jeudi 20 décembre 2012

La petite licorne bleue

Métro parisien Décembre 2012
Voilà,
un jour dans le métro un préposé à l'arrachage des affiches publicitaires était venu décoller toutes celles qui avaient été les mois précédents superposées sur un même emplacement. Aussitôt des voyageurs parmi ceux qui attendaient sur le quai s'étaient rassemblés autour de son espace de travail délimité par des bandelettes plastifiées bicolores orange et blanc, et bien évidemment chacun avait sorti qui son appareil photo qui son smartphone. Ainsi le travailleur, sans doute modestement rétribué, était-il devenu, et cela simplement parce que son activité s'effectuait aux yeux de tous, une sorte de performer bien malgré lui. L'intérêt que ces témoins portaient pour les images hasardeuses suscitées par ces arrachages successifs, m'avait alors surpris. Ce qui autrefois, avec les décollement de Raymond Hains ou de Jacques Villeglé  avait été raillé comme relevant d'une avant-garde fumiste et facile accédait désormais, au rang d'œuvre d'art populaire et reproductible, confirmant l'intuition de Marcel Duchamp selon laquelle c'est le regard de l'observateur qui confère à un objet son statut. Mais plus encore, j'avais été frappé par l'exigence que ces curieux avaient alors manifesté vis-à-vis du travailleur. Car lorsque celui-ci arrachait - trop promptement à leur goût - les morceaux d'affiches qu'il entassait ensuite en vrac sur le quai, les empêchant ainsi de fixer l'image qu'ils avaient un trop bref instant entrevue, les spectateurs n'hésitaient pas à exprimer à haute voix et sans aucune gêne leur désapprobation et leur déception. Ainsi s'arrogeaient-ils de la sorte un droit sur le geste du travailleur se muant donc à la fois en contremaîtres, en consommateurs exigeants et capricieux, en metteurs en scène d'un acte qu'ils n'avaient aucunement initié, et en voyeurs consentants et complice du spectacle de l'exploitation. C'est à cela que je repensais hier après avoir croisé la petite licorne bleue dans un couloir de correspondance.

2 commentaires:

  1. Belle analyse!
    C'est comme si toute affiche du passé prenait plus d'importance que celle à venir, ce qui a un côté préoccupant.
    Autre inquiétude: ne prend-on conscience des travailleurs que quand ils arrachent un bout de notre passé?
    Belle soirée Kwarkito

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