vendredi 20 décembre 2024

Viviane

 
Voilà,
dans un précédent billet, j'avais parlé de cette fille, Viviane. J'ai retrouvé par hasard une photo d'elle sur une vieille planche contact, et je l'ai scannée. C'est la brune frisée qui tient serrée sa camarade. Je ne me rappelle pas les circonstances de cette photo. Prise après Avril 80, ça j'en suis certain, je venais tout juste de faire l'acquisition d'un 24x36 avec l'argent gagné sur un certain spectacle. Il y a quelque chose de troublant dans cette étreinte et dans la façon dont elle fixe l'objectif, qui correspond assez peu au souvenir de la fille exubérante qu'elle était. Elles sont devant une 2CV fourgonnette. Déjà à l'époque, c'était une antiquité. 

jeudi 19 décembre 2024

Lumière d'hiver

 

Voilà,
un peu moins seul que de coutume, me sentant toutefois étranger à la compagnie, cigale parmi les fourmis, mais n'ayant plus désormais la force de chanter, j'aurai cependant marché dans cette lumière, dans ce paysage. Il y aura eu ce moment de suspension, près de la rivière devant l'ancien moulin, avec le vieux clocher non loin. Une fois encore je n'aurai pu m'empêcher de songer qu'une autre vie m'eût été possible, si j'avais été un peu plus malin. Qu'importe à présent, il n'est plus temps d'y penser. Je peux encore marcher, découvrir, m'étonner, ce n'est pas donné à tout le monde.

 
Ainsi au pied de l'église aurai-je appris qu'au moyen-âge, alors que les décès de nouveaux nés étaient fréquents et qu'ils entraînaient souvent l'absence de baptême les privant  de paradis, on avait coutume, afin d'apaiser les parents de leur donner une sépulture dite "sépulture à répit".
 

Cela consistait en logettes creusées dans les fondations de l'église, où les corps étaient disposés recouverts d'une pierre. L'eau de pluie tombée du toit d'une église étant considérée comme bénite, elle purifiait le corps de l'enfant et symbolisait le baptême. Après un certain temps passé dans la logette, l'enfant nouvellement baptisé pouvait enfin être enterré au cimetière et son âme rejoignait ainsi le paradis.

mardi 17 décembre 2024

Dormir et dédormir

  

Voilà,
"de l'autre côté de moi, bien loin derrière l'endroit où je gis, le silence de la demeure touche à l'infini. J'écoute la chute du temps, goutte à goutte, et aucune des gouttes qui tombent n'est entendue dans sa chute. Je sens mon cœur physique oppressé physiquement par le souvenir, réduit à rien, de tout ce qui a été ou de tout ce que j'ai été. Je sens ma tête matériellement posée sur l'oreiller, qu'elle creuse d'un petit vallon. La peau de la taie d'oreiller établit avec ma peau le contact d'un corps dans la pénombre. Mon oreille interne, sur laquelle je repose, se grave mathématiquement contre mon cerveau. Mes paupières battent de fatigue, et mes cils produisent un son d'une faiblesse extrême, inaudible, sur la blancheur sensible de l'oreiller relevé. Je respire, tout en soupirant, et ma respiration est quelque chose qui se produit – elle n'est pas moi-même. Je souffre sans penser ni sentir. L'horloge de la maison, endroit fixe au cœur de l'infini, sonne la demie, sèche et nulle. Tout est si vaste, tout est si profond, tout est si noir et si froid. "Fernando Pessoa in Le livre de L'Intranquillité

dimanche 15 décembre 2024

Angoulême

 
Voilà,
Angoulême où j’ai fait une petite escale avant de prendre mon train est désormais une ville connue pour son festival de la bande dessinée qui, je crois, a dépassé nos frontières. C’est même devenu une partie de son identité puisque les noms de rues y sont déclinés sous forme de phylactères. Rien d’étonnant à ce qu’autant de murs peints évoquent des personnages de bd. Sur la première photo, on peut reconnaître au centre Goscinny, le dessinateur de la série "Astérix le gaulois" écrite avec Uderzo. Assis à sa table de dessin, e ses plus célèbres créations Astérix, Lucky Luke, Iznogoud, le Petit Nicolas, Oumpahpah semblent s'en échapper. Cette peinture murale a été  conçue par le dessinateur Boucq et réalisée par Moon.
 
 
En bas à gauche, c'est un dessin du bédéaste Frank Margerin avec son personnage fétiche Lucien, le rocker à la banane sur sa moto. .Je n'ai pas reconnu le dernier dessinateur. 
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vendredi 13 décembre 2024

Avoir l'œil

 
Voilà,
et si l'œil soudain venait à manquer, le seul que j'ai eu et avec lequel j'ai tenté tant bien que mal de me constituer un regard, sans pour autant être sûr qu'il soit juste et me restitue vraiment la réalité, que ferais-je alors, que serais-je sans lui ? Je voudrais toujours être dans le mystère des choses naissantes et des apparitions. première publication 3/8/2013 à 00:21

mercredi 11 décembre 2024

Dormir pour oublier (33)

 
Voilà,
pour la plupart on pourrait aussi bien les désigner comme "asphaltés", tant ils semblent appariés au bitume du trottoir, ces dormeurs devant lesquels on passe, non pas indifférents, mais impuissants, gênés et vaguement honteux. Pendant les Jeux Olympiques ils avaient été dissimulés, cachés on ne sait où. La ville pouvait enfin ressembler, pendant quelques semaines à celle que l'on voit dans une série populaire.
Et puis tous ces laissés-pour-compte de notre société sont réapparus peu à peu dans les rues de Paris. Au moins ceux-ci ne nous effraient-ils pas. Ils ne résistent plus. Ils glissent doucement vers la mort.
Aujourd'hui, il paraît que 700 enfants dorment aussi la nuit dans les rues de Paris.
Rappelons quelques chiffres au passage : 735 personnes décédées dans la rue l'an dernier, un record. 45 000 lits en moins dans les hôpitaux, depuis que Macron est président. Un autre record. Aujourd'hui les moyens des collectivités locales se raréfient car l'État exige qu'elles fassent des économies. A tel point qu'elles annoncent ne plus pouvoir investir dans les établissements scolaires. On en est là, on coupe dans les budgets sociaux, éducatifs, culturels. Alors envisager des refuges supplémentaires pour sans-domiciles...
Sinon, le nombre de milliardaires français est passé de 65 à 147 en dix ans.
Le plus fortuné d'entre eux, possède une collection d'art contemporain qu'il ouvre au public. La dernière exposition programmée pour clore l'année à la Bourse du Commerce est consacrée à l'arte povera. Je me demande s'il n'y aurait pas là comme du foutage de gueule, par hasard.
C'est donc ça la France de 2024. Ingouvernable. Injuste. Aveugle à la misère. Sourde à la colère aussi. Mais bon, les J.O. furent un succès et Notre-Dame de Paris a été sauvée. Il ne faut pas non plus être trop exigeant n'est-ce pas ?
Pour être tout à fait juste et quitte à déplaire ou choquer cela ne m'importe plus beaucoup. J'ai trop à faire avec ma propre douleur physique. D'ailleurs sur cette photo, ce n'est pas vraiment la misère que j'ai photographiée, plutôt son spectacle obligé, qui est comme un crachat à la face des passants. Ce qui embarrasse la plupart dans cette affaire n'est pas que cela existe, mais plutôt que cela puisse autant se voir et que ça ne coïncide pas avec la réalité plus ou moins glamour et aseptisée que les vendeurs de bagnoles, de parfums, de services bancaires, de cuisines intégrées essaient de nous vendre à longueur de journées dans leurs publicités à la con. Ce type là au sol, qui voudrait  vraiment le recueillir chez soi. Pas moi en tout cas. On s'est pour la plupart résignés à l'idée qu'il est irrécupérable. Simplement il n'y a plus d'asile pour les indigents. Ce service public n'existe plus. Alors  peu à peu (je ne sais pas quand ça a commencé) on a intégré l'idée, accepté le concept de chosification des corps. Il font partie du décor, comme les panneaux Decaux ou les colonnes Morris. Inconsciemment, bien qu'on ne veuille pas se l'avouer, on en vient à les considérer comme ces détenus dans les camps de concentration. Ceux qu'on désignait sous le terme de "Stück" qui signifie, pièce, morceau, partie, élément. Je me souviens très bien de la première fois où j'ai vu des corps-choses. C'était à gauche de cette porte. J'étais enfant. Mais c'était dans un pays qui n'était pas le mien. J'avais au moins conscience de ça, que c'était moi l'étranger. Bien plus tard à Paris, j'ai découverts les clochards. Mais les clochards étaient des personnes. Ils avaient leurs lieux, la place Maubert, la Contrescarpe. Ils vivaient sous les ponts. la doxa considérait qu'ils constituaient une espèce de confrérie. On en faisait même des cartes postales. Ils faisaient partie du patrimoine local, comme les poulbots de la butte Montmartre. Je simplifie bien sûr.  Oui c'est étrange je ne me souviens pas vraiment quand sont apparus en nombre tous ces corps-épaves dans les rues de Paris, ni comment petit à petit j'en suis venu, malgré tout, à subrepticement m'accommoder de cette part de réalité comme le ferait un gardien de camp, finalement.

lundi 9 décembre 2024

L'autre scène

Voilà,
dans ce théâtre peuplé de spectres au fond la-bas tout au fond entre souffle et mémoire se donne une représentation qui jamais ne cesse et toujours se joue de moi. Continûment, des signes aussi obscurs que fugaces traversent la scène, me laissant vague et pantois. Et si des voix confuses peuplent parfois son espace, elles ne sont que bribes plus ou moins compréhensibles, imperceptibles traces de ce qui m'a irrévocablement quitté. 
Et pourtant, c'est aussi l'illusion parfois, que rien vraiment n'a commencé, que les larmes jamais n'épuiseront cet insatiable chagrin mûri dans la plaie toujours vive d'une secrète et très ancienne blessure 

dimanche 8 décembre 2024

Illusion

Voilà,
Boulevard Saint Germain, non loin du carrefour de l'Odéon, pour dissimuler le ravalement d'un immeuble une grande bâche en trompe l’œil a été disposée devant sa façade. Dommage, qu'une gigantesque publicité pour Prada en gâche en partie l'effet.
 

Sinon, j'essaie de travailler, mais je n'y parviens pas. Je suis perpétuellement distrait, incapable de me concentrer. Les heures passent et rien n'arrive. Ce que ma pensée produit est d'une indigence qui me navre.

vendredi 6 décembre 2024

La fête foraine des Tuileries



Voilà,
dans la grisaille de ce matin je me suis une fois de plus rappelé que j'aime l'ambiance des lieux désertés ou désaffectés, mais aussi les espaces vides ou à peine fréquentés, les manèges fermés, les fêtes foraines au petit matin, les plages qui attendent d'être envahies, ou que les baigneurs ont quittées, les lieux de grande activité avant ou après les heures d'ouverture... J'aime ce léger décalage qui dès lors donne un tout autre sens aux choses, et en retenir des images qui me semblent dès lors peuplées de fantômes. D'ailleurs la photographie, est par nature fantomatique. Il suffit de songer à toutes ces clichés d'Atget, pris à la chambre et qui nécessitaient un si long temps de pause, que les corps en mouvements, les passants les calèches et les voitures n'avaient pas le temps de s'y inscrire. Mais toute cette vie n'ayant pas laissé de trace visible hante néanmoins ces images, et ce qui n'y est pas apparu, — toute cette activité spectrale — y demeure peut-être plus essentiel encore, que ce qui est resté imprimé pour se donner à voir. ptrmeière publication 5/7/2013 à 12:17

lundi 2 décembre 2024

Projet modeste

 
Voilà,
quel bonheur d'entendre Mélodie Gardot, qui parle un français parfait. Interviewée lors de l'émission du matin de France-Musique, à l'occasion de la parution d'une compilation elle évoque ses vingt ans de carrière. C'est une pause après les informations du matin alarmantes, les messages laissés sur des réseaux sociaux par des amis vivant à Beyrouth, les nouvelles des États-Unis, avec les nominations de l'administration Trump, qui vues d'ici paraissent absolument délirantes, la chute annoncée du gouvernement en France, et la crise de régime inédite sou cette constitution, la progression de Al-quaida en Syrie, la rupture des équilibres politiques sur la planète... 
Dans la nuit j'avais repensé au journal intime de L.S. parcouru il y a quelques mois à l'IMEC. Elle y faisait de longs développements sur l'invasion de l'Abyssinie par les italiens en 1935, des analyses géopolitiques passionnantes sur la SDN et les positions des puissances européennes. Elle livrait sa perception des événements qui bouleversaient alors le monde, se prêtant parfois à quelques prédictions qui ne se sont pas vérifiées. Cela m'avait paru étrange, toutes ces pensées à soi-même, à presque un siècle d'écart, avec la sensibilité de l'époque et le mode de diffusion des nouvelles de ce temps. Aujourd'hui l'information est partout, en temps réel, un événement chasse l'autre, de sorte que l'on vit sans possibilité de recul dans un perpétuel présent. Et que toute chose passée semble très vite lointaine. La crise du Covid si exceptionnelle par son ampleur, sa singularité et son impact stupéfiant semble rétrospectivement anodine et lointaine sauf sans doute pour ceux qui ont eu à en souffrir directement, ou qui furent au cœur de l'événement. Pourtant que de choses se sont dites alors, en particulier sur les réseaux qui faisaient souvent fonction de journal extime. Et que n'a-t-on lu. Plus rien ne serait pareil. Une prise de conscience s'opérait. Foutaises.
Ces derniers temps, je ne peux m'empêcher des rapprochements absurdes, même si je sais bien que jamais l'histoire ne se répète exactement à l'identique. Je m’interroge (je ne dois pas être le seul). Sommes nous plutôt en 1936 en 1938 ou 1939 ?  Car de plus en plus de voix nous promettent la guerre pour bientôt. On verra bien. La marche du monde m'intéresse de moins en moins. Je n'y ai quasiment plus cours. En ce qui me concerne, je n'ai que des projets modestes pour les mois qui viennent.
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dimanche 1 décembre 2024

Pêle-mêle avec énigmes


Voilà,
non loin de chez moi, apparition d'un nouveau mural en l'honneur du réalisateur Jacques Demy, qui vécut dans le quartier en compagnie d'Agnès Varda dont la maison se trouve rue Daguerre. "Les demoiselles de Rochefort" y sont célébrées comme il se doit, mais aussi "Les parapluies de Cherbourg", par Alice Wietzel dans un graphisme fin, sobre et coloré.
 
 


Sinon ce trouble à cause de cet énigmatique j'aime ça et l’idylle aussi écrit dans un commentaire de ce blog sous une image qui ne suggère rien se rapportant à cela. Qui donc a pu rédiger ce message ? Y-a-t-il une allusion ? Je cherche une raison je suppose quelque nom. J'en viens même à soupçonner une intention cachée. Cela me laisse perplexe. Ce n’est peut-être somme toute qu’une faute de frappe qui aurait échappé à la vigilance de son anonyme dactylographe et que le correcteur orthographique aurait sublimé.  Ne vit-on pas dans un monde où tout ce qui s’écrit ou se voit est sujet à caution ? Des mots vont, des mots viennent comme de petits mercenaires sans foi ni loi. Et qui peut écrire "ça me serre le cœur" sous quelques mots rédigés à la hâte ou encore "écris sans nécessité j'aime lire pour rien". L'anonymat, même bienveillant, contrarie. 
 


Ils ne manquent d'ailleurs pas les sujets de contrariété, de perturbation même, par les temps qui courent : le procès de Mazan, et toutes les répugnances qu'il dévoile depuis trois mois, les génocides en cours, les guerres qui se rapprochent, les démocraties qui se désagrègent, la bêtise et la corruption des politiciens, les désastres écologiques de plus en plus nombreux, l'incurie des pouvoirs publics pour les anticiper, la course à l'abîme, le Mal qui étend son ombre partout. Je ne parle là que de la sphère publique. Je me souviens de mon devoir de français du brevet d'études du premier cycle (j'avais quinze ans) : "S'informer est notre premier devoir". Oui bien sûr, mais comment faire quand le monde vous assaille à ce point. Toute la saleté de l'humanité sur des écrans lisses. On a envie de devenir mutique.
j'ai quand même trouvé une bonne nouvelle : une découverte prometteuse a été faite dans la lutte contre la pollution plastique : des larves de vers de farine capables de consommer du polystyrène. Elles rejoignent le petite groupe d"insectes capables de décomposer le plastique polluant. C'est la première fois qu'une espèce d'insecte originaire d'Afrique est capable de le faire. Je ne sais pas si ça suffira pour la semaine. 
 
 

 
Mais bon, j'ai vu, de nuit, le joli jardin du Musée du quai Branly éclairé par Yann Kersalé. Et un peu de beauté ça met du baume au cœur, comme on dit

vendredi 29 novembre 2024

Au bord de l'écoulement des choses


Voilà
"Je m'arrête parfois, subitement, entre la vie qui va et la vie qui vient ; je stagne au bord de l’écoulement des choses. Et la stupeur de tout s’écroule sur ma tête. A d'autres moments il semble que brusquement, l'univers joue mal son rôle et trahisse ainsi son étrangeté ; il semble soudain me parler d'une autre voix, me révéler, un bref instant, une autre nature. Comme un rideau soulevé par le vent, et qui, en un éclair, entre-dévoile une parcelle irrévélée de quelque chose d'inconnu, d’inattendu..." Fernando Pessoa "Le livre de l'intranquillité" 

mercredi 27 novembre 2024

Passerelle Debilly

Voilà,
hier en me rendant au musée du Quai Branly, pour l'exposition "Zombies", profitant du beau temps, j'ai eu envie de photographier le pont "satanique" comme l'ont qualifié des culs-bénits traditionalistes français. C'est en effet à cet endroit que pendant la cérémonie des J.O. s'est déroulée la scène avec un Dyonisos nu et bleu que des crétins aussi incultes que malintentionnés ont confondue avec un pastiche de la cène. Le 7 octobre dernier plusieurs centaines de catholiques traditionalistes se sont d'ailleurs réunis sur la passerelle Debilly à Paris pour une prière de rue visant à "réparer le mélange de blasphème, de satanisme et d'idéologie LGBT" de la cérémonie d'ouverture des Jeux 2024. Les participants de ce rassemblement non autorisé par la préfecture, y ont demandé "l'aide de la Vierge Marie pour combattre les ennemis de l'Église".

mardi 26 novembre 2024

Quand tombe la nuit


 
Voilà,
"dans les ombres indécises d'une lumière qui va bientôt mourir, avant que la tombée du jour ne se change en nuit précoce, j'aime à errer sans penser parmi ce que devient la ville, et j'avance comme si tout était irréparable. Je savoure, avec mon imagination plus qu'avec mes sens, la tristesse diffuse qui me hante. Je marche au hasard, et feuillette en moi, sans le lire, un livre au texte intersemé d'images rapides, à partir desquelles je forme nonchalamment une idée qui n'aboutit jamais.
Certains lisent aussi rapidement qu'ils regardent, et terminent sans avoir tout vu. De même, je tire du livre qui se feuillette tout seul dans mon esprit une vague histoire inachevée, souvenir de quelque autre vagabond, morceaux de descriptions de crépuscules ou de clairs de lune avec des parcs au beau milieu et des allées où des silhouettes, vêtues de soie, passent et repassent.
J'indiscrimine à force d'ennui et d'or. Je marche tout à la fois dans la rue, dans la fin du jour et dans ma lecture faite en rêve, et ces divers chemins sont tous réellement parcourus. J'émigre et me repose - comme si j'étais à bord d'un navire déjà parvenu en haute mer.
D'un seul coup, les réverbères morts font coïncider leurs lumières subtiles des deux côtés de la longue rue qui dessine une courbe. Avec un choc, ma tristesse grandit encore. C'est que le livre est fini. Il reste seulement, dans la viscosité aérienne de la rue abstraite, un mince filet de sentiments, tout extérieur, comme un filet de bave du Destin stupide, qui tombe goutte à goutte sur ma conscience d'être.
Quelle vie différente que celle d'une ville où la nuit tombe. Quelle âme différente que celle d'un homme regardant tomber la nuit. Je marche, incertain et allégorique, être irréellement sensible. Je suis comme une histoire qu'on aurait racontée, et si bien racontée qu'elle aurait pris chair, mais sans bien pénétrer en ce monde-roman réduit à un début de chapitre : "A cette heure on pouvait voir un homme descendre lentement la rue de..."
Qu'ai-je à voir avec la vie ?
"
(Pessoa  Le Livre de l'Intranquillité 181) 

dimanche 24 novembre 2024

Pêle-mêle en forme de bilan

 

Voilà,
cette fresque se trouve dans un café à l'angle de la rue Littré et de la rue de Vaugirard. J'ai pris la photo il y a quelques jours. Je l'avais aperçue, à travers la vitre de l'établissement il y a un peu plus d'un an, alors que je marchais à la nuit tombante, un soir d'Octobre, dans un état second, les yeux embués de larmes. L'idée m'avait effleuré qu'il faudrait que je revienne un jour la photographier, mais cela m'avait aussitôt paru stupide et absurde. Je venais d'apprendre la nature du mal sournois qui affectait ma fille. J'étais en état de choc. Le sol se dérobait sous mes pas, plus rien n'avait de sens. L'avenir s'ouvrait comme un gouffre. J'étais effrayé à l'idée de la perdre. 
Je l'avais appris de son médecin généraliste qui tenait l'information du spécialiste vers lequel elle nous avait envoyé et que nous allions rencontrer le lendemain ma fille, sa mère et moi. J'avais pris ce rendez-vous pour savoir les questions que nous pouvions poser au médecin, dans la mesure où ma fille était une très jeune adulte, et que l'annonce lui serait adressée en notre présence. J'avais déjà dans l'idée que cela ne serait pas très fameux. 
Dans son cabinet où elle m'avait accueilli après son dernier patient de la journée, elle s'était permis cette entorse à la déontologie, sans doute pour amortir le choc du lendemain. Je lui suis reconnaissant de cette délicatesse.
Je ne raconterai pas la journée qui a suivi. Elle est inscrite dans ma mémoire dans ses moindres détails. Tout au plus puis-je dire que c'était une radieuse journée d'octobre. La lumière était belle au parc Montsouris où j'étais venu marcher tout seul avant l'entretien.

 
Je ne parle pas non plus des mois qui ont suivi ,qui furent parfois éprouvants. Il m'arrivait dans ce blog de faire allusion à ce que j'éprouvais. J'en concevais autant d'envie que de réticence car après tout ce n'était pas "ma" maladie. Mais j'étais en souffrance, et il me fallait tout de même trouver un exutoire. Les mots ne m'étaient pas d'un grand secours, tout me semblait dénué de sens. Certaines images par leur fabrication m'ont apaisé. Elles sont encore là comme des talismans. Je n'oublie pas les nuits, rongées par la peur et l'incompréhension. L'hôpital, les cheveux de ma fille qui tombent, son crâne nu, sa fatigue, les effets secondaires du traitement, mais aussi son élégance, sa dignité dans l'adversité. Nos promenades quasi quotidiennes. La plupart de mon temps lui était dévolu. Je n'en continuais pas moins de prendre des photos. Mais parfois, lorsque je me retrouvais seul, je n'étais plus qu'une plaie ouverte.


Les nouvelles du monde étaient si affligeantes, que je n'écoutais pas la radio, évitais la télévision. Il y avait le cinéma, les expositions pour faire diversion. Quelques vieux ami.e.s m'ont témoigné du soutien. Certain.e.s sont apparu.e.s. Ils se reconnaîtront, s'ils me lisent. D'autres se sont défilés avec plus ou moins de délicatesse. Il y a eu des petites lâchetés. D'êtres qu'on pensait proches, on espérait des gestes simples qui ne sont jamais venus. Il en est même un qui s'est comporté de façon ignoble. C'était certainement le plus intelligent de tous, le plus vaniteux aussi. Comment ai-je pu à ce point me tromper sur certaines personnes ? 
 
 
Ma fille s'est rétablie. "Vous pouvez reprendre votre vie d'avant" lui a-t-on dit un jour. Depuis elle la croque à belles dents. Ces derniers mois elle n'a cessé de voyager en Europe. Aujourd'hui, je suis un peu apaisé. Soulagé, sans pour autant être rassuré. Je prends parfois la mesure de la catastrophe à laquelle nous avons échappé. Je ne suis ni heureux ni malheureux, dans une sorte de brume intérieure un peu comme cette image. Je parviens difficilement à reprendre le cours ordinaire des jours. Oui j'ai refait l'acteur, participé à quelques projets, je socialise un peu. Mais une part de moi est toujours absente, ailleurs, en retard, à côté, sur le bord, en marge, en vrac, en catimini. Aujourd'hui par exemple, je suis resté chez moi, en pyjama, alternant lectures, radio, scrolling débile sur mon smartphone et siestes. Je suis comme un instrument désaccordé. La mélodie du temps qui passe sonne un peu faux. J'essaie encore de comprendre le monde où je vis, comme hier, mais je n'y parviens pas. Et puis à quoi bon ? Même quand j'écris, j'ai plus l'impression de m'éloigner de moi-même que de m'en rapprocher.

samedi 23 novembre 2024

Débâcles

 
Voilà,
en 2023 Nicolas Mathieu avait écrit sur son fil Instagram à propos du passage en force du gouvernement sur sa réforme des retraites : "Un jour, des historiens se pencheront sur cet étonnant moment, au cours duquel un gouvernement aux abois, sans majorité réelle, un pouvoir élu par défaut, une masse de privilégiés suiveurs et éberlués de chiffres mensongers, des sénateurs grassement payés, disposant de retraites phénoménales, auront réussi à aller contre la volonté et les intérêts de tout un peuple. Il s’intéresseront à ces jours de 2023 et constateront que le plus grand nombre, éreinté par la pandémie, l’inflation galopante, le scandale quotidien que représente l’explosion simultanée de la fortune des uns et de la misère des autres, aura vu son bon droit passer à la moulinette d’institutions malades, sa souveraineté détournée ainsi qu’un ruisseau, sa volonté niée, ses aspirations systématiquement bafouées, et pour quoi ? À la fin, on finit par se le demander. Mais ces historiens établiront peut-être des corrélations entre ce qui s’était tramé là, et quelque désastre advenu un peu plus tard. Ils diront peut-être que ces jour-là emmagasinaient sans qu’on le devine encore la poudre d’explosions à venir. Il s’étonneront en tout cas du triste état dans lequel se trouvait alors une démocratie si contente d’elle-même..
Ouais d’accord. A un détail près. On n'en est plus là. Ces derniers mois dans ce pays on a fait bien pire.
Et puis, pour que des historiens se penchent un jour sur notre époque, encore faudrait-il que celle-ci puisse entrevoir un futur. Mais même un futur sombre, ça parait un peu plombé. Je parle d'un futur civilisé, où les conditions de recension d'un savoir, d'une mémoire seraient possibles et nécessaires pour les générations suivantes. Mais les générations suivantes, tout le monde s'en branle on dirait.
L'époque n'est guère brillante. Pas vraiment à la fin des temps, mais déjà un peu les temps de la fin, pour reprendre la formule de Pierre-Henri Castel dans son ouvrage de philosophie morale "Le Mal qui vient".
C’est étrange tout de même, Paul Valéry a beau avoir écrit que les civilisations sont mortelles, on semble toujours plus ou moins penser que la nôtre est à l’abri. Que ce n’est pas pour tout de suite. Dans mille ans, peut-être, mais pas maintenant. Je ne sais pas, il est possible que nos élites soient persuadées  que si le chaos s’est durablement installé dans des régions comme l'Irak, la Syrie, l'Afghanistan, la Libye, le Liban, le Bangla-Desh, les pays d'Afrique centrale, Haïti et j’en oublie, c’est parce qu'ils les considèrent encore comme des pays sous-développés – souvent d’anciennes colonies – et que leurs populations et leurs dirigeants le sont aussi.  Si la loi du plus fort et du plus riche y règne, si l'État s'y est plus ou moins désagrégé, si les lois communes sont abandonnées au profit de groupement d'intérêts privés, de puissances locales souvent de caractère mafieux, c’est juste parce que c’est des noirs des arabes des métèques, enfin des pas-comme-nous, quoi ! Nous on a des types comme Trump, comme Poutine, comme Javier Milei, comme Orban, Macron Netanyahou qui sont des phares de la pensée, on est à l’abri ⸮ (c'est de l'ironie). Pourquoi ça devrait nous arriver semblent encore croire la plupart des gens. Bien sûr il y a des crises, c'est même l'essence du capitalisme que de passer de crises en crises.  N'a-t-on pas toujours su rebondir ?
Mais malgré tout, l'idée que des catastrophes sociales, financières, militaires, écologiques, puissent durablement menacer aussi l’Occident commence à infuser. On redoute même qu'elles adviennent toutes en même temps. La fin du monde n'arrive pas à la même heure dans les différents endroits de la planète. C'est comme ça. Et ces soixante-quinze dernières années, on a pris un peu de retard. L'Europe a durablement été épargnée. A force on trouve ça normal. 
Cependant même parmi les plus optimistes, le doute s'installe. Et si c'était vraiment notre tour à présent ? Depuis une certaine élection outre-atlantique l'idée que nous aussi glissons vers encore plus de chaos écologique, politique, culturel commence à poindre. C'est vrai qu'il y a de quoi s'alarmer. Rien qu’ici, en France, le narcissisme d’un seul homme ayant, ces derniers mois, multiplié les décisions incohérentes a rendu ce pays non seulement ingouvernable, mais l’a en outre décrédibilisé au regard des puissances et institutions internationales. Elles rechignent de plus en plus à lui prêter de l'argent. Cela en sera bientôt peut-être fini de la société du caddie plein.
Bien évidemment, je ne demande qu'à me tromper. Je préfèrerais que ces idées ne me traversent même pas l'esprit. Mais il suffit d'écouter et de regarder pour se rendre compte qu'on n'a pas le cul sorti des ronces. "Plus d'un signe annonce l'hégémonie du délire" écrivait Cioran, en des temps pourtant moins irrationnels. La guerre est de nouveau aux portes de l'Europe. Le changement climatique a des incidences sur la production agricole, nous ne sommes même pas autosuffisants. La pollution ne cesse de croître un peu partout. La faillite intellectuelle et morale de nos dirigeants n'est plus a démontrer. Et tout se passe comme s'il étaient déjà persuadés qu’ils n’auront justement pas de comptes à rendre à l’Histoire. 
 
On ne peut que constater, de jour en jour, la perte de tout sens commun, être entraîné malgré tout dans cette folie collective, sans pouvoir y faire grand chose, et pourtant on continue d'envisager des projets. Parce que malgré tout c'est là-dedans qu'il faut aménager sa petite vie, sa misérable petite vie. De toute façon cela se passera autrement qu'on l'imagine. Si le pire est prévisible, ses modalités ne le sont pas.
Je me reproche souvent cette manie à ne pouvoir m'empêcher de parler du monde. Je m'en veux de céder à cette tentation, alors que certaines de mes connaissances, prennent des bombes sur la gueule à trois heures d'avion d'ici. Je ferais mieux de mettre de l'ordre dans ma bibliothèque, de trier mes photos, de me débarrasser des choses superflues, de prendre soin de mon foie, de donner mes livres, de rédiger mes dernières volontés, d'appeler les personnes qui me furent si attentives durant l'épreuve des derniers mois, de profiter des menus bonheurs dont il m'est encore possible de jouir au lieu de passer du temps devant mon écran à mettre en forme des textes qui n'intéressent pas grand monde.
Mais j'ai par hasard croisé cette citation de Maurice Blanchot, dans son essai "Le livre à venir" . Et même si je ne suis pas écrivain, je la prends à mon compte. Au fond elle me disculpe. "C'est une des charges de notre temps que d'exposer l'écrivain à une sorte de honte préalable. Il faut qu'il ait mauvaise conscience, il faut qu'il se sente en faute avant toute autre démarche. Dès qu'il se met à écrire, il s'entend interpeller joyeusement : «Eh bien, maintenant tu es perdu.» «Je dois donc cesser ?» «Non, si tu cesses, tu es perdu.» Ainsi parle le démon qui parla aussi à Goethe et fit de lui cet être impersonnel, dès sa vie au-delà de lui-même, impuissant à sombrer parce que ce pouvoir suprême lui avait été retiré. La force du démon est que par sa voix parlent des instances très différentes, de sorte que l'on ne sait jamais ce que signifie le «Tu es perdu ». Tantôt c'est le monde, le monde de la vie quotidienne, la nécessité d'agir, la loi du travail, le souci des hommes, la recherche des besoins. Parler quand le monde périt ne peut éveiller en celui qui le parle que le soupçon de sa frivolité, le désir, du moins, de se rapprocher par ses parles de la gravité du moment en prononçant des mots utiles, vrais et simples. «Tu es perdu» signifie : «Tu parles sans nécessité, pour te soustraire à la nécessité ; parole vaine, infatuée et coupable ; parole de luxe et d'indigence.» - «Je dois donc cesser!» «Non, si tu cesses, tu es perdu.»"
Oui je suis perdu, mais le week-end, ça passe inaperçu.
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jeudi 21 novembre 2024

Suspension

Voilà,
nous étions là ensemble, ma fille et moi, silencieux confiants, abandonnés à la contemplation de ce paysage offert. La nuit tombait doucement sur Malaga. C'était un de ces moments suspendus où les mots restent au bord des lèvres et que, dans un muet tohu-bohu, le cerveau mêle pensées souvenirs et conjectures. 

mardi 19 novembre 2024

Quitter à présent toutes ces choses confuses


 
Voilà
"Quitter à présent toutes ces choses confuses

tout ce que nous possédons et qui pourtant ne nous appartient pas,
ce qui telle l’eau des vieilles fontaines
nous reflète en tremblant et décompose notre image ;
toutes ces choses qui telles des plantes armées d’épines
s’accrochent à nous une dernière fois, – ne pas s’arrêter,
et ceci et celui-là
que l’on ne voyait plus
(tant ils étaient quotidiens et ordinaires)
les regarder tout à coup en face et de près ;
d’un œil doux et conciliant comme pour la première fois ;
sentir confusément combien impersonnelle
et s’abattant sans choix allait la douleur
dont l’enfance était jusqu’aux bords remplie – :
et partir tout de même, arrachant la main à la main
comme si on rouvrait une plaie déjà guérie
et aller plus loin : mais où ? vers l’inconnu,
profondément dans un pays étranger et chaud,
qui derrière tous nos affairements démêlés
se tiendra indifférent comme un décor : jardin ou mur ;
et continuer : mû par quoi ? par nécessité ou tempérament,
par impatience ou attente obscure,
par impossibilité de comprendre ou sottise :

Prendre tout cela sur soi et en vain,
laisser tomber des choses que peut-être on tenait
pour mourir tout seul et sans savoir pourquoi – :

Est-ce là l’entrée d’une vie nouvelle ?"
(Rainer Maria Rilke)

lundi 18 novembre 2024

Un regret du présent

 
Voilà,
"Il y a quelque chose de lointain en moi en ce moment. Je suis bien penché au balcon de la vie, mais pas vraiment de cette vie-ci. Je suis au-dessus d’elle, et la contemple de l’endroit d’où je regarde. […] Je suis tout entier un vague regret — ni du passé, ni de l’avenir : je suis un regret du présent, anonyme, prolixe et incompris".
Fernando Pessoa in Le Livre de L'intranquillité
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dimanche 17 novembre 2024

Boulangers

 
Voilà,
J'ai découvert il y a peu cet endroit. Anciennement square Scipion, le square Théodore Monod du nom du naturaliste français fut créé en 1899 en remplacement de la place Scipion à l'angle de la rue Scipion et de la rue du Fer-à-Moulin. Il est orné d'un Haut-relief polychrome en grès émaillé d'Alexandre Charpentier et Émile Müller, intitulée Les Boulangers. Réalisée en 1897, cette composition achetée par la Ville de Paris à l'Exposition universelle de 1900, avait été initialement installée dans le square Félix Desruelles à côté de l'église St Germain-des-Prés avant d'être transférée au square Scipion. Ce haut-relief rappelle que, à partir de 1675, la rue Scipion hébergeait la boulangerie des hôpitaux de Paris-Assistance publique, qui depuis 1974 est devenue un musée.
Un certain A. Delhomme, compagnon du devoir en fait à l'époque la description suivante : "Admirablement traités, aussi, les détails des hauts reliefs. Derrière les hommes, le four, avec ses tôles noires et ses briques rouges, les corbeilles destinées à la pâte blanche, les plats en bois, le pétrin, d’un brun terreux, et jusqu’aux linges blancs pendus aux murailles, sont d’une vérité soulignée encore par la forte simplicité des couleurs et l’harmonie des teintes".
And here is a real mosaic for mosaic  monday :-)

samedi 16 novembre 2024

Nulle terre pour t'appeler

 
 
Voilà 
c'était un temps d'heures vides et vagabondes, les terreurs s’épanouissaient dans des tours obscures. En songe tu adorais la pierre sèche et le bois silencieux. Échoués sur un rivage stérile des lambeaux de ciel séchaient là éparpillés comme des fougères fossiles. Nulle terre pour t'appeler ou te retenir. Nul endroit où tes rêves auraient pu faire souche. Éphémères, incertaines, sans récit ni paroles, des visions surgissaient entre deux brumes, traçant un chemin sans bord dans le murmure du ressac.

jeudi 14 novembre 2024

Cabanes sous les tropiques

Voilà
c'était sur l'île de la Désirade, une dépendance administrative de la Guadeloupe située à une dizaine de kilomètres à l'est de la Grande-Terre. L’endroit me parut sinistre. Comme si le lieu, depuis longtemps, avait un très mauvais karma. Dès le dix-huitième siècle, quand on installa une léproserie à Baie-Mahault, elle devint une terre de relégation. En outre, l'île ordinairement pauvre en eau potable, fut en 1989 dévastée par l'ouragan Hugo.
Ces cabanes de pêcheurs et ce grand arbre solitaire en arrière plan, j'ai eu envie de les cadrer, comme cela m'est arrivé sous d'autres cieux sur d'autres rivages. Cela reflétait assez bien mon état d'esprit. J'avais alors le moral à zéro et me sentais aussi misérable que ces tôles. 
Il reste cette photo. Merci la vie.

jeudi 7 novembre 2024

Lagune de Venise

Voilà, 
le ciel, on ne sait jamais ce qu'il contient de menaces, même quand il est beau. Aujourd’hui, je me suis souvenu de Venise, et j'ai secrètement remercié le monde de m'avoir offert cette vision. Je me suis aussi rappelé ce texte d'Ascanio Celestini écrit en 2009, année où cette photo fut prise. Il s'appelle "Le peuple est un enfant"

"Le peuple, ça l’intéresse pas cette chose qu’on appelle la Démocratie

Je vais vous raconter une histoire :
Il était une fois un intellectuel qui s’appelait Ponce Pilate
Et un jour, Ponce Pilate a pensé que le peuple était prêt pour la Démocratie.

Donc il a pris deux types, deux types qu’il venait à peine d’arrêter et il les a présentés au peuple en disant :
"Peuple, Démocratie, c’est toi qui choisis, lequel on libère entre celui-ci et celui-là ?"
Le peuple est un enfant, qu’est ce qu’il en sait le peuple ?
Le peuple il tondait les moutons, il trayait les vaches, il labourait dans les champs le peuple...

Alors, Ponce Pilate qui était vraiment avide de démocratie a dit :
"Peuple, je te donne un indice. A ma gauche, il y a Barrabas, à ma droite il y a Jésus Christ. Peuple, lequel veux-tu libérer ?"
Mais le peuple est un enfant, le peuple n’est pas prêt à tout ça, qu’est ce qu’il en sait le peuple ?
Le peuple regarde le match de foot, le peuple, il aime bien les speakerines, le cul, les nichons, qu’est ce qu’il en sait le peuple ? Il va au supermarché...

Alors Ponce Pilate qui était un intellectuel et qui était avide de démocratie a dit :
"Peuple, je te donne un autre indice : Celui-ci, Barrabas est un voleur de poulets, et cet autre, Jésus Christ, c’est Dieu descendu sur la terre. Peuple, lequel veux-tu libérer ?"
Et le Peuple a dit : "Barrabas"
Barrabas...qu’il dit le Peuple...
Parce que le Peuple, il veut Barrabas !
Parce que le Peuple au final, il vote pour le voleur de poulets !
Et le voleur de poulet au final il devient Président du Conseil, il devient Maire, administrateur de copropriété, vous comprenez ?
Le Peuple veut le voleur de poulets !

Et alors Ponce Pilate, qu’est ce qu’il aurait dû faire ? Hein ?
Dire que la démocratie, c’est une idiotie ?
Dire que le peuple est débile ?
Non, Ponce Pilate a fait le geste le plus haut de l’histoire de l’Humanité :
Ponce Pilate s’est lavé les mains.

Vous comprenez ce geste extraordinaire ?
Il s’est lavé les mains ! Comme pour dire que contre l’ignorance, on ne peut rien faire mais contre la saleté, la bataille n’est pas encore perdue, vous comprenez ?

Comme pour dire que la Démocratie, elle est indéfendable, le peuple, il n’en veut pas, il ne la pige pas, il ne la comprend pas... MAIS... On peut encore faire quelque chose pour l’hygiène."
 
Je ne sais pas pourquoi je pense à ça.


mercredi 6 novembre 2024

Consternation

 
Voilà,
Karl Marx considérait que l’histoire se répète d’abord comme tragédie puis comme farce. Ce qui arrive aujourd'hui Outre-Atlantique est pire qu'une tragédie parce que c'est justement un redoublement de la farce. Personne ne pourra dire qu'il n'a pas été prévenu. On a vu le lascar à l'œuvre durant quatre ans, on a pu constater son ignorance crasse (notamment durant la crise du Covid), sa bêtise, ses incohérences, sa démence mentale, il y a eu les événements du Capitole et sa tentative de sédition, les 34 chefs d'accusations en justice pour des motifs divers. Tous les anciens présidents américains, même les plus cons comme Bush, des vice-présidents, des anciens leaders républicains, les chefs d'états majors, des anciens collaborateurs de Trump ont appelé à voter contre lui. Et pourtant le voilà réélu avec les pleins pouvoirs puisque les républicains sont désormais largement majoritaires au Sénat et peut-être même à la chambre des représentants. Ce n'est pas seulement la défaite du camps des démocrates, c'est la défaite de l'intelligence de l'humanisme, des valeurs qui ont fondé la démocratie américaine il y a presque 250 ans, c'est surtout le triomphe du populisme, de la force brute et obtuse, de l'égoïsme de la bêtise, de la misogynie de la vulgarité et de la haine. 
C'est la récidive qui est consternante. Que le système électoral américain soit obsolète et absurde, c'est un fait, mais tout de même, plus de la moitié des votants ont apporté leurs suffrages à une canaille qui ne cache pas son jeu et revendique avec arrogance sa crapulerie. C'est cette adhésion qui questionne et stupéfie. Mais sans doute l'individu est-il, dans l'iconographie américaine un objet de fascination, comme le suggérait le photographe Andres Serrano. Dans son exposition "Portraits de l'Amérique" au musée Maillol, il y avait cette installation consacrée à Trump. "The apprentice" a pris sa revanche.
La servitude volontaire que j'évoquais il y a huit ans se confirme. L'empire romain a eu ses Caligula, ses Commode, ses Néron. L'empire américain a Trump. Sauf qu’en l’occurrence, c’est le peuple qui l'a choisi et désiré.
 
 

 
 
Hegel mettait l'accent sur la rationalité de l’histoire (on a le droit de rire de ce postulat) en ce sens que chaque étape, même tragique, permet à l’Esprit d’apprendre et de progresser. Apparemment une majorité des citoyens de États-Désunis est inapte à l'apprentissage. Mais peut-être qu'un hégélien verra l'émergence du néo-fascisme américain comme un moment de crise qui, par la négation de ses excès et la prise de conscience collective, permettra une évolution vers des systèmes politiques et éthiques plus équilibrés  C'est de l'ironie bien sûr. C'est hier que ce pays avait la possibilité d’un stimulant rendez-vous avec son Histoire. Au lieu de cela il a choisi de se perdre sur un chemin bien sombre, bien ténébreux.
J'ai souvent — quitte à passer pour un pessimiste dépressif  — été plutôt lucide quant à la marche du monde, durant toutes ces années où j’ai tenu ce blog. Je n'en tire aucune fierté. Je préfèrerais être l'idiot du village et dessiner avec mes doigts. Je ne me suis jamais fait beaucoup d’illusions sur la nature humaine. Je me range à l'avis de Jean Rostand pour qui "L'humanité est une maladie de la terre. Sur les planètes saines il n'y a pas d'homme". Pourtant je n'imaginais pas que cette réélection se produirait. Je ne pensais pas que le choix délibéré de la connerie fut possible. Surtout après ce débat où il s'était couvert de ridicule. Mais bon, les gens qui votent pour Trump ne sont pas dans le domaine de la rationalité de l'intelligible et de l'argument, ils sont dans celui de la croyance. Et les faits ne pénètrent jamais le monde des croyances.
Et de plus, tout cela advient au pire moment de l'histoire de l'humanité, celui où sa survie est  pour des raisons écologiques et climatiques, plus menacée que jamais, et que sa responsabilité dans cette situation n'est plus à démontrer . On pourrait penser qu'on a atteint le fond, mais non apparemment il sera toujours possible de creuser un peu plus, et l'on peut décemment redouter que le pire soit à venir.
Jamais autant d'ordures patentées et de crétins notoires n’ont accédé en même temps au pouvoir en différents endroits du monde. A la différence des dictateurs de la fin des années trente, ils sont nombreux aujourd’hui à posséder en plus l’arme nucléaire. Bref, on n’a pas le cul sorti des ronces. 
Cela va être difficile d’avoir l’esprit léger dans les années qui viennent. Difficile aussi de s'en tenir aux préceptes du maître de Kopan.
Le weekend dernier, le dramaturge Wajdi Mouawad s’exprimait ainsi dans un entretien au journal Le Monde, : "Avec la probable victoire de Donald Trump, disait-il nous allons entrer dans une ère où la violence comme mode d’expression va se dessiner comme un droit allant de Washington à Moscou, de Tel-Aviv à Téhéran, de Pékin à Washington. Le cercle se referme sur notre époque. Entre la crise climatique et la crise géopolitique, la faillite de cette époque est d’autant plus abyssale que nous élisons ceux qui voient cette faillite comme une victoire. Comme il est chrétien et qu'il croit au salut de l'humanité et à la rédemption, il ajoute "Nous allons devoir faire preuve d’une grande solidarité pour passer à travers le cloaque qui approche et continuer à poser des gestes, si petits soient-ils, pour sauvegarder notre rapport à l’autre. Un rapport où la bonté et l’affection, comme des insectes en voie de disparition, devront être préservées pour être repollinisées plus tard. Sans doute pas de notre vivant. Pour nous, je crains qu’il soit un peu trop tard."
En exergue de cette publication, j'ai mis une photo du buste de Stefan Zweig, dont j'ai déjà parlé il y a quelque  mois. Je crois qu'aujourd'hui, il ne prendrait même pas le temps d'écrire un livre avant de se suicider.

Publications les plus consultėes cette année