dimanche 6 avril 2014

Août 14


Voilà
Depuis quelque jours on peut apercevoir sur les murs de Paris une photo illustrant une affiche d'exposition consacrée aux derniers jours précédant la guerre de 14-18. On y distingue un groupe d'hommes pour la plupart coiffés de canotiers (car on est en été) de dos face à un mur où sont placardés les ordres de mobilisation générale. L'un d'entre eux pourtant regarde en arrière, non pas tout à fait dans notre direction, mais hors cadre, comme s'il se retournait sur son passé, sur la paix qui désormais s'enfuit. Mais paradoxalement, faisant face à l'appareil qui le saisit en cet instant, c'est aussi à l'avenir qu'il s'adresse. Il ne sait pas que par sa seule présence muette, ce sont toutes les générations futures qu'il interpelle cependant. Il est la figure candide et pour cela tragique de l'homme des foules pris dans dans la tourmente de l'Histoire, qui ne réalise pas encore que son existence a déjà basculé. Il fait songer à ce personnage décrit par Robert Benchley au début d'un article intitulé "Un homme bien de son temps" : "Qui veut avoir une vision rétrospective satisfaisante de l'histoire en train de se faire n'a qu'à feuilleter une collection de photographies d'actualités prises au moment même où des événement cataclysmiques se produisent. Sur la plupart de ces images, vous pourrez repérer un personnage en chapeau melon occupé à regarder exactement dans la direction opposée à l'événement, tout à fait inconscient que le monde tremble sous ses pieds". On voudrait être certain que rien de mauvais n'arrivera à cet homme, être sûr qu'il aura échappé à cette boucherie que personne encore n'imagine à cet instant, mais on sait, nous homme du futur que cela est peu probable  - car tout de même : près de huit millions de mobilisés en France, un million quatre cent mille tués et disparus, quatre millions trois cent mille blessés -. Et quand bien même aura-t-il survécu, il sera sans doute devenu un autre homme, brisé par tout ce qu'il aura vu et enduré. Dans le spectacle de Didier Flamand "Prends bien garde aux Zeppelins", il y avait une séquence de déclaration de guerre qui ressemblait à cela. Ensuite un homme traversait le plateau avec une valise tentant de fuir le plus discrètement possible. On voudrait qu'il en fasse de même celui-ci avec son canotier, qu'à ce moment précis il puisse sortir du cadre, disparaître du présent où il est enfermé, et fuir s'évader loin, dans un autre futur que celui qui lui est promis. Je pense aussi à l'annotation de Kafka dans son journal : "2 Août 14. L'Allemagne a déclaré la guerre à la Russie. Après-midi piscine."

2 commentaires:

  1. tant de canotiers sont tombés...
    l'inimaginable est arrivé
    une sombre page d'histoire
    comme toutes les pages, toutes les histoires....de guerres

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  2. The man's face says it all. Nice post!

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