mercredi 31 mai 2023

Un bon conseil



Voilà,
Détruis-toi pour te connaître, construis-toi pour te surprendre, l'important n'est pas d'être, mais de devenir 
— Je veux bien mais quand même, t'as vu ma tronche ? 
 
- Destroy yourself to get to know yourself, build yourself to surprise yourself, the important thing is not to be, but to become
- I don't mind, but you've seen my face ? 
 

lundi 29 mai 2023

Tout ce que nous possédons



Voilà
Que de poètes
sont déjà venus ici,
que de poètes
ont déjà écrit
sur l’éblouissante annihilation,
face à ces dramatiques profils minéraux,
si proches de la motte originelle de glaise
antérieure à la forme ;
des choses
réduites à rien d’autre qu’un amoncellement,
quasi naturelles ;
des choses placées
à la frontière de la main qui travaille, du vent et de l’eau ;
c’est ici
que retentissent les sifflets du vent,
c’est ici
que résonne l’écho de la voix affolée du vide, du creux, de la fente,
silence nuancé de murmures,
et maintenant
je suis l’un de ceux qui voient clair, moi aussi :
l’informe,
le passé monstrueux,
ce furent les sculpteurs de l’inverse
qui les réduisirent à cela,
les auteurs
du cruel théorème
qui nous condamne au présent
et répète
que nous ne savons rien du tout, que rien ne vaut même la peine,
car notre passé et notre avenir ne sont
que des pas vers l’informe pérennité,
et c’est à grand-peine que nous observons
la réalité dispersée par ici et par là,
dans un autre endroit
où nous sommes encore moins existants :
c’est bien nous
qui sommes des fantômes,
et la solidité
est ce qui se tient là-bas,
parmi ces ruines
qui ne cessent de répéter
que cela
– RIEN DU TOUT –
est tout ce que nous possédons.

(Claudio Willer) 

dimanche 28 mai 2023

"Le Futur n'est pas écrit"


Voilà
Dans un entretien réalisé en Mars 2020, c'est à dire pendant le premier confinement, Nicolas Truong demande à la philosophe Claire Marin "comment imaginez-vous le monde d'après". Celle-ci répond "J'ai beaucoup de mal à l'imaginer, parce que, pour reprendre une image de Descartes, il a mille côtés. Il y a tellement de paramètres en jeu, que la représentation du monde qui pourrait en émerger est presque impossible. Je sais, par contre, ce que j'espère. Une prise de conscience à l'échelle collective de la nécessité de repenser notre lecture du monde social, la valeur des métiers, le sens d'une vie en commun, le rapport à la nature. Une réflexion sur la précipitation effrénée de nos vies, la démesure de déplacement, de notre consommation. A l'échelle individuelle, une plus grande lucidité face aux petits contrats de mauvaise foi que l'on passe avec soi-même. Mais je ne suis pas très optimiste quant à la réalité de ces prises de conscience et de ces changements personnels et politiques. Face à catastrophe, on préfère toujours se rassurer en la considérant comme une parenthèse plutôt que comme un avertissement. "
Elle a eu raison de ne pas être optimiste. Il y a quelques jours j'ai lu dans le journal "le Monde" un article effarant, intitulé "Inde, Nouvel Eldorado de l'aviation civile", où il est question d'investissement massifs pour construire des aéroports, acheter des avions et former des dizaines de milliers de pilotes et de techniciens. J'avais pourtant cru comprendre qu'il était nécessaire de décarboner, d'abandonner les énergies fossiles en raison de la crise climatique. Il m'avait semblé que les scientifiques du GIEC avaient prescrit quelques recommandations. Ici en France, notre président avait stupéfié nombre d'observateurs, lors de ses vœux de nouvel an, en faisant part de sa surprise devant la rapidité du changement climatique et des canicules de l'été passé. La semaine dernière il a suggéré une pause réglementaire européenne sur les normes environnementales afin d'accélérer la réindustrialisation de la France.  Des gens essaient pourtant d'éveiller des consciences. Par exemple lors de l’Assemblée Générale de la banque BNP Paribas, des scientifiques, membres du collectif Scientifiques en Rébellion, se sont invités. Venus pour dénoncer son impact environnemental  et confronter le Conseil d’administration de la banque sur ses financements des énergies fossiles., ils ont été hués par l’assemblée des actionnaires. Pareil au C.A de Total hier dont la policie protégeait les actionnaires
Ces comportements vont bien évidemment à rebours de l'Histoire à mesure que l’eau que nous buvons, la nourriture que nous mangeons, ou les sols que nous foulons deviennent toxiques. Le climat se réchauffe, la biodiversité se meurt l’eau vient à manquer, mais on continue cette course à la croissance sans reconnaître cette simple réalité qu'il n'est de croissance infinie possible dans un monde fini. Il est vraisemblablement plus facile de se représenter la fin du monde plutôt que la fin du capitalisme, je suppose. Bien sûr que "le futur n'est pas écrit" comme le prétend Shepard Fairey sur son immense fresque, mais il me semble tout de même, que l'humanité est à l'image de ces alpinistes filmant une avalanche sans réaliser qu'elle va les ensevelir. C'est tellement absurde qu’il ne reste qu'à en rire. En attendant, chaussons nos lunettes de soleil.


jeudi 25 mai 2023

Rue de Nevers

 
Voilà,
le monde futur que nous imaginions lorsque j'étais adolescent et que je commençais à traîner dans ce quartier,  est désormais devenu le monde présent. Nous l'imaginions tout de même fort différent, sans songer que la misère y serait aussi criante. Je me souviens que j'apprenais alors des rudiments d'économie en classe de première.  On y étudiait par exemple "Les cinq étapes de la croissance économique" de W.W. Rostow (je n'ai appris que tout récemment qu'il était sous-titré "un manifeste anti-communiste" dans sa version originale) dont la théorie datait du début des années soixante. Pour lui, le développement était un processus historique linéaire passant par des étapes définies, par opposition à la vision dialectique des théories marxistes. Chaque pays traversait les mêmes étapes pour passer du sous-développement au développement. Ainsi tous les pays seraient en train de parcourir le même chemin, mais en étaient à des étapes différentes. Selon cette théorie, le développement du tiers-monde irait très vite puisqu'il allait bénéficier des acquis et de l'expérience du monde développé. Après une phase d'accumulation du capital il y aurait une phase de décollage permettant aux pays sous développés de "rejoindre" les pays développés. Dans cette théorie, le développement social était une conséquence naturelle du développement économique. Il n'était donc pas nécessaire de s'en occuper. Bref tout irait forcément pour le mieux dans le meilleur des mondes. 
Inutile d'épiloguer sur la faillite de cette vision.
Il existait cependant à ce même moment, des penseurs vigilants qui nous alertaient sur les dangers de la croissance. Les chercheurs du club de Rome, bien sûr, mais aussi des hommes politiques comme Sicco Mansholt, à l'époque vice-président de la commission européenne chargée de l'agriculture qui avait alors adressé, au président de cette-dite commission  une lettre que l'on vient de rééditer dans laquelle conscient des dangers de l'épuisement des ressources naturelles et énergétiques, il préconisait des solutions que suggèrent aujourd'hui les économistes écologistes. Mais ses propos ne trouvèrent d'écho ni à droite ni à gauche. 
Il paraît qu'en raison de notre évolution génétique au cours de centaines de millions d'années, l'humain n'est pas outiller pour penser le long terme. L'instinct de survie face aux animaux sauvages nous a formaté pour le court terme. C'est notre part bestiale qui continue de déterminer nos actes et nos décisions. Et aujourd'hui encore, tout les systèmes d'organisation sociale et politique échouent à résoudre les problèmes du long terme. Et puis personne ne veut faire des sacrifices pour des bénéfices qu'il ne verra pas et qui profiteront aux générations futures. Le slogan de Mai soixante-huit, "jouissons sans entraves ici et maintenant" est devenu le mantra des riches et des puissants d'aujourd'hui qui se vautrent dans le luxe autant que des classes moyennes qui, pour rien au monde n’abandonneraient les miettes qu’on leur laisse. 
 
Je me souviens aussi de de Joffre Dumazedier qui, dix ans auparavant avait écrit "Vers une société des Loisirs", où il envisageait une société axant son économie sur tous les services de loisirs pouvant être proposés, où le temps de travail des salariés serait réduit pour leur permettre de profiter de ces services en pratiquant un sport ou en assistant à une manifestation culturelle, autant d'activités susceptible de stimuler ainsi la croissance économique. C'était l'époque du "club mediterrannée" et du "camping c'est Trigano"

On étudiait aussi "Pour une réforme de l'Entreprise" de François Bloch-Lainé qui n'était pas un brûlot gauchiste, mais qui apparaît aujourd'hui comme une utopie puisqu'on y envisageait un statut du personnel, un statut du capital et la nécessité d'une magistrature économique et sociale. A propos du statut du personnel l'auteur écrivait tout de même ceci "aucune des conquêtes ouvrières n'eût été possible sans l'appareil syndical. L'existence de syndicats forts n'est pas pour autant contraire aux intérêts bien compris d'employeurs animés d'un esprit nouveau. Il faut donc donner aux syndicats les moyens de s'implanter fortement, notamment en reconnaissant la "section syndicale d'entreprise", mais sans compromettre la liberté individuelle des salariés, en leur laissant le choix de s'exprimer par la voie syndicale - voie privilégiée - ou par la voie directe. Pour renforcer les syndicats, notamment par la formation des militants et des responsables, il faut un financement suffisant et libre qu'on peut organiser de diverses manières".
Mais les "employeurs animés d'un esprit nouveau" se sont perdus en cours de route, comme autrefois le dodo, le hutia nain, ou le glaucope cendré
 
Ces livres inutiles je devrais les jeter.

Donc je me suis habitué à voir crever sur le bitume des êtres qui n'ont plus entendu leur prénom depuis longtemps. Combien d'années a-t-il fallu pour que je perde mon humanité ? Certes leurs corps gisants suscitent quelques réflexions, rappellent de lointaines lectures. Mais au fond je ne m'en préoccupe pas plus que la plupart des gens. Si je veux être honnête ces quasi-cadavres suscitent plus de dégoût et d'effroi que de compassion. Ils sont juste le rappel du peu de cas que la société fait de l'existence des plus démunis, l'image de la vulnérabilité et de l'abandon, les figures du malheur et de la souffrance quand partout on nous incite à acquiescer aux représentations d'un bonheur frelaté reposant sur la consommation. Ce ne sont plus des vies mais l'équivalent des vanités de la peinture classique. À ceci près que de la mort, ils n'ont que l'apparence. Ce ne sont pas des crânes posés sur une table. Si leur cœur bat encore, l'image ne le montre pas. Mais c'est ici que je vis. C'est ça que je vois. Et il semblerait que le sens de mon existence tient essentiellement à ce que je vois, ce que je montre, ce que je dis. Il y a en outre ce que je sais, et à quoi je m'efforce de ne pas trop penser. Il faut faire preuve d'une certaine parcimonie pour s'accommoder de la mauvaise conscience. Par exemple, ne pas trop songer à l’enfer des mines africaines. Des métaux rares y sont extraits par des esclaves noirs de tous âges qui travaillent et meurent dans d’abominables conditions. C'est au prix de ces vies et de ces souffrances que l’on continue de fabriquer pour nous ces petites machines si désirables dont il est bien difficile de s'affranchir. Elles sont tout de même assez pratiques n'est ce pas, pour prendre une photo à la dérobée ou noter ce qui nous passe par la tête.
 

mardi 23 mai 2023

Ma créature de tous les jours

 
 
Voilà
Je souffre avec ma créature de tous les jours 
et j'aime avec ma créature de toutes les nuits, 
 mais derrière elle deux il est une autre créature 
qui n'est pas forcément moins pauvre,
avec quoi je palpe un peu les alentours du monde.

Je ne sais quand sont nées mes trois créatures, 
ni quand elles ont appris à se connaître, 
mais les trois écoutent quelque chose qui les appelle 
de derrière le néant 
et savent que le visible est une faille de l'invisible 
et peut-être même un appel de l'invisible, 
qui peut être est seul 
comme une autre créature 
et les attend elles trois
(Roberto Juarroz)
 

vendredi 19 mai 2023

Une Adoratrice du soleil

 
Voilà, 
en Mai 2022, après avoir vu cette magnifique exposition sur la nouvelle objectivité allemande dans les années 20, j'ai remarqué cette femme qui prenait le soleil au milieu des pigeons comme si elle régnait sur ces volailles. Elle me semblait bizarre. Enfin plus précisément, je trouvais bizarre l'idée de venir avec son pliant et de se poser là, de façon si ostentatoire. C'est qu'en fait je n'aime pas beaucoup la minéralité de cette étendue pavée et inclinée s'étalant devant le centre Georges Pompidou.  

jeudi 18 mai 2023

Pas besoin de chercher midi à quatorze heures

 
Voilà, 
c'était aussi simple que ça, il n'y avait pas besoin de chercher midi à quatorze heures, je n'en pouvais plus, j'en avais ma claque, ras-le-bol, ras-la-casquette, plus la force, la foi, le courage, l'énergie de faire face à son indécision, à ses atermoiements, à sa paresse égoïste. C'était physique aussi, je ne supportais plus sa mollesse d'universitaire petite-bourgeoise-bohème ni ses caprices d'enfant gâtée qui pensait que tout lui était dû. 
Parfois elle donnait l'impression qu'elle s’imaginait qu'on était à l’intérieur de sa tête, nous les deux interprètes qu'elle avait sollicités. Elle regardait la scène et nous demandait de recommencer sans indiquer ce qu'elle voulait. Parfois elle baillait quand on proposait de possibles solutions. Si on le lui faisait remarquer elle nous expliquait qu'elle était fatiguée.
Avais-je attendu d'elle plus qu’elle n’était en mesure de donner ? Probable. Sinon je ne me serais pas investi bénévolement dans cette affaire. Toujours est-il qu’il était clair désormais qu'elle n'avait rien à m'apporter intellectuellement, artistiquement, humainement. Je m'étais trompé sur son compte, et je n'avais pas envie de persévérer dans mon erreur. C'est cela que je me reprochais le plus, d'avoir espéré un miracle, une fulgurance, une inspiration qui eût donné à ce projet une autre dimension. Après tout il lui était arrivé d'écrire de bonnes choses auparavant. Mais là vraiment, elle n'était pas très inspirée. Ce n'était pourtant pas faute d'avoir fait des suggestions, des propositions. Sans doute était-elle incapable de trouver la juste distance pour raconter cette relation entre un père et une fille sur fond de rupture sentimentale. En outre, bien que prof d'université avec un titre de docteur en arts du spectacle (ce qui est quand même assez croquignolet) elle se trouvait totalement dépourvue de méthode et d’imagination. 
Était-ce une marque de vieillesse, ou parce que, sentant confusément que le temps m'était compté, je n'avais pas envie de dilapider mon énergie à des foutaises, à une histoire personnelle dénuée d'intérêt, racontée sans originalité ni fantaisie.
Ou bien manquais-je de patience, d'indulgence ? 
Bien sûr il y a des acteurs qui ont besoin de jouer à tout prix (ce qui la plupart du temps veut dire gratuitement), mais pas moi. Pas plus que les gens n'ont un besoin absolu de voir du théâtre, je n'ai besoin d'en faire. Bref, je n'avais pas envie de repartir pour une nouvelle série de répétitions. Une semaine par-ci, quinze jours par là. Et puis il y avait eu le Covid, et de nouveau une semaine ici, quelques jours là. Depuis le temps que ça durait, et que ça ne progressait pas. Et puis entre-temps elle avait fait un enfant. Sans doute avait-elle mieux à faire. Au moins ce projet avait-il servi à ça, pour elle. 
Cela m'est rarement arrivé dans ma vie de quitter un projet. Il y a aussi que pendant quelques mois, j'ai côtoyé une femme d'un authentique talent, d'une persévérance farouche, une véritable artiste ne ménageant pas ses efforts et mue par la nécessité de faire entendre ce qu'elle avait à dire. Qui plus est, respectant les partenaires qu'elle avait embarqués dans sa traversée, toujours soucieuse de leur bien-être et de leur confort. Cela sans doute y était pour quelque chose. 
Et puis, il y a eu "la goutte d'eau qui a mis le feu au poudre" comme disait Maurice Roche, injustement tombé dans l'oubli. Le petit détail apparemment insignifiant mais qui, ajouté à tout le reste m'a incité à prendre la fuite. "J'écris avec mon inconscient" s'était-elle exclamée un jour alors que je lui faisais part de quelques incohérences dans sa pièce ; "conasse pour qui tu te prends ? écris plutôt avec une gomme et un crayon pour faire des corrections" avais-je aussitôt eu envie de répondre, mais je m'étais ravisé par souci de bienséance, pour ne pas la blesser. Cette bêtise, cette prétention me sont cependant restés en travers de la gorge. Cela a suppuré quelques jours et puis  j'ai fini par lui cracher le morceau, c'était fini. 
Quelque jours après, marchant d'un pas léger rue Saint-Antoine, J'ai aperçu cette statue à laquelle jamais auparavant je n'avais prêté attention. C'était Beaumarchais, qui du haut de sa superbe, jetait un petit regard ironique sur les passants. Un grand auteur, lui, ce Beaumarchais qui en 1777, après le succès de sa pièce « Le Barbier de Séville »,  commença à militer pour la reconnaissance du droit d'auteur et créa avec quelques uns de ses semblables, le bureau de législation dramatique, dénommé société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) depuis 1829, et institution toujours en activité. Cette initiative trouva son application lors de la Révolution française, notamment avec l'abolition des privilèges et avec l'inscription des droits d'auteur dans la loi Le Chapelier de 1791 garantissant à tout écrivain ses droits patrimoniaux et moraux. J'ai fait un clin d'œil à Beaumarchais mais il ne m'a pas répondu. Poursuivant mon chemin par cette belle matinée d'hiver, j'ai songé que si ça continuait comme ça, il faudrait que je prenne congé de la basse-cour de l'espèce, que je me fasse ermite. Je me suis souvenu d'une fort jolie série d'émissions sur la solitude entendue l'été dernier. Oui peut-être suis-je devenu définitivement misanthrope, après tout. Quoi qu'il en soit, c'est précisément dans des salles situées à la SACD, que je répète en ce moment en vue d'une reprise de spectacle où j'ai toujours beaucoup de plaisir à retrouver mes partenaires..

dimanche 14 mai 2023

Ailleurs que dans le mensurable

 
Voilà
 "Tout homme aura peut-être éprouvé cette sorte de chagrin, sinon la terreur, de voir comme le monde et son histoire semblent pris dans un inéluctable mouvement, qui s’amplifie toujours plus, et qui ne parait devoir modifier, pour des fins toujours plus grossières, que les manifestations visibles du monde. Ce monde visible est ce qu’il est, et notre action sur lui ne pourra faire qu’il soit absolument autre. On songe donc avec nostalgie à un univers où l’homme, au lieu d’agir aussi furieusement sur  l’apparence visible, se serait employé à s’en défaire, non seulement à refuser toute action sur elle, mais à se dénuder assez pour découvrir ce lieu secret, en nous-même, à partir de quoi eut été possible une aventure humaine toute différente. Plus précisément morale sans doute. Mais, après tout, c’est peut-être à cette inhumaine condition, à cet inéluctable agencement, que nous devons la nostalgie d’une civilisation qui tâcherait de s’aventurer ailleurs que dans le mensurable" Jean Genet in "L'atelier de Giacometti"

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vendredi 12 mai 2023

Perdre son temps relève d'une certaine esthétique

 Voilà,
"Perdre son temps relève d’une certaine esthétique. Pour les subtils de la sensation, il existe un formulaire de l’inertie qui comporte des ordonnances pour toutes les formes de lucidité. La stratégie mise en œuvre pour combattre la notion de convention sociale, les impulsions de nos instincts, les sollicitations du sentiment, exige une étude approfondie dont le premier esthète venu est tout à fait incapable. Une étiologie rigoureuse des scrupules doit être suivie d’un diagnostic ironique de notre servilité à l’égard de la norme. Il importe aussi de cultiver notre habileté à éviter les intrusions de la vie ; un soin doit nous cuirasser contre notre sensibilité à l’opinion d’autrui, et une molle indifférence nous matelasser l’âme contre les coups bas de la coexistence avec les autres".  Fernando Pessoa  in "Le livre de l'intranquillité" (315)

jeudi 11 mai 2023

Un Dimanche à Bagatelle

 
Voilà,
je me souviens très bien de ce dimanche à Bagatelle, vers 2005 ou 2006 où nous étions allés ma fille sa mère et moi, voir, je crois, une exposition en plein air. Il me semble que c'était celle sur les cabanes, ou peut-être cette autre consacrée à Frans Krajcberg je ne me souviens plus exactement. Ce petit bob, très charmant, lui avait été offert, je crois, par Pascal M. et son épouse, mais je n'en suis pas tout à fait certain. 
Chaque fois que je montre cette photo à ma fille, je lui dis en plaisantant "fleur parmi les fleurs", mais en même temps c'est vraiment ce que je pense. Ce dont je me souviens avec certitude, c'est qu'à l'époque elle était assez rebelle avec un fort esprit de contradiction et que je passais beaucoup de temps à la recadrer, et lui expliquer ce qui était licite et illicite selon nos règles de vie. J'aime particulièrement cette photo. Le temps a si vite passé depuis. Presque vingt années dans un battement de paupières. Ces dernières semaines, j'ai eu aussi envie de réécouter "les chansons pour les petites oreilles" d'Elise Caron, qui ont beaucoup bercé son enfance. Je suis très fier de lui avoir fait découvrir ça. Je trouve ce disque toujours aussi génial. Depuis quelques semaines, elle vit à Barcelone. Que cet être si délicieux soit apparu dans ma vie, est ce qui a pu m'arriver de mieux. 

lundi 8 mai 2023

L'inexplicable roc

 
Voilà,
"Quatre légendes nous rapportent l’histoire de Prométhée : selon la première, il fut enchaîné sur le Caucase parce qu’il avait trahi les dieux pour les hommes, et les dieux lui envoyèrent des aigles, qui lui dévorèrent son foie toujours renaissant. 
Selon la deuxième, Prométhée, fuyant dans sa douleur les becs qui le déchiquetaient, s’enfonça de plus en plus profondément à l’intérieur du rocher jusqu’à ne plus faire qu’un avec lui. 
Selon la troisième, sa trahison fut oubliée au cours des millénaires, les dieux oublièrent, les aigles, lui même.
Selon la quatrième on se fatigua de ce qui avait perdu sa raison d'être. Les dieux les aigles se fatiguèrent, fatiguée, la plaie se referma. 
Restait l’inexplicable roc. – La légende tente d’expliquer l’inexplicable. Comme elle naît d’un fond de vérité, il lui faut bien retourner à l’inexplicable" (Franz Kafka)
 

dimanche 7 mai 2023

Les petits signaux

 

Voilà 

En même temps que je songeais qu’il faut savoir interpréter les petits signaux que la vie nous fait, deviner le monde, le palper avec sa pensée, je me suis souvenu de tous ces animaux domestiques morts pendant l'enfance, et combien leur perte à chaque fois, m’avait affecté, parce qu'ils étaient les êtres vivants dont je me sentais le plus proche. Et puis par un inexplicable saut sémantique j’ai réalisé que durant sept mois j’ai été le contemporain de Robert Walser, qui trouva la mort en décembre 1956 au cours d'une balade. Il existe deux photos de son corps inerte gisant dans la neige. J'ai déjà eu l'occasion de l'évoquer, lui que Franz Kafka cite avec admiration dans son journal. Le suisse de trois ans son ainé, avait alors déjà publie des poèmes, de courtes pièces de théâtre, et le roman "Les enfants Tanner". 

Walser était un grand adepte de la promenade (c'est le titre d'un des ses livres) dans laquelle il trouvait à la fois réconfort et inspiration. Je partage aussi ce goût pour la flânerie, à laquelle, de façon générale, l'art de la photographie doit beaucoup. C'est en 2017, musardant dans cette friche qui s'appelait "Les grands voisins"  à l'emplacement de l'ancien hôpital Saint Vincent de Paul, et qui fut quelques temps un endroit un peu festif, que j'avais repéré ce mur, avec un papier collé et une peinture murale.

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vendredi 5 mai 2023

Les quatre saisons

 
 
Voilà, 
cette silhouette voûtée à la démarche opiniâtre et presque mécanique avait immédiatement attiré mon regard. Cette apparition très théâtrale et saugrenue à la fois (sans doute à cause de la casquette et de l’imperméable) évoquait des personnages de Beckett, vus dans un film qu'il avait lui-même réalisé. Peut-être parce que ce petit homme plié en deux n’ayant plus d’autre horizon que le sol exprimait l’acharnement à durer qui caractérise les figures du dramaturge irlandais. J’ai eu la tentation de recadrer l’image sur les deux personnages, parce que j’ai vraisemblablement saisi la scène une seconde trop tard, pour que l’image soit mieux équilibrée. Mais j’aime qu’il y ait aussi ce panneau d’interdiction étrange avec la silhouette d’un piéton et le nom au dessus de l’étal de primeurs qui raconte que ces deux silhouettes ne sont pas à la même saison de leur vie.

mercredi 3 mai 2023

Ainsi vont les choses

 
Voilà, 
des ombres menaçantes se seraient glissées sous le lit. Soudain saisi d'effroi.
Ce n'est pas vraiment un cri qui surgit du corps, plutôt une sorte de plainte apeurée pareille à un long brame. 
Sortir du sommeil en battant des bras frapper le matelas s'apercevoir qu'il n'y a rien en dessous du lit et que ce n'est pas une autre maison vétuste, mais la sienne, juste la sienne et que la ville n'est pas minée et qu'il n'est d'intrus animés de mauvaises intentions
Il en est toujours ainsi,  
tapi dans un coin de son espace onirique, le rêveur demeure le maître invisible des lieux, prêt, quoi qu'il arrive, à réveiller le dormeur si une image, un peu trop perturbante, prend brusquement toute la place et de la sorte occulte le récit.
Mais tout de même, en sueur, tremblant, le rêveur s'interroge. 
Est-ce là l'issue d'une longue apnée ? 
Une rétroaction du futur comme dans le film "La jetée" ? 
Est-ce la mort installée en tapinois dans les cellules qui soudain s'autorise, à la faveur du sommeil quelques effractions, histoire de disséminer subrepticement des bouts de son funeste message ? 
Se rendormir tant bien que mal. 
Au matin toujours les mêmes voix, faussement enjouées. Étrange comme elles semblent prendre plaisir à énoncer des catastrophes comme si ça devait ne jamais les concerner. Est évoqué un scientifique spécialiste en intelligence artificielle. Pour manifester son désaccord et ses craintes relatives à la mise sur le marché d'un produit dont il estime les perspective d'avenir effrayantes, il a décidé de quitter son entreprise-monde. Se rendormir.  
Vagues songes peuplés de murmures et bruissant de questions. "La vie est un chemin parsemé de pierres et de défis... Est-il vrai que tout est simplement là, à notre portée ?...  Et que faire de tant d'abîme pour si peu de ciel ?". Et puis entre veille et sommeil, se mêlent sensations anciennes et paysages autrefois aperçus. Les draps moites collent à la peau. Les cauchemars et les angoisses se dissipent dans la torpeur du corps abandonné. Il serait si bon et si simple de quitter l'existence de la sorte.


Dehors le monde suit son cours. Il recommence à faire chaud.

 
 
 
Des choses aberrantes y adviennent. Mineures certes, mais aberrantes tout de même, augurant peut-être de bien pires anomalies. On s'en étonne, on s'en amuse, on peut trouver même ça formidable, mais il est possible que l'on déchante à terme. Bref, John Lennon, mort depuis quarante trois ans, chante avec Mac Cartney, une chanson à laquelle il n'a pas contribué, dont il n'a jamais prononcé les mots, et sans qu'une telle possibilité pût même être envisagée par l'auteur de la chanson.
 
 


ou bien encore une de ses compositions réorchestrée dont il n'existait que des versions démo.
et l'on imagine que les quatre sont encore vivants et ont joué ensemble
comme si rien n'était advenu comme si la mort n'avait pas frappé
 


 ainsi vont les choses
 

lundi 1 mai 2023

J'aime Paris au mois de Mai


Voilà,
il faut prendre les choses comme elles s'offrent. Cette douceur dans l'atmosphère, même trompeuse, il faut la recueillir. En profiter. On ne sait pas de quoi seront faits les mois qui viennent. On en a quand même une vague idée. Le retour des jours heureux, les lendemains qui chantent personne n'y croit plus guère désormais. Cependant, ici en Europe de l’ouest, tout le monde fait l'autruche. 
On parle beaucoup moins de la guerre en Ukraine, comme si le contexte se résumait là-bas à un statu quo. Mais enfin les guerres ça évolue et la situation est bien plus tendue qu'il y a un an. Il suffit d'une étincelle. Et puis il y a aussi des répercussions économiques, alimentaires. En outre, ça contamine aussi beaucoup l'air les rivières les sols. On n'a toujours pas épongé, en Europe, les ravages écologiques de la deuxième guerre mondiale, nul besoin d'en remettre une couche, par les temps qui courent, avec le réchauffement climatique, la multiplication des pollutions de toutes sortes, l'extinction des espèces. Je n'en ai que trop parlé au cours des dernières années. La nature humaine étant ce qu'elle est, non seulement elle continue de s'aveugler du désastre existant, mais elle en invente de nouveaux.
Soyons dupes des effets d'annonce et passons à autre chose.
Cette photo je l'ai prise très tôt un matin de l'année dernière. Il commençait à faire très chaud et seules les premières heures de la matinée étaient supportables. J'aime quand la Seine, est ainsi étale, lisse, captant parfaitement les reflets de ses berges. Alors de vieux refrains remontent du tréfonds de la mémoire. On se met à fredonner. Et l'on se prend à envier ces temps où l'avenir semblait chargé de promesses et d'espérances, ou Paris n'était alors pour moi qu'une ville inconnue et lointaine, uniquement racontée en chansons.



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