Louis, je l'aimais vraiment beaucoup. C'était un petit homme sec, sans une once de graisse, mais pétri d'humour. C'était le voisin de Philippe et Dominique. Quand je l'ai connu sa femme Caroline, était encore vivante. Ils formaient un duo étrange, elle assez volumineuse et très bigotte, lui tout petit et qui ne portait pas les curés dans son cœur. Enfant, le jour de sa confirmation, tenu par une oreille, il avait été raccompagné par l'un d'entre eux vers la sortie au prétexte qu'il avait manqué d'assiduité au catéchisme durant l'année. De cette humiliation, il avait gardé une rancune tenace vis à vis de tout ce qui portait soutane ou cornette. Ils n'avaient pas pu avoir d'enfant, mais lorsque dans les années cinquante ils avaient vu débarquer dans leur village ces jeunes parisiens qu'étaient Philippe et Dominique, ils les avaient accueillis avec bienveillance et leur avaient ensuite témoigné de l'affection. Et quand vinrent les enfants ils devinrent en quelque sorte des grands-parents estivaux. Lorsque j'ai connu Louis, il était déjà à la retraite (il avait je crois travaillé dans les chemins de fer) mais chaque matin, il se réveillait avec le soleil pour aller faire sa vigne. Vers neuf heures, il était assis sur son pas de porte à lire le journal. pendant ce temps non loin, celle qu'on surnommait la Pignate nettoyait son pas de porte. Il ne se parlaient pas. Elle avait eu soi-disant des sympathies avec l'occupant pendant les années sombres de la guerre, et il la méprisait. Louis avait un langage merveilleusement imagé. A dix-sept ans, Agnès et moi avions tendance à rester très près l'un de l'autre. Il disait "Ces deux là ils sont collés comme des arapèdes" (les arapèdes étant ces coquillages en forme de chapeau chinois qui demeurent fixés à leur rocher qu'on appelle je crois, berniques en d'autres régions). Ou bien quand je sortais de la sieste avec la marque du drap sur le visage il me demandait "tu as piqué une colère ?". Il surnommait la boulangère "Sourire d'Avril" parce que le sien était toujours un peu crispé, comme un printemps qui ne se déclare pas tout à fait. Lorsque son épouse revenait de la messe, il la taquinait "Alors Caroline, tu as croqué le matelot ?" pour savoir si elle avait communié. Un jour, alors qu'on avait fêté son anniversaire à la maison, il était rentré chez lui un peu éméché (il avait quinze mètres à faire) et il s'était alors exclamé "À moi les murs, la terre m'abandonne". Même dans des situations pénibles il gardait sons sens de l'humour. Il avait accompagné Caroline sur ces derniers jours et quand il arrivait à celle-ci d'être pénible alors il la menaçait gentiment "Caroline si tu continues comme ça, je te fais enterrer civilement". Et lui même lorsqu'on lui demandait vers la fin de sa vie, alors qu'il était malade si ça allait, il répondait "je m'accroche à la rampe" en mimant le geste des deux mains. Cette photo, qui est en fait un montage de deux expressions prises à quelques secondes d'intervalle, je crois l'avoir prise au cours d'une conversation qu'il avait eue avec Antonine Maillet, l'auteure acadienne de "La sagouine" qui avait obtenu un prix Goncourt en 1979 pour "Pélagie la charette". Elle était venue passer quelques jours de vacances à Châteaudouble. Bien que de nature et de deux mondes différents, Louis et Antonine avaient un soir longuement parlé ensemble, et tous deux avaient eu beaucoup de plaisir à se rencontrer. Cette photo a été prise sous l'auvent de la maison de Gérard, le frère de Philippe. Une construction assez merveilleuse dont je parlerai peut-être un jour
Un blog écrit en français, avec des photos des collages des dessins, des créations digitales, des récits de rêves, des chroniques des microfictions et encore bien d'autres bizarreries... A blog written in french with photos, collages, drawings, digital paintings, dream stories, chronicles, microfictions and a few other oddities.
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