jeudi 19 mai 2022

Les Anomalies


 
Voilà,
ce matin France Musique diffusait un entretien avec le metteur en scène russe Kyril Serebrennikov à propos de son film sur Tchaikovski, présenté au festival de Cannes. La barcarolle extraite de l'ensemble "Les saisons", qui évoque le mois de Juin servit à un moment de ponctuation musicale. J’ignorais ce répertoire de pièces brèves pour piano. En fait, je connais peu la musique de Tchaikovski en dehors du "Lac des cygnes"et de "Casse-noisettes" . Donc, sur ma plateforme favorite, j'ai cherché ces morceaux dont chacun illustre un mois de l'année.  Et là, j'ai eu la surprise d'apprendre que Tchaikovski comptait  parmi les maîtres de la relaxation et de la chill music. Je me réjouis d'avoir vécu jusque là, pour l'apprendre. Sinon, il est probable que je vais, la journée durant, demeurer chez moi, peu vêtu, volets clos et fenêtres ouvertes, pour échapper au premières chaleurs. Heureusement il y a aujourd'hui un peu de vent. 
A part ça, au cours de la nuit, parcourant mes carnets, j'ai retrouvé ce passage de Felix Guattari que j'avais noté : “dans une séquence de temps où tout le monde s'ennuie, un événement surgit qui, sans que l'on sache trop pourquoi, change l'ambiance. Un processus inattendu conduit à secréter des univers de référence différents; on voit les choses autrement; non seulement la subjectivité change, mais changent également les champs du possible, les projets de vie". Je ne sais exactement à quelle période il se réfère pour établir ce constat, (parle-t-il de Mai 68 de l'Italie de années 70 ?) pas plus que je ne puis dater ce texte.  J’ai du remarquer cette citation il y a quelques mois sur le net (sans doute au cours de l’un des confinements liés à l’épidémie de covid, car elle circulait beaucoup à ce moment-là) mais il est clair – et c’est le moins qu’on puisse dire – que ces derniers temps, l’ambiance change, en effet. Seulement à l’ennui risquent de substituer les ennuis. 
Car il n’y a pas un événement singulier mais plutôt une accumulation d’événements qui modifient l’équilibre des forces et des valeurs qui, jusqu'à présent, semblaient régir la marche du monde. Et soudain cela ne fonctionne plus tout à fait. Une cascade d’anomalies plus ou moins graves et une conjonction de situations critiques génèrent un désordre dont on perçoit bien qu’il peut très vite virer au chaos. Cependant on continue de bricoler ; on ne peut ni ne veut vraiment se résoudre à l’idée qu’il va falloir changer nos habitudes autant que nos modes de pensée et admettre que rien ne sera plus comme avant. La guerre, la crise énergétique, les pénuries alimentaire liée aux sécheresses, au conflits, la raréfaction des matières premières dues à la circulation de plus en plus restreinte des marchandises et à la perturbation des chaines d’approvisionnement, le coût inéluctablement croissant de l’électricité qui rendra bientôt difficile non seulement la possibilité de s’éclairer de se chauffer mais aussi de recharger nos appareils informatiques comme c’est déjà le cas au Liban, tout cela, certes on en parle, mais en cherchant toutefois à maintenir l’illusion que tout ça finira bien par s’arranger parce que, n'est ce pas, il faut être positif. Et les medias, les réseaux  continuent de nous abreuver de nouvelles à la con : comme, par exemple, les spéculations relatives tous les six mois au mercato de football à venir (Mbappé ira-t-il au Réal, qui pour diriger le PSG l'année prochaine ?), des rivalités entre vedettes du show-biz, les gossips des influenceurs, et j'en passe. 
Ainsi, en France, depuis la réélection de Macron et dans l’attente du scrutin des législatives la vie politique semble se dérouler dans un monde parallèle une sorte de "second life" où la guerre en Ukraine n'existe pas, où des crimes contre l'humanité de grande ampleur n’y sont pas commis, où rien ne se manifeste d’un projet visant à détruire la démocratie européenne fût-ce au prix d’une attaque nucléaire, un monde alternatif où la conjonction de la catastrophe écologique planétaire, de la crise sanitaire et des tensions géopolitiques n’a aucune conséquence économique, où la folie d’un autocrate ivre de pouvoir et de conquête ne plonge pas l'Europe entière dans un péril inédit et sous l’emprise d'une menace durable qui nécessiterait une unité renforcée, une défense commune et une refonte économique à la mesure de la situation exceptionnelle où nous nous trouvons. Au lieu de quoi nous avons droit à de mesquines petites tractations électoralistes comme si de rien n’était. On a parfois l’impression que le monde alentour n’existe pas dans la France de 2022.
Je repense souvent à cette brève histoire que l’on attribue à Kirkegaard : "Dans le grand théâtre de Copenhague, la pièce est commencée depuis une bonne heure lorsque, venant des coulisses, un homme crie à l'incendie. Les spectateurs se mettent à rire et à l'applaudir. L'homme a beau insister en expliquant que ce n'est pas une plaisanterie et que le feu s'est réellement déclaré, les spectateurs rient de plus belle. Une demi heure plus tard le théâtre est en feu et tout le monde meurt. La terre finira ainsi dans un très grand éclat de rire et l'incrédulité générale"

On en est à peu près là, me semble-t-il.

Et puis merde.

Je voudrais être au bord de la mer.

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