mardi 21 mars 2023

Dans l'ambre du passé


Voilà, 
ces fractions de secondes, bien des années après, comme serties dans l'ambre du passé. Ces instants insignifiants qui pourtant exigeaient de ne pas se laisser oublier. Je me souviens d'errances solitaires dans la ville froide et humide, de cet accablement et ce sentiment d'échec que je traînais alors, songeant qu'il me faudrait vivre désormais avec ça, le restant de mes jours. Était-ce à cause de la lumière froide, de cette silhouette solitaire, de l'étonnement d'être là ? J'ai pris la photo. Depuis j'ai vécu plus d'années que je n'en avais alors. 

dimanche 19 mars 2023

Palissades du chantier du Louvre


Voilà,
au milieu des années 80, le chantier consacré à l'édification de la pyramide du Louvre, était ceint d'une palissade de bois. Elle se révéla un terrain de jeux et d'expérimentation pour nombre de muralistes et graffitistes parisiens, qui purent ainsi exposer leurs travaux sans enfreindre la loi ni risquer de poursuites pour dégradation ou vandalisme. Beaucoup débutaient comme Blek Le Rat, Jef Aérosol ou Miss-Tic. Reprenant les règles de conduite du graffiti, ils s’exprimaient en utilisant le pochoir, avec une esthétique militante et poétique. J'ai alors photographié les travaux de ces artistes aujourd'hui reconnus. Pendant quelques semaines, je proposerai un retour dans le passé en publiant certains de leurs travaux d'alors.
En premier lieu, je commencerai par ces dessins non signés mais qui rappellent beaucoup le style de Reiser, le célèbre dessinateur de Charlie Hebdo. Je n'en connais pas l'auteur.
 

 
J'en aime toutefois la spontanéité, le côté sauvage et caricatural, les couleurs aussi.
 
 
Ces photos sont les traces et les reliques d'une époque depuis longtemps révolue. Leur aspect trash rappelle aussi par certains aspects des peintures du groupe Cobra dans les années soixante. 

samedi 18 mars 2023

Celleneuve


Voilà, 
"j’ai énormément de respect pour mes collègues scientifiques qui donnent de leur temps au GIEC. Moi, je n’aurais jamais la patience. La planète est en feu. Mais pour ne pas froisser certains pays, ils vont sûrement devoir diluer ce message dans la synthèse qui sera publiée lundi. Pas à cause des experts du climat bien sûr, mais de certains responsables gouvernementaux qui participent aux discussions et bloquent la publication s’ils ne sont pas satisfaits de chaque mot. Les rapports du Giec sont très utiles, comme bases de travail pour les chercheurs et les étudiants du monde entier. Mais leur message, archi-simple, est limpide, et ce depuis longtemps. Ces textes ne devraient pas devenir des objets politiques, dont la réécriture incessante sert à repousser les décisions qui fâchent" constate la climatologue Céline Heuzé dans un entretien à Libération du 16 mars. Tel est monde où nous vivons : le souci du mot juste non pour décrire la réalité mais bien pour la travestir.
Dans le même journal, hier, sous la plume de Margaux Lacroux, je lis ceci : "Avant de dévoiler leur synthèse, les scientifiques du Giec ont dû se prêter à un exercice éprouvant cette semaine à Interlaken, en Suisse. Après l’élaboration de chaque rapport, ils écrivent en supplément un "résumé à l’attention des décideurs" qui doit être examiné ligne par ligne, voire mot par mot, avec les représentants de 195 États lors d’une session d’approbation. Des centaines de personnes se réunissent ainsi pendant une sorte de conclave qui dure plusieurs jours. Les délégués des États font des milliers de commentaires, pour améliorer ou préciser certains points, voire pour faire valoir leurs intérêts. Les négociations sont de plus en plus longues et houleuses : les tensions montent entre pays du Nord et pays du Sud, surtout sur les passages concernant les financements, tandis que l’Arabie saoudite et d’autres pays du Golfe tentent inlassablement d’affaiblir la question de la sortie des énergies fossiles. Au final, la décision de modifier, ou non, des parties du résumé revient aux experts"
 
J'ai réalisé cette photo l'année dernière au mois d'Avril, vers Pâques. Il faisait anormalement beau pour la saison. Ce fut d'ailleurs l'occasion de mon premier bain de mer de l'année. Le monde était en proie à de nouvelles convulsions. Mais dans le jardin de S., à Celleneuve ce vieux quartier un peu excentré de Montpellier, sous la franche lumière du Sud, la proximité de l'église moyen-âgeuse de Sainte Croix, avait quelque chose de rassurant. Car celle-ci, bâtie au 12° siècle, de style roman (la seule qui subsiste à Montpellier) a survécu à bien des fléaux. Au 14° siècle, lors de la guerre de cent ans, pour s’abriter des Grandes Compagnies (en quelque sorte les milices Wagner de l'époque) qui ravageaient les campagnes, des travaux furent entrepris pour la mettre en défense : murs rehaussés, mâchicoulis, contreforts. Elle résista aussi par la suite aux guerres de religion, et à bien d'autres aléas de l'Histoire. Elle résista même au petit âge glaciaire.

vendredi 17 mars 2023

Un dessin énigmatique


Voilà,
hier l'ai retrouvé en faisant des rangements. Je l'avais complètement oublié celui-là. Il me plaît, il me plaît vraiment. Il est indiscutable. Nous en faisions beaucoup ensemble vers 2004, 2005. Peut-être encore vers 2006, au début... Car ensuite 2006, fut l'année d'un grand désordre dans ma vie... En général je faisais le fond, avec des pastels secs, et ma fille dessinait les personnages et les motifs. A moins que j'aie recopié l'un de ses dessins en le coloriant ensuite. Enfin, ce qui est certain c'est que je n'y suis pas pour grand chose, juste un travail d'exécution et d'interprétation. L'inspiration n'est pas la mienne. C'est précisément à cette époque, la regardant faire, que je suis enfin parvenu à m'intéresser au travail de Cy Twombly, à y trouver de l'intérêt et à en reconnaître la valeur. Être capable de libérer son esprit pour se retrouver dans l'enfance de l'art ne va pas de soi.
première publication 10/9/2012 à 6:30

mercredi 15 mars 2023

Cinq-cents jours

 
Voilà,
hier les panneaux lumineux annonçaient qu'il ne reste plus que 500 jours avant le début des Jeux Olympiques. Je n’ai jamais compris cette obstination à vouloir organiser les jeux, alors que l’on sait que cela génère plus de coûts que de bénéfices pour les villes qui accueillent cette manifestation. Il est probable que rien ne sera prêt à temps. Il y a du retard dans beaucoup de travaux, et l'on a même renoncé à certaines infrastructures concernant en particulier les transports. Il faut dire que la gouvernance de la ville est particulièrement incohérente. Mais on s'efforce de nous persuader que ça sera une fête, alors que tous les jours on nous parle de la guerre en Ukraine, des perturbations climatiques, de la sécheresse en France, de la probable baisse des rendements agricoles, des problèmes soulevés par le vieillissement des centrales nucléaires. Cerise sur le gâteau, en raison du mouvement de protestation qui dure depuis quelques jours un peu partout en France, les éboueurs sont en grève et les poubelles s'entassent dans les rues de Paris. C’est là qu’on s’aperçoit que les gens nécessaires sont mal payés, et que ce sont précisément ceux-là qui meurent précocement et cotisent toute leur vie, pour une retraite dont il sont à peu près certain de ne pas pouvoir profiter.

  

C'est un peu le bordel, il faut bien l'admettre, et ni l'état du monde ni celui de ce pays n'incitent à l'optimisme. Difficile de se projeter dans l'avenir (même cinq-cents jours) avec ne serait-ce qu'une once de sérénité. Des manifestations sont encore prévues aujourd'hui, contre cette loi sur les retraites qui suscite beaucoup de mécontentement. Mais elle sera tout de même probablement votée au parlement. Je suis curieux de voir ce qu'il va se passer désormais. On vit des temps vraiment étranges. 
Dans toute cette confusion, je continue d'aller au cinéma.  Il y a encore des salles de cinéma à Paris. Et c'est bien. Quand le film est bon j'oublie les douleurs, j'oublie les tracas quotidiens, la vie est suspendue. Ce soir j'ai vu le merveilleux film de Sam Mendes "Empire of light". Une fable subtile délicate et émouvante, parlée en anglais british, jouée par d'excellents acteurs et actrices au service de personnages complexes. Le cinéma tel que je l'aime. Sans esbrouffe, parfaitement maîtrisé, laissant toute la place au spectateur. 

lundi 13 mars 2023

Toute chose fait signe


Voilà,
au lieu de me prendre à des activités plus concrètes et peut-être aussi plus nécessaires – mais j’en suis tout à fait incapable  – et sans doute mû par une sensation d’urgence, je publie ces dernières semaines beaucoup de chroniques sur ce blog. C’est une dérisoire parade au fait que je sens mes facultés intellectuelles et physiques s’amoindrir. Je redoute même de les perdre tout à fait d’ici peu. Il est certes possible que je dramatise la situation, mais tout de même, des symptômes agaçants autant qu’inquiétants s’accumulent. Je dors beaucoup à des heures irrégulières. Quoique je ne sois ni écrivain ni terriblement âgé, j’ai parfois l’impression d’être le personnage interprété par John Gielgud dans "Providence", le film d’Alain Resnais. J’ai tendance à me couper du monde, je vois peu de gens, et c’est très bien comme ça. Lorsque j’en vois je me retrouve dans des situations embarrassantes. L’autre soir au théâtre par exemple, j’ai croisé un camarade que je n’avais pas revu depuis longtemps. Au moins l’ai-je reconnu, je savais qui c’était, où et avec qui il travaillait en ce moment (merci facebook), j’étais en mesure de lui demander des nouvelles d’amis communs, mais me rappeler son nom et son prénom, je m’en trouvai soudain tout à fait incapable. Je crois que ma défaillance est passée inaperçue, mais le malaise suscité m’a poursuivi quelques heures durant. Alors je préfère ne pas trop socialiser. En outre la mémoire des mots et des noms se dérobe aussi quand je suis seul. Il y a quelques jours, j’étais incapable de retrouver le prénom du producteur des Beatles. Je pensais John au lieu de George Martin. D’ici peu, si cela continue j’oublierai bientôt le nom des quatre gars de Liverpool. Je serai alors vraiment cuit
Ces jours-ci, prendre des notes et bidouiller des images, sont les seules contraintes que je m’impose volontiers, en plus de faire les courses parce qu’il faut bien se nourrir. Je lis ou relis quelques bouquins aussi. J’ai cependant du mal à me concentrer, je me lève tard me couche de même. Je me réveille souvent au milieu de la nuit. J’écoute alors de la musique classique à la radio. Cela m’aide parfois à me rendormir, parfois non. Il arrive même de temps à autre que cela me stimule pour travailler, la plupart du temps cela m’intrigue, retient mon attention et suscite ma curiosité. Je me livre alors à toutes sortes de recherches désordonnées sur le net. Et c’est déjà le matin.
De nouveau le merle chante à l’aube, ce qui annonce le retour des beaux jours. Le Forsythia qui a commencé de fleurir plus prématurément que jamais auparavant (les premiers bourgeons ont éclos fin février) s’épanouit et se constelle de fleurs jaunes de plus en plus nombreuses. Peut-être le prunus du jardin des plantes est-il déjà en train de fleurir. Je pourrais aller y faire un saut un de ces jours prochains. Cela me fera une promenade si toutefois cesse la douleur qui s’est installée depuis quelques temps dans ma jambe droite. En attendant je consulte des planches contact et continue de scanner de vieilles photos. Les souvenirs remontent. Je repense à ce poème de Roberto Juarroz, que je lis beaucoup ces derniers temps.
  
Toute chose fais signe vers autre chose.

Vers quoi fais signe 
l'histoire verticale de l'arbre ?
Vers quoi fais signe 
l'oasis de ton corps?
Vers quoi fais signe la lumière
et vers quoi la nuit ? 
Vers quoi fais signe 
la raideur méthodique des morts ?

Peut-être que tout fait signe vers un centre.
Mais tout centre fait signe vers le dehors.

oui, ce poème qui, je ne sais pourquoi, lui aussi fait signe vers ce paisible paysage du port de Cadaquès, pris en Janvier 1991, la veille de la première invasion de l'Irak. Une image du temps passé, dont je ne sais plus si elle est un centre ou un dehors. 

dimanche 12 mars 2023

Rue Grégoire-de-Tours



Voilà,
au 6 de la rue Grégoire de Tours, entre le Boulevard Saint-Germain et la rue de Buci, se trouve un charmant hôtel pour touristes, qui toutefois doit s'avérer un peu bruyant le soir,  surtout l'été, en raison des nombreux restaurants qui s'y trouvent et, les beaux jours venus, transforment la rue en une longue terrasse. A l'entrée une fresque charmante, évoque une vision bucolique de la place St-Germain-des-prés et de l’église romane reconstruite après la Révolution Française qui s’élève toujours sur l’emplacement même choisi au milieu du VIème siècle par le roi mérovingien Childebert Ier, fils de Clovis. Car au commencement, il y eut d' abord l’Abbaye Saint-Germain. Théâtre des grands moments de l’Histoire, détruite une première fois pendant les Invasions Normandes à la fin du neuvième siècle elle fut ensuite fortifiée au seizième siècle, car toujours à l’extérieur de l’enceinte de Paris. Florissante au dix-huitième siècle, l’Abbaye dissoute à la Révolution Française, vit alors ses bâtiments monastiques transformés en dépôts d'armes et en prisons. En 1794, un incendie dévasta la Bibliothèque. Les annexes furent donc vendus et les terrains  lotis d’immeubles d’habitation  dessinant le quartier tel qu’il est aujourd’hui. Ça, c'est la version guide touristique pour mes lecteurs étrangers.
La vision que propose cette peinture murale est certes quelque peu idyllique et rêvée, et ne reflète sans doute aucune réalité historique. Mais elle a le charme des "peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires" qu'évoque Rimbaud dans "Une saison en enfer". 
shared with - Monday murals

samedi 11 mars 2023

Méprisant de la République


Voilà,
la semaine dernière, à l'issue du Conseil des ministres, le porte-parole du gouvernement, avait estimé que "mettre la France à l'arrêt" à partir du 7 mars, comme promis par les organisations syndicales mobilisées contre la réforme des retraites, serait "prendre le risque d'une catastrophe écologique, agricole ou sanitaire". 
Nos gouvernants sont des guignols au service des lobbies agroalimentaires et industriels, on le savait déjà. Ils s'acharnent à détrousser les pauvres et les classes moyens et à détruire tout ce qui relève, dans notre tradition sociale et politique, des "communs" (santé, éducation, culture, justice, recherche), ils ne s'en cachent même plus. Ils appauvrissent les plus démunis et les classes moyennes, en accordant toujours plus de privilèges fiscaux aux plus fortunés, la prospérité de la nation est selon eux, à ce prix. Mais qu'ils manifestent avec autant d'arrogance leur bêtise et leur mauvaise foi, voilà qui continue de me surprendre. Car tout de même, l'action de ce gouvernement en matière d'écologie se résume à des déclarations d'intentions jamais suivies d'effets. Que son porte-parole s'autorise à faire, en la matière, porter le chapeau au mouvement social, relève vraiment du foutage de gueule. "Les cons osent tout c'est à cela qu'on les reconnaît". On a l'impression qu'Olivier Véran s'obstine à illustrer cette maxime de Michel Audiard. Il oublie, Véran, que la conjonction de catastrophes naturelles et le spectacle trop visible de l'impunité et de l'accroissement des privilèges des classes aisées, favorise souvent des bouleversements sociaux qui ne sont pas toujours pacifiques. Il y a tout de même quelques exemples dans l'histoire passée et non des moindres.


Tout se passe comme si la crise du Covid avait effacé le souvenir des révoltes des gilets jaunes. Comme si la répression brutale de ces insurgés de tous bords avait effacé le malaise qui affecte ce pays, auquel d'ailleurs aucun parti politique ne semble vraiment en mesure de répondre. Car ce qu'il reste de la gauche ne brille pas non plus par la cohérence de sa pensée ni par son aptitude à offrir des propositions satisfaisantes. Je ne sais pas si un vent de fronde se lève sur le pays ou si quelque chose de plus insidieux rampe sournoisement sans qu'on s'en rende compte. Toujours est-il que 72% des français sont opposés à cette réforme qui s'ajoute à un nombre croissant d'injustices sociales. Mais Macron a choisi l'épreuve de force avec son peuple autant qu'avec les syndicats. Il s'obstine à faire passer cette réforme des retraites qui génèrera peu de profits alors que s'imposerait plutôt une révision de la fiscalité des entreprises et des grandes fortunes. Mais n'oublions pas que supprimer des acquis sociaux permet aussi de rassurer les investisseurs étrangers et les créanciers de notre dette nationale. Son mépris, sa suffisance, sa morgue et son obstination à protéger les grandes fortunes prouvent bien qu'il est totalement déconnecté des réalités quotidiennes qui affectent les citoyens de ce pays. Il parie sur leur fatigue et leur résignation. Sur le fait que la plupart d'entre eux sont liés aux banques par des crédits et que cela conditionne leur servitude volontaire. Il parie sur le pain et les jeux, que les gens continueront de grogner, plutôt que de se mettre véritablement en colère. Mais en ces temps déraisonnables une étincelle peut aussi suffire. Peu probable certes, mais néanmoins possible.
Pendant ce temps là, l'extrême-droite attend paisiblement son heure. Notre méprisant président symptôme d’une démocratie déjà défaillante, lui chauffe la place. Et par dépit, aveuglement, crédulité une majorité de votants portera ses suffrages à la candidate du Rassemblement National pendant qu’un plus grand nombre encore désertera les bureaux de vote. Ça c’est beaucoup plus vraisemblable.
D’ici là, du côté du pouvoir on nous aura certainement asséné que le mouvement social fait des citoyens en lutte des alliés de Poutine.

jeudi 9 mars 2023

Escaliers vides

 
Voilà,
j'ai parfois l'impression que mon imagination désormais ne ressemble plus qu'à cela. Des escaliers vides, qui ne mènent nulle part et s'enchevêtrent confusément. Malgré l'aridification du langage et l'assèchement progressif de la faculté de raisonner, je m'efforce pourtant de vivre le plus sereinement possible. Écrire devient de plus en plus laborieux. J'ai pourtant bien des histoires à raconter des histoire du temps passé — car la mémoire ne me fait pas encore défaut, bien au contraire pour le moment elle a tendance à m'encombrer — mais je ne peux plus que les parler. Encore faudrait-il que je trouve un interlocuteur bienveillant susceptible de les recueillir. 

mercredi 8 mars 2023

O nostalgie


 
Voilà  
Ô nostalgie des lieux qui n'étaient point  
assez aimés à l'heure passagère,  
que je voudrais leur rendre de loin  
le geste oublié, l'action supplémentaire !

Revenir sur mes pas, refaire doucement
- et cette fois, seul - tel voyage,
rester à la fontaine davantage,
toucher cet arbre, caresser ce banc ...

Monter à la chapelle solitaire
que tout le monde dit sans intérêt ;
pousser la grille de ce cimetière,
se taire avec lui qui tant se tait.

Car n'est-ce pas le temps où il importe
de prendre un contact subtil et pieux ?
Tel était fort, c'est que la terre est forte ;
et tel se plaint : c'est qu'on la connaît peu.

— Rainer Maria Rilke

lundi 6 mars 2023

Terrasses du Musée d'Art Moderne

Voilà,
les parasols encore en berne, les lampions prêts pour des nuits plus douces avant que d'être rallumés, les terrasses du Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris attendent les beaux jours. Cette image que j'ai prise courant Janvier me laisse dans un état bizarre. Elle évoque l'attente de quelque chose qui ne viendra peut-être pas sous une forme qu'on lui a déjà connue.
Je sors d'un tunnel émotionnellement éprouvant, car cette aventure "Apnée", fut intense et émouvante. J'ai assisté à toutes les représentations et participé en tant que régisseur son à la plupart d'entre elles. La puissance du texte, ce qu'il raconte, et l'interprétation des actrices m'ont bien secoué. Je me trouve dans une sorte d'hébétude, et depuis deux jours je n'ai parlé avec personne, ni rencontré qui que ce soit. Cela m'arrive souvent de faire l'huître après un spectacle, mais là, c'est particulier. Je sais vaguement pourquoi, mais c'est assez difficile à formuler.
Des inquiétudes refoulées remontent à la surface. Il y a l'inventaire des nouveaux symptômes. J'avais, même si ses échos n'étaient guère rassurants, un peu mis le monde entre parenthèses ces dernières semaines. Seulement, le Réel recommence à cogner. L'audition des nouvelles n'est guère encourageante. Sécheresse à venir, nappes phréatiques au plus bas, canicule estivale, récoltes que l'on craint d'ores et déjà catastrophiques, prévisions météo alarmantes. Je ne parle que de la situation en France et bien évidemment je ne prends pas en considération la guerre aux portes de l'U.E ni des tensions sociales dans le pays. Et tout à coup, cette image de possibles plaisirs futiles à venir, ceux qui font le sel de la vie, semble incongrue voire irréelle...
J'écris cela en écoutant "Throughline" de Nico Muhly interprété par l'Orchestre symphonique de San Francisco et dirigé par Esa Peka Salonen, œuvre qui a été composée et enregistrée dans des conditions particulières, puisqu'elle a vu le jour au plus fort de la pandémie, en 2020. Seulement six musiciens pouvaient se trouver en même temps sur scène au Davies Symphony Hall. Aucun d'entre eux ne devait être un instrumentiste à vent, pour éviter toute propagation du virus par le souffle. Ces derniers ont dû se produire à distance, et à ceux-ci, Muhly a ensuite ajouté d'autres instrumentistes et chanteurs jouant "en visio", le tout sous la baguette du chef d'orchestre Esa-Pekka Salonen. 
L'œuvre composée de 13 mouvements fait appel à plusieurs invités de marque, dont le guitariste rock et compositeur classique Bryce Dessner et la chanteuse de jazz Esperanza Spalding. 
Muhly a déclaré que l'opus "fonctionne comme un concerto grosso, mais avec tout le monde qui change d'équipe". Il a crée une texture kaléidoscopique avec de nouveaux éléments qui apparaissent constamment dans un cadre plus large et un ensemble cohérent. Cet enregistrement peut être considéré comme une réponse emblématique à une époque étrange et triste.
C'est sans doute à cela qui faut s'astreindre au niveau individuel. Trouver des réponses artistiques à sa mesure en dépit de ce que l'Époque nous inflige. 

dimanche 5 mars 2023

La Musique de l'Oubli


 
Voilà
Ouvrant les hublots du sommeil, 
me réveille le fantôme d'une musique
 où je ne reconnais pas même 
la mélodie ou les instruments qui l'exécutent

Je ne me réveille pas vraiment,  
mais seulement ce qu'il faut pour l'écouter 
et comprendre que cette musique est faite 
des fantômes de tous les sons 
et des sons de tout ce qui se tait

Je ne me réveille pas vraiment. 
Mais cette musique fantôme, 
de filiation plurielle comme la nuit, 
vient aussi me dire
qu'il est des choses intenses à l'excès 
qui ne sont pas faites pour le souvenir,
car la condition de leur intensité est l'oubli.

Peut-être que cette musique fantôme
est alors ce que j'ai tant cherché :
la musique de l'oubli
(Roberto Juarroz)

vendredi 3 mars 2023

Femme au verre


Voilà,
comment ai-je pu la laisser passer celle-ci ? Je n'en reviens pas, je l'ai prise en Septembre 21, et je ne l'ai pas sélectionnée à l'époque. J'en ai d'autres du même genre sur ce blog. Je crois que j'ai commencé à prendre des photos à travers les bâches translucides des cafés, il y a bien des années en m'inspirant de Saul Leiter. C'est un effet qui me plaît, et je ne me lasse jamais de ce genre de surprise. C'est bien hein ? Je veux dire que c'est bien qu'aujourd'hui je ne récrimine ni ne me plaigne. Une amie psychanalyste m'a fait comprendre que la plainte était un symptôme d'hystérie, et qu’à ce titre mes billets étaient très révélateurs. Je ne savais pas que l'écriture pouvait être hystérique à part bien sûr les graphomanies et les écritures automatiques compulsives comme celles de Marguerite.  Mais il y a tant de choses que je ne sais pas. Je ne sais pas si c'est une bonne psychanalyste, ni si pour ma part je suis un hystérique intéressant, mais bon, pourquoi ne pas profiter de sa remarque pour prendre une petit pause et m'étonner plutôt de ce que j'ai su voir en une fraction de seconde et que j'ai absolument désiré retenir. Tiens d'ailleurs, il faudrait que je me renseigne sur ce que la psychanalyse a pu dire au sujet de la photographie, en dehors bien sûr du fait que Charcot a réalisé de nombreuses photos d'hystériques pour ses recherches. Dans un premier temps, j'ai trouvé ça. il faudra que je creuse la question si je trouve le temps.

jeudi 2 mars 2023

La pensée ne peut tenir dans l'homme

Voilà,
La pensée ne peut tenir dans l'homme
c'est pourquoi elle se lance comme un bélier contre le ciel,
fichée comme un coin entre couleur et couleur
cherchant son lieu
dans le corps du monde
 
Sa charge de puissance nue
ravage les bords et le fond,
comme un courant barbare
qui dévore son lit
 
La pensée est une liberté plus grande que l'homme

(Roberto Juarroz

mercredi 1 mars 2023

J’existe

 

Voilà 
Mon regard m'attend dans les choses
pour me regarder partant d'elles
et me dépouiller de mon regard 
 
Ma mémoire m'attend dans les choses 
pour me démontrer qu'il n'y a pas d'oubli
 
Et les choses s'appuient sur moi,
comme si moi qui n'ai pas de racine, 
j'étais la racine qui leur manque .
 
Serait-ce que les choses 
aussi s'attendent en moi,

Que tous ce qui existe 
s'attend hors de lui-même ?

Et qu'à la fin mes bras 
seront ouverts pour m'embrasser?
(Roberto Juarroz)
 
P.S. une rapide recherche sur internet m'apprend que ce collage est l'œuvre de Thierry Jaspart

samedi 25 février 2023

Dans le vacillement


Voilà
peu de gens lisent ces chroniques. Encore moins parmi eux les comprennent vraiment, du fait qu'ils sont étrangers. Je continue pourtant. Même si persévérer me paraît souvent absurde. Évidemment je pourrais garder tout ça pour moi. Mais sans doute, sans la conscience de m'exposer, sans le souci de l'autre, y accorderais-je moins de soin. Oui, cela prend du temps, mais cette hygiène m'est nécessaire. J'ai vraisemblablement besoin de cet exercice, de cette concentration. Cela me permet en outre de mettre à distance certaines pensées, certaines peurs, certaines angoisses, d'exorciser en quelque sorte. De partager aussi des points de vue, bien que je réalise qu'ils sont assez minoritaires dans le monde tel qu'il se transforme. Cependant il arrive parfois qu'ils suscitent quelque écho. Je me sens moins seul alors. A défaut de m'apaiser cela contribue à me réconforter, un peu. Un tant soit peu.
Je n'ai pas grand chose de positif à proposer, c'est sûr. Je n'ai pas beaucoup de message d'espoir. A moins de considérer que la tentative de donner forme à ce qui de temps à autre me traverse, que résister à la paresse, au laisser-aller, et en témoigner constitue en soi une forme de résistance, de résilience comme on dit aujourd'hui, qui mérite d'être affirmée, et pourquoi pas encouragée. 
J'essaie aussi, avec mes photos, de partager le regard que je porte sur le monde immédiat. Si je ne dis pas tout, je ne montre pas tout, non plus. Parfois, j'ai l'impression de me dé-civiliser malgré moi. Car je ne peux répondre à toutes les aumônes. Car il m'arrive de détourner le regard de la misère. Car je m'habitue à tout ces corps gisant sur l'asphalte. Ils font partie du paysage désormais. Ils sont de plus en plus nombreux à Paris. Autrefois je photographiais la misère. Désormais j'y parviens de moins en moins. Alors je me réfugie dans les paysages anciens, le jeu ds reflets dans les vitrines, les miroirs..
 
 
Tout change si vite. J'ai l'impression que depuis le premier confinement de 2020, tout ne cesse de se dégrader. Mon corps d'abord qui a deux fois attrapé une maladie qui n'existait pas il y a quatre ans. Et puis aussi le fonctionnement général de nos sociétés qui subissent le contrecoup de ce moment qui nous a laissés comme anesthésiés. C'est une sorte de lent vacillement généralisé. Les équilibres mondiaux se transforment. L'époque se fait turbulente. Ici en France, le système de répartition sociale mis en place à la Libération est petit à petit détruit par le Gouvernement en place. C'est la conséquence de l'incompétence d'une gauche qui a depuis longtemps failli à sa mission, et qui ne nous laisse plus le choix qu'entre une droite ultra libérale et l'extrême-droite. 
Même les petites joies en sont ternies. Je ne jubile plus autant à regarder les extraits de matches du Super Rugby Pacific Championship qui reprend aujourd'hui.
Des nouvelles toutefois émerveillent ce qu'il reste d'enfance en moi qui, vers onze douze ans, rêvais d'être astronome. Le télescope spatial James Webb a repéré six énormes galaxies "qui ne pouvaient pas exister". Cette découverte si inattendue pourrait bouleverser les théories actuelles sur l’origine de l’univers. La lumière captée de ces galaxies révèle qu'elles pourraient être âgées de 13 milliards d’années, ce qui signifie qu'elles existaient déjà 500 à 700 millions d’années après le Big Bang. On s’attendait à ne trouver que des petites et jeunes constellations, au lieu d'objets aussi lourds et adultes que notre Voie lactée. Elles abritent des étoiles jusqu’à 100 fois plus lourdes que ce à quoi on s’attendait. Cela contredit presque tous les modèles actuels au sujet de l’univers primitif. Pour expliquer leur existence, les scientifiques devront peut-être revoir certaines règles de base de la cosmologie. 
Étrange animal que l'homme. Il questionne l'origine de l'univers en même temps qu'il saccage son habitat. "L'homme, toujours lui, l'homme à la tête de chiffres et de supputations, sentant la voûte de sa vie d'adulte sans issue , et qui veut se donner un peu d'air, qui veut donner un peu de jeu à ses mouvements étroits, et voulant se dégager, davantage se coince" (Henri Michaux)

vendredi 24 février 2023

Fumée sur l'asphalte

 
Voilà,
j'ai retrouvé cette vieille photo new-yorkaise, prise un matin de février 1988, lors de mon deuxième séjour à Big Apple (oups sorry oversized apple). J'aimais bien ces nuages de fumée sur l'asphalte, dûs la différence thermique entre le sous sol et la surface. C'est une des rares villes dans le monde à posséder depuis 1882 un réseau souterrain de canalisations où circule de la vapeur d'eau. Aussi quand l'air chaud des tuyaux se condense au contact de l'air plus froid à la surface, de la fumée se dégage. J'avais l'impression d'être dans le film "Manhattan" de Woody Allen, que j'ai d'ailleurs revu à la télévision, il y a quelques semaines, avec ma fille.
j'ai lu quelques part que les images qui génèrent plus de questions que de réponses sont celles qui s'impriment le mieux dans la mémoire.  Je ne sais ce qu'il en est de celle-ci. Ce qui devait paraitre quelconque pour un new-yorkais était alors pour moi une source d'étonnement et un vrai dépaysement. C'est dans une semblable atmosphère urbaine, que j'ai assisté à une scène sidérante que j'ai décrite bien des années après, parce que ce jour là je n'avais pas pris d'appareil photo.

jeudi 23 février 2023

Un bien triste anniversaire

Voilà,
il y a un an, aussi improbable que cela puisse paraître je me trouvais dans un congrès de dermatologie pédiatrique à Nantes. Il y a un an les armées russes envahissaient l’Ukraine pour tenter de l'annexer totalement et d'y installer un pouvoir fantoche. La résistance courageuse de ce peuple qui ne veut pas se laisser coloniser force l'admiration. Je ne suis malheureusement pas aussi optimiste que Seth, l'auteur de cette peinture murale. En dépit des grandes déclarations, les démocraties occidentales hésitent à soutenir totalement ce pays. En face, le pouvoir russe, multiplie les provocations. Combien faudra-t-il de charniers, de crimes contre l'humanité pour s'apercevoir que ses dirigeants ne veulent pas la paix, qu'ils ne renonceront jamais à leur projet de reconquête de l'Ukraine, simplement parce qu'ils considèrent que c'est une de leurs provinces ? Poutine l'a dit, il veut élargir ses frontières et il hait le mode de vie occidental et ceux qui veulent l’adopter. Lentement tout se met en place pour un conflit encore plus vaste. 
Il est à craindre que d'ici peu, nous nous apprêtions à vivre ici aussi des temps de grande barbarie, Le tout sur fond de catastrophe climatique et de désastre écologique. Mais après tout, n'est-ce pas déjà le cas dans nombre de pays d'Afrique centrale, du Moyen-Orient, du sous continent indien. 
Tout se passe comme si l'on voulait absolument confirmer les courbes du diagramme de Meadows selon lequel entre autres, la population mondiale devrait décroître à partir de 2030. Et quoi de mieux qu'un ou plusieurs bons massacres ?



Et encore ce diagramme est-il sans doute très optimiste par rapport à la réalité. Il est peu vraisemblable qu’un même jeu d’équations puisse représenter le système réel dans ses deux phases de croissance et décroissance. En ce qui concerne cette dernière, il ne peut produire qu’une grossière approximation, laquelle ne semble réaliste que parce que "ça s’effondre" . Mais la manière dont ça s'effondre n’est qu’illusion. Conçu pour convaincre par son réalisme, le diagramme ne prend pas en compte des possibilités d’évolution beaucoup plus inquiétantes. 
Un système peut ne pas évoluer sur un même  "chemin" selon qu’une "cause extérieure" augmente ou diminue. Ce qui a structuré le système actuel et provoqué sa croissance, ce sont principalement trois choses appelées à disparaître : un environnement sain, (autant qu’il pouvait l’être), un climat stable, (avec ses cycles prévisibles), et la croissance du pétrole. Or  le système, en phase de décroissance, devrait prendre un chemin inédit, impossible à prévoir. Par exemple ces derniers temps, on constate que les rapports du GIEC, n'ont pas suffisamment pris en compte les courbes de rétroaction concernant le climat qui sont des chaînes de réactions qui s'autoalimentent et tendent à s’amplifier. Le problème, c’est qu’à l’heure actuelle, plusieurs des boucles qui commencent à se former aggravent la crise climatique. En outre selon Graham Turner "ces rétroactions dépendent de la présence d’effets retards dans les signaux entre une partie du système mondial et une autre. Par exemple, les effets de l’augmentation des niveaux de pollution sur l’espérance de vie humaine ou la production agricole peuvent ne pas être identifiés pendant plusieurs décennies après l’émission de la pollution". C'est ainsi le cas  des épaves des deux guerres mondiales pleines de carburants fossiles de munitions ou de cargaisons dangereuses qui gisent au fond de nos mers. La masse de ces déchets et leur impact environnemental à venir sont effrayants. A titre d'exemple, trouvé dans "l'atlas de la France toxique", un excellent livre à offrir, cent mille grenades et munitions chimiques et 800tonnes de munitions à problèmes ont été immergées dans le golfe de Gascogne entre 1954 et 1972 pour s'en débarrasser, et au large de Saint-Raphael reposent des bombes au gaz moutarde et à l'arsenic déposées là par l'US navy en 1946. Et je ne parle que de ce que je connais, hein ! le monde est vaste. là aussi il va y en avoir de la rétroaction.
Le diagramme ne tient pas non plus compte de la nature du système  financier capitaliste. Celui-ci repose entièrement sur l'exploitation des énergies fossiles. Ainsi les grandes banques européennes ont accumulé 532 milliards d’euros d’actifs liés aux énergies fossiles — soit l’équivalent de 95% du total de leurs fonds propres –. Elles seraient en difficulté en cas de chute rapide de la valeur de ces actifs. Cette situation induit une paralysie du secteur bancaire. Elle limite sa capacité à contribuer au financement de la transition écologique, en même temps qu'elle augmente le risque d’un effet boule de neige dégénérant en crise financière. 
J'en reviens à cette guerre. Elle rajoute du chaos au chaos. La réalité va probablement s'écarter de plus en plus du modèle de Meadows, à la faveur d'autres crises retentissantes dont on ignore encore toutes les formes qu'elles peuvent prendre.
 
Oui j'aimerais vraiment (comme il me l'a été conseillé au bas de la publication d'hier) croire qu'un don unique, m'a été dédié par l'univers et que le peu de force dont je dispose vient de la conscience de mes limites. Mais malheureusement, je ne suis pas trop équipé pour "croire". Je pourrais aussi adopter l'attitude de l'ex-reine d'Angleterre "never explain, never complain". Bof ! Si je n'étais pas si reclus, et misanthrope, j'opterais plutôt pour la proposition de Cioran : "Les esprits lucides pour donner un caractère officiel à leur lassitude et l'imposer aux autres, devraient se constituer en une Ligue de la déception. Ainsi réussiraient ils, peut-être, à atténuer la pression de l'histoire, à rendre l'avenir facultatif."
Cioran qui a aussi écrit "l'homme sécrète du désastre".
Allez, il est temps d'aller se coucher. 
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mercredi 22 février 2023

Premières nouvelles du jour

Voilà  
je me réveille. D'abord je pense que ça fait longtemps que je ne suis pas allé voir le magasin d'Agathe. Puis j'allume la radio. On me parle des bombardements de Bakhmout, des gens qui fuient avec leur chat, du président américain en tournée dans les capitales européennes liées à l’OTAN, de Poutine qui dénonce les accords contre la limitation des ogives nucléaires, du nombre croissant de fermetures des classes en France et de projet de grève générale prévu début mars dans ce pays, des missiles balistiques intercontinentaux et à moyenne portée qui ont, à titre d’exercices, été tirés depuis la Corée du Nord et sont tombés dans la zone économique exclusive japonaise. On me rappelle ensuite que des manœuvres conjointes entre les américains et la Corée du sud vont avoir lieu prochainement. On m'informe que la rédaction du journal du matin est partie à Kiev pour le premier anniversaire de l’invasion russe et que c'est pour ça que c'est une autre voix qui parle. Tiens aujourd'hui on ne me dit rien de la Chine ni de l'Iran ni du radicalisme islamique qui se répand en Afrique. Cooool ! 
Je passe à une chaîne musicale. 
Je scrolle sur ton smartphone (il y a vingt ans, qui aurait imaginé écrire une telle parenthèse ?). Je lis que les câbles transcontinentaux sont l’objet d’un bras de fer entre les USA et la Chine (ah quand même !), que la sécheresse se répand sur le sud de l’Europe. Des photos sidérantes de canaux asséchés à Venise apparaissent. Des chiffres aussi (jamais depuis 1959, il n’y eut plus de trente jours sans pluie consécutifs sur cette période). Des questions surgissent "nous dirigeons nous vers une inexorable extinction des masses ?" . Whoaw c’est trop l’éclate !!!!
Tant de signes convergeant vers un chaos généralisé. 
Alors je cherche les bonnes nouvelles. 
Il existe précisément un journal des bonnes nouvelles que me propose l’ami Google. Je peux y découvrir la recette des pilons de poulet au four à l’orange et à l’abricot, mais aussi l’interview exclusive d’une "autrice féérique remplie d’amour", un article sur la signification des heures miroirs, un autre sur la prière à St Expedit (je ne le connaissais pas celui-là) qui permet d'accélérer les dénouements. Pourvu que ce ne soit pas le saint favori de Poutine
Je trouve quand même trois bonnes nouvelles majeures. Oui, des décisions en faveur d’un monde bas-carbone ont été prises ces dernières semaines. Au sein de l'Union européenne, la fin des voitures thermiques en 2035 a été confirmée. En Australie, un nouveau projet de mine de charbon a été banni. En Colombie, c'est l'exploitation de nouveaux gisements pétroliers et gaziers qui va être interdite. Ne serait-ce pas pécher par optimisme (un péché auquel je cède pourtant rarement) que d'y croire ? J'ai quand même aussi lu ceci il y a quelques jours. Mais bon ! Soyons pécheurs, il nous sera beaucoup pardonné.
 
Puis sans les chercher —  Miracle de la sérendipité ⸮je retrouve de vieilles notes collectées sur mon téléphone. Vieille manie sur un outil moderne. Autrefois j'aurais découpé des articles de presse. Je crois que Francis Bacon en faisait autant avec des photos.
  • La mere de Kurt Vonnegut s’est suicidée le jour de la fête des mères
  • Le billet de 500 francs brulé par Gainsbourg à la télévision a été adjugé pour 5000 euros dans une vente chez Sotheby’s
  • Pour fabriquer le stuc nécessaire à la décoration, les Mayas déboisèrent afin de pouvoir trouver l’énergie indispensable a la fabrication dudit stuc. Les sols appauvris ne donnèrent plus. Des villes furent abandonnées.
  • Vincent d’Indy, le musicien est mort de typhoïde après avoir mangé un sorbet avarié (c’est vraiment ballot ça)
  • Dans le manuscrit d’un fort prétentieux roman policier je découvre que le manège du Luxembourg que j’ai souvent photographié fut inauguré en 1879 et qu’il fut construit sur les plans de Charles Garnier quatre ans après que l’architecte eut achevé l’Opéra. 
J’y retrouve cette citation de Heinz Wiezman que j'aime assez : "Écrire c’est aller vers l’inconnu avec les moyens de la connaissance" et cette autre de Durkheim : "Est chose, tout objet de connaissance qui n’est pas naturellement compénétrable à notre intelligence, tout ce dont nous ne pouvons nous faire une idée adéquate par un simple procédé d’analyse mentale, tout ce que l’esprit ne peut arriver à comprendre qu’à condition de sortir de lui-même, par voie d’observation et d’expérimentation."
 Heidegger quant à lui répond à la question : qu'est-ce qu'une chose ? : de la façon suivante Une chose est toujours un « chaque fois ceci »". En outre cette chose qui est, présente, à partir de son monde, qui montre non seulement un contour familier et reconnaissable, mais possède aussi une profondeur interne, une autonomie, Heidegger la caractérise comme un "se tenir en soi-même".
Est ce que s'écrier c'est revenir vers le connu sans autre recours que l'ignorance
 
 
 
Je retourne vers mes envers. S'y dessine un monde ravagé mais fluide cependant. Un homme fatigué abruti devant un écran qui diffuse de programmes d'information ininterrompue continue de s'y interroger.
"Mais qu'est-ce donc vraiment qu'une chose ? "

mardi 21 février 2023

Papillons


Voilà,
il paraît que les papillons disparaissent. La perte d'habitats liée à l'artificialisation des territoires, l'agriculture intensive et les effets du  ( et canicules en particulier) en sont la cause. En France, en à peine vingt ans, plusieurs dizaines d'espèces ont déserté des régions telles que l'Île-de-France, les Hauts-de-France, la Normandie, la Bretagne, les Pays de la Loire et dans une moindre mesure le Centre-Val de Loire et le Grand Est. Pour certains de ces départements, 30 espèces n'ont pas été revues depuis 2000. Cela représente plus de 50 % des espèces de papillons de jour qui leur étaient connues. Sur les 301 espèces de papillons de jour de France métropolitaine, 2 espèces sur 3 ont disparu d’au moins un département qu’elles occupaient au siècle dernier. Il paraît que la Grande-Bretagne est encore plus avancée dans ce processus de disparition.
Le déclin chez les insectes — on ne s'en rend pas assez compte — dépasse en ampleur toutes les crises que nous avons connues. "C'est toute la qui est impactée, et donc notre survie", constatent nombre de scientifiques.
Je me suis souvenu de ce papillon photographié au jardin des plantes en Octobre 2021.

lundi 20 février 2023

Mimosas

Voilà
les menus plaisirs de la vie ordinaire. Les rites domestiques : aller au marché Edgar Quinet le samedi matin par exemple. Les joies simples liées au cycle des saisons. Le retour de la lumière et du ciel bleu, même s’il fait encore froid. Les jours rallongent. S'étonner encore et toujours de l'incongruité de cette tour et s'émerveiller en même temps de l’apparition des mimosas comme une promesse de printemps sur les étals.


De semblables circonstances remontent du tréfonds de la mémoire. J'ignorais alors que ces moments anodins demeureraient aussi présents bien des années plus tard. Je crois qu'il existe un poème de Rilke évoquant ce genre de sensation. Ou c'est peut-être quelqu'un d'autre. Des visages de ma jeunesse, dont certains trop tôt disparus n’ont pas connu les flétrissures de l’âge, passent furtivement dans la transparence du jour. Nos frayeurs étaient différentes, alors. Elles tenaient en quatre lettres. La menace toujours planait sur le désir. Autre chose maintenant avance à bas-bruit, qu'on perçoit confusément sans trop vraiment comprendre. Et puis l'odeur et la couleur des mimosas, chasse un temps les mauvaises pensées. Pas au point toutefois que j'en vienne à éprouver ce que le japonais nomme Seijaku, la sérénité au milieu du chaos.

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