Voilà
"Photographs not taken", est un recueil de textes rédigés par des photographes à propos d'images qu'ils n'ont pas prises soit par empêchement, soit pour des raisons éthiques qui relevaient de leur propre jugement et de leur décision, ou bien encore à cause d'impondérables non révélés. Cette idée de Will Steacy est excellente et m'incite à mettre en ligne ce texte écrit il y a quelques années pour atténuer le regret de ne pas avoir, un certain jour d'un lointain mois de février, emporté mon appareil avec moi.
"Photographs not taken", est un recueil de textes rédigés par des photographes à propos d'images qu'ils n'ont pas prises soit par empêchement, soit pour des raisons éthiques qui relevaient de leur propre jugement et de leur décision, ou bien encore à cause d'impondérables non révélés. Cette idée de Will Steacy est excellente et m'incite à mettre en ligne ce texte écrit il y a quelques années pour atténuer le regret de ne pas avoir, un certain jour d'un lointain mois de février, emporté mon appareil avec moi.
"En même temps que la nuit, une pluie fine tombe sur Manhattan. Cette longue conversation téléphonique que je viens d'avoir avec A. ne laisse rien augurer de bon sur ses intentions. Plus que jamais elle semble déterminée. Incapable cependant de ranger notre histoire au magasin des souvenirs, ivre encore d'un espoir que je sens tout de même de plus en plus insensé, je songe à elle en remontant la cinquième avenue. Bien plus qu'un océan nous sépare désormais. Croisant sur le trottoir mouillé des gens pressés, vingt dollars en poche mon compte à sec, je vais à la rencontre d'une inconnue au nom russe, un des plus prestigieux que la littérature mondiale ait donné. Une inconnue, une splendide inconnue, mais cela je ne le sais pas encore. Nous nous sommes juste parlés au téléphone. Hâtant le pas pour arriver à l'heure à ce rendez-vous, je prête une attention distraite et vaguement contrariée aux embouteillages et au traffic perturbé. Combien de gens marchent à l'instant dans cette ville avec un chagrin d'amour ? Egaré dans une rêverie où des moments plus ou moins heureux de ma vie passée s'agrègent confusément à d'autres, remettant en perspective ma déchéance présente, je ne saisis pas immédiatement la raison pour laquelle des badauds se tiennent là immobiles, assemblés à un carrefour que je m'apprête à traverser. Je le vois alors, énorme, gisant sur le bitume. Sa lourde masse affaisée sur le flanc droit. Sa robe marron qui luit sur la chaussée. Un cheval, c'est un cheval pattes tendues et raides, à l'agonie sur la cinquième avenue. Sans doute a-t-il été heurté puis renversé par un véhicule. Comme l'écho d'un ancien galop un tressaillement semble parfois parcourir la bête au bord de l'étouffement. Pareils à des boules de billards les deux gros globes mous de ses yeux tournés vers le ciel semblent implorer le cavalier de la police montée agenouillé à ses côtés. Il lui caresse l'encolure et soutient sa lourde tête agitée de spasmes dont les naseaux écument de bave. Une vie s'échappe. Nuages de vapeur flottant sur l'asphalte. Ces gens tout autour sidérés et hagards, immobiles comme pétrifiés. Ce nœud de chagrin comme une tumeur dans ma gorge. Et la pluie encore, mêlée aux larmes qui dégoulinent sur mon visage" (1988).
Finalement c'est à un chien que je m'en suis remis quelques jours après. Le jour de la lettre trouvée. Le chien près de la bicyclette.
Finalement c'est à un chien que je m'en suis remis quelques jours après. Le jour de la lettre trouvée. Le chien près de la bicyclette.
Waow!quel texte... Eros. Avec la beauté de l'inconnue, le désir, et le cheval qui meurt.
RépondreSupprimerj'ai entendu une émission l'autre jour sur ces images pas prises. Ce texte vaut largement l'image manquée.
Très beau, je le vois et je vous vois aussi.
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