lundi 24 mars 2014

Ik-men-ha-kaf


Voilà,
ce matin j'ai repensé aux chats adespotes d'Hammamet. Et aussi à cette autre histoire de félins du même Rodolfo Wilcock déjà évoqué précédemment. Celle-ci s'appelle donc Ik-men-ha-kaf : "Les yeux d'émail fixent le mystère de l'au-delà comme si c'était une souris, et il est bien possible que ce le soit. Il vécut il y a trois mille ans ; il s'appelait Ik-men-ha-kaf, ce qui veut dire quelque chose comme l'éclair ou la foudre, mais en ces temps-là comme maintenant personne n'usait du nom entier pour s'adresser à un chat ou lui deman­der une faveur, si bien qu'on l'appelait Ik, et plus souvent Ik-ik, qui est foudre en abrégé. Il habitait à Abydos, une maison aux toits bas, mais même ce toit lui semblait encore trop élevé, gaspillage inu­tile pour un labyrinthe aussi simple, si élémentaire qu'après deux ou trois tours il en connaissait toutes les entrées et toutes les sorties.  Ik-ik avait été apporté de Thèbes à l'âge de trois mois, et les premiers jours en vérité il ne parvenait pas à distinguer les entrées des sorties, il devait s'arrêter sur le seuil pour étudier les trajets les plus appro­priés ; jusqu'au jour où il arriva à la conclusion qu'entrées et sorties concidaient, qu'il s'agissait d'une distinction purement académique. A partir de ce jour il passa de nombreuses heures dehors, parfois il poussait jusqu'au Nil et retournait avec un poisson pourri, la tête levée pour ne pas le faire traîner dans le sable et la boue. Une nuit, de la rive, il vit passer une barque lumineuse avec une grosse vache dessus qui portait la lune entre ses cornes ; elle était très brillante, cela il le vit, mais ce fait rentrait dans l'ordre pour lui étranger des choses du fleuve, et il n'y fit pas attention. Malgré ce toit ridiculement distant du sol, il accepta cette maison pour sienne ; mais pendant de nombreuses années, et même jusqu'à sa mort, il dut la partager avec un nombre variable d'êtres humains, qui peut-être étaient toujours les mêmes, ou paraissaient les mêmes. Ceux qui le connais­saient l'appelaient Ik-ik, ceux qui ne le connais­saient pas l'appelaient “ Mjw ”, ou Miaou, qui est le mot égyptien pour chat ; les uns disaient qu'il était blanc avec des taches noires, les autres qu'il était noir avec des taches blanches. De quelque nom qu'on se servît pour l'appeler, Ik ne vint jamais. Il mourut héroïquement, comme on dit, d'un abcès à la queue provoqué par la morsure d'un autre chat ; longtemps avant de mourir il perdit la connaissance et tant qu'il l'eut perdue il crut qu'il s'agissait d'un malaise passager, et il en était peut-être ainsi. Il s'était réfugié près de l'entrée d'un sépulcre brisé ; ses serviteurs le retrouvèrent et le firent embaumer.
L’embaumeur, comme c'était l'usage ces années­-là, lui confectionna avec les bandelettes un petit corps humain, avec ses deux pieds ou plutôt son unique pied ou piédestal d'argile ; tel était l'usage à Abydos, doublement blâmé à Thèbes : parce que les chats n'ont ni un pied ni deux mais bien quatre pattes, que l'on enveloppe avec le corps, et parce qu'au cimetière des chats les momies ne reposent pas dressées mais couchées comme tous les mortels. Les longues bandes étroites de lin qui emmaillotent son petit cadavre, de couleurs point trop vives convenant à un chat âgé, apparaissent entrecroisées selon le plus élégant dessin géomé­trique pour chats ; autour du cou la bandelette se resserre en un étroit collier laissant libre la tête impeccable. Le visage est plein, le nez souligné d'un trait savant, les oreilles dressées et atten­tives ; le regard est prêt à bondir dans les millé­naires. Sur une plaquette de plomb, son nom en démotique “ Ik-men-ha-kaf Mjw. ”

2 commentaires:

  1. Kwarkito, en tant qu'être humain je dois aujourd'hui répondre "présent et lecteur" au plus vite. L'autre moitié de ma vie étant avec des félins (pas des lynx !) je dois "bouder" un peu quand le "maître" rentre ; non, dire le temps à ma façon, par le silence souvent, un jour que tout et que tu m'appartien (s?) (t?). En ce qui concerne les portes, oui, nous sommes fâchés, elles, les chats, et moi. Bon, bouleversé tout simplement, je te tourne le dos et j'indique mon air digne au monde entier.

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    1. J'allais ajouter "la queue en l'air" mais comme les gens y font et comme les autres y votent, évitons que signe d'indigné ne soit exploité par le vulgaire et courons, félins que nous sommes, à la saine chiennerie de Bouvier, pas le voyageur, l'autre, le crêté qui tague de si belles choses. Chats que nous sommes, notre course,toutefois sera brève, efficace ou non, sitôt oubliée.

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