mardi 9 juin 2020

Oisive jeunesse



Voilà,
j’ai, dans ma jeunesse, pris du LSD. Je n’en tire aucune vanité. A chaque époque sa déraison et les moyens qui lui sont propres. Oh je resterai modeste, j’étais petit joueur et relativement prudent. Les acides je ne les prenais que par quart ou par moitié. A l'époque on rapportait que l'accident de Robert Wyatt — une chute de quatre étages lors d'une fête d'anniversaire — s'était produit alors qu'il était sous trip. Ça calme. Malgré cela, il m’est arrivé d’être surpris par l’intensité de l’effet généré. Pourquoi le taire, j’ai aimé ça. Terriblement. Ce furent des expériences mystiques, enthéogènes. Corps et pensée n’étaient plus qu’une même substance. J’ai perçu qu’il existait d’autres dimensions. J’ai été dépossédé de mon ego. Mon corps sans limites. Certaines fonctions organiques ont atteint des amplitudes cosmiques. Un jour j’ai arrêté. J’ai eu peur. C’était comme marcher au bord d’une falaise par temps de brume. J’ai cru mourir. Plus que les fois précédentes. Mais sans allégresse. Sans poésie. Sans couleur. Oui, les fois précédentes, c'était comme se tenir au bord d'un seuil en se laissant envahir par des visions sublimes, étranges. Comme si je me retrouvais au cœur d'un monde fractal. Le temps s'éprouvait différemment, il avait la texture d'une indéfinissable matière. Jamais je ne me suis senti aussi intensément vivant, tous les sens en éveil. C'était comme dans la chanson des Beatles. Mes plus beaux voyages furent intérieurs.
Longtemps j’ai pensé "plus tard si je vieillis je retenterai le coup, comme Henri Michaux" Je supposais alors que je pourrais le faire dans les mêmes dispositions mentales. Mais quand on est jeune, on n’a qu’une image extérieure de la vieillesse. C'est précisément la sensation la moins transmissible, la vieillesse. Je ne pouvais imaginer combien le poids des années entrave le corps, ni deviner les cicatrices qu'impriment dans la mémoire expériences et souvenirs. Ni craindre que des plaies anciennes puissent de nouveau se rouvrir. Quant à Michaux, lui prenait sa mescaline comme un chercheur qui expérimente, cartographie, diagnostique avec ses crayons ses plumes ses gouaches ses encres et son papier, en compagnie d'un médecin prêt à le faire redescendre si l'effet était trop brutal ou inquiétant.
Je ne suis pas certain qu’aujourd’hui je serai capable de retenter l'expérience. Je manque peut-être de sérénité. Les monstres ne sont jamais loin. La réalité s'avère déjà très anxiogène. Rien qu'en regardant un match de rugby, il m'arrive de craindre que mon cœur ne s'emballe dangereusement. Je m'éloigne des rambardes de balcon, je ne me penche plus aux fenêtres sans ressentir un vague vertige. Et  récente nouveauté, même la solitude désormais, infuse une fréquente sensation d'insécurité.
Cela dit, Albert Hoffmann, qui a découvert et testé les effets du LSD et de bien d'autres substances hallucinogènes au cours de sa carrière a vécu 102 ans d'une vie riche de découvertes de savoirs et de sensations.

2 commentaires:

  1. L'image est excellente dans sa réalisation et avant tout belle, qui ouvre sur les propos tenus et les expériences tentées dans le passé, qui ne sont pas des expériences que l'on associe souvent à l'âge, si j'ose dire. Merci aussi de faire référence à Robert Wyatt qui a été et reste peut-être un des musiciens les plus extraordinaires que la planète rock nous a offerts, substances ou pas. Je me souviens l'avoir croisé dans le presbytère d'une église de Lille, mais ceci est une autre histoire…

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  2. I think we all experiment in our younger years but I for one have always been terrified of hard drugs, they affect people differently.

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