mercredi 8 décembre 2021

Hors-Jeu

 
Voilà,
ce n'est pas simplement que je vieillis. Cette lassitude, cette fatigue a sans doute d'autres raisons. Le monde m'épuise, son spectacle, ses bavardages, ses rumeurs. L'aveuglement au désastre dont font preuve nos dirigeants, l'impuissance, l'indifférence ou le cynisme qu'ils manifestent face à la situation écologique qui réclame autre chose que des demi-mesures, m'affligent.
Il semblerait qu'aucune leçon n’ait été tirée de la crise récente provoquée par la première vague de covid. L’ultralibéralisme qui ne sait fonctionner qu’à flux tendus nous impose des hausses de tarifs pour avoir du gaz, de l’essence ou de l’électricité. Le prix des matières premières et de certaines denrées alimentaires flambe, en raison de l'épuisement des ressources et des sécheresses dues aux dérèglement climatiques. Les villes continuent d'être saturées par des embouteillages où les voitures sont de plus en plus lourdes, plus volumineuses et toujours aussi peu remplies. Suite au confinement généralisé qui a mis en relief les aberrations de l'économie globalisée, on aurait pu supposer une prise de conscience à l’échelon mondial, de la nécessité d’un ralentissement, mais au contraire, on se précipite pour compenser ce qui aurait été perdu lors des confinements. On s'acharne à produire plus, à rattraper le taux de croissance que la crise a fait baisser. Un penseur contemporain Byung-Chul Han, considère que "ce que nous nommons la croissance aujourd’hui est en fait une excroissance, une prolifération qui détruit l’organisme social. D’une vitalité inexplicable et mortelle, ces excès métastasent et prolifèrent à l’infini. Arrivée à un certain stade, la production devient destructrice. Ses pouvoirs destructeurs produisent non seulement des catastrophes écologiques ou sociales, mais aussi des catastrophes mentales." A partir de ce constat il élabore et développe le concept de thanatocapitalisme. 
 
Et pendant ce temps là, les personnels soignants qu'on a vraiment pris pour des cons, ces dernières années en France, désertent nos hôpitaux, par fatigue, par lassitude de se sentir méprisés. Alors on ferme le peu de lits qu'il reste dans ce pays parce qu'il n'y a plus suffisamment de personnel hospitalier. Rappelons juste les chiffres : en 1981 il y avait 392 641 lits d'hôpitaux pour une population de 56 millions d'habitants en 2018 il y avait 243 200 lits pour 67 millions d'habitants. Pourtant, il semblerait qu'une majorité de la population s'apprête à voter pour des politiciens qui vont continuer cette politique de dégraissage de la fonction publique et de privatisation de ce qui relevait ces soixante dix dernières années du bien commun (Santé, Éducation, Culture, Justice). C'est à n'y rien comprendre. Comment ne pas repenser à cette réflexion — datant pourtant de 1576, et malheureusement toujours d'actualité — d'Etienne de La Boétie, dans son "Discours de la servitude volontaire" : "Il est incroyable de voir comme le peuple, dès qu'il est assujetti, tombe soudain dans un si profond oubli de sa liberté, qu'il lui est impossible de se réveiller pour la reconquérir : il sert si bien et si volontiers, qu'on dirait à le voir qu'il n'a pas seulement perdu sa liberté mais gagné sa servitude". 

Je devrais m'en foutre puisque je suis hors jeu, passé un peu plus dans la catégorie des improductifs. Je gagne encore vaguement ma vie. Je continue parfois de faire l'acteur,  — un peu. Il me semble cependant que rien de ce que j'accomplis, de ce qui m'a permis de survivre n'a encore de sens dans la réalité où je me trouve. D'ailleurs les gens viennent de moins en moins au théâtre, en tout cas celui que je pratique, qui a encore quelque prétention artistique. Est-ce la peur, la flemme, l'accoutumance à la claustration, l'absence de curiosité ? Ou peut-être les gens ont ils juste envie de s'amuser. 
Hier je suis passé devant la Nouvelle Eve, il y avait une file d'attente pour assister au stand-up de quelqu'un qui semble très populaire auprès d'un public jeune. Du monde, il y en a aussi à l'approche des fêtes, dans les magasins bondés, et le récent "black friday", coutume consumériste importée d'outre Atlantique il y trois ou quatre en France, confirme cette soif de consommation.
 
C'est un monde étrange que celui qui prend forme sous nos yeux. Il est possible que la réalité ait, aux personnes âgées, toujours semblé confuse et quelque peu énigmatique. Mais l'hyper-information propagée par le web, rend plus vive encore, et aussi plus absurde, la perception de ce qui nous entoure. Je me sens parfois comme ces passagers d'un autre temps contemplant à leur insu un futur qu'ils ne peuvent soupçonner.

16 commentaires:

  1. This stand up comedy is really popular with the young audience.

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  2. Everyone is over it too here. I really feel for the medical staff in hospitals trying to do their best while understaffed.

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  3. Right. All depressing. Circling the drain.

    mae

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  4. ...the blindness to the disaster shown by our leaders is amazing.

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  5. The whole system, everywhere, seems to be a mess. Our local hospital, serving the whole county, has to resort to nursing patients on trolleys in corridors because of lack of beds. It's all so very depressing.

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  6. 230 lits vides dans le CHU de Strasbourg, manque 300 soignants, dont 150 infirmiers, pour des histoires d'argent. Ca me dépasse.

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  7. What a wonderful street photo. The Metro does provide a slice of humanity.

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    1. This is not a street photo. I took it in a photo exhibition. The people in the subway are a photograph hung on a wall

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  8. Our leaders are Pied Pipers and are being followed by hypnotised populace to their doom.

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  9. Ce qui est certainement le plus à déplorer est le fait de ne rien avoir appris, de ne pas avoir tiré de leçons comme tu écris. Cela couvre tant de sujets, l'écologie, les soignants, le libre marché...
    Comment ne pas se sentir spectateur impuissant et assez désespéré?
    Mais le soleil brille ce matin et ta photo est si plein d'yeux humains.
    Un beso

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  10. aucun des candidats déclarés n'a la stature qui conviendrait pour affronter les défis qui nous font face, c'est l'un des drames que nous vivons. mais je me souviens de De Gaulle en juin 1940. qui aurait alors parié qu'il se hisserait à la hauteur de la situation ? le passé nous enseigne que les hommes à la hauteur de la situation ne se révèlent que lorsque la catastrophe est là. alors que faire ? connaissons-nous, Arnaud, l'homme ou la femme à la hauteur de la situation ? et si oui, comment lui faire monter la première marche ?
    n.b. je ne parle pas d'homme providentiel, mais simplement d'homme ou de femme à la hauteur de la situation.

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  11. the present world IS absurd. I don´t like the way it is going. There are a few lights but not enough to break the present situation.

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