mercredi 11 décembre 2024

Dormir pour oublier (33)

 
Voilà,
pour la plupart on pourrait aussi bien les désigner comme "asphaltés", tant ils semblent appariés au bitume du trottoir, ces dormeurs devant lesquels on passe, non pas indifférents, mais impuissants, gênés et vaguement honteux. Pendant les Jeux Olympiques ils avaient été dissimulés, cachés on ne sait où. La ville pouvait enfin ressembler, pendant quelques semaines à celle que l'on voit dans une série populaire.
Et puis tous ces laissés-pour-compte de notre société sont réapparus peu à peu dans les rues de Paris. Au moins ceux-ci ne nous effraient-ils pas. Ils ne résistent plus. Ils glissent doucement vers la mort.
Aujourd'hui, il paraît que 700 enfants dorment aussi la nuit dans les rues de Paris.
Rappelons quelques chiffres au passage : 735 personnes décédées dans la rue l'an dernier, un record. 45 000 lits en moins dans les hôpitaux, depuis que Macron est président. Un autre record. Aujourd'hui les moyens des collectivités locales se raréfient car l'État exige qu'elles fassent des économies. A tel point qu'elles annoncent ne plus pouvoir investir dans les établissements scolaires. On en est là, on coupe dans les budgets sociaux, éducatifs, culturels. Alors envisager des refuges supplémentaires pour sans-domiciles...
Sinon, le nombre de milliardaires français est passé de 65 à 147 en dix ans.
Le plus fortuné d'entre eux, possède une collection d'art contemporain qu'il ouvre au public. La dernière exposition programmée pour clore l'année à la Bourse du Commerce est consacrée à l'arte povera. Je me demande s'il n'y aurait pas là comme du foutage de gueule, par hasard.
C'est donc ça la France de 2024. Ingouvernable. Injuste. Aveugle à la misère. Sourde à la colère aussi. Mais bon, les J.O. furent un succès et Notre-Dame de Paris a été sauvée. Il ne faut pas non plus être trop exigeant n'est-ce pas ?
Pour être tout à fait juste et quitte à déplaire ou choquer cela ne m'importe plus beaucoup. J'ai trop à faire avec la douleur physique. D'ailleurs sur cette photo, ce n'est pas vraiment la misère que j'ai photographié, plutôt son spectacle obligé, qui est comme un crachat à la face des passants. Ce qui embarrasse, là- dedans pour la plupart, ce n'est pas que ça existe mais que ça puisse autant se voir. Que ça ne coïncide pas avec la réalité plus ou moins glamour et aseptisée que les vendeurs de bagnoles, de parfums, de services bancaires, de cuisines intégrées essaient de nous vendre dans leurs publicités à la con. Ce type là au sol, personne ne voudrait le recueillir chez soi. Pas moi en tout cas. On s'est pour la plupart résignés à l'idée qu'il est irrécupérable. Simplement il n'y a plus d'asile pour les indigents. Ce service public n'existe plus. Alors on a peu à peu (je ne sais pas quand ça a commencé) intégré l'idée, accepté le concept de chosification des corps. Il font partie du décor, comme les panneaux Decaux ou les colonnes Morris. ils deviennent  comme ces détenus que dans les camps de concentration on désignait sous le terme de "Stück" qui veut dire, pièce, morceau, partie élément.  Je me souviens très bien de la première fois où j'ai vu des corps-choses. C'était à gauche de cette porte. J'étais enfant. Mais c'était dans un pays qui n'était pas le mien. J'avais au moins conscience de ça, que c'était moi l'étranger. Bien plus tard à Paris, j'ai découverts les clochards. Mais les clochards étaient des personnes. Ils avaient leurs lieux, la place Maubert, la Contrescarpe. Ils vivaient sous les ponts. Ils constituaient une espèce de confrérie. On en faisait même des cartes postales. Ils faisaient partie du patrimoine local, comme les poulbots de la butte Montmartre. Je simplifie bien sûr.  Oui c'est étrange je ne me souviens pas vraiment de quand date l'apparition des corps-épaves dans les rues de Paris, et comment petit à petit j'en suis venu à entrevoir et nommer cette part de réalité comme le ferait un gardien de camp, finalement.
 

1 commentaire:

  1. Conclusion saisissante. Être gardien suppose d’accepter tacitement insidieusement de dénier à l’autre sa qualité d’humain. La lucidité et encore moins l’expression ne sont de son côté. Pris dans une sorte de cécité collective, serions-nous devenus cela à notre insu tout à notre désir forcené de survie ?

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