dimanche 31 décembre 2017

Bon bout d'an et à l'an qué vèn


Voilà,
l'usage et la bienséance supposent une forme d'allégresse dans la formulation des vœux tandis que la lucidité n'incite guère à l'enthousiasme et commande la retenue. On n'est jamais trop prudent, par les temps qui courent. Malgré tout, dans cette grande confusion qui caractérise notre monde, je ne peux que souhaiter aux uns et autres d'être résolument modernes. "Être moderne, écrivait Cioran, c'est bricoler dans l'Incurable". Quoiqu'il en soit, "bon bout d'an et à l'an qué vèn" comme on disait autrefois du côté de Marseille. Puissions-nous l'année qui vient, tout de même nous épanouir comme les fougères géantes du Monte Palace Tropical Garden de Funchal

mercredi 27 décembre 2017

Dormir pour oublier (25)


Voilà,
hors champ, à gauche rue Cujas, il y a un autre homme qui gît sur l'asphalte, à cinq mètres de celui-ci qui a trouvé, rue Saint Jacques une bouche d'aération où se réchauffer. Bien sûr c'est bientôt le Nouvel an tout ça la fête, la trêve des confiseurs et tout le tintoin, mais je ne peux m'empêcher de songer à cet article lu récemment."Il nous faut donc exposer jour après jour en pleine lumière les vampires hypocrites au pouvoir pour qu'ils s'effondrent ("nous expulserons, mais humainement" - tu parles, Collomb ! tentes lacérées, duvets confisqués, squatters jetés à la rue en plein hiver, chaussures confisquées, harassement permanent par la police de gens déjà épuisés, nourriture aspergée volontairement de gaz donc inconsommable etc -   ou  encore le mémorable (nous aimerions en tout cas qu'on s'en souvienne) :  "Je ne veux plus personne dans les rues d'ici la fin de l'année", du président Emmanuel Macron, prononcé devant la presse le 27 juillet à Orléans, lors d'une cérémonie de naturalisation (!!!) - la vraie réalité quelques jours avant la fin de l'année ? deux SDF morts dans la rue à Marseille rien que la semaine dernière... Jupiter est un menteur impuissant, entraîné par sa logique qui adore, respecte et s'incline bien bas devant le pouvoir formidable des riches, les dieux d'aujourd'hui (un prince saoudien vient d'acheter 200 millions d'euros et plus un château, il avait dû beaucoup travailler pour ça, et bien le mériter, forcément, d'après Macron et Trump et les banques on ne peut même pas le discuter, ce serait remettre en cause la sacro-sainte propriété privée, naturellement... Notre sentiment, c'est plutôt qu'on devrait tout prendre à ces gens, absolument tout, comme on reprend aux voleurs ce qu'ils ont volé, sous les applaudissements de tous... Où est la différence ? qu'est-ce qui la justifie dans ce cas ? la naissance avec une cuillère d'or dans la bouche, fils et petit fils de tyrans obscurantistes et esclavagistes ?)  et regrette l'existence (triste, déplorable, hélas réelle) des pauvres, ces créatures regrettables mais de trop, de plus en plus nombreuses dans nos pays riches, comme un à côté inévitable du progrès et de la libre circulation des capitaux". in L'Autre Quotidien

mardi 26 décembre 2017

Shoe Repairs


Voilà,
on est donc aux alentours de Noël. C'est une période où j'ai tendance à faire l'ours, à sortir le moins possible pour échapper à l'hystérie mercantile. D'ailleurs en général je me chope toujours un genre de bronchite qui me fait traverser cette période dans un état semi-comateux et ce n'est pas plus mal. C'est l'occasion de régresser de traîner au lit, de faire de menues choses. Je pose une guirlande quelque part dans la maison, et du moment que ça clignote hein! c'est la fête. Et puis j'écoute les vêpres de Rachmaninov, les oratorio de Noël de Bach, les christmas carols avec leurs chœurs d'enfants de Benjamin Britten, et bien sûr des enregistrements de Peter Skellern avec là aussi des chœurs d'enfants. Peter Skellern, j'adore, c'est si délicieusement british, il arriverait à nous faire croire que le jazz a été inventé dans le Devon ou le Lancashire pour des vieilles ladies un peu excentriques prenant le thé dans leur jardin. Les anglais sont tricheurs et roublards au rugby, et retors dans leur diplomatie, mais je les aime pour tout un tas de raisons et en particulier Peter Skellern. Il faut dire qu'en ce moment je suis très britichisé puisque je regarde enfin cette série "Downton Abbey" qui me réjouit à chaque plan, ne serait-ce que pour toutes cette palette d'accents anglais qu'on y entend, et pour cet humour distancé qui n'appartient qu'à ce peuple qui a inventé le Nonsense — le rugby pourrait d'ailleurs être assimilé à cette catégorie puisqu'il s'agit dans ce jeu d'avancer en se passant la balle en arrière —, Nonsense dont l'une des plus belles illustrations est cette réponse faite par George Harrisson  lorsque on l'avait interrogé sur la reformation des Beatles survivants : "Les Beatles ne se reformeront pas tant que John Lennon sera mort". Et puis il y a ce gag de ce dernier dans le film "A hard day's night" ou John coupe avec une paire de ciseaux la cravates d'un de ses copains en disant "je déclare cette cravate inaugurée". Bref, je digresse mais c'est bien aussi parce que je suis un peu en roue libre ces temps-ci. J'en ai aussi profité pour me replonger dans le merveilleux livre "Narcisse et Goldmund" d'Hermann Hesse, que j'avais lu, il y a bien longtemps. Cela avait été un moment de lecture très fort. Mais les détails de l'histoire se sont évanouis au cours de toutes ces années, si bien que je le redécouvre. Il en va d'ailleurs de même pour la plupart des livres qui se trouvent dans ma bibliothèque. je m'aperçois que j'ai oubliés pour la plupart ce qu'ils racontent. C'est là, mais ce n'est plus là, et c'est plus difficile à reparcourir et à réinterpréter qu'une vieille photo. Je regarde plus facilement mes anciennes photos que je ne relis les livres de ma bibliothèque. Celle-ci date de mon dernier passage à Londres, il y a plus de deux ans.
Sinon, je remercie tous ceux qui m'ont envoyé leur vœux ; j'en suis très touché. Je leur adresse les miens en retour. (The Weekend in black and white)

lundi 25 décembre 2017

Vierge à l'Enfant


Voilà,
j'avais promis début octobre une vierge à l'enfant. C'est aujourd'hui plus que jamais d'actualité. "Un Noël encore a passé sur ma tête, une année encore est tombée au gouffre sans m'avoir apporté la solution de rien, ni l'espérance de rien." écrivit autrefois Pierre Loti dans "Figures et choses qui passaient."  

vendredi 22 décembre 2017

Désarroi


Voilà,
ces moments étranges où la sensation de solitude vous mange. Où, malgré les lumières artificielles, on se sent égaré dans la nuit, comme un enfant qui ne reconnaît pas son chemin. Pour conjurer ce moment de désarroi on capte une image banale qui n'a de sens et de valeur que pour soi. On voudrait tant être ailleurs autre et autrement. Un instant on hésite à rebrousser chemin. (The weekend in black and white)

mercredi 20 décembre 2017

J'ai rêvé ma vie (Oblomoverie)


Voilà
J'ai rêvé ma vie
Les yeux grand ouverts
Me suis réveillé
Quand c'était l'hiver

La neige était là
Le ciel était gris
Le vent était froid
Je n'ai pas compris

Mes beaux soirs d'Avril
Que j'avais rêvés
Où donc étaient-ils
J'en aurais pleuré

Faites moi plaisir
Commencez sans moi
Laissez moi dormir
J'étais fait pour ça

(Francis Blanche)

dimanche 17 décembre 2017

Histoires de mots


Voilà,
Il y a quelques mois, Serge Volle, a envoyé à une vingtaine d'éditeurs une cinquantaine de pages du roman de Claude Simon "Le Palace", paru en 1962 aux éditions de Minuit. Le Huffington post rapporte ce résultat édifiant : 12 d'entre eux ont dit non, 7 n'ont même pas répondu. Serge Volle a raconté dans une radio publique qu'un éditeur avait justifié son refus en expliquant que "les phrases sont sans fin, faisant perdre totalement le fil au lecteur". "Le récit ne permet pas l'élaboration d'une véritable intrigue avec des personnages bien dessinés", a ajouté cet éditeur. Serge Volle constate que ces 19 refus attestent que les créations littéraires exigeantes ne visant pas à établir des records de ventes sont délaissées. Paraphrasant Proust, il a rappelé qu'avant d'écrire il fallait être "célèbre". ajoutant que "Aujourd'hui c'est le concept de livre jetable qui fait fureur". Claude Simon, mort en 2005, considéré comme un auteur difficile, y compris par ses admirateurs, demeure malgré son Nobel, obtenu en 1985, encore un écrivain plutôt confidentiel. Je profite de l'occasion pour rappeler ce très passionnant entretien avec Denis Roche où il aborde son activité de photographe. De nombreuses reproductions de son travail sont visibles. C'est un peu long mais vraiment intéressant, car évidemment il met tout cela en relation avec l'écriture, il y évoque aussi la notion de distance. Il existe aussi cet autre entretien concernant la relation entre le présent et le souvenir, la représentation par l'image, la perception de la réalité et son rapport à l'imaginaire en particulier au cinéma. Plus ancien, datant des années soixante, il mérite qu'on s'y attarde. Je ne sais pas pourquoi, en lien (très lointain) avec ce billet j'ai eu envie d'une photo bougée, imprécise, tremblée. Je devrais en réaliser de semblables plus souvent. Le bougé restitue la vie, et la dimension incertaine de la réalité lorsqu'elle passe au filtre du souvenir, il contribue à donner à l'image une dimension plus spectrale plus fantomatique. J'arrivais à faire cela très bien avec un autre appareil il y a quelques années. D'ailleurs au passage dans ce genre, il y a cette remarquable photo prise dans le grand ouest américain  dont je jalouse l'auteur.
Sinon hier j'ai aussi lu que la plus haute administration américaine en matière de santé publique devra désormais réduire son vocabulaire, au moins le temps du vote de son budget. Le gouvernement a en effet interdit aux Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC, qui forment ensemble une agence du Département américain de la santé) d'utiliser sept mots dans les documents officiels destinés à l'élaboration du budget de l'année prochaine. D'après une information du Washington Post publiée vendredi 15 décembre, lors d'un rendez-vous d'une heure et demi avec les directeurs des CDC en charge du budget, il a été demandé aux analystes de cet organisme de bannir de leurs notes et rapports  "fœtus", "transgenre", "diversité", "vulnérable", "prestation sociale", "fondé sur des données concrètes" et "fondé sur la science".
Dans certains cas, les analystes se sont vus proposer des formulations alternatives. Au lieu de dire "d'après des données concrètes" ou "d'après la science", ils leu est fermement suggéré par exemple d'écrire: "les CDC basent leurs recommandations sur la science en tenant compte des normes et des souhaits de telle communauté". La question du vocabulaire à utiliser pour parler d'orientation sexuelle, d'égalité des sexes ou d'avortement a refait surface avec l'élection de Donald Trump alors que ces sujets avaient une visibilité importante sous les mandats d'Obama, rappelle le quotidien américain. Le président américain se montre régulièrement hostile à l'évolution des droits des personnes transgenres et au mariage homosexuel. Le département américain de la santé et des services sociaux a même supprimé de son site internet les informations à destination des personnes LGBT. En octobre, l'administration Trump avait étendu à toutes les entreprises commerciales une exemption accordée à des institutions religieuses leur permettant, au nom de leurs convictions religieuses et morales, de refuser de proposer des moyens de contraception gratuits à leurs salariées. Le décret a été suspendu temporairement vendredi par une juge fédérale. D'après l'analyste interrogé par le Washington Post, les réactions de la salle lors de la réunion étaient "incrédules". "Vous êtes sérieux?", "Vous rigolez?", pouvait-on entendre.
"Brave new world"
Allez que ce dimanche ne soit pas maussade. Il y a Ella et Louis, pour le rendre plus doux, plus serein. J'ai découvert que cette interprétation a le même âge que moi.


vendredi 15 décembre 2017

Falafel


Voilà
la jeune touriste japonaise qui, dans le quartier juif a commandé un falafel, en filme la confection par le vendeur qui le lui prépare

mercredi 13 décembre 2017

Insomnie encore


Voilà,
chaotiques elles fièvrent les pensées, ils tumultent les souvenirs, et si les noms tohubohutent de-ci de là, je ne reconnais pourtant plus rien, ne retiens plus rien, ne suis plus rien. Des moments passés s'agrègent, mais peut-être n'ont ils été que rêvés. Je ne sais pas qui est cette danseuse arrivée des Etats-unis, que j'étais supposé attendre dans un aéroport et dont j'ai aperçu  – c'était où déjà – le visage triste à travers une vitre. Je suis l'hôte du vertige et de la confusion. Parfois tout semble aller à une vitesse folle et quelques temps après tout paraît s'engluer dans l'épaisseur d'un présent sans relief. Je suis dans le frottement, dans tout ce qui vibre et s'effrite, dans le temps grumeleux de l'incertitude, dans le froissement du silence où trébuchent les fantômes. Mon sommeil agité tousse des songes informes. Des obsessions grattent, en bourdonnant comme des mouches, au fond du terrier de l'épuisement dont j'espérais pourtant quelque répit. Alors comme dit le poème d'Aragon,"on veille on pense à tout à rien / on écrit des vers, de la prose / on doit trafiquer quelque chose / en attendant le jour qui vient"

dimanche 10 décembre 2017

Les "Funérailles populaires"


Voilà....
il y a bien des années lors de l'enterrement de Tino Rossi où fut prise la photo pathétique de l' homme au petit sac, et celle plus tendre de l'enfant au pied des barrières sous les jupes de sa mère, j'avais envisagé la possibilité des funérailles de Johnny Hallyday. Donc hier matin je ne pouvais faire autrement que d'aller traîner du côté des Champs-Elysées et de la place de la Concorde, pour prendre quelques photos. C'était comme un vieux contrat que j'avais avec moi-même. Il faisait froid, un grand soleil, une lumière crue et il y avait bien plus de monde que pour Tino Rossi, ça c'est sûr. Une France assez peu métissée, une France bien blanche se trouvait là, avec sans doute pas mal d'électeurs du Front national dedans. Des familles, des vieux rockers avec leur cuir, des motards, des gens modestes, ceux qui ont du mal à joindre les deux bouts. Nombre d'entre eux semblaient avoir fait le déplacement de province pour rendre hommage à leur idole. Mais aussi des gens plus aisés aux vêtements chics. Beaucoup de gentillesse, de fraternité. De la tristesse mais aussi des chansons que certains fans connaissaient par cœur. J'ai ainsi de nouveau entendu pour la première fois depuis des années "Pour moi la vie va commencer" qui m'a rappelé mes sept ans. Quand sont arrivées les bikers sur leurs Harley-Davidson et leurs Triumph, je me suis tiré. Trop de dioxyde de carbone à ce moment là ; je sais bien que Johnny est mort d'un cancer du poumon, mais quand même... J'ai pensé que les bonnes résolutions de la COP21 étaient déjà loin, et les priorités écologiques de notre petit pharaon de la foutaise. Et puis j'ai encore plus la phobie des foules depuis les attentats. Je suis assez vite rentré à la maison. J'ai un peu regardé la cérémonie à la télévision. Le discours de Macron était plutôt médiocre. J'ai cru au début qu'il avait pompé sur la tirade de Depardieu "ton pote Mozart, réincarné, tu vois le coup bonhomme, il est là dans la rue..." dans "Préparez vos mouchoirs" de Bertrand Blier. Heureusement, après il y a eu de belles interventions d'artistes, et les musiciens ont assuré avec beaucoup de classe et de dignité. Ce soir, la télévision raconte que c'est un événement rare, tant de monde dans la rue pour un enterrement. On oublie que le cercueil d'Ambroise Croizat, l'un des fondateurs de la sécurité sociale et du régime des retraites fut accompagné au cimetière du Père-Lachaise par un million de personnes, tout comme celui de Maurice Thorez. Mais tous deux étaient communistes, alors évidemment c'est de l'histoire plus qu'ancienne et surtout c'est celle des vaincus en ces temps de néolibéralisme triomphant.


Bref, beaucoup de gens ce sont aujourd'hui fabriqués des souvenirs. Dommage qu'il n'y en ait pas eu autant pour protester contre la réforme patronale du code du travail ou les nouvelles dispositions liberticides adoptées récemment. Mais bon, on vit dans un monde où l'émotion prévaut sur la réflexion. Quoiqu'il en soit, il est vraisemblable que dans certaines familles on parlera longtemps, de cette journée on se montrera les videos et les photos qui auront été faites au cours de ces heures. Car on se sera beaucoup photographié durant la matinée. Beaucoup. Peut-être que certains se souviendront "c'était quand Trump a décidé de déménager l'ambassade US en Israël de Tel Aviv à Jerusalem !!!". 
Non je déconne.

samedi 9 décembre 2017

John Lennon


Voilà,
le 8 décembre 1980 John Lennon a été assassiné à New-York. C'était le 9 pour nous en Europe. C'était peu de temps après la parution de l'album "Double Fantasy", qui semblait être celui d'un homme enfin apaisé. A l'époque je répétais un spectacle qui s'appelait "Les fils meurent avant les pères" d'après un livre de Thomas Brasch. Un de mes partenaires était un de ces militants communistes qui s'employaient alors à saboter l'union de la gauche à six mois des élections. En plus c'était un gros connard dénué de talent. Le jour où la mort de Lennon a été annoncée, il est venu me faire chier avec un article du journal "L'Humanité" où il était question d'un truc que Mitterrand aurait dit ou fait. J'avais juste envie de lui coller un grand coup de boule et lui latter les couilles, mais bon la production était fragile et les metteurs en scène un couple d'amis. Même par la suite ils n'ont d'ailleurs jamais vraiment été foutus de m'expliquer clairement pourquoi ils avaient engagé une telle buse, qui jouait tout de même le rôle d'un allemand de l'est qui veut passer à l'Ouest. Enfin bref, c'est une autre histoire. La mort tellement absurde et si injuste de Lennon m'avait alors terriblement attristé, parce qu'il me semblait qu'il avait encore beaucoup à inventer et que sa sensibilité manquerait désormais terriblement au monde. Cet homme à l'humour si subtil était aussi un écorché vif. Je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de chanteurs qui se soient exposés et livrés de manière aussi déchirante que lui dans cette interprétation de "Cold Turkey". Il ne triche pas quand il exprime la douleur du sevrage. Le timbre si particulier de sa voix me bouleverse toujours autant.
 

 
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vendredi 8 décembre 2017

J'aime / Je n'aime pas (4)


Voilà,
j'aime les journées ensoleillées d'hiver quand il fait froid et sec
je n'aime pas devoir me réveiller tôt contre mon gré
j'aime déambuler mollement parmi des œuvres d'art contemporain
je n'aime pas nettoyer le dessus des meubles de cuisines ni derrière le réfrigérateur
j'aime marcher dans les amoncellements de feuilles mortes en traînant des pieds
je n'aime pas ce que Trump et les Evangélistes américains font au monde ni le tour que prennent les événements
j'aime la voix sensuelle de Chrissie Hynde
je n'aime pas l'heure d'hiver
j'aime les paysages merveilleux que les rêves peuvent parfois vous offrir
je n'aime pas cette panique d'attentat qui me saisit parfois dans les transports en commun
j'aime encore à mon âge les calendriers de l'avent 
je n'aime pas les gens qui toussent dans les espaces publics sans mettre leur main devant la bouche
j'aime aller regarder des matches de rugby au pub écossais de la rue François Miron
je n'aime pas les homme assis  les jambes écartées dans les espaces publics
j'aime quand la foule du stade de Murrayfield, juste après les cornemuses reprend a capella "Flowers of Scotland"
(linked with the weekend in black and white)

mercredi 6 décembre 2017

Un Mort chasse l'autre



Voilà,
une mort éclipse l'autre. Hier on n'en avait que pour Jean d'Ormesson, cet aimable écrivain de droite mais si médiatique, et si sympathique, télégénique, affable, courtois au point qu'on se disait, "ah si tous les aristocrates avaient été aussi distingués, il n'eût point été nécessaire d'en décapiter autant". Et puis cette nuit Johnny Hallyday est mort. Les journaux du matin n'ont pas pu faire leur première page sur ce  récent événement qui supplante l'autre. Du coup deux images de la France sont offertes en couverture du journal "Le Monde" et du "Figaro". C'est vrai que la disparition d'un artiste de variétés renommé ou d'une vedette de cinéma populaire atteste du fait que, quoiqu'on veuille, on est assigné à une appartenance, une histoire collective, une identité nationale. Johnny Hallyday, malgré son pseudo à consonance américaine (assez ridicule quand on y songe) et le fait qu'il soit d'origine belge, constitue un élément important et particulièrement représentatif de la culture populaire française des soixante dernières années. Même si je ne l'ai jamais particulièrement apprécié (je ne possède aucun disque de lui dans ma discothèque et j'avais plutôt tendance à le considérer comme un gros blaireau), il a toujours existé et fait partie du paysage. Dans le milieu des années soixante il était la vedette incontestée des baby-boomers. C'était l'époque où tout ce qui venait d'Amérique, et en particulier le rock, les vêtements (c'est l'apparition des jean's) les films était objet d'adoration. Et puis les Américains avaient délivré la France, ils disposaient de bases militaires dans ce pays, et le commandement intégré de l'OTAN se trouvait même non loin de Paris. Ce chanteur tout au long de sa carrière a épousé presque toutes les modes sans jamais quitter le paysage médiatique national. Je ne peux pas m'empêcher pour ma part de l'associer à un oncle ( l'oncle Jean-Jacques, tu me rappelles Jean-Jacques disait la génitrice quand elle voulait être blessante) que je trouvais très con et qui était un de ses fans absolu, et aussi bien sûr à des souvenirs souvenirs d'enfance. Par exemple l'Algérie, ses disques  — mais aussi ceux de Danyel Girard (Petit Gonzalez) ou Richard Anthony (quand j'entends siffler le train) — diffusés sur le bord de la piscine de l'hôtel de Djelfa, lors de soirées dansantes. Je me rappelle après l'une d'elles, un retour terrifiant dans une Mercédès décapotable conduite par un certain Sportès, où debout derrière, je hurlais d'effroi à cause de la vitesse, et mon géniteur assis à la place du passager s'esclaffait joyeusement. Je me rappelle aussi de vacances chez mon grand-père, et l'on rapportait dans le journal Ouest-france que lorsqu'il était passé dans la commune de Doué-la-Fontaine, des jeunes (ceux qu'on appelait alors les blousons noirs) avaient dévasté la salle de concert (c'était comme un rituel). Enfin bref, Johnny est mort, il a toujours fait partie de mon paysage sonore, et donc pour beaucoup c'est le premier jour de la France sans lui. Mais ce peuple n'en continuera pas moins d'être arrogant braillard chauvin râleur et d'une grande veulerie, et ses garçons de cafés seront toujours aussi désagréables dans l'ensemble.
A part ça les Italiens ont encore Adriano Celentano. C'est un autre style, plus roublard, plus coquin, et assez déjanté. Il a quand même fait en 1973 un rap en mishmash.

mardi 5 décembre 2017

Between the moonlight and the lane


Voilà,
l'hiver t'angoisse. Tu te sens plus fragile que jamais, périssable. Est ce à cause de tous ces arbres nus, des jonchées de feuilles mortes, de ce gris uniforme où le jour se noie ? La pâle clarté de la lune émergeant des nuages derrière un lacis de branches te semble un cadeau. Cette maison te fascine. Tu t'es toujours demandé à quoi pouvait ressembler son intérieur. Tu voudrais refaire le chemin inverse. Retrouver ce temps où tu n'étais pas encombré de ce que tu es devenu. Où tu avais encore quelques croyances et de naïves certitudes. Où tu étais encore au printemps de ta vie. Le soir tu écoutais "Songs of love and hate". A présent tu te sens "between the hour and the age". And "the street is the very same". Peut-être es tu simplement en train d'éprouver ce que la langue allemande nomme la Torschlusspanik, la peur qu'il soit trop tard pour faire quelque chose, pour trouver une solution afin de se tirer d'affaire


dimanche 3 décembre 2017

Dans des temps et des espaces enchevêtrés


Voilà,
une image qui rend (un peu) compte de ce que j'éprouve et de la façon dont je perçois les choses. J'existe dans des temps et dans des espaces enchevêtrés. Ma perception elle est comme ça, et je ne peux pas faire autrement. Elle est dans l'intrication de lieux et de moments différents. Mon imaginaire, ou plus précisément l'imaginaire dans lequel je me trouve, ce par quoi je suis possédé, je me le représente comme un univers perpétuellement en inflation, constitué de rubans de moebius aux surfaces légèrement réfléchissantes où s'inscrivent de nouvelles images. Ils ne cessent de s'ajouter les uns aux autres et de s'entrelacer tels des anneaux boroméens de sorte que tout ce qui peut apparaître, apparaît toujours dans un infini processus de transformation. Je ne peux me satisfaire qu'ici et maintenant ne soit pas non plus ailleurs et entre-temps. Je voudrais être musique.

samedi 2 décembre 2017

Seine, hiver, jour tombant


Voilà,
c'était le mercredi 29 Novembre 2017, vers 17h30. Le jour était en train de tomber, je traversai la Seine, et la lumière m'a soudain paru très belle. En fait un bateau-mouche venait de passer, un autre allait venir. Je regrettais de n'avoir pas eu le réflexe de prendre une photo de gens sur le pont en train de photographier avec leur smartphones et leur tablettes. J'aimais bien toute ces petites lueurs. Et puis je me suis aperçu que les batteries de mon appareil photo et de mon smartphone étaient épuisées. Alors je me suis dépéché de saisir cet instant. J'étais quand même content d'être là, à ce moment précis. J'ai pensé que cette ville était vraiment splendide à certaines heures. Une vie que je traîne, que je flâne dans ces quartiers, que je m'étonne toujours de la beauté des bords de Seine, à quelque saison que ce soit de l'année. Les jours qui avaient précédé, ne vague et hivernale mélancolie s'était pourtant insinuée en moi, à cause de la faiblesse, de la santé déclinante, des symptômes divers de dégradation, de la fatigue, bref à cause de la jeunesse enfuie. Je songeais à toutes les choses que je n'ai pas accomplies parce que je suis fondamentalement lent paresseux et velléitaire, et à celles que je n'aurais pas la force ni le courage de réaliser ou d'achever. Le temps passe de plus en plus vite. Il me faudrait encore mille vies pour jouir de toutes les beautés du monde.

vendredi 1 décembre 2017

J'ai enterré ma raison dans ma main


Voilà,
"J'ai enterré ma raison dans ma main, ma tête je la tiens droite et gaiement, mais ma main pend d'un air las, ma raison la tire vers la terre. Voyez la un peu cette main, cette petite main à la peau dure, parcourue de vaisseau, couturée de rides, avec ses grosses veines et ses cinq doigts, comme il est bon que j'ai pu sauver ma raison en la mettant dans ce récipeint discret. Ce qui est surtout avantageux, c'est que j'ai deux mains. Comme dans un jeu d'enfant je demande : dans quelle main ai-je mis ma raison ? Personne ne peut le deviner, car en un clin d'œil je peux joindre les mains et faire passer ma raison de l'une à l'autre" Franz Kafka (Cahiers divers et feuilles volantes) - the weekend in black and white

vendredi 24 novembre 2017

Blue Lagoon


Voilà,
sans doute ai-je tendance à montrer autre chose que ce que j'ai vraiment vu, ou plus précisément, j'entrevois toujours autre chose que ce qui s'offre réellement à mon regard. L'image de la réalité ne me suffit pas, ne m'a jamais suffi. J'ai besoin que cela soit autrement, à ma convenance. Si je ne transforme pas un tant soit peu, j'ai l'impression que cela ne vaut pas la peine d'être là. Déjà, que toutes ces photos ne représentent en fait qu'une poignée de secondes dans mon existence (comptons en un bon millier sur ce blog, prises au 125ème de seconde et faites le calcul ça ne fait pas bézef). Evidemment, je ne suis pas architecte et je n'interviens que fort modestement sur le monde. Je suis plutôt du genre contemplatif voire paresseux, alors les photos c'est très bien. Mais revenons à celle-ci. Elle a été prise au blue lagoon, considéré par ses promoteurs comme une des vingt-cinq merveilles du monde. Oui c'est vrai, c'est bien, ça m'a plu, j'ai adoré, en dépit de l'odeur d'œuf pourri, me tremper dans cette boue chaude et soufrée dont la couleur fait vraiment la joie du daltonien que je suis, mais bon faut pas exagérer non plus, ce n'est pas la barrière de corail, ni les Marquises. Comme je n'avais que du noir et blanc, et que je ne pourrais pas faire la même photo que tout le monde, j'ai plutôt imaginé ça. D'ailleurs, il s'agissait moins pour moi de garder le souvenir de ce paysage que d'en imaginer une possibilité (the weekend in black and white)

mercredi 22 novembre 2017

Main gauche


Voilà,
c'est moi, un bout de moi,  de ma peau, un carré de ma peau
la peau de ma paume 
cette main que je n'ai pas vu vieillir se rider se friper c'est moi
ce paysage de plis de sillons c'est moi 
c'est moi encore vivant

vendredi 17 novembre 2017

Musée du Jeu de Paume


Voilà,
être là sans pour autant paraître indifférent.
S'en tenir à la simple présence des choses ou des formes.
Juste leur attribuer une densité particulière

mardi 14 novembre 2017

Plus rien à battre


Voilà,
tu ne penses plus à rien, seulement à ce qui fuit, se dérobe. Tu n'as plus envie d'essayer de faire semblant d'être efficace, performant. D'ailleurs tu ne l'as jamais été. Tu n'en as plus rien à battre. Les ombres sur la surface granuleuse de la vitre suffisent à t'enchanter quelques minutes au moins. Tu te parles à toi-même comme si tu t'étais déjà quitté. Tu retournes te coucher en te disant qu'il faudra quand même bien que tu lises un jour "L'Essai sur la Fatigue" de Peter Handke, avant précisément d'être trop fatigué pour pouvoir le faire. Désormais, bien des livres te tombent des mains. Allez vas piquer un petit roupillon, pour le reste il sera bien temps de voir après. Une fois dans ton lit bien au chaud sous les couvertures, des trucs idiots te reviennent en mémoire, comme la vision de cet enfant, par exemple, il y a quelques semaines, agrippé à la main de sa mère qui l'accompagnait à l'école. Il fredonnait "un kilomètre à pied ça use ça use un kilomètre à pieds ça use les souliers". Tu les avais d'abord vus de dos et, parvenu à leur hauteur, t'étais retourné sur eux. La mère semblait exténuée et comme ailleurs, le regard perdu dans ses pensées. Lui continuait sa ritournelle. Tu t'es rappelé ces vieilles gens d'autrefois qui disaient le mot soulier, semble-t-il tombé en désuétude et aussi avoir entendu il y a fort longtemps, l'expression "les souliers du dimanche", la mère oui, elle ne le regardait même pas son gamin, (pourquoi mettent-elles tant d'acharnement à se reproduire si c'est pour en arriver là) et puis tu as repensé sans comprendre pourquoi, à ce peintre portugais dont tu avais vu, l'année dernière une exposition qui t'avait particulièrement ému, c'était quoi on nom cardoso, quelque chose comme ça ah oui Amadeo de Souza-Cardoso, artiste peintre portugais génial, mort à trente ans de la grippe espagnole et dont l'œuvre portait en elle des possibles et des promesses qui ne sont pas advenus. Un peu comme si Picasso était mort en 1911. Et puis tu t'es endormi, oh pas très longtemps tu as vaguement somnolé, te laissant bercer par la radio qui diffusait de la musique baroque italienne, oui vraiment tu n'es plus bon à rien mais au fond ce n'est pas si grave, il est si doux de ne rien faire quand tout s'agite autour de soi, c'était le titre d'une émission de radio sur France Inter dans les années soixante-dix. A ta façon tu es devenu très vintage

dimanche 12 novembre 2017

Explosions nucléaires


Voilà,
cela se passe dans le stand d'une galerie renommée dans une foire internationale de photographie. Deux hommes en costume conversent devant un mur où sont disposées des photos d'explosions atomiques. On pourrait même imaginer qu'à ce moment précis les clichés qu'ils observent font l'objet d'une transaction. Je trouve qu'il y a quelque chose de particulièrement malsain dans cette scène. J'ai mis un certain temps à comprendre ce qui m'a mis mal à l'aise et incité à réaliser ce cliché : il s'agit vraisemblablement de tous ces encadrements qui modifient le statut de ces images. Autrefois documents, elles acquièrent ainsi une fonction d'objets décoratifs, sinon esthétiques. Une fois encore le désastre est transformé en spectacle et en marchandise. C'est étrange de constater cela, alors que depuis quelques mois, on recommence à évoquer le risque de conflit nucléaire, et qu'à l'heure où j'écris ces lignes on relève la présence de produits radioactifs dans l'atmosphère au-dessus de l'Europe sans que cette nouvelle ne fasse pour autant la une de l'actualité. On est passé de l'ère de "la banalité du mal" à celle de la banalisation de la Catastrophe. Comment, devant un tel déni, ne pas se ranger à l'idée que l'humanité court obstinément à sa perte, semblant même s'y précipiter avec impatience. Et n'y a-t-il pas plus de lucidité que de pessimisme à constater cela ?
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jeudi 9 novembre 2017

Tribune de la grande ligne droite

turfistes dans les tribunes de l'hippodrome d'Auteuil   
 
Voilà,
Merci pour vos sympathiques messages et vos encouragements qui évidemment font très plaisir
(the weekend in balck and white)

mercredi 8 novembre 2017

Huit ans, seize ans

Paddock de l'hippodrome d'Auteuil, Novembre 2009
Voilà,
Huit ans donc que je tiens ce blog. En fait pour être plus juste huit ans que c'est lui qui me tient. Au point que je m'efforce de m'en affranchir en me fixant pour objectif de réduire le nombre de mes posts annuels. Là je crois que je suis sur la bonne voie. Si je me débrouille bien j'en aurais publié moins que l'année précédente. Mais on n'est pas à l'abri d'une rechute. Quoiqu'il en soit d'autres sont déjà programmés, dispersés sur les années futures. Je sais c'est complètement absurde. Non que je veuille conjurer l'incertitude où, je me trouve quant à mon propre avenir, mais c'est ma façon de faire diversion de ne pas trop encombrer le présent. Et aussi de ne pas trop coller à l'actualité. Pourtant, là en ce moment j'aurais bien envie.

Évidemment je ne peux m'empêcher de dresser un état des lieux. Le jour où j'ai commencé, ma fille avait la moitié de l'âge qu'elle a aujourd'hui. C'était sa période où elle dévorait les aventures de Tintin. C'est presqu'une jeune femme à présent, qui conquiert son autonomie, et va devenir indépendante d'ici peu. Le jour même, j'étais allé avec Constance, Christelle, Maria et Odette, passer un après-midi à l'hippodrome d'Auteuil, et c'est la seule fois où je suis allé sur un champ de courses, c'est là que j'ai pris cette photo. J'en avais fait beaucoup d'autres ce mois de Novembre 2009 avec un nouvel appareil que je ne maîtrisais pas vraiment. A l'époque, j''étais encore ce qu'on appelle un comédien qui travaille, je sortais d'une création, je répétais un spectacle l'après-midi, j'en jouais un autre le soir. Mais je pressentais un bouleversement dont finalement je ne me suis jamais vraiment remis. Sans doute ce blog fut il un moyen de ne pas totalement sombrer. Au fur et à mesure il est devenu une sorte d'addiction, en même temps qu'il se constituait en bureau de dépôt et consignation des pensées qui me traversaient, même si ce n'était pas mon projet initial. Je m'en suis tenu au principe qu'il devait y avoir un texte et une image.

L'image me paraissait essentielle et le texte nécessaire. Ou plutôt s'affronter à l'écriture avec le danger d'être lu, voilà ce qui constituait vraiment la nécessité. Mais de ça je m'en suis déjà expliqué. Chaque date anniversaire donnant lieu à des bilans. Sauf l'année dernière où la mort de Léonard Cohen et l'élection de Trump m'ont accablé. Finalement je n'ai rien de plus à évoquer que ce que j'écrivais déjà il y a cinq ans à ce sujet. Je regrette souvent, mais après coup, ma propension à la plainte et au ressassement, jurant que je ne recommencerais plus, ainsi que ma tendance à commenter l'actualité, alors que cela ne sert à rien puisque je n'ai aucune prise dessus, (je ne fais pas partie du ICIJ, le consortium international des journalistes d'investigation, qui sont l'honneur du Journalisme).

Heureusement grâce à ce blog, des liens se sont créés, et des échanges, et des partages. Et finalement c'est cela qui importe : cette possibilité de reconnaissance mutuelle avec des étrangers plus ou moins lointains qui me sont devenus familiers et dont je guette les nouvelles. Maintenant ils font partie de mon paysage sensible. Et c'est bien ainsi.

Et aussi
je me souviens surtout, aujourd'hui à neuf heures du matin, de l'état dans lequel je me trouvais il y a seize ans, après cette nuit étrange, et de cet événement qu'un homme n'éprouve que de manière inévitablement périphérique, parce qu'il ne peut en être que le spectateur ou au mieux l'accompagnateur. Je me rappelle cette petite créature exténuée apparue au cœur de la nuit, et fugitivement posée sur le ventre de sa mère avant d'être mise en couveuse, le retour en moto, le message changé sur le répondeur, cette stupéfaction teintée d'inquiétude, et ce puissant sentiment de réalité, le sommeil bref, le retour au matin à la clinique, le passage à la pharmacie de la porte d'Orléans, les premiers envois de faire-part de naissance que j'avais fabriqués avec photoshop, et ce frémissement permanent, qui m'a fait comprendre une certaine didascalie de Tchékhov...

vendredi 3 novembre 2017

Au Bord du Lac


Voilà,
Le jour déclinait et, traînant dans cette banlieue bourgeoise où tu n'étais venu qu'en de rares occasions, tu te mis soudain à rêvasser de tropiques, de mangroves et d'un ailleurs improbable où il ferait mieux vivre. Et "Soul Samba", l'album de Ike Quebec réécouté le matin même, et dont les airs ne t'avaient pas quitté depuis, t'avait alors paru un disque qui, oui vraiment, demeurait toujours aussi plaisant à entendre. (the weekend in black and white). 

mercredi 1 novembre 2017

J'aime / je n'aime pas (3)


Voilà,
J'aime cette femme à son balcon
je n'aime pas préparer ma valise pour un voyage ni le jour qui précède le départ
j'aime une belle envolée de trois-quarts dans un beau match de Rugby
je n'aime pas les titres d'articles à la con du nouvel obs comme "Helsinki destination parfaite pour un weekend festif et healthy"
j'aime le concerto en sol majeur de Maurice Ravel (surtout l'adagio)
je n'aime pas cette façon de plus en plus répandue d'achever une conversation téléphonique par le mot "bisou"
j'aime écosser les haricots verts en bonne compagnie
je n'aime pas les blockbusters américains
j'aime me promener à Paris et dans sa proche banlieue durant les quinze premiers jours d'Août
je n'aime pas la prétention et la bêtise des commentateurs de football qui refont le match après qu'il se soit terminé
j'aime le parfum de la violette
je n'aime pas les expression "culture d'entreprise", ni "c'est notre ADN", ni "changer de logiciel" pour changer de comportement
j'aime regarder pousser mon lierre au printemps
je n'aime pas Halloween ni qu'à la radio on me souhaite bonne journée en m'annonçant aussitôt un nouvel attentat

jeudi 26 octobre 2017

Sur un réseau social


Voilà,
Sur un réseau social bien connu, un traducteur renommé – dont la réputation n'est pas usurpée – raconte sa relation conflictuelle et tendue aux mots durant sa jeunesse et sa période de formation. Il explique brillamment qu'il manifestait alors une certaine dextérité, disposait d'une technique, mais que tout cela manquait de chair, de vécu. Puis il évoque un moment d'épiphanie dans un jardin public où il aperçoit un volatile qui le fixe. Trente après il s'en souvient intensément. Il évoque tout ce qu'il a ressenti alors et compris. En lisant, j'envie cette façon simple et sans détour de raconter. C'est fluide, direct, sans inutile fioriture. Ça ressemble à sa façon de parler. C'est émouvant. D'une certaine façon je lui jalouse cette manière, cette facilité, parce que pour lui, écrire semble aller de soi. Puis il poursuit en expliquant que suite à cet événement il a composé un poème et que pour la première fois, il lui a paru qu'il écrivait quelque chose de juste et de senti. Ce poème poursuit-il, avait disparu, et voilà qu'il l'a retrouvé par hasard. Bien évidemment il nous en livre la lecture. Pourtant ce poème, supposé illustrer une nouvelle relation au langage, se révèle à mes yeux comme l'exacte illustration de ce à quoi il prétend échapper. Ampoulé, d'une sophistication prétentieuse et un peu vaine, avec cette volonté de faire littéraire, et même savant, d'en mettre en quelque sorte plein la vue. L'écriture est au centre de la préoccupation. Ce n'est pas la volonté d'atteindre le lecteur ou de l'émouvoir qui se manifeste là, mais plutôt la revendication d'un style d'une identité. Le poème comme une pose, une affèterie. Péché de jeunesse, sans doute, mais qu'il se complaît tout de même à nous faire partager. (linked with "The weekend in black and white")
AND DON'T FORGET TO USE https://www.deepl.com/translator

vendredi 20 octobre 2017

La petite fille de Cinecitta


Voilà,
solitaire dans ce décor médiéval, la silhouette de la fillette inconnue au chapeau m'avait touché sous la lumière crue et violente de cette fin d'été. Le soleil tapait dur. Il ne devait pas être loin de midi. Je garde de cette journée un souvenir particulièrement ému, parce que la surprise était réussie et le sourire de ma fille manifestait à la fois sa joie d'être là et une certaine reconnaissance. À cette époque, je pouvais encore dépenser sans trop compter et marcher allègrement sans excessive fatigue. Toutes choses qui me paraissent à présent aussi enviables qu'improbables. (Linked with the weekend in black and white)

mercredi 18 octobre 2017

L'Homme assis devant la Loi


Voilà,
une de mes histoires préférées de Franz Kafka :
Devant la Loi, il y a un gardien. Un homme de la campagne arrive devant ce gardien et le prie de le laisser entrer dans la Loi. Mais le gardien dit qu’il ne peut le laisser entrer maintenant. L’homme réfléchit et lui demande s’il pourra entrer plus tard alors. « C’est possible, dit le gardien, mais pas maintenant ». La porte de la Loi étant ouverte comme toujours, et le gardien s’étant mis sur le côté, l’homme se penche afin de voir l’intérieur de l’autre côté de la porte. Le gardien le remarque et se met à rire, avant de lui dire : « Si cela t’attire tant, essaye donc d’entrer alors que je te l’ai interdit. Mais pense à cela : je suis puissant. Et je ne suis que le gardien tout en bas de l’échelle. Dans chaque salle il y a un gardien, l’un plus puissant que l’autre. Même moi je ne peux pas soutenir le regard du troisième. » L’homme de la campagne ne s’attendait pas à de telles difficultés ; la Loi doit pourtant être accessible à chacun et à chaque instant, pense-t-il, mais maintenant qu’il regarde plus attentivement le gardien dans son manteau de fourrure, son grand nez pointu, sa barbe noire et mince de Tartare, il décide d’attendre quand même qu’on lui permettre d’entrer. Le gardien lui donne un escabeau et le laisse s’asseoir à côté de la porte. Il reste assis là des jours et des années. Il fait plusieurs tentatives pour qu’on le laisse entrer, et il fatigue le gardien avec ses demandes. Le gardien le soumet fréquemment à de petits interrogatoires, lui pose des questions sur son pays et sur beaucoup d’autres choses, mais ce sont des questions sans chaleur, comme les posent de grands seigneurs, et pour finir il lui dit à chaque fois qu’il ne peut pas encore le laisser entrer. L’homme qui pour son voyage s’est équipé de beaucoup de choses, les emploie toutes, même celles qui ont le plus de valeur, afin de corrompre le gardien. Celui-ci accepte chacune d’entre elles, mais en disant : « J’accepte seulement afin que tu ne croies pas que tu as laissé passer quelque chose. » Pendant toutes ces années, l’homme observe le gardien presque sans interruption. Il oublie les autres gardiens et celui-ci lui paraît être le seul obstacle qui l’empêche d’entrer dans la Loi. Il maudit le malheureux hasard, les premières années brutalement et d’une voix forte, puis, plus tard, devenu vieux, il ne fait plus que ronchonner. Il devient puéril, et comme pendant toutes ces années d’études du gardien il a également vu les puces dans son col de fourrure, il finit par prier aussi les puces de l’aider et de faire changer d’avis le gardien. Enfin sa vue baisse, et il ne sait pas si tout autour de lui s’assombrit vraiment, ou si ce sont seulement ses yeux qui le trompent. Mais, dans le noir, il distingue bien à présent une lueur qui surgit de la porte de la Loi et ne s’éteint pas. Il ne lui reste plus beaucoup de temps à vivre. Avant sa mort, toutes les expériences qu’il a faites au long des années se rassemblent en une seule question qu’il n’a jusqu’alors jamais posée au gardien. Il lui fait signe, car il ne peut plus redresser son corps qui se fige. Le gardien doit se pencher beaucoup, la différence de taille entre eux ayant augmenté, à la défaveur de l’homme. « Que veux-tu donc encore savoir ? lui demande le gardien, tu es insatiable. » « Tous les hommes sont attirés par la Loi, dit l’homme, mais comment se fait-il que personne à part moi n’ait demandé la permission d’entrer ? » Le gardien se rend compte que l’homme approche déjà de sa fin, et, afin que l’autre à l’ouïe évanescente l’entende encore, il lui crie :  "Personne d’autre que toi ne pouvait obtenir la permission d’entrer ici, car cette entrée n’était destinée qu’à toi. Je m’en vais à présent et je ferme la porte."
© Franz Kafka (trad Laurent Margantin)

mardi 17 octobre 2017

Tenter de savoir


Voilà,
"Écrire, c'est tenter de savoir ce qu'on écrirait, si on écrivait" disait Marguerite Duras. S'agit-il pour moi de tenter de savoir ce que je dessinerais si je dessinais, lorsque je fabrique une image ? Quoiqu'il en soit, la douleur m'a réveillé au milieu de la nuit, et je ressemblais à cela. Ma tête, ma mâchoire, mes dents ma gorge me faisaient horriblement souffrir. J'avais envie de crier et peur de vomir. J'ai alors songé dans un état de confusion, qu'il me fallait ne pas perdre de temps et continuer d'écrire, de dessiner, aboutir un certain nombre de projets, parce que peut-être cette douleur plus tard ne ferait qu'empirer au point de rendre toute entreprise impossible. Le souvenir de Deleuze, qui s'est défenestré du fait d'une intenable souffrance, m'a traversé. Et puis celui de Chamfort aussi qui écrivait "Jouis et fais jouir sans faire de mal, ni à toi ni à personne, voilà je crois toute la morale". Jouir, faire jouir, travailler. Ai-je encore assez de forces, assez de temps ? Au petit matin, la radio annonce que le parc des centrales nucléaires françaises est dans un état de vétusté et de dégradation alarmant. Bon, ça relativise. Une chose est sûre, la journée va être difficile.

dimanche 15 octobre 2017

Dernier Soleil


Voilà,
Ce beau dimanche d'Octobre 2016 au jardin du Luxembourg, où tant de gens étaient venus profiter du soleil, je me suis demandé, alors que j'en captais quelques image, si certains, parmi ces promeneurs s'en souviendraient plus tard. Un an après, de nouveau l'été indien est au rendez-vous. L'époque demeure encore relativement supportable, en dépit de ce sentiment de catastrophe larvée qui ne me quitte pas. Les désagréments et des inquiétudes qui me préoccupaient l'année précédente, je les ai oubliés, et d'autres auxquels je ne songeais pas ont assombri ce présent. À ce moment là, comme la plupart des français, je supposais que Juppé allait gagner la primaire de droite et s'ouvrir un boulevard pour être le nouveau Président de la République, ce qui n'avait rien d'enchanteur, et je n'imaginais pas un instant la possibilité que Trump gouvernerait les États-Unis. 
Rien ne s'est donc passé comme prévu, et il n'y a pas pour autant beaucoup de mieux. La vie continue, donc, avec ses désastres écologiques, le pouvoir toujours accru des oligarchies partout dans le monde, la répression policière en Europe de plus en plus sauvage à l'égard des réfugiés venus toujours plus nombreux d'Afrique et du Moyen-Orient, la destruction des classes moyennes européennes dont le niveau de vie ne cesse de baisser, la pollution atmosphérique, la recrudescence de maladies chroniques, l'apparition d'épidémies nouvelles, la multiplication d'actes de barbarie au cœur des démocraties occidentales, la menace de conflits régionaux provoqués par des dirigeants instables imprévisibles et névrosés bref, j'arrête la cette énumération vous pouvez toujours la continuer comme l'a écrit Michaux, dans "L'époque des illuminés", car moi-même je ne me sens pas au mieux. 
Je ne trouve pour ma part que peu de motifs d'espoir et de raisons de me réjouir. Il me semble de plus en plus souvent que nous avons atteint ce moment où l'humanité finit par céder à ce tropisme qui l'entraîne, vers la chute, l'anéantissement, le ravage, en dépit de toutes les grandes œuvres que l'intelligence humaine a pu réaliser. L'hypothèse selon laquelle la beauté sauvera le monde comme le proclamait un personnage de Dostoievski, paraît plus improbable que jamais quand ce siècle semble s'enfoncer dans le chaos et la sauvagerie. En attendant, et faute de mieux, soyons moderne, bricolons dans l'incurable comme le recommande Cioran, dansons au bord du gouffre et du souvenir des jours heureux, tâchons de faire notre miel.

vendredi 13 octobre 2017

Touristes en terrasse


Voilà,
rue Thouin, non loin de la place de la Contrescarpe, Août 2017. Pour tromper ma neurasthénie, je flâne dans cet arrondissement où je n'étais pas revenu depuis longtemps et où j'ai habité lorsque je suis arrivé dans la capitale. J'espère y retrouver une librairie qui n'existe malheureusement plus. Depuis deux trois ans, beaucoup disparaissent, même aux alentours du quartier latin. J'aperçois ces jeunes gens attablés en terrasse. Une fine brume y est projetée pour la rafraîchir. Je voudrais être parmi eux qui me semblent si joyeux, insouciants. J'aimerais être un touriste. Je me sens terriblement épuisé, sans ressort, accablé. Je redoute de mourir seul à Paris au cœur de l'été. (Linked with the weekend in black and white)

mercredi 11 octobre 2017

Les vieux Camarades (portrait de groupe)


Voilà,
quand je m'ennuyais – pendant des lectures, des réunions, des débats, des conversations téléphoniques, des cours, des discussions dramaturgiques – la main cherchait à pallier le désœuvrement, et c'est alors qu'ils débarquaient, les vieux copains. Ni jamais vraiment les mêmes ni tout à fait autres, ils passaient me dire bonjour. Je crois que je les ai connus sur les bancs de la fac. Souvent, il m'est arrivé de m'agacer de leurs visites. Toujours un peu parasites plutôt très négligés, la plupart du temps ils rappliquaient à poil, ou dans des accoutrements stupides – ils adoraient les chapeaux chinois allez savoir pourquoi –. Mais je ne pouvais pas les empêcher. Aujourd'hui encore ils m'occupent d'une certaine façon, sans que je ne sache si c'est pour me distraire ou me coloniser. Plus rares ou plus discrets ces derniers temps, certes, mais pas moins sournois pour autant, ils préférent s'attarder en coulisses. Est-ce à cause de cette course contre la montre qui paraît s'engager ?  On le voit bien ce ne sont pas de grands sportifs. Ils n'aiment rien tant que bader. M'en suis-je lassé ? Ou eux de moi ? Tant qui se détournent ces derniers temps, me trouvant trop sombre sans doute, ou plus très utile. Je fais néanmoins tout mon possible pour donner le change. Je rassemble ce qu'il me reste de forces essayant d'en faire bon usage. Bien sûr, je ne pisse plus très dru à présent et j'ai les articulations douloureuses, je peine en côte, mais sur le plat j'ai encore un bon coup de pédale.

dimanche 8 octobre 2017

L'Etat policier


Voilà,
au risque de passer pour le mec ronchon et jamais content qui voit tout en noir, alors que bon oui quoi tout n'est pas si affreux quand même il suffit de s'asseoir et de méditer comme nous l'a benoîtement recommandé tout cet été Christophe André devenu une sorte de tête de gondole (je reste poli) dans le supermarché France Culture, il me paraît salutaire de relayer ce texte intitulé "Quand la liberté s'éteint en silence" paru dans Mediapart le 4 Octobre 2017 et signé d'Edwy Plenel. Si par ailleurs ce dernier me semble souvent contestable et quelquefois déplaisant à cause de son arrogance, il s'avère en la circonstance tout à fait pertinent dans cet article qui fait écho au lapsus de notre président
"L’Assemblée nationale a adopté, mardi 3 octobre, le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. En faisant entrer dans le droit commun l’état d’urgence, une majorité de députés, socialistes compris, a ainsi choisi de sortir la France de l’État de droit.
Un État de droit est celui dont le droit protège n’importe lequel de ses résidents de l’arbitraire de l’État. C’est un État mis à l’abri de l’absolutisme administratif ou policier. C’est un État où l’État est subordonné à des règles de droit qui lui sont supérieures et qui s’imposent à son action. C’est un État dont les citoyens sont en sûreté parce qu’ils sont assurés de ne pas être livrés aux abus de pouvoir étatiques. C’est en somme un État où l’État ne fait pas la loi.
À cette aune, la France, depuis ce 3 octobre 2017, n’est plus un État de droit. Avec l’entrée dans le droit commun des principales dispositions dérogatoires aux droits fondamentaux et aux libertés essentielles qui caractérisaient l’état d’urgence, l’exception y est devenue la règle. Désormais, l’État, autrement dit ses préfets, son administration, sa police, pourra n’importe quand, n’importe où et contre n’importe qui, en prétextant du terrorisme, mettre en cause notre liberté de circulation, notre liberté de culte, notre droit à l’inviolabilité du domicile, notre droit à l’égalité devant la loi. Et le faire sans avoir à s’en justifier ou à en répondre devant un juge indépendant, dont la décision pourrait l’entraver ou le sanctionner. Avec ce vote écrasant, à l’Assemblée nationale, d’une majorité de la peur (415 voix contre 127, (lire ici le texte de loi adopté et là le dossier parlementaire), il y a désormais une loi des suspects en France. Sur de simples soupçons policiers qui, dans un véritable État de droit, seraient totalement insuffisants pour qu’ils se le permettent, l’administration étatique et son bras armé policier pourront dorénavant s’en prendre à un individu, l’immobiliser, l’entraver, le cibler, l’isoler, le mettre à part et à l’écart, bref le persécuter. Seuls juges du prétexte, le terrorisme, ils pourront, demain, après-demain, en étendre la notion, sans entraves aucune, au gré des émotions populaires et des idéologies dominantes.
La loi votée autorise en effet l’État, son administration, sa police, en dehors de tout contrôle judiciaire, à obliger un individu à « résider dans un périmètre déterminé », c’est-à-dire à ne plus pouvoir en bouger, à le frapper d’une « interdiction de paraître » dans un lieu précis, à soumettre son intimité domestique et familiale à des « visites domiciliaires », soit des perquisitions permettant des saisies, à étendre contrôles d’identité, fouilles de bagages et de véhicules à de vastes « périmètres de protection », à fermer un lieu de culte au seul motif des « idées et théories » qui y seraient diffusées, etc. Et ce n’est là qu’un résumé succinct d’une loi, la douzième loi sécuritaire en quinze ans, qui pousse jusqu’à son terme la corruption du droit par la police et de la preuve par le soupçon.
Aussi inconscients qu’égoïstes, aveugles aux autres et ignorants du passé, les apprentis sorciers qui ont ouvert cette boîte de Pandore liberticide se rassurent en se disant non concernés. Après tout, ne s’agit-il pas de combattre le terrorisme, ses crimes et ses réseaux ? C’est l’argument de l’urgence qui, prise pour l’essentiel, en vient toujours à perdre de vue l’urgence de l’essentiel – autrement dit des principes. C’est surtout l’argument aussi éculé que lâche de la fin qui justifie les moyens, au nom duquel, sous toute latitude, tout régime et toute époque, les libertés ont toujours été passées par pertes et profits. « Je considère que je n’ai pas à avoir peur des moyens de lutte contre le terrorisme parce que je ne me sens pas terroriste », a tôt déclaré le porte-parole du gouvernement, l’ex-socialiste Christophe Castaner, dont l’ancien parti (à cinq prudentes abstentions près) a soutenu sans réserve cette perdition qu’il avait lui-même initiée sous la présidence de François Hollande. Phrase terrible, qui résume ce sacrifice de l’idéal démocratique sur l’autel du terrorisme. Phrase aveugle, de gouvernants prêts à piétiner les libertés des autres pour tenter de justifier leur pouvoir.
« Nous cajolons la bête immonde », avertissait l’avocat François Sureau, défenseur intransigeant des libertés fondamentales, dans un entretien récent à Mediapart (lire ici). Sous l’état d’urgence prolongé mis en place par le gouvernement de Manuel Valls depuis la fin 2015, rappelait-il, « il y a eu 6 000 perquisitions administratives pour 41 mises en examen. Et sur les 41 mises en examen, 20 sont des mises en examen pour apologie du terrorisme, c’est-à-dire des crimes d’ordres intellectuel. Au cours de ces 6 000 perquisitions, vous avez parfois bousillé la vie des gens, vous êtes intervenu dans leurs libertés individuelles de manière brutale pour un résultat extrême faible ».
Et qui ne se souvient de l’utilisation de l’état d’urgence en 2015 et 2016 contre la société tout entière, d’abord les activistes écologiques lors de la COP21, puis les manifestants contre la loi El Khomri ? Qui oserait garantir que, sous ce pouvoir ou, après lui, sous un autre, ajoutant à l’obsession sécuritaire des obsessions idéologiques, autoritaires, identitaires, xénophobes, discriminatoires, etc., ce ne seront pas les militants de toutes les causes minoritaires, dissidentes et nouvelles, celles où s’inventent et se revendiquent des droits nouveaux, qui seront les victimes indistinctes de cet état d’urgence devenu permanent ? Qui pourrait jurer que, demain, ce ne seront pas eux les nouveaux « ennemis de la nation », terroristes en puissance ou terroristes en théorie, selon l’infernale logique des forces conservatrices et rétrogrades, décidées à faire la guerre à la société, à sa richesse et à sa diversité, à son autonomie et à ses luttes ?
Pire que le bruit des bottes, le silence des pantoufles Nous connaissons évidemment la réponse, tant les gouvernants et les élus qui, aujourd’hui, sacrifient nos libertés ne sont que de passage. Irresponsables, ils sacrifient la longue durée d’une démocratie vivante, par conséquent exigeante avec elle-même, au court terme de leur survie. Présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), Christine Lazerges avait pris date, dès juillet dernier, dans un entretien à Mediapart : « Si ce projet de loi est adopté et que l’extrême droite arrive un jour au pouvoir, la France serait dans une situation extrêmement difficile en matière de libertés. Un tel pouvoir n’aurait absolument rien à ajouter à ce texte. »
L’Histoire nous l’a appris, et notamment celle des circonstances – la guerre d’Algérie, guerre coloniale et guerre civile – où est né, en 1955, cet état d’urgence aujourd’hui définitivement légalisé et banalisé : l’introduction de dispositions liberticides est une gangrène qui finit par contaminer tout le corps légal, institutions, administrations, gouvernements. Nous venons de le vivre, en à peine deux ans : tout comme hier l’état d’urgence de 1955 avait débouché sur les pouvoirs spéciaux de 1956, où se déshonora une République tortionnaire, aujourd’hui l’état d’urgence prolongé de 2015 accouche sous nos yeux sidérés d’une remise en cause sans précédent de l’État de droit.
Dans son plaidoyer Contre l’état d’urgence (Dalloz, 2016), le juriste Paul Cassia (ici son blog sur Mediapart) rappelle cette mise en garde lucide d’un membre du Conseil d’État, Roger Errera : « Dès qu’une atteinte aux libertés apparaît, elle fait tache d’huile, elle est progressivement appliquée au-delà des limites fixées au début, quelles que soient les promesses, les barrières et les hésitations, et à d’autres que ceux qui étaient initialement visés. Il arrive même qu’elle s’institutionnalise et que, fruit de l’urgence, elle devienne permanente. » C’était en 1975, il y a plus de quarante ans, et nous y sommes, hélas ! Qui plus est avec un État qui ne peut même plus compter sur la génération de ces hauts fonctionnaires à principes qui, ayant souvenir de Vichy ou de l’Algérie, savaient que la banalisation de l’état d’urgence était la brèche par laquelle le totalitarisme ou, du moins, ses pratiques niant les droits humains avaient fait leur chemin, sous couvert d’une administration ou d’un régime républicains. Dans son entretien à Mediapart, François Sureau soulignait ce terrible renoncement qui, depuis trois décennies, a progressivement gagné presque tout le spectre politique : « Les grandes voix du passé portaient un projet collectif de liberté, et pas seulement un projet individuel. »
Comment ne pas interroger le silence collectif, abyssal, qui accompagne ce saut dans l’inconnu ? « Pire que le bruit des bottes, le silence des pantoufles » : attribuée à l’écrivain suisse Max Frisch, ce constat n’a jamais été aussi pertinent. L’ensemble des défenseurs des droits humains, rassemblés dans ses locaux par la CNCDH, tout comme les experts qui en ont officiellement la charge aux Nations unies, se sont solennellement dressés contre cette dérive. Ces experts des droits de l’homme mandatés par l’ONU n’y ont pas été de main morte, estimant que « plusieurs dispositions du projet de loi menacent l’exercice des droits à la liberté et à la sécurité personnelle, le droit d’accès à la justice, et les libertés de circulation, d’assemblée pacifique et d’association, ainsi que d'expression, de religion ou de conviction »
En vain, rien n’y a fait. Pas un écho, pas un regret, pas une nuance, pas une réserve, pas un recul. Pis, à l’Assemblée nationale, la majorité dévotement dévouée au président qui l’a fait élire s’est empressée de durcir les dispositions les plus controversées que le Sénat, dans sa vieille sagesse, avait tenté d’amoindrir. Cette prétendue société civile qui, surgie de nulle part, prétendait renouveler la politique, via la dynamique du mouvement En Marche! et de son dégagisme parlementaire revendiqué, se révèle sourde et aveugle à la société. Seule la gauche de la gauche – les députés communistes et insoumis reprenant le flambeau des six socialistes frondeurs et écologistes isolés qui, hier, avaient dit non à l’état d’urgence – aura sauvé l’honneur mais sans, pour autant, réussir à mobiliser la société. Aussi ne pouvons-nous nous contenter d’accabler ceux qui ont commis cet attentat aux libertés. Nous devons aussi interpeller l’indifférence, cette passivité massive, qui l’a permis. N’est-elle pas du même ordre que celle qui s’accommode de la détresse des migrants, réfugiés et autres exilés (lire mon précédent parti pris, Le devoir d’hospitalité) ? Cette indifférence, plus essentielle, à l’autre, au différent, au suspect, au musulman, bref au lointain, tandis que nous nous replions sur nous-mêmes ? Comme si nous n’étions pas concernés, sinon par le souci de nous protéger, coûte que coûte.
C’est ainsi que pas grand monde n’a sursauté en découvrant que cette loi dite antiterroriste entend faciliter, étendre, généraliser, bref banaliser encore plus les contrôles au faciès, cette discrimination quotidienne qui frappe la diversité de notre peuple, et notamment sa jeunesse. Même l’historien Patrick Weil, homme modéré par conviction autant que par métier, n’a pu réveiller l’opinion et les parlementaires en leur démontrant que « le projet de loi antiterroriste rappelait le code de l’indigénat », en destinant son dispositif policier à la surveillance d’une population particulière, les Noirs et les Maghrébins, aggravant le champ des discriminations qui blessent l’égalité.
De grandes sagesses philosophiques nous ont pourtant enseigné, notamment après les catastrophes européennes du siècle passé, que le meilleur chemin vers le prochain, c’est le souci du lointain. Que le souci de l’autre mène à soi-même. Si je ne suis pas au rendez-vous des libertés des autres, je ne serai pas au rendez-vous des miennes. Si je laisse mettre en cause des droits fondamentaux, au prétexte de prévenir une menace qui me serait étrangère, je découvrirai, un jour ou l’autre, que j’ai ainsi renoncé à mes propres droits."

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