vraiment un village, plutôt un hameau. Là, au cœur du mois d'Août, quelque chose qui pourrait évoquer une fête foraine se réduit à un manège et un stand. D'autres viendront-ils s'ajouter à ceux-ci ? On ne sait pas. On ne fait que passer. Père et fille, on se promène à vélo. Pourtant au mitan de cet après-midi, sous une poisseuse chaleur qu'une brise légère atténue, l’aspect insolite de cette scène me happe et me saisit tout à fois. On s'attarde un moment. Un imperceptible malaise s’insinue peu à peu. Dans cette fantomatique torpeur, ce qui est supposé susciter de la joie induit au contraire une morne mélancolie. Comme ils raccourcissent déjà les beaux jours et comme elles filent vite les années. Dire qu’on le trouvait parfois bien long, ce temps qui vient à manquer tant il se réduit désormais! Ou peut-être qu'on n'a pas voulu se presser, qu'on était un peu trop nonchalant aussi. On verrait plus tard, et plus tard c'est déjà maintenant. À peine s'en est-on aperçu. Elles semblent encore si proches les fois où l'on choisissait le camion de pompiers sur le manège.

dimanche 9 mai 2021

Trompe-l'œil, rue Clisson

Voilà,
passant la semaine dernière dans le treizième arrondissement de Paris, j'ai aperçu ce trompe-l'œil, que je n'avais jamais vu, vraisemblablement très connu des amateurs de street art puisqu'il est l'œuvre de Fabio Rieti, dont j'avais, il y a quelques mois déjà, partagé une réalisation. Cette délicate peinture murale située 55 rue Clisson au débouché de la rue Jean-Sébastien Bach très ancienne a été réalisée en 1980, puis rénovée en 1999 et en juillet 2016 (par Leonor Rieti et Louyz). On peut remarquer le détail d'un oiseau enfermé derrière des barreaux au-dessus du front du compositeur. 
(Linked with Monday Mural)

vendredi 7 mai 2021

Ruminations

 
 
Voilà,
Il cherchait à comprendre ce qui avait pu les délier l'un de l'autre, quel motif l'avait poussée à se détourner de lui, en dépit de cette attention généreuse et de ce désir qu'elle lui avait si souvent témoigné, le laissant venir à elle si confiante. Et de cela il ne pouvait que la remercier. Il n'avait pu s'empêcher de lui jeter par la suite des mots au goût mauvais comme s'il voulait à jamais être exclu de ses contrées, quand au contraire il aurait désiré lui laisser sa bouche et ses mains.
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the weekend roundup S as "Spring, Sun, Short, Sweet

mercredi 5 mai 2021

mardi 4 mai 2021

D'autres incipit

The bookshop and soul of the Latin Quarter, Gibert Jeune, fell here. A page has been turned
 
Voilà,
Incipit. Par ce terme on désigne les premiers mots (ou paragraphes) d'une œuvre littéraire. L'incipit généralement, sert à définir le genre du texte et annonce le point de vue adopté par le narrateur ainsi que les choix stylistiques de l'auteur. J'en avais déjà proposé une liste, quelques temps avant l'épidémie et j'avais averti qu'au gré de mes humeurs d'autres viendraient. De beaux débuts ne font pas forcément de grands livres. Certains ouvrages pourraient même se réduire à la géniale promesse des premières lignes. Ceux que j'ai ici répertoriés se rappellent à moi, par l'effet qu'ils ont produit sur la suite de ma lecture.
 
(...)
 
Situé au cœur d'une région célèbre pour ses truffes et ses vestiges préhistoriques, le petit bourg de Moucheron coule des jours paisibles, bien abrité du Nord par les premiers escarpements du massif du Cassoulet et arrosé, côté sud, par la Gloutonne, petit cours d'eau modeste, mais si l'on en croit le guide bleu "pavé de truites et bardé d'anguilles". Depuis toujours les moucheronnais s'adonnent avec ardeur courage et abnégation à la culture et à l'élevage. Leur pénible journée de labeur terminée, les hommes se retrouvent au café et retrempent leur optimisme dans la chaude atmosphère d'un coude-à-coude fraternel... 
Maréchal in "Prudence Petitpas mène l'enquête"

Soudain ce jeune homme obstiné se dit qu’il y va, et il y va. 
Sébastien Japrisot in  "La passion des femmes"
 
Il tenait une lettre à la main, il leva les yeux me regarda puis de nouveau la lettre puis de nouveau moi, derrière lui je pouvais voir aller et venir passer les tâches rouge acajou ocre des chevaux qu'on menait à l'abreuvoir, la boue était si profonde qu'on enfonçait dedans jusqu'aux chevilles mais je me rappelle que pendant la nuit il avait brusquement gelé et Wack entra dans la chambre en portant le café disant les chiens ont mangé la boue, je n'avais jamais entendu l'expression, il me semblait voir les chiens, des sortes de créatures infernales mythiques leurs gueules bordées de rose leurs dents froides et blanches de loups mâchant la boue noire dans les ténèbres de la nuit, peut-être un souvenir, les chiens dévorants nettoyant faisant place nette : maintenant elle était grise et nous nous tordions les pieds en courant, en retard comme toujours pour l'appel du matin, manquant de nous fouler les chevilles dans les profondes empreintes laissées par les sabots et devenues aussi dures que de la pierre, et au bout d'un moment il dit Votre mère m'a écrit.
Claude Simon in "La Route des Flandres" 
 
Il n'y a rien ici ou presque, mais il faut pourtant en dire quelque chose. Des baraques seules sous un ciel bas, des chemins qui serpentent vers des amas de pierres. La terre a été pelée par des siècles de soleil. Les gestes ont un temps de retard sur les choses.
Pierre Ducrozet in  "L'invention des corps"
 
Je m'en vais, dit Ferrer, je te quitte. Je te laisse tout mais je pars. Et comme les yeux de Suzanne, s'égarant vers le sol, s'arrêtaient sans raison sur une prise électrique, Félix Ferrer abandonna ses clefs sur la console de l'entrée. Puis il boutonna son manteau avant de sortir en refermant doucement la porte du pavillon.
Jean Echenoz in "Je m'en vais"
 
La première chose que je peux vous dire c'est qu'on habitait au sixième à pied et que pour madame Rosa, avec tous ces kilos qu'elle portait sur elle et seulement deux jambes, c'était une vraie source de vie quotidienne, avec tous les soucis et les peines. 
Émile Ajar in "La vie devant soi" 
 
Quand il était écolier, Georges Levanter  avait pris une habitude bien commode : un somme de quatre heures dans l'après-midi  lui permettait de rester mentalement et physiquement actif jusqu'au petit jour, moment où il allait à nouveau dormir quatre heures Et s'éveillait dispos pour la journée
Jerzy Kosinski in "Le partenaire inconnu"
 
Elle est entré dans le livre. Est entrée dans les pages du livre comme un vagabond pénètre dans une maison vide, dans un jardin à l'abandon. 
Elle est entrée, soudain. Mais cela faisait des années déjà qu'elle rôdait autour du livre. Elle frôlait le livre qui cependant n'existait pas encore, Elle en feuilletait les pages non écrites et certains jours, même, elle a fait bruire imperceptiblement ces pages blanches en attente de mots.
Le goût de l'encre se levait sur ses pas. 
Sylvie Germain in "La Pleurante des rues de Prague" 
 
1) Lorsque j'ai commencé à passer mes après-midi dans la salle de bain, je ne comptais pas m'y installer ; non, je coulais là des heures agréables, méditant dans la baignoire, parfois habillé, tantôt nu. Edmondsson, qui se plaisait à mon chevet me trouvait plus serein ; il m'arrivait de plaisanter, nous riions. Je parlais avec de grands gestes, estimant que les baignoires les plus pratiques étaient celles à bords parallèles, avec dossier incliné, et un fond droit qui dispense l'usager de l'emploi du butoir cale-pieds.
Jean-Philippe Toussaint in "La salle de bain"
 
Il naquit à Paris dans une grande maison blanche, sur une petite place derrière l'avenue Foch. D'une mère blonde et belle et d'un père paisible et riche
J.P. Donleavy in "Les béatitudes bestiales de Balthazar B."


Donc, après la librairie Boulinier l'année dernière, c'est une autre institution du quartier latin et non la moindre qui disparaît puisque Gibert Jeune devait être la plus ancienne librairie du quartier. Je me souviens même que mon géniteur m'en avait parlé avant même que nous arrivions à Paris. C'est avec une grande tristesse que je vois peu à peu changer le paysage du Boulevard Saint Michel. Ce fut un des premiers endroits où je suis allé, lorsque j'ai commencé à habiter cette ville. (Linked with signs2

lundi 3 mai 2021

Wigwam

 
Voilà,
en 1970, sur l'Album Self-Portrait (qui fut je crois assez peu favorablement accueilli) Bob Dylan, chantonnait cette ritournelle sans paroles, qui, de la part d'un chanteur surtout reconnu et considéré pour ses textes, représentait un joli pied-de-nez. Je crois que du haut de mes quatorze ans, je trouvais ce morceau sans grand intérêt, juste un peu obsédant parce que ça passait souvent en radio. Au moins, pensais-je alors, de celui là, Hugues Aufray, dont le fond de commerce était la reprise en français des chanson de Dylan, n'aurait pas besoin d'en faire l'adaptation. Un demi-siècle après, cette chanson me charme, par sa désinvolture, sa décontraction. Elle m'apparaît comme l'expression la plus accomplie du bonheur simple et immédiat, du farniente, de l'accord tranquille et sans projet au temps qui passe. Plus tard, quelques refrains de J.J. Cale, m'ont aussi suggéré de telles impressions. "Wigwam", me fait aussi songer à la réplique de Depardieu dans "Les valseuses", le film de Blier : "On n'est pas bien, paisibles, à la fraîche, décontractés du gland... Et on bandera quand on aura envie de bander..."
C'est exactement ce que l'on serait tentéde fredonner devant ce paysage, le long de cette route, quand tout paraît suspendu, que l'on se sens soudain sans contour, dans un état sans mesure, comme un morceau d'éternité.

samedi 1 mai 2021

Une histoire bien insolite


Voilà, 
c'est le genre d'histoire que j'adore et qui s'accorde à la douceur de ce paysage. Je te la raconte comme si nous nous promenions côte à côte dans ce jardin. Philippe et Dominique m'avaient appris à Châteaudouble où l'on écoutait souvent Vivaldi l'été, qu'avant la guerre il était méconnu. Ce n'est que dans le courant des années cinquante, qu'il a de nouveau accédé à la notoriété. Voici le récit et les raisons de la postérité tardive de Vivaldi dont la Bibliothèque Universitaire de Turin possède la plus importante collection de partitions autographes. L'histoire de son acquisition est si insolite qu’on pourrait la croire tirée d’un roman.
En 1926, le recteur d’un modeste collège voulut  y entreprendre des travaux de réparation. Pour financer l’opération, il eut l'idée de vendre de vieux ouvrages de musique que possédait la bibliothèque de son établissement. Afin de connaître le prix qu’il pourrait en tirer, il soumit leur expertise au musicologue et directeur de la Bibliothèque Universitaire de Turin. Il s’avéra que, parmi les volumes de la collection, 14 rassemblaient des partitions de Vivaldi, musicien alors peu connu du grand public. Il y avait aussi des œuvres d’autres compositeurs. Soucieux de ne pas voir disperser une collection aussi exceptionnelle, on trouva une solution pour que la Bibliothèque de Turin s'en porte acquéreur. Après examen des manuscrits vivaldiens, on découvrit que, selon toute évidence, ceux-ci devaient vraisemblablement s'intégrer à une collection plus importante. Grâce à l’aide de généalogistes, on identifia en 1930 le possesseur des autres ouvrages de la collection initiale qui comptait 13 nouveaux volumes d’œuvres de Vivaldi. Les deux fonds ainsi rassemblés contenaient 30 cantates profanes, 42 pièces sacrées, 20 opéras, 307 pièces instrumentales et l’oratorio Juditha triumphans, soit un total de 450 pièces dont la quasi-totalité de la musique d’opéra. Hélas, les musicologues ne purent exploiter rapidement cette découverte exceptionnelle, car le directeur de la Bibliothèque de Turin, auquel les droits d’étude et de publication avaient été expressément réservés, était juif et comme tel, interdit d’activité par les lois raciales de l’Italie fasciste. C’est donc seulement après la Seconde Guerre mondiale que ce fantastique ensemble de manuscrits put enfin être exploité.  (Linked with Tuesday's treasures)
 

Publications les plus consultėes cette année