mercredi 10 juillet 2019

Avignoneries


Voilà
Dix jours que j'y suis et j'en ai déjà marre de tout ce Barnum. Je suis bien évidemment content d'être sur une scène, d'autant que le public apprécie, vient de plus en plus nombreux et que je trouve petit à petit mes marques en même temps que le plaisir de jouer. J'essaye de bien faire ce pour quoi je suis là, en même temps je me rassure sur mes capacités mentales, car tout de même ce n'était pas simple cette affaire là. C'est aujourd'hui mon premier jour de "relâche" comme on dit, alors que précisément il ne faut pas se déconcentrer. Je ressens toujours une certaine fragilité en raison de la vitesse à laquelle j'ai dû intégrer toutes les informations relatives au spectacle. Les trois denières représentations m'ont tout de même grandement rassuré. Et puis ma fille, en vacances non loin d'ici est venue me voir jouer hier, et ce fut un doux cadeau que sa présence et une grande joie pour moi. Nous en avons profité pour visiter ensemble le Palais des Papes puis ensuite nous promener dans la ville.
Mais cette foule, cette cohue, tous ces gens qui se précipitent d'un thėâtre à l'autre pour consommer de la distraction, parfois de la culture, tout cela me semble souvent relever de l'irrationnel. Sans parler des punks à chiens, des militaires qui patrouillent en armes, des témoins de Jehovah, et autres doux illuminés qui annoncent le retour de Jésus, des déguisés de toutes sortes qui vous tendent tous les jours leurs tracts, jamais lus et très vite jetés. Tout ça m'épuise et m'exaspère. Je n'aime définitivement pas les foules. Ce panurgisme professionnel, ces espèces de grandes messes ont quelque chose d'absurde. Mais surtout ce qui angoisse c'est cette dimension de surconsommation effarante avec ses dommages collatéraux, affichage sauvage, poubelles débordantes de détritus, multiplication des machines à air conditionné, etc. C'est tout de même près de 700 000 personnes qui, pendant toute la durée du festival, transitent ou restent durablement dans la ville, soit trois fois et demi la population du grand Avignon. Le festival constitue la principale activité économique de l'agglomération qui fait l'essentiel de son chiffres d'affaires annuel l'été. Même les marchands de jouets vendent plus en Juillet que pour les fêtes de Noël en décembre. En fait tout continue comme si de rien n'était. On ne change surtout pas le modèle économique. C'est l'occasion pour les jeunes de trouver des petits jobs d'été comme serveurs, serveuses, hommes et femmes-sandwiches, colleurs d'affiches, distributeurs de tracts. C'est une manne pour la population assez déshéritée dans l'ensemble. Mais, dans cette ville historique autrefois important carrefour de l'Occident chrétien, la dimension culturelle proposée par René Char et Jean Vilar qui fut à l'origine du festival, celle qui proposait de repenser, et réinterroger le monde à travers les grandes œuvres dramatiques s'est depuis longtemps noyée dans ce que Marx appelait "les eaux glacées du calcul égoïste". En fait, on voit ici, à l'échelle locale, ce qui se passe dans la plupart des pays riches sur l'ensemble de la planète. Personne n'est vraiment prêt à renoncer à ses habitudes, à changer son mode de vie. On est en plein dans la dissonance cognitive.
Ne reste plus qu'à se réfugier dans la contemplation de ce qu'il subsite de paysages enchanteurs où les visionnaires d'un monde aboli projetaient leurs rêves.

5 commentaires:

  1. Cue Eric Idle singing "Always Look On the Bright Side." I was in 3 or plays while in college-- Madwoman of Chaillot. It was a small school and we had a very small theater. I usually played "the crowd" or "spear carrier". My later talents as a broadcaster did not surface in theater, although I enjoyed it and the people I met. I know, that has nothing to do whatsoever with what you are writing about. It's simply a way of saying was here and enjoyed your post.

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  2. "les eaux glacées du calcul égoïste" : une étonnante expression du père Marx.

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  3. happy your daughter was able to see you...and understand the feelings you write of...

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  4. La scène jouer le public le succès ta fille...enjoy !

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  5. Sans ordinateur pendant quelques jours..je lis avec plaisir que tu te sens bien dans ton rôle d'acteur, que le père est ravi, qui ne le serait?- que sa fille soit venue, puis cette chronique réaliste et amère de la "consommation" de culture, la massification. Comment ne pas te comprendre...?

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