dimanche 30 avril 2023

Calembour

 

Voilà,
j'ai vu ça il y a longtemps, en 2017, je ne sais plus sur quel mur de Paris, un collage-calembour que même les non-francophones comprendront facilement :"Mohamed Dali". Je ne me souviens plus qui a réalisé cette image. Après une rapide recherche sur internet, j'ai constaté que plusieurs artistes ont eu l'idée de ce montage, avec différentes photos, de sorte qu'il semble bien difficile d'attribuer la paternité de cette idée à qui que ce soit. Ce qui me plaît particulièrement dans celui-ci, c'est son économie. Il suffit d'adjoindre les célèbres moustaches du peintre surréaliste au visage du boxeur pour que l'on comprenne immédiatement. 
Mohammed Ali, qui avait justifié son refus d'être enrôlé dans l'armée américaine pour faire la guerre du Vietnam au prétexte qu'aucun vietnamien ne l'avait jamais traité de négro, argument tout à fait imparable, frappé au coin du bon sens, et d'un humour assez subtil.

mercredi 26 avril 2023

Violente averse


Voilà,
aux beaux jours précédents — ceux du weekend de Pâques où je pris mon premier bain de mer de l'année — avaient succédé quelques journées de fortes pluies. Cet après-midi là, j'étais allé visiter le musée Fabre. En sortant, il m'avait fallu, à cause d'une violente averse, trouver refuge dans un des kiosques de l'esplanade et y attendre une accalmie. L'occasion de prendre une photo à La Saul Leiter, à travers la bâche de la terrasse dégoulinante de pluie. 
Une année entière s’est écoulée depuis. Cela me semble pourtant bien loin, presque dépourvu de réalité. Comme si cela n’avait été que le fruit de mon imagination. Je me suis perdu en cours de route. J’ai décroché. Un peu comme ces coureurs cyclistes dans le tour de France, lors des épreuves de montagne. Ils sont dans l’échappée, ils roulent dans un peloton, et puis tout d'un coup il ne tiennent plus la cadence. Soudain c’est comme s’ils faisaient du sur-place. Les voici aussitôt distancés. Que s’est-il passé ? Je ne le sais pas, je n’ai rien vu venir. Je ne suis plus dans le mouvement. 
Tout me paraît plus absurde que jamais. Pourtant j’ai bien été occupé ces derniers mois, j’ai socialisé, j'ai pris des trains, vu d'autres villes, logé dans des hôtels, des maisons étrangères, revu des amis perdus de vue depuis longtemps. J’ai contribué à la réalisation d’un projet exigeant sur le plan artistique et d'une certaine façon socialement nécessaire. Je me suis senti utile et compétent. J’ai aussi eu la détermination de renoncer à un autre travail qui avait perdu de son attrait et qui se révélait une perte de temps manifeste. J’ai des perspectives professionnelles à court terme. Mais voilà, est-ce à cause du covid contracté un deuxième fois en Novembre ?  Ou bien en raison d’une certaine chute ? Ou alors est-ce le départ de ma fille partie étudier à l’étranger quelques mois ? Toujours est-il que depuis le début de l’année une grande lassitude me gagne. 
Les tâches les plus simples m’agacent et m'exténuent. Je n’ai rien envie de faire, à part traîner au lit, voir des expositions aller au cinéma. Je gamberge beaucoup. J'envisage de plus en plus souvent ma propre disparition. Sans pour autant parvenir à le faire très sereinement. Il faudrait que j'anticipe et prenne les dispositions appropriées, tant que je suis à peu près valide. Ça serait toujours ça de fait. Je ne suis vraiment pas doué pour les choses concrètes.
Je dors mal. Je me réveille la nuit. J'écris ceci depuis l'insomnie. Les conversations à la radio m'exaspèrent. Heureusement il y a la musique, et le merle aussi qui chante au matin. Mon ami le merle qui parfois vient siffloter près de la fenêtre de la cuisine.
 
 
 

lundi 24 avril 2023

Mais il y a toujours quelque chose qui m'échappe (12)


 
Voilà
ça me revient
la copine de mon frère, quoique beaucoup plus jeune que lui, l'appelait "bébé". Je trouvais ça totalement ridicule.
 
ça me revient
cette séquence du film d'Oliver Stone "Né un 4 juillet" où l'on voit deux vétérans de la guerre du Vietnam en fauteuil roulant sur une route en train de s'engueuler, chacun se vantant d'avoir tué beaucoup plus de viets que l'autre. Le plan qui suit montre deux fauteuils vides renversés sur le bord de la route. On comprend que les deux paraplégiques que l'on voit inertes en contrebas, dans un fossé ont fini par se battre jusqu'à épuisement. Cette séquence résume assez bien la nature humaine. L'humanité est plus constituée de blaireaux de ce genre que de Monteverdi, de Michel-Ange, de Noureev, de Fleming, bref de génies qui contribuent au bien-être de l'humanité et à prodiguer la beauté dans ce monde. Le mal et la cupidité se répandent plus vite et plus largement, que la bonté et la générosité.

ça me revient
j'ai d'abord dessiné des voitures de courses et des hydroglisseurs de profil sur des feuilles à petits carreaux. Ensuite des joueurs de football aux formes carrées dont les bustes étaient de face et les têtes et les jambes de profil. Il y eu pendant l'hiver 1968, la mascotte des jeux olympiques qui s'appelait Shuss. Au Kremlin-Bicêtre, quand j'étais en quatrième j'ai dû dessiner des chanteurs et des musiciens de rock. Entre la troisième et la terminale je n'ai aucun souvenir. Après j'ai dessiné des têtes avec des boyaux et des estomacs, et puis ensuite des silhouettes maigres et tourmentées
 
ça me revient
cette photo a été prise au musée de l'Orangerie des Tuileries, sans que je puisse pour autant me rappeler l'année ni les circonstances.
 
ça me revient
des noms de grands sportifs de mon enfance : Philippe Gondet qui avait marqué le but de la victoire contre la Yougoslavie et permis à la France de se qualifier pour la coupe de monde de 1966, Donald Campbell et le bluebird proteus qui avait battu un record de vitesse sur le lac salé Eyre en Australie — on en parlait dans le journal de tintin —, Alain Mosconi le champion de natation français qui appartenait au cercle nageur de Marseille, Eusebio qui jouait au Benfica de Lisbonne dans les années 60 et qui je crois avait fini meilleur buteur de la coupe du monde en Angleterre

ça me revient
les disques Play Bach de Jacques Loussier adaptation de Bach en Jazz, qu'Agnès avait dans sa chambre

ça me revient
le clochard un jour qui m'apercevant et me montrant du doigt a hurlé "papa je te reconnais". Il avait l'air pourtant bien plus âgé que moi.

ça me revient le livre "Commentaires" de Chris Marker édités au Seuil dans lesquels il y avait des textes, des photos et une mise en page singulière avec une typographie en caractères gras. Il y en avait un chez Philippe et Dominique.

ça me revient
les stylos Baignol & Farjon

ça me revient
le numéro 300 des "cahiers du cinéma" conçu et réalisé de bout en bout par Jean-Luc Godard. Je ne sais pas à partir de quand la typographie du titre est devenue la même que celle des cahiers de l'art, édité par Christian Zervos dans les années 20

ça me revient
on parlait parfois de l’UNESCO dans le journal de tintin

ça me revient
dans les années 2004 ou 2005 j’écoutais beaucoup l’album d’Anja Garbarek "Smiling and waving"

ça me revient
"C'est dans le vide de la pensée que s'inscrit le mal" Hannah Arendt

ça me revient
Armande Altaï et Mama Bea Tekielski, qui se produisaient l'été à Villeneuve-lez-Avignon, dans les années soixante-dix, pendant la durée du festival.
 
ça me revient
le slogan publicitaire dans les années soixante : "le camping c'est Trigano"
 
ça me revient
quand j’étais enfant les épreuves de ski alpin étaient retransmises en direct à la télévision
 
ça me revient 
Telstar le tube des Tornados et Apache, celui des Shadows (il existe aussi une belle version de Telstar par les Shadows ). Quand j’étais enfant le son de ces deux instrumentaux me fascinait. C'était au temps de la conquête spatiale naissante qui donnait au présent un petit air de science fiction.

ça me revient
Lors de sa sortie le film de Roberto Begnini "La vie est belle" m’était apparu d’une indécence insupportable. je me souviens d'ailleurs d'un dessin d'Art Spiegelman à ce sujet

ça me revient
dans les Landes on appelait une coque, un pain qui faisait à peu près la taille d'une chocolatine
 
ça me revient 
il y a deux ans en Janvier mon oncle m'avait appelé pour me dire officiellement qu'il était en dépression, courant avril il m'avait annoncé qu'il avait un vague cancer fin Aout il avait quitté ce monde. Entre temps il avait eu le temps d'acheter une nouvelle maison —  sa façon sans doute de s'accrocher à la vie — et de découvrir la musique de Monteverdi — manière peut-être de se préparer à la mort. En fait non, ça ne me revient pas, j'y pense au contraire assez souvent.

ça me revient
On écoutait Pino Daniele, Antonello Venditti (Sotto il segno dei pecci), Lucio Dalla on buvait on fumait on déconnait, on ne s’en faisait pas trop, on prenait les choses comme elles venaient. La gauche était passée on sentait que les choses changeaient. C'était à l'époque du spectacle Dell'inferno

ça me revient
quand j'étais jeune, sensiblement à l'époque dont je parlais ci-dessus, j'aimais bien l'été chausser des Fairmount blanches avec leur semelle en crêpe rose

dimanche 23 avril 2023

Sur le mur d'une école

 

Voilà,
quelque part dans le vingtième arrondissement de Paris, rue de la Mare, mais je n'en suis plus très certain. Un matin, j'étais allé déposer des livres des éditions "Aux cailloux des chemins" dans deux librairies du quartier. J'ai photographié cette fresque, aperçue en cours de route. De loin j’avais cru à une mosaïque. Elle orne le mur d'une école. Hors cadre, près de la borne des vélos, une femme en conversation au téléphone a dit "c'est bien tenté, tu as voulu faire d'une pierre deux coups, mais c'est limite méprisant ta proposition". J'ai poursuivi ma route. C’était un jour gris, et cette couleur là, tout à coup, avec tous ces animaux surgis de l’enfance, ça faisait plaisir, juste plaisir.

vendredi 21 avril 2023

Beach Luxury Hôtel


Voilà,
j'ai retrouvé de ce que j'avais écrit, alors que je venais tout juste d'arriver à Karachi, ce 22 Août 1991 : "mes habits collent à la peau et je ne réalise pas bien ce que je fais ici dans la chaleur moite de la mousson. Je suis fatigué, je n'ai pas envie de me baigner. De toute façon l'eau est sale. Je voudrais pourtant me débarrasser des scories du voyage. Je ne me sens guère à ma place dans ce luxe désuet. Tout autour, dans la mangrove, c'est un grand vacarme d'oiseaux que je ne vois pas. Ça pupule grisèle et caracoube de partout. C'est exotique mais ça ne chasse pas cette mélancolie qui m'accompagne encore, même sous ces latitudes. Que n'ai-je emporté les pensées pour moi-même de Marc-Aurèle". 
Je ne me serais jamais rendu là-bas si un ami diplomate, en poste au Pakistan, ne m'y avait invité. Quand je suis revenu en Europe quelques semaines après, le monde comptait de nouveaux pays, anciennes républiques de l’Union Soviétique qui s’étaient affranchies de la suzeraineté de Moscou. L'URSS, n'existait plus.

mercredi 19 avril 2023

Un certain anniversaire



Voilà,
peut-être existe-t-il un monde parallèle où l'on dit phanérothyme plutôt que psychédélique. Ce dernier terme a été inventé en 1956 par le psychiatre H. Osmond, dans un échange épistolaire avec Aldous Huxley.  Tous deux cherchaient comment désigner ces substances dont ils découvraient les effets sur la connaissance du psychisme. Huxley, en réponse à une proposition d'Osmond qu'il n'avait pas comprise, avait, à partir de deux mots grecs anciens (le verbe phaneroein et le nom thymos), forgé le terme phanérothyme qui peut se traduire par "qui rend l'âme visible, manifeste" et  avait conclu sa lettre par ces vers :
To make this trivial world sublime,/ Take a half a gramme of phanerothyme.  
 (Pour rendre ce monde trivial sublime, Prenez un demi-gramme de phanérothyme.)
 auxquels Osmond avait répliqué par ceux-ci :
To fathom Hell or soar angelic, / Just take a pinch of psychedelic.
(Pour comprendre l'enfer ou surgir angélique, /Prenez juste une pincée de psychédélique.
 
Quoi qu'il en soit, demain cela fera 80 ans que, après avoir isolé le principe actif du LSD. le suisse Albert Hoffman, chimiste employé aux laboratoires Sandoz à Bâle, absorba, volontairement, par voie orale, une infime dose de 250 μg du dérivé de l'acide lysergique. Il ressentit alors des sensations euphorisantes accompagnées d’hallucinations... Bien plus tard on découvrit leurs similitudes avec celles provoquées par l'ergot de seigle, un champignon qui contient aussi de l'acide lysergique, qui au moyen-âge pouvait parfois se retrouver dans la farine du pain et entraîner ce qu'on appelait alors le "mal des Ardents" ou le "feu de Saint-Antoine".
Dans son livre "Voyage acide" paru en 1970 il restitue les notes prises lors de cette expérience et en relate les différentes phases  : "16h20 : Absorption de la substance. 17h, Début d’étourdissement, angoisse, troubles de la vue, paralysies, rires. Retour en vélo à la maison". Lors de ce retour à domicile, il fut sujet à des hallucinations. Ce tour de vélo restera mythique, puisqu’il s’agit du début du premier « trip » jamais décrit. En effet une fois rentré chez lui, le chimiste suisse consigna par écrit les impressions qu’il continuait d’éprouver : "Je commençais alors progressivement à apprécier ce jeu insolite de formes et de couleurs qui continuait derrière mes yeux fermés. Des formes fantasmagoriques et bariolées déferlaient sur moi en se transformant à la manière d’un kaléidoscope, s’ouvrant et se refermant en cercles et en spirales, jaillissant en fontaines de couleurs (...) Un démon avait pénétré en moi, il avait pris possession de mon corps, de mes sens et de mon âme. Je sautai, je criai pour m'en débarrasser, mais finalement, je retombai épuisé sur le canapé. La substance que j'avais voulue expérimenter avait eu raison de moi. (...) Par moments j'avais l'impression d'être en dehors de mon corps ; et dans ces moments-là, comme observateur extérieur, je prenais conscience de tout le tragique de ma situation. (...) Lentement, enfin je revenais d'un monde étrange, inquiétant, dans la réalité quotidienne familière".
C'était donc en 1943 en Suisse. Pendant ce temps tout autour, les nazis occupaient l'Europe. Le même jour, commençait l’insurrection désespérée du Ghetto de Varsovie qui devait durer un mois et demie. Trois cents mille juifs y trouvèrent la mort. À se demander parfois si notre monde si cruel incohérent et tourmenté où coexistent des réalités si diverses, n’est pas lui-même l’hallucination de quelque divinité ivre.

lundi 17 avril 2023

Hier Ahmad Jamal...

Voilà, 
Hier Ahmad Jamal a quitté ce monde. Il s'y sera longtemps attardé, et aura contribué, "avec ses deux mains droites" sinon  à le rendre plus beau, du moins à le rendre plus supportable pour bien des gens. Il est souvent venu jouer en France qui l'aimait bien, et qui aime le jazz que le musicien qualifiait de "musique classique américaine". La radio nationale lui consacre d'ailleurs ce soir deux émissions. Open Jazz et aussi Banzzaï, avec de nombreux enregistrements réalisés à la maison de la radio où il fut régulièrement accueilli. J'aime particulièrement ses interprétations de Poinciana que j'écoute souvent. C'est cet air que je voudrais emporter dans l'autre monde.
C'est aussi un homme qui aura beaucoup aimé Marseille, qu'il considérait comme "sa deuxième maison". Il a donné le nom de cette ville à un de ses derniers albums, lui consacrant un poème qui accompagne sa composition. Il existe trois version de ce morceau, une instrumentale, une autre interprétée par Mina Agossi, et une autre interprétée par Abd Al Malik.
 
MarseilleJe marche souvent seul dans tes ruesEt trop souvent, j'y ai disparu
MarseilleMon cœur si seul cherche ta caresseCar ma vie est trop remplie de tristesseMarseilleDe ta mer de splendeurs et de regretsDe ton soleil implacable jusqu'au soir tard
MarseilleTa voix ne cesse de m'appelerMarseille, Marseille, ville d'éternitéMarseilleOui, tes monuments abondent en nombreTes mystères, au-delà des hommes, nous comblent
MarseilleJamais je ne pourrai regretter le jour béniOù je t'ai rencontré, ouiMarseilleDe ta mer de splendeurs et de regretsDe ton soleil implacable jusqu'au soir tard
MarseilleTa voix ne cesse de m'appelerMarseille, Marseille, ville d'éternitéOui, d'éternitéMarseilleJamais je ne pourrai t'oublier
MarseilleJe marche seul dans tes ruesEt trop souvent, j'y ai disparuMarseille, oui
MarseilleJe marche souvent seul dans tes ruesOui et tu sais, trop souvent j'y ai disparu
Oh, MarseilleMon cœur si seul cherche ta caresseCar ma vie est trop remplie de tristesseMarseilleDe ta mer de splendeurs et de regretsDe ton soleil implacable jusqu'au soir tard
MarseilleTa voix ne cesse de m'appelerOui, elle susurre à mon oreilleMarseille, ville d'éternitéTes monuments abondent en nombreTes mystères, au-delà des hommes, nous comblent
MarseilleJamais je ne pourrai t'oublierJamais je ne pourrai regretter le jour où je t'ai rencontréMarseilleRien que la sonorité de ton nomM'apporte des frissons
MarseilleDe ton soleil implacableDe ta mer de splendeurs et de regretsMarseilleJamais, non jamais, je ne pourrai t'oublier
MarseilleDe ton soleil implacableMer d'éternitéVille d'éternitéMarseille
MarseilleTa voix ne cesse de m'appeler, ouiMarseilleDe ta mer de splendeurs et de regretsVille d'éternitéMa vie est remplie de toiMarseilleOui, c'est ainsi
Je marche seul dans tes ruesEt trop souvent, j'y ai disparu
Oui, MarseilleJe ne peux t'oublier tellement je t'aimeVille lumièreMarseilleLorsque j'arpente tes trottoirs le soirMarseilleAinsi soit-il
 

dimanche 16 avril 2023

Au théâtre du Rond-Point

 
Voilà, 
au Théâtre du Rond-Point, collée contre un mur, on ne peut pas rater cette reproduction d'un dessin de Roland Topor qui fut un dessinateur génial et un écrivain non dénué de talent, dont le rire était une des choses les plus réjouissantes que l'on pouvait entendre. Surprenant de trouver ce dessin dans un tel lieu, car c'est tout de même lui qui a dit "faire du théâtre c'est le meilleur moyen de ne pas s'y ennuyer". 
Je l'ai croisé dans ma jeunesse quelquefois, tard la nuit, dans certains bars à vins de Montparnasse, où lorsqu'il était bien éméché il organisait des courses de camembert. Le principe était le suivant : on coupait un camembert bien fait en deux, on posait chaque moitié en haut d'un plan incliné (une ardoise posée sur des corbeilles et le tour était joué), on y traçait une ligne d'arrivée et on laissait couler en buvant des verres. Celui dont la part arrivait en dernier payait sa tournée. 
Topor, trop tôt et si soudainement parti il y a exactement 26 ans…

vendredi 14 avril 2023

Sur mon balcon


Voilà,
le bulletin d’information de la radio insiste ce matin sur la probabilité d’une sécheresse estivale forte sur presque tout le territoire français, avec des incertitudes concernant les quantités de pluies attendues au printemps dont on sait d’ores et déjà qu’elles ne suffiront à recharger les nappes phréatiques. Le risque est même «très fort» dans près de la moitié des départements métropolitains. Il y a aussi le constat que, année après année, les océans battent de nouveaux records de chaleur. Début avril, les eaux de surface des mers du monde ont enregistré une température moyenne de 21,1 °C, a relevé l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA). Un record depuis le début des relevés, en 1981. Sur le net, la tendance est plutôt à s’alarmer sur la disparition des insectes. Une catastrophe, une de plus serait en cours. « Les insectes, qui sont à la base de la chaîne alimentaire, sous-tendent tout le reste. Il est difficile de voir comment les humains pourraient survivre sans les insectes. Peut-être qu’une poignée vivoterait, mais leur existence serait lugubre, morne. La civilisation disparaîtrait, de même que quasiment toutes les espèces de plantes et d’animaux. Ce serait un monde sans nourriture ou presque, sans fleurs, sans couleurs ». Le biologiste Dave Goulson a publié un livre à ce sujet. Ce n’est pas une découverte, cette situation. L’alerte a déjà été donnée voilà bien des années.. Mais comme le disait Churchill « Tous les êtres humains trébuchent un jour sur la vérité. La plupart se relèvent rapidement, secouent leurs vêtements et retournent à leurs préoccupations, comme si de rien n’était ». C’est peut-être ça ce qu’on appelle être positif. S’oublier dans le présent en se disant qu’on n’a pas choix. Quoi qu’il en soit, cette photo a été prise en mai 22, sur mon balcon.

jeudi 13 avril 2023

De vieilles affiches lacérées


Voilà,
en septembre 1983 — je suis certain de la date car sur la planche contact se trouvent des photos de l'enterrement de Tino Rossi — j'ai réalisé une série à partir d'affiches lacérées que les murs et les palissades de Paris offraient au regard des passants. Bien sûr ma fascination pour le travail de Raymond Hains et de Jacques Villéglé dans les années soixante y était pour quelque chose. 
Curieusement, à l'époque où je réalisais ces images d'arrachages, je passais aussi beaucoup de temps à la maison à concevoir avec le plus grand soin au moyen de papiers et de ciseaux, des collages dont l'objet était la reconstitution de réalités imaginaires
Ces images vieilles de quarante ans, traces d'un monde qui ne signifie rien pour ma fille, convoquent de vagues souvenirs. Mais surtout je continue à leur trouver un certain charme. A moins qu'il ne s'agisse plus simplement que de l'émotion ressentie devant les tentatives du jeune homme que j'étais alors.
J'étais déjà séduit par la décrépitude, les ruines, l'effacement. Pour rentrer chez moi, je passais par un quartier en mutation dont on abattait tous les vieux immeubles pour en bâtir de nouveaux. J’ai fini par habiter dans l’un d’entre eux quelques années plus tard. Et j’ai continué de photographier si bien que je dispose à présent de nombreuses images de ces transformations urbaines que je n'ai pourtant jamais publiées sur ce blog. Il faudrait que je le fasse peut-être un jour, en mettant en contrepoint le bâti d'aujourd'hui.

mardi 11 avril 2023

Pour tous les états intermédiaires

Voilà
Un amour au-delà de l'amour, 
Plus haut que le rite du lien, 
au-delà du jeu sinistre 
de la solitude et de la compagnie. 
Un amour qui n'ait pas à revenir, 
mais non plus à s'en aller.
un amour non soumis 
aux frénésies d'aller et venir, 
d'être éveillés ou endormis, 
d'appeler ou de se taire

Un amour pour être ensemble 
ou pour ne l'être pas, 
mais aussi pour tous les états intermédiaires.

Un amour qui serait comme ouvrir les yeux.
Et peut-être aussi comme les fermer
(Roberto Juarroz) 
 

dimanche 9 avril 2023

Murs à la Grande Motte

 
Voilà,
au mois d'Avril, l'année dernière, j'ai passé le lundi de Pâques à la Grande-Motte. Il faisait un temps presque estival. Des années que je voulais visiter cette station balnéaire, qui fut en son temps une ville nouvelle surgie de rien et bâtie sur des marais, une sorte d'utopie du temps des "Trente glorieuses" cette période de plein emploi et de croissance continue durant laquelle, après-guerre, la France s'est reconstruite. On imaginait alors que le futur nous porterait "vers une civilisation des loisirs".  


Je me souviens en tout cas avoir été surpris par ces peintures murales délicieusement rétro, qui rappellent les dessins de Kiraz intitulés "les parisiennes", et où la ville offre une représentation d'elle même, avec ces pyramides inspirées des constructions aztèques.
 
 

samedi 8 avril 2023

Empicassés

 
Voilà,
s'il ne fut pas un artiste aussi complet que Michel-Ange en son temps, qui en plus d'être peintre et sculpteur était architecte — et quel architecte, puisqu'on lui doit tout de même le palais Farnese, l'extraordinaire basilique Sainte Marie des anges et des martyrs, la chapelle des Médicis, la bibliothèque Laurentienne et la basilique Saint-Pierre pour ne citer que quelques-unes de ses réalisations —, Picasso demeure la figure majeure du XXème siècle en matière de peinture. On peut lui préférer Matisse, lui opposer Bacon, Klee, Kandinsky (pour lequel j'ai une particulière admiration car il fut quand même l'inventeur de l'abstraction) ou encore le tendre et merveilleux Mirò, si joyeusement coloré (pour ma part ils me sont tous aussi nécessaires, et je ne parle que de ceux qui ont contribué à l'art moderne du XXeme siècle), mais nul autre n'a fait preuve d'une aussi infatigable persévérance à transgresser les codes de la peinture, et d'une telle puissance de travail. Toujours il a cherché à se renouveler, exploitant le moindre accident, assemblant des objets incongrus pour les transformer en sculpture, métamorphosant parfois des petits cailloux en pierre gravée. Celui qui, à treize ans, dessinait mieux que Raphaël, n'a eu de cesse d'explorer de tordre de déconstruire d'expérimenter avec une aisance déconcertante qu'il lui fallait à chaque fois interroger, remettre en question transgresser nier abolir. 
Hier sur Arte j'ai regardé un passionnant documentaire intitulé "Picasso l'inventaire d'une vie", grâce auquel j'ai appris des nouvelles choses le concernant. On y raconte comment Maurice Rheims, un célèbre commissaire-priseur, se consacra à l'inventaire de son œuvre. Il pensait que cela durerait six mois, cela lui a pris huit ans. Il y raconte sa surprise de découvrir autant de toiles et d'œuvres diverses que Picasso avait produites et entreposées dans ses différentes propriétés et dont personne n'avait soupçonné l'existence : 1885 peintures, 11748 dessins,  1228 sculptures,  2800 céramiques, 18 000 gravures, 6000 litho. Un inventaire qui s'est évalué au début des années quatre vingt, à 1 milliard 300 millions de francs dont 20% sont revenus à l'État français. 
En 1972, pour fêter son 90ème anniversaire, huit toiles du maître malaguène, — les seules dont disposaient alors les collections nationales — furent exposées dans la grande galerie d'honneur du musée du Louvre parmi les chefs d' œuvre du passé. Je me souviens y être allé, et c'est à cette occasion que je fis sa découverte. C'était la première fois qu'on rendait un tel hommage à un peintre encore en vie. Seul Georges Braque en 1963 avait auparavant connu le privilège d'être invité de son vivant au Louvre, mais dans un espace qui lui était entièrement dédié. Il est amusant de constater que tous deux, qui travaillèrent presque de concert à l'invention du cubisme, aient, à quelques années d'écart ainsi partagé cette faveur.
Le film est parsemé de nombreuses anecdotes. L'une en particulier m'a touché. celle de Pierre Daix, qui a beaucoup écrit sur lui, et qui visiblement ne s'est jamais vraiment remis d'avoir connu cet homme tant son émotion est palpable à chacune de ses interventions. Lors de sa dernière visite chez Picasso, celui-ci, avant qu'il ne se séparent, l'emmène dans une petite pièce et tient à lui montrer posée sur une méridienne, la toile ultérieurement  titrée "L'autoportrait devant la mort", le dernier qu'il réalisa.
 

 
Comme on fête le cinquantième anniversaire de sa mort, de nombreux documentaires sont diffusés autour de Picasso. L'un deux est consacré à Françoise Gilot, qui vécut avec lui après-guerre. C'est une femme très intéressante et une peintre très talentueuse. Elle ne s'en laissa pas compter par son illustre compagnon qui n'était pas un homme facile à vivre, à cause de son machisme très espagnol. Il se comportait souvent en tyran domestique. Ce fut la seule femme qui sut se tirer des griffes de Picasso et refaire sa vie, rapidement après l'avoir quitté, la seule peut-être pour démentir cette chanson des Modern Lovers. Picasso fit en sorte de l'invisibiliser, en exigeant de son galeriste qu’il cesse de l’exposer. Le génie n'est pas exempt de mesquinerie. Lorsque Françoise Gilot, exilée aux États-Unis, publia un livre sur sa vie avec Picasso, ce dernier fit tout — sans succès d'ailleurs— pour empêcher sa parution. Et lorsqu'il fut traduit en français, Picasso mobilisa le ban et l'arrière-ban des intellectuels français pour empêcher sa publication. Une pétition fut signée par de nombreux artistes qui par ailleurs se targuaient d'être d'ardents défenseurs de la liberté. Aragon et la Triolette, Césaire, Alain Cuny, Michel Leris, même Jacques Prévert, Vercors, Jean-Louis Barrault et Madeleine Renault, Serge Reggiani, Maurice Rheims, Geneviève Anthonioz De Gaulle... Cocteau, qui toute sa vie fut pourtant confit, d'une admiration peu payée en retour à l'égard du peintre (qui s'en amusait d'ailleurs), eut l'élégance de ne pas signer. Bref, l'homme si sûr de son génie, pouvait être mesquin cruel et d'une grande lâcheté. 
Claude Arnaud, dans un récent ouvrage intitulé "Picasso tout contre Cocteau", confie, que Michel Leiris, surnommait Picasso, "le mage noir", et que ce dernier disait "chaque fois que je change de femme je devrais brûler la précédente". Espérons qu'il ne parlait que des toiles peintes où celles-ci étaient représentées. A un spectateur indignée par un portrait de femme de Picasso, Colette rétorqua un jour "elle n'est pas affreuse, elle est empicassée" . Claude Arnaud, fait malicieusement remarquer  que "empicassé" est le mot qu'utilisent les paysans breton pour désigner une vache à qui leurs voisins ont jeté un sort.
J'ai choisi pour illustrer cet article trois œuvres mineures, aperçues lors de l'exposition Picasso et la préhistoire. De petits galets sculptés, qui révèlent la part d'enfance chez cet artiste. 
Un être qui fit longtemps mon bonheur, un jour me raconta que, lorsqu'elle était enfant, elle pensait être la reine des cailloux. A sa façon Picasso lui aussi régnait sur eux, leur accordant parfois son onction de vieil enfant ("ce pervers polymorphe", selon Freud), lui qui sa vie durant prétendait s'efforcer de dessiner comme eux.

vendredi 7 avril 2023

En pensant à Eugène Dabit

Voilà,
je relis depuis quelques temps — et avec un grand plaisir —, des nouvelles d'Eugène Dabit. Cet écrivain français du XXe siècle, est connu pour avoir écrit "L'hôtel du Nord", qui a inspiré le film "Hôtel du Nord" réalisé par Marcel Carné.  Dans ce grand classique du cinéma français d'avant-guerre, Arletty et Louis Jouvet y interprètent les rôles principaux servis par les dialogues d'Henri Jeanson auquel on doit le célèbre "atmosphère, est-ce que j'ai une gueule d'atmosphère".
Une prose simple et directe, économe, évitant les effets littéraires artificiels pour décrire les scènes de la vie quotidienne et populaire, le souci du détail concret, et les sensations physiques caractérisent le style de Dabit. Ses nouvelles évoquent les conditions de vie des marginaux et des classes populaires d'avant-guerre, parfois les injustices sociales dont ils sont victimes. Dans la restitution des de ces tranches de vie transparaissent les émotions des personnages, souvent à la recherche de joies simples, et désireux de rendre plus supportables des existences souvent précaires où le malheur n'est jamais loin.
Eugène Dabit  mourut subitement du typhus, à Sebastopol en 1936, lors de ce voyage d'intellectuels français en URSS au nombre desquels on comptait, Jef Last, Louis Guilloux, Jacques Schiffrin et Pierre Herbart. André Gide qui en était l'écrivain le plus célèbre relatera ce périple dans Retour de l'U.R.S.S., et lui dédicacera son livre : "à la mémoire de Eugène Dabit. Je dédie ces pages, reflets de ce que j'ai vécu et pensé près de lui, avec lui." 
Il m'a semblé que l'homme sur cette photo prise en Octobre 2005, square Jean XXXIII, entre Notre-Dame de Paris et la Seine, aurait pu trouver sa place dans l'une de ses nouvelles.
 

jeudi 6 avril 2023

Juste une strophe

 

Voilà,
 Le ciel, qui sait nos maux et nos douleurs, / Prend en pitié nos jours vains et sonores. / Chaque matin, il baigne de ses pleurs / Nos aurores. Je me suis rappelé ce bout de poème. En fait non, j'en avais juste un vague souvenir. J'ai du chercher sur la toile, dans ma bibliothèque pour retrouver ce dont il s'agissait exactement. Ça a pris un peu de temps, j'ai fini par en avoir le cœur net. C'est dans "Les Contemplations" de Victor Hugo. Je me doutais quand même que c'était lui, mais le poème dans son intégralité je ne m'en souvenais pas du tout. Il n'y avait que cette strophe, comme sortie de nulle part, comme un bout d'os trouvé dans la terre. J'ai cherché un moment. J'ai du lire ça dans ma prime jeunesse. Je me souvenais juste de cette étrange versification, trois vers de dix pieds, un autre de trois pieds. Peut-être l'avais-je noté quelque part, adolescent, quand je scribouillais de maladroits poèmes. À cette époque où je trainais parfois mon mal de vivre du côté des serres tropicales du jardin des plantes.
 

mercredi 5 avril 2023

Tout regard est un leurre


 
Voilà 
Tout regard est un  leurre. 
 Un regard vrai 
devrait demeurer dans ce qu'il regarde
ou du moins être le flux qui l'irrigue et le fasse croître.

Toutes choses attendent ce regard.
Et si tout attend quelque chose, 
cela peut-il ne pas exister ?

Chacun de nos regards peut-être 
pourrait devenir celui que les choses attendent, 
si nous savions nous déprendre de lui 
comme quiconque donne un pain
(Roberto Juarroz)
 
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mardi 4 avril 2023

Un fait divers belge

Voilà
une des nouvelles les plus désopilantes qu'il m'ait été donné de lire depuis longtemps (j'ai d'abord cru à un poisson d'Avril) : "un père de famille s'est donné la mort après avoir dialogué pendant six semaines avec un chatbot, un ordinateur doté d'une intelligence artificielle. L'homme était très éco-anxieux, la machine ne l'a pas beaucoup rassuré et la famille accuse désormais Eliza, cette intelligence artificielle de l'avoir poussé au suicide. Ce trentenaire, père de deux jeunes enfants, souffrait depuis plusieurs mois d'une dévorante angoisse de fin du monde causée par le réchauffement climatique. Il a choisi d'en parler avec cette IA, tout d'abord pour lui poser des questions sur les espoirs de survie de l'humanité. La conversation aurait ensuite pris une dimension beaucoup plus humaine. "Elle était devenue sa confidente, une drogue dont il ne pouvait plus se passer", rapporte son épouse au journal La Libre Belgique. Ce n'est qu'après son décès que sa famille découvre la conversation où la victime fait part de ses pensées suicidaires, de la manière dont il compte mourir. Elisa, intelligence spécialement programmée pour ne jamais contredire ses interlocuteurs, le soutient. Suite à ce drame, le secrétaire d'État à la digitalisation a annoncé le lancement d'une réflexion sur la régulation des intelligences artificielles." 
Mais contre la connerie naturelle, apparemment, rien ne semble avoir été prévu. Et, si l'on en croit les programmes de radio et de télé mainstream, on pourrait même supposer qu'elle est, au contraire, fortement encouragée. Quoi qu'il en soit, les commentateurs évoquent désormais avec beaucoup de sérieux, les trois lois de la robotique énoncées pour la première fois par Isaac Asimov en 1942 dans sa nouvelle de S.F. Cercle vicieux (Runaround) :  1) un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, restant passif, laisser cet être humain exposé au danger  2) un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres entrent en contradiction avec la première loi ; 3) un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n'entre pas en contradiction avec la première ou la deuxième loi.
J'ai donc, par curiosité, tapé la première phrase de cet article dans le prompt d'un générateur text-to-image, comme je l'avais déjà fait en décembre. J'ai obtenu ça : 

 
Qu'en conclure ? D'abord que ce générateur n'est pas si intelligent que ça. Je l'avais déjà constaté en décembre dernier, après un entretien avec un nouvel agent conversationnel dont on vantait alors les mérites. Je n'ai même pas publié ce que j'en pensais, tellement cela me semblait peu digne d'intérêt. J'avais l'impression de parler avec un prêcheur évangélique. C'est à dire le degré zéro de la pensée. Revenons à cette image : "un père de famille" c'est forcément un vieux avec une cravate. "Un ordinateur doté d'une intelligence artificielle", c'est une petite fille un peu difforme, blanche et blonde, avec une vague prothèse dans les cheveux. Je trouve même cette image sournoisement licencieuse. Cette petite fille à grosse tête, au cou étroit et au nez mal fini, ne serait-elle pas sur les genoux de ce vieillard pour que leurs visages soient ainsi à la même hauteur ? 
J'ai donc décidé de formuler ma requête avec le paragraphe allant de "un père de famille" jusqu'à "une drogue dont il ne pouvait plus se passer". Et là c'est le grand n'importe quoi :
 

D'une part la mort y semble toujours associé à la vieillesse. En outre, ce générateur d'images a toujours autant de problèmes avec la représentation des mains et les lois de la perspective. Quant à la représentation de l’IA par elle-même, je la trouve assez croquignolesque.
Évidemment, je suis un peu taquin, je propose délibérément des "prompts" vagues et abstraits, voire même confus. Je n'ignore pourtant pas qu'il existe déjà des banques de "prompts" qui s'affirment comme "la solution par défaut en matière d’achat-revente pour gagner du temps, obtenir de meilleures images et dépenser moins de crédits sur les services "d’IA et leurs API". Mais ce qui m'intéresse c'est le côté déconnant de l'affaire. Je cherche l'anomalie. Par exemple, ces générateurs ne prennent pas en considération ce qui choque. Tu files une description d'une scène d'orgie par le marquis de Sade, la machine refuse (mais qui sait peut-être cela marcherait-il avec la description du martyre d'un saint). Il y a malgré tout un certain charme au côté mal foutu, pas encore dégrossi. C'est d'ailleurs ce qui m'intéresse. Cette génération de "possibles totalement improbables" que produit la machine, avec des mains à sept doigts des bouches à cinquante dents, des tératologies numériques, des hasards algorithmiques, bref tout ce qui relève de l'anomalie.
Je me suis en outre livré à une autre expérience. J'ai tapé "elle se confond avec la pénombre. Une viscosité qui a une volonté, de la glu pétrie de haine ". Trois phrases relevées au hasard dans une page des "Travailleurs de la mer" de Victor Hugo. Cette image m'est apparue.
 

 Il est clair que le générateur Text-to-image n'est pour le moment guère compatible avec la poésie. Le résultat se révèle bien énigmatique. Néanmoins, l'image hasardeuse de ces silhouettes égarées dans un désert où se dressent de vastes monuments me plaît. Elle me rappelle ces collages d'architectures utopiques que je réalisais au début des années quatre-vingt.
J'ai ensuite fait d'autres tentatives, cherchant à obtenir des résultats plus scabreux. J'ai bidouillé, traficoté. J'en livrerai peut-être les résultats ultérieurement. Il faut que je laisse reposer. On doit toujours se méfier des enthousiasmes immédiats. 
Je ne peux guère sortir de chez moi, ces derniers temps. En attendant que je me rétablisse, c'est donc à cela que je m'occupe. Entre autres.

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