jeudi 26 octobre 2017

Sur un réseau social


Voilà,
Sur un réseau social bien connu, un traducteur renommé – dont la réputation n'est pas usurpée – raconte sa relation conflictuelle et tendue aux mots durant sa jeunesse et sa période de formation. Il explique brillamment qu'il manifestait alors une certaine dextérité, disposait d'une technique, mais que tout cela manquait de chair, de vécu. Puis il évoque un moment d'épiphanie dans un jardin public où il aperçoit un volatile qui le fixe. Trente après il s'en souvient intensément. Il évoque tout ce qu'il a ressenti alors et compris. En lisant, j'envie cette façon simple et sans détour de raconter. C'est fluide, direct, sans inutile fioriture. Ça ressemble à sa façon de parler. C'est émouvant. D'une certaine façon je lui jalouse cette manière, cette facilité, parce que pour lui, écrire semble aller de soi. Puis il poursuit en expliquant que suite à cet événement il a composé un poème et que pour la première fois, il lui a paru qu'il écrivait quelque chose de juste et de senti. Ce poème poursuit-il, avait disparu, et voilà qu'il l'a retrouvé par hasard. Bien évidemment il nous en livre la lecture. Pourtant ce poème, supposé illustrer une nouvelle relation au langage, se révèle à mes yeux comme l'exacte illustration de ce à quoi il prétend échapper. Ampoulé, d'une sophistication prétentieuse et un peu vaine, avec cette volonté de faire littéraire, et même savant, d'en mettre en quelque sorte plein la vue. L'écriture est au centre de la préoccupation. Ce n'est pas la volonté d'atteindre le lecteur ou de l'émouvoir qui se manifeste là, mais plutôt la revendication d'un style d'une identité. Le poème comme une pose, une affèterie. Péché de jeunesse, sans doute, mais qu'il se complaît tout de même à nous faire partager. (linked with "The weekend in black and white")
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vendredi 20 octobre 2017

La petite fille de Cinecitta


Voilà,
solitaire dans ce décor médiéval, la silhouette de la fillette inconnue au chapeau m'avait touché sous la lumière crue et violente de cette fin d'été. Le soleil tapait dur. Il ne devait pas être loin de midi. Je garde de cette journée un souvenir particulièrement ému, parce que la surprise était réussie et le sourire de ma fille manifestait à la fois sa joie d'être là et une certaine reconnaissance. À cette époque, je pouvais encore dépenser sans trop compter et marcher allègrement sans excessive fatigue. Toutes choses qui me paraissent à présent aussi enviables qu'improbables. (Linked with the weekend in black and white)

mercredi 18 octobre 2017

L'Homme assis devant la Loi


Voilà,
une de mes histoires préférées de Franz Kafka :
Devant la Loi, il y a un gardien. Un homme de la campagne arrive devant ce gardien et le prie de le laisser entrer dans la Loi. Mais le gardien dit qu’il ne peut le laisser entrer maintenant. L’homme réfléchit et lui demande s’il pourra entrer plus tard alors. « C’est possible, dit le gardien, mais pas maintenant ». La porte de la Loi étant ouverte comme toujours, et le gardien s’étant mis sur le côté, l’homme se penche afin de voir l’intérieur de l’autre côté de la porte. Le gardien le remarque et se met à rire, avant de lui dire : « Si cela t’attire tant, essaye donc d’entrer alors que je te l’ai interdit. Mais pense à cela : je suis puissant. Et je ne suis que le gardien tout en bas de l’échelle. Dans chaque salle il y a un gardien, l’un plus puissant que l’autre. Même moi je ne peux pas soutenir le regard du troisième. » L’homme de la campagne ne s’attendait pas à de telles difficultés ; la Loi doit pourtant être accessible à chacun et à chaque instant, pense-t-il, mais maintenant qu’il regarde plus attentivement le gardien dans son manteau de fourrure, son grand nez pointu, sa barbe noire et mince de Tartare, il décide d’attendre quand même qu’on lui permettre d’entrer. Le gardien lui donne un escabeau et le laisse s’asseoir à côté de la porte. Il reste assis là des jours et des années. Il fait plusieurs tentatives pour qu’on le laisse entrer, et il fatigue le gardien avec ses demandes. Le gardien le soumet fréquemment à de petits interrogatoires, lui pose des questions sur son pays et sur beaucoup d’autres choses, mais ce sont des questions sans chaleur, comme les posent de grands seigneurs, et pour finir il lui dit à chaque fois qu’il ne peut pas encore le laisser entrer. L’homme qui pour son voyage s’est équipé de beaucoup de choses, les emploie toutes, même celles qui ont le plus de valeur, afin de corrompre le gardien. Celui-ci accepte chacune d’entre elles, mais en disant : « J’accepte seulement afin que tu ne croies pas que tu as laissé passer quelque chose. » Pendant toutes ces années, l’homme observe le gardien presque sans interruption. Il oublie les autres gardiens et celui-ci lui paraît être le seul obstacle qui l’empêche d’entrer dans la Loi. Il maudit le malheureux hasard, les premières années brutalement et d’une voix forte, puis, plus tard, devenu vieux, il ne fait plus que ronchonner. Il devient puéril, et comme pendant toutes ces années d’études du gardien il a également vu les puces dans son col de fourrure, il finit par prier aussi les puces de l’aider et de faire changer d’avis le gardien. Enfin sa vue baisse, et il ne sait pas si tout autour de lui s’assombrit vraiment, ou si ce sont seulement ses yeux qui le trompent. Mais, dans le noir, il distingue bien à présent une lueur qui surgit de la porte de la Loi et ne s’éteint pas. Il ne lui reste plus beaucoup de temps à vivre. Avant sa mort, toutes les expériences qu’il a faites au long des années se rassemblent en une seule question qu’il n’a jusqu’alors jamais posée au gardien. Il lui fait signe, car il ne peut plus redresser son corps qui se fige. Le gardien doit se pencher beaucoup, la différence de taille entre eux ayant augmenté, à la défaveur de l’homme. « Que veux-tu donc encore savoir ? lui demande le gardien, tu es insatiable. » « Tous les hommes sont attirés par la Loi, dit l’homme, mais comment se fait-il que personne à part moi n’ait demandé la permission d’entrer ? » Le gardien se rend compte que l’homme approche déjà de sa fin, et, afin que l’autre à l’ouïe évanescente l’entende encore, il lui crie :  "Personne d’autre que toi ne pouvait obtenir la permission d’entrer ici, car cette entrée n’était destinée qu’à toi. Je m’en vais à présent et je ferme la porte."
© Franz Kafka (trad Laurent Margantin)

mardi 17 octobre 2017

Tenter de savoir


Voilà,
"Écrire, c'est tenter de savoir ce qu'on écrirait, si on écrivait" disait Marguerite Duras. S'agit-il pour moi de tenter de savoir ce que je dessinerais si je dessinais, lorsque je fabrique une image ? Quoiqu'il en soit, la douleur m'a réveillé au milieu de la nuit, et je ressemblais à cela. Ma tête, ma mâchoire, mes dents ma gorge me faisaient horriblement souffrir. J'avais envie de crier et peur de vomir. J'ai alors songé dans un état de confusion, qu'il me fallait ne pas perdre de temps et continuer d'écrire, de dessiner, aboutir un certain nombre de projets, parce que peut-être cette douleur plus tard ne ferait qu'empirer au point de rendre toute entreprise impossible. Le souvenir de Deleuze, qui s'est défenestré du fait d'une intenable souffrance, m'a traversé. Et puis celui de Chamfort aussi qui écrivait "Jouis et fais jouir sans faire de mal, ni à toi ni à personne, voilà je crois toute la morale". Jouir, faire jouir, travailler. Ai-je encore assez de forces, assez de temps ? Au petit matin, la radio annonce que le parc des centrales nucléaires françaises est dans un état de vétusté et de dégradation alarmant. Bon, ça relativise. Une chose est sûre, la journée va être difficile.

dimanche 15 octobre 2017

Dernier Soleil


Voilà,
Ce beau dimanche d'Octobre 2016 au jardin du Luxembourg, où tant de gens étaient venus profiter du soleil, je me suis demandé, alors que j'en captais quelques image, si certains, parmi ces promeneurs s'en souviendraient plus tard. Un an après, de nouveau l'été indien est au rendez-vous. L'époque demeure encore relativement supportable, en dépit de ce sentiment de catastrophe larvée qui ne me quitte pas. Les désagréments et des inquiétudes qui me préoccupaient l'année précédente, je les ai oubliés, et d'autres auxquels je ne songeais pas ont assombri ce présent. À ce moment là, comme la plupart des français, je supposais que Juppé allait gagner la primaire de droite et s'ouvrir un boulevard pour être le nouveau Président de la République, ce qui n'avait rien d'enchanteur, et je n'imaginais pas un instant la possibilité que Trump gouvernerait les États-Unis. 
Rien ne s'est donc passé comme prévu, et il n'y a pas pour autant beaucoup de mieux. La vie continue, donc, avec ses désastres écologiques, le pouvoir toujours accru des oligarchies partout dans le monde, la répression policière en Europe de plus en plus sauvage à l'égard des réfugiés venus toujours plus nombreux d'Afrique et du Moyen-Orient, la destruction des classes moyennes européennes dont le niveau de vie ne cesse de baisser, la pollution atmosphérique, la recrudescence de maladies chroniques, l'apparition d'épidémies nouvelles, la multiplication d'actes de barbarie au cœur des démocraties occidentales, la menace de conflits régionaux provoqués par des dirigeants instables imprévisibles et névrosés bref, j'arrête la cette énumération vous pouvez toujours la continuer comme l'a écrit Michaux, dans "L'époque des illuminés", car moi-même je ne me sens pas au mieux. 
Je ne trouve pour ma part que peu de motifs d'espoir et de raisons de me réjouir. Il me semble de plus en plus souvent que nous avons atteint ce moment où l'humanité finit par céder à ce tropisme qui l'entraîne, vers la chute, l'anéantissement, le ravage, en dépit de toutes les grandes œuvres que l'intelligence humaine a pu réaliser. L'hypothèse selon laquelle la beauté sauvera le monde comme le proclamait un personnage de Dostoievski, paraît plus improbable que jamais quand ce siècle semble s'enfoncer dans le chaos et la sauvagerie. En attendant, et faute de mieux, soyons moderne, bricolons dans l'incurable comme le recommande Cioran, dansons au bord du gouffre et du souvenir des jours heureux, tâchons de faire notre miel.

vendredi 13 octobre 2017

Touristes en terrasse


Voilà,
rue Thouin, non loin de la place de la Contrescarpe, Août 2017. Pour tromper ma neurasthénie, je flâne dans cet arrondissement où je n'étais pas revenu depuis longtemps et où j'ai habité lorsque je suis arrivé dans la capitale. J'espère y retrouver une librairie qui n'existe malheureusement plus. Depuis deux trois ans, beaucoup disparaissent, même aux alentours du quartier latin. J'aperçois ces jeunes gens attablés en terrasse. Une fine brume y est projetée pour la rafraîchir. Je voudrais être parmi eux qui me semblent si joyeux, insouciants. J'aimerais être un touriste. Je me sens terriblement épuisé, sans ressort, accablé. Je redoute de mourir seul à Paris au cœur de l'été. (Linked with the weekend in black and white)

mercredi 11 octobre 2017

Les vieux Camarades (portrait de groupe)


Voilà,
quand je m'ennuyais – pendant des lectures, des réunions, des débats, des conversations téléphoniques, des cours, des discussions dramaturgiques – la main cherchait à pallier le désœuvrement, et c'est alors qu'ils débarquaient, les vieux copains. Ni jamais vraiment les mêmes ni tout à fait autres, ils passaient me dire bonjour. Je crois que je les ai connus sur les bancs de la fac. Souvent, il m'est arrivé de m'agacer de leurs visites. Toujours un peu parasites plutôt très négligés, la plupart du temps ils rappliquaient à poil, ou dans des accoutrements stupides – ils adoraient les chapeaux chinois allez savoir pourquoi –. Mais je ne pouvais pas les empêcher. Aujourd'hui encore ils m'occupent d'une certaine façon, sans que je ne sache si c'est pour me distraire ou me coloniser. Plus rares ou plus discrets ces derniers temps, certes, mais pas moins sournois pour autant, ils préférent s'attarder en coulisses. Est-ce à cause de cette course contre la montre qui paraît s'engager ?  On le voit bien ce ne sont pas de grands sportifs. Ils n'aiment rien tant que bader. M'en suis-je lassé ? Ou eux de moi ? Tant qui se détournent ces derniers temps, me trouvant trop sombre sans doute, ou plus très utile. Je fais néanmoins tout mon possible pour donner le change. Je rassemble ce qu'il me reste de forces essayant d'en faire bon usage. Bien sûr, je ne pisse plus très dru à présent et j'ai les articulations douloureuses, je peine en côte, mais sur le plat j'ai encore un bon coup de pédale.

dimanche 8 octobre 2017

L'Etat policier


Voilà,
au risque de passer pour le mec ronchon et jamais content qui voit tout en noir, alors que bon oui quoi tout n'est pas si affreux quand même il suffit de s'asseoir et de méditer comme nous l'a benoîtement recommandé tout cet été Christophe André devenu une sorte de tête de gondole (je reste poli) dans le supermarché France Culture, il me paraît salutaire de relayer ce texte intitulé "Quand la liberté s'éteint en silence" paru dans Mediapart le 4 Octobre 2017 et signé d'Edwy Plenel. Si par ailleurs ce dernier me semble souvent contestable et quelquefois déplaisant à cause de son arrogance, il s'avère en la circonstance tout à fait pertinent dans cet article qui fait écho au lapsus de notre président
"L’Assemblée nationale a adopté, mardi 3 octobre, le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. En faisant entrer dans le droit commun l’état d’urgence, une majorité de députés, socialistes compris, a ainsi choisi de sortir la France de l’État de droit.
Un État de droit est celui dont le droit protège n’importe lequel de ses résidents de l’arbitraire de l’État. C’est un État mis à l’abri de l’absolutisme administratif ou policier. C’est un État où l’État est subordonné à des règles de droit qui lui sont supérieures et qui s’imposent à son action. C’est un État dont les citoyens sont en sûreté parce qu’ils sont assurés de ne pas être livrés aux abus de pouvoir étatiques. C’est en somme un État où l’État ne fait pas la loi.
À cette aune, la France, depuis ce 3 octobre 2017, n’est plus un État de droit. Avec l’entrée dans le droit commun des principales dispositions dérogatoires aux droits fondamentaux et aux libertés essentielles qui caractérisaient l’état d’urgence, l’exception y est devenue la règle. Désormais, l’État, autrement dit ses préfets, son administration, sa police, pourra n’importe quand, n’importe où et contre n’importe qui, en prétextant du terrorisme, mettre en cause notre liberté de circulation, notre liberté de culte, notre droit à l’inviolabilité du domicile, notre droit à l’égalité devant la loi. Et le faire sans avoir à s’en justifier ou à en répondre devant un juge indépendant, dont la décision pourrait l’entraver ou le sanctionner. Avec ce vote écrasant, à l’Assemblée nationale, d’une majorité de la peur (415 voix contre 127, (lire ici le texte de loi adopté et là le dossier parlementaire), il y a désormais une loi des suspects en France. Sur de simples soupçons policiers qui, dans un véritable État de droit, seraient totalement insuffisants pour qu’ils se le permettent, l’administration étatique et son bras armé policier pourront dorénavant s’en prendre à un individu, l’immobiliser, l’entraver, le cibler, l’isoler, le mettre à part et à l’écart, bref le persécuter. Seuls juges du prétexte, le terrorisme, ils pourront, demain, après-demain, en étendre la notion, sans entraves aucune, au gré des émotions populaires et des idéologies dominantes.
La loi votée autorise en effet l’État, son administration, sa police, en dehors de tout contrôle judiciaire, à obliger un individu à « résider dans un périmètre déterminé », c’est-à-dire à ne plus pouvoir en bouger, à le frapper d’une « interdiction de paraître » dans un lieu précis, à soumettre son intimité domestique et familiale à des « visites domiciliaires », soit des perquisitions permettant des saisies, à étendre contrôles d’identité, fouilles de bagages et de véhicules à de vastes « périmètres de protection », à fermer un lieu de culte au seul motif des « idées et théories » qui y seraient diffusées, etc. Et ce n’est là qu’un résumé succinct d’une loi, la douzième loi sécuritaire en quinze ans, qui pousse jusqu’à son terme la corruption du droit par la police et de la preuve par le soupçon.
Aussi inconscients qu’égoïstes, aveugles aux autres et ignorants du passé, les apprentis sorciers qui ont ouvert cette boîte de Pandore liberticide se rassurent en se disant non concernés. Après tout, ne s’agit-il pas de combattre le terrorisme, ses crimes et ses réseaux ? C’est l’argument de l’urgence qui, prise pour l’essentiel, en vient toujours à perdre de vue l’urgence de l’essentiel – autrement dit des principes. C’est surtout l’argument aussi éculé que lâche de la fin qui justifie les moyens, au nom duquel, sous toute latitude, tout régime et toute époque, les libertés ont toujours été passées par pertes et profits. « Je considère que je n’ai pas à avoir peur des moyens de lutte contre le terrorisme parce que je ne me sens pas terroriste », a tôt déclaré le porte-parole du gouvernement, l’ex-socialiste Christophe Castaner, dont l’ancien parti (à cinq prudentes abstentions près) a soutenu sans réserve cette perdition qu’il avait lui-même initiée sous la présidence de François Hollande. Phrase terrible, qui résume ce sacrifice de l’idéal démocratique sur l’autel du terrorisme. Phrase aveugle, de gouvernants prêts à piétiner les libertés des autres pour tenter de justifier leur pouvoir.
« Nous cajolons la bête immonde », avertissait l’avocat François Sureau, défenseur intransigeant des libertés fondamentales, dans un entretien récent à Mediapart (lire ici). Sous l’état d’urgence prolongé mis en place par le gouvernement de Manuel Valls depuis la fin 2015, rappelait-il, « il y a eu 6 000 perquisitions administratives pour 41 mises en examen. Et sur les 41 mises en examen, 20 sont des mises en examen pour apologie du terrorisme, c’est-à-dire des crimes d’ordres intellectuel. Au cours de ces 6 000 perquisitions, vous avez parfois bousillé la vie des gens, vous êtes intervenu dans leurs libertés individuelles de manière brutale pour un résultat extrême faible ».
Et qui ne se souvient de l’utilisation de l’état d’urgence en 2015 et 2016 contre la société tout entière, d’abord les activistes écologiques lors de la COP21, puis les manifestants contre la loi El Khomri ? Qui oserait garantir que, sous ce pouvoir ou, après lui, sous un autre, ajoutant à l’obsession sécuritaire des obsessions idéologiques, autoritaires, identitaires, xénophobes, discriminatoires, etc., ce ne seront pas les militants de toutes les causes minoritaires, dissidentes et nouvelles, celles où s’inventent et se revendiquent des droits nouveaux, qui seront les victimes indistinctes de cet état d’urgence devenu permanent ? Qui pourrait jurer que, demain, ce ne seront pas eux les nouveaux « ennemis de la nation », terroristes en puissance ou terroristes en théorie, selon l’infernale logique des forces conservatrices et rétrogrades, décidées à faire la guerre à la société, à sa richesse et à sa diversité, à son autonomie et à ses luttes ?
Pire que le bruit des bottes, le silence des pantoufles Nous connaissons évidemment la réponse, tant les gouvernants et les élus qui, aujourd’hui, sacrifient nos libertés ne sont que de passage. Irresponsables, ils sacrifient la longue durée d’une démocratie vivante, par conséquent exigeante avec elle-même, au court terme de leur survie. Présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), Christine Lazerges avait pris date, dès juillet dernier, dans un entretien à Mediapart : « Si ce projet de loi est adopté et que l’extrême droite arrive un jour au pouvoir, la France serait dans une situation extrêmement difficile en matière de libertés. Un tel pouvoir n’aurait absolument rien à ajouter à ce texte. »
L’Histoire nous l’a appris, et notamment celle des circonstances – la guerre d’Algérie, guerre coloniale et guerre civile – où est né, en 1955, cet état d’urgence aujourd’hui définitivement légalisé et banalisé : l’introduction de dispositions liberticides est une gangrène qui finit par contaminer tout le corps légal, institutions, administrations, gouvernements. Nous venons de le vivre, en à peine deux ans : tout comme hier l’état d’urgence de 1955 avait débouché sur les pouvoirs spéciaux de 1956, où se déshonora une République tortionnaire, aujourd’hui l’état d’urgence prolongé de 2015 accouche sous nos yeux sidérés d’une remise en cause sans précédent de l’État de droit.
Dans son plaidoyer Contre l’état d’urgence (Dalloz, 2016), le juriste Paul Cassia (ici son blog sur Mediapart) rappelle cette mise en garde lucide d’un membre du Conseil d’État, Roger Errera : « Dès qu’une atteinte aux libertés apparaît, elle fait tache d’huile, elle est progressivement appliquée au-delà des limites fixées au début, quelles que soient les promesses, les barrières et les hésitations, et à d’autres que ceux qui étaient initialement visés. Il arrive même qu’elle s’institutionnalise et que, fruit de l’urgence, elle devienne permanente. » C’était en 1975, il y a plus de quarante ans, et nous y sommes, hélas ! Qui plus est avec un État qui ne peut même plus compter sur la génération de ces hauts fonctionnaires à principes qui, ayant souvenir de Vichy ou de l’Algérie, savaient que la banalisation de l’état d’urgence était la brèche par laquelle le totalitarisme ou, du moins, ses pratiques niant les droits humains avaient fait leur chemin, sous couvert d’une administration ou d’un régime républicains. Dans son entretien à Mediapart, François Sureau soulignait ce terrible renoncement qui, depuis trois décennies, a progressivement gagné presque tout le spectre politique : « Les grandes voix du passé portaient un projet collectif de liberté, et pas seulement un projet individuel. »
Comment ne pas interroger le silence collectif, abyssal, qui accompagne ce saut dans l’inconnu ? « Pire que le bruit des bottes, le silence des pantoufles » : attribuée à l’écrivain suisse Max Frisch, ce constat n’a jamais été aussi pertinent. L’ensemble des défenseurs des droits humains, rassemblés dans ses locaux par la CNCDH, tout comme les experts qui en ont officiellement la charge aux Nations unies, se sont solennellement dressés contre cette dérive. Ces experts des droits de l’homme mandatés par l’ONU n’y ont pas été de main morte, estimant que « plusieurs dispositions du projet de loi menacent l’exercice des droits à la liberté et à la sécurité personnelle, le droit d’accès à la justice, et les libertés de circulation, d’assemblée pacifique et d’association, ainsi que d'expression, de religion ou de conviction »
En vain, rien n’y a fait. Pas un écho, pas un regret, pas une nuance, pas une réserve, pas un recul. Pis, à l’Assemblée nationale, la majorité dévotement dévouée au président qui l’a fait élire s’est empressée de durcir les dispositions les plus controversées que le Sénat, dans sa vieille sagesse, avait tenté d’amoindrir. Cette prétendue société civile qui, surgie de nulle part, prétendait renouveler la politique, via la dynamique du mouvement En Marche! et de son dégagisme parlementaire revendiqué, se révèle sourde et aveugle à la société. Seule la gauche de la gauche – les députés communistes et insoumis reprenant le flambeau des six socialistes frondeurs et écologistes isolés qui, hier, avaient dit non à l’état d’urgence – aura sauvé l’honneur mais sans, pour autant, réussir à mobiliser la société. Aussi ne pouvons-nous nous contenter d’accabler ceux qui ont commis cet attentat aux libertés. Nous devons aussi interpeller l’indifférence, cette passivité massive, qui l’a permis. N’est-elle pas du même ordre que celle qui s’accommode de la détresse des migrants, réfugiés et autres exilés (lire mon précédent parti pris, Le devoir d’hospitalité) ? Cette indifférence, plus essentielle, à l’autre, au différent, au suspect, au musulman, bref au lointain, tandis que nous nous replions sur nous-mêmes ? Comme si nous n’étions pas concernés, sinon par le souci de nous protéger, coûte que coûte.
C’est ainsi que pas grand monde n’a sursauté en découvrant que cette loi dite antiterroriste entend faciliter, étendre, généraliser, bref banaliser encore plus les contrôles au faciès, cette discrimination quotidienne qui frappe la diversité de notre peuple, et notamment sa jeunesse. Même l’historien Patrick Weil, homme modéré par conviction autant que par métier, n’a pu réveiller l’opinion et les parlementaires en leur démontrant que « le projet de loi antiterroriste rappelait le code de l’indigénat », en destinant son dispositif policier à la surveillance d’une population particulière, les Noirs et les Maghrébins, aggravant le champ des discriminations qui blessent l’égalité.
De grandes sagesses philosophiques nous ont pourtant enseigné, notamment après les catastrophes européennes du siècle passé, que le meilleur chemin vers le prochain, c’est le souci du lointain. Que le souci de l’autre mène à soi-même. Si je ne suis pas au rendez-vous des libertés des autres, je ne serai pas au rendez-vous des miennes. Si je laisse mettre en cause des droits fondamentaux, au prétexte de prévenir une menace qui me serait étrangère, je découvrirai, un jour ou l’autre, que j’ai ainsi renoncé à mes propres droits."

vendredi 6 octobre 2017

Romans


Voilà,
désormais il ne parvient plus à finir les romans qu'il lit. Chacun d'entre eux lui semble correspondre à une sorte d'existence en soi. La simple sensation d'en approcher du dénouement l'embarrasse le désole et l'inquiète à la fois. Peut-être qu'à présent, toute idée de séparation ou d'abandon lui est devenue insupportable. Jeune homme Corentin Ribier avait lui aussi entrepris d'en écrire un. Mais, craignant que sa vie ne s'achevât en même temps que l'histoire qu'il s'était appliqué de raconter, il avait fini par renoncer, et d'un geste théâtral jeté son manuscrit au feu. C'était dans la grande maison de granit rose faisant face à la plage et qui a toujours été si difficile à chauffer. D'ailleurs dans l'âtre on a depuis peu disposé un appareil électrique au design élégant comme le dit la notice, pratique pour augmenter notablement la température intérieure. Une simulation de flamme LED, ajustable par un bouton avec un effet de bois de chauffage crée l'ambiance d'une véritable cheminée dans tous types de pièces. Un thermostat contrôle la température intérieure de l'appareil et prolonge, toujours selon la notice, la durée de vie. Aujourd'hui, marchant le long de la grève il trouve que cette angoisse de mort constituait là une bien médiocre excuse à sa paresse. (Linked with the weekend in black and white)

jeudi 5 octobre 2017

Considérations administratives


Voilà,
passé un certain âge, quand on renouvelle un passeport, on redoute toujours un peu d'expirer avant lui
(mais par chance aucun visa n'est requis pour mourir)
shared with  friday face off

mercredi 4 octobre 2017

Cette folie qui gagne




Voilà,
ce qui épuise c'est ce chagrin toujours recommencé face aux effets de cette contagion de folie qui gagne nos latitudes. Impossible de regarder les gens sans céder à la méfiance ou à la suspicion. "L'être humain ne doit jamais cesser de penser. C'est le seul rempart contre la barbarie. Action et parole sont les deux vecteurs de la liberté. S'il cesse de penser, chaque être humain peut agir en barbare." écrivait Hannah Arendt dans "La Banalité du Mal". Il est probable si l'on considère le nombre impressionnant d'actes barbares commis à notre époque de par le monde que notre temps n'est pas celui de la pensée. Parfois il me semble que l'Epoque est ce qu'on appelle en basque un "Goibel", un ciel noir.

mardi 3 octobre 2017

Les Joies de la Géométrie


  
 
 


Voilà, 
depuis quelques jours je reviens à cette forme graphique que j'avais déjà un peu abordée il y a plusieurs mois. Ces trois images, joyeusement colorées avec leurs ces grands à-plats, je les trouve, du plus bel effet sur ce fond noir et, somme toute, assez reposantes. De plus cette figuration géométrique qui confine à l'abstraction séduit par son ambiguïté, puisqu'elle suggère sans pour autant montrer. Elle constitue aussi une forme d'hommage à toutes ces révolutions esthétiques (constructivisme et cubisme en particulier) qui en un siècle ont considérablement modifié notre rapport à la représentation. Et puis les images érotiques, nous relient à notre humanité. Elles ont existé de tous temps depuis l'art pariétal et dans toutes les cultures et toutes les civilisations. Celles-ci pourraient peut-être attendrir des robots, sait-on jamais. Voilà pour l'alibi culturel.
Ces lignes claires, ces dessins propres et ordonnées, ces représentations sommaires, dénuées de complexité, ces images en quelque sorte neutres, aseptisées et sans affect, me rassurent dans un monde chaotique et incohérent, dont jour après jour, les médias par écrans interposés nous somment  de nous accommoder. Oui oui, je sais il y a des gens qui œuvrent à des projets utiles pour améliorer le futur, ou qui consacrent leur fortune au salut de l'humanité, mais pour ma part, j'ai l'impression de plus en plus accablante que le désastre se généralise sans qu'il soit possible d'y faire grand chose. Alors je m'accroche à ces dérisoires activités, tel un idiot moderne (moderne au sens où je maîtrise quelques outils informatiques) pour donner un peu de consistance et de relief à mon existence. D'ailleurs je me beckettise à vue d'œil. Borgne et bien bas. Mais j'imagine encore. J'essaie de me renouveler. Pourquoi pas une vierge à l'enfant, une annonciation, ou une image de l'acrobate sur sa croix ? pour le salut de mon âme.

dimanche 1 octobre 2017

La Passe aveugle de Beauden Barrett


Voilà,
cette année je me serais souvent réveillé tôt le samedi matin pour regarder en streaming sur mon ordinateur des matches de rugby opposant des équipes de l'hémisphère sud, surtout des formations néo-zélandaises. Depuis la mi-août ce sont les équipes nationales qui s'affrontent : les All Blacks néozélandais, les Springboks d'Afrique du Sud, les Wallabies australiens, et les Pumas argentins. Les All Blacks manifestent dans ce jeu une maîtrise et une inventivité telles qu'ils le rendent non seulement spectaculaire mais qu'ils y ajoutent une dimension esthétique qui s'apparente à la chorégraphie, cet art de se mouvoir à plusieurs avec harmonie. Leur style est si accompli que, lorsqu'ils jouent, la question n'est, en général, pas de savoir s'ils vont gagner, mais quelle forme va prendre leur victoire. Bien sûr, et c'est heureux comme cela, il arrive parfois qu'ils perdent une partie car face à eux leurs adversaires sont contraints de se surpasser et de trouver des solutions pour les faire déjouer. La défaite des All Blacks constitue alors un événement, une rupture dans l'ordre de la logique. D'ailleurs, sans doute faut-il remonter loin dans le temps pour constater deux défaites consécutives de cette formation que nombre de nations ne sont d'ailleurs jamais parvenues à vaincre depuis que le rugby existe. 



Et puis, parfois des gestes surprennent, des fulgurances éblouissent par leur caractère imprévisible. Ainsi, cette passe aveugle au cours du match contre l'Afrique du Sud, il y a quinze jours, illustre parfaitement cette réflexion de Jankélévitch, quand il écrit : " la manière de donner vaut mieux que les dons, et la façon de faire est infiniment plus que la chose faite". Toute la philosophie du jeu en Nouvelle-Zélande où le rugby est un fait culturel, au même titre que le bel canto, autrefois en Italie, où tout le monde filles et garçons confondus, est éduqué à cette pratique dès le plus jeune âge,  repose sur la passe, sur la façon de se transmettre la balle, de créer en quelque sorte du lien entre les uns et les autres en dépit de l'adversité. Cette séquence par exemple montre que l'on peut ainsi se trouver sans se voir et que le don n'est pas juste de l'altruisme mais aussi du plaisir dans la reconnaissance de l'autre. Beauden Barrett alors qu'il pourrait, grâce à sa pointe de vitesse marquer tout seul, rend à son coéquipier Nehe Milner-Skuder la balle que ce dernier, quelques secondes auparavant, a interceptée à quatre-vingts mètres de là. Dans la grâce de cet instant, par cette offrande il lui rend ce qui lui revient : la possibilité d'achever ce qu'il a initié.

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