mercredi 1 septembre 2021

Larguer les amarres


Voilà,
sa maison qu'il venait d'acquérir, il n'en aura pas beaucoup profité. Quinze jours à peine. Pas même le temps de déballer les cartons. Du temps, il pensait en avoir devant lui. Il faisait des projets. Le faisait-il pour faire bonne figure, par politesse, pour conjurer le sort ? A peine aura-t-il entrevu le havre paisible dont il avait rêvé pour ses vieux jours. Tout cela est tellement triste.
Il m'avait envoyé des photos de sa nouvelle acquisition.
Je reparcours les mails, les textos. Il y a dix jours, le 21 Août nous avons encore conversé une demi heure au téléphone. Juste après j'ai hâtivement noté ceci « Ce qui sidère et foudroie autant que l’annonce de la rechute, c’est aussi l’ensemble de mauvaises nouvelles qu’il m’égrène en feignant de prendre une certaine distance, comme si cela ne le concernait pas vraiment. Il s’efforce de faire confiance dans le nouveau traitement prescrit, — une immunothérapie qui commencera d'ici peu — suite à la perforation du péritoine ayant entraîné cette nouvelle hospitalisation. Il s’évertue à rester optimiste, mais je ne suis pas certain qu’il y croit tout à fait. Depuis l'annonce de son cancer et son premier traitement il a fait plusieurs hémorragies qui ont, à chaque fois, nécessité des séjours répétés à l'hosto. Il m’annonce au passage qu’il a désormais des difficultés à utiliser son bras gauche en raison de métastases apparus au cerveau. En fait, il est en train de m’informer qu’il a un cancer généralisé, ou du moins qui se généralise en faisant comme si ce n’était pas grave comme si ça allait forcément s’arranger grâce a l’immunothérapie. Et moi je ne sais quoi dire tellement l'information est brutale. Il enchaîne aussitôt sur le bonheur qu’il a eu d’emménager dans sa nouvelle maison, ou tout est quand même encore en chantier car, en raison de la fatigue, il n’a pu déballer tous les cartons. Il affirme que tout de même il va se résoudre à balancer un certain nombre de choses, des livres des revues, pour éviter plus tard à ses enfants d'avoir à le faire. Mais quand même, tout à coup il évoque la possibilité de sa mort me disant qu’à 69 ans il a vécu plein de trucs. Il a voyagé, fait ce qui lui plaisait. Commence-t-il dans la conversation à s’avouer la gravité de son état et la possibilité d'une issue fatale à court terme ?  Il parle tout à coup d'éventuelle assistance à domicile si par hasard ses métastases au cerveau le rendaient un peu yo-yo comme il dit. Tout cela avec une légèreté feinte mais peu convaincante. Il  redoute aussi de ne plus pouvoir conduire. Et puis au détour de la conversation, il avoue qu'il n’est pas certain de beaucoup profiter de cette maison, quand pour ma part, à l’annonce de tous ces éléments, je suis effrayé, persuadé qu’il ne passera pas l’année. Ce qui rend tragique son propos, ce sont les aller-retour entre le déni de sa situation et une forme d'acquiescement, lorsque par exemple il envisage la nécessité de se débarrasser de trucs qui selon lui ne servent plus à rien, alors que sans doute déjà, dans un coin de sa tête il sait qu’il ne retournera pas chez lui, ou que, s’il y retourne, il sera si épuisé qu’il ne pourra faire grand chose".
(...)   
A l'issue de cette conversation nous étions convenus que ce serait lui qui me rappellerait en fonction de son état. Néanmoins le 23 Août, je lui ai envoyé un petit texto d'encouragement. Il a juste répondu "Merci". Le 27 je lui ai envoyé un autre SMS demeuré sans réponse. Dimanche dernier, inquiet d'être sans nouvelle, j'ai laissé un message à sa fille qui m'a répondu que ses traitements étaient suspendus, qu'il ne communiquait plus que très difficilement, qu'il était en soin palliatifs. 
Il est mort "paisiblement", paraît-il,  hier matin, 31 Aout,
Peine et sidération. Je n'imaginais pas que cela finirait si brusquement. 
Une cérémonie aura lieu samedi à Pau, et je ne pourrais même pas m'y rendre, me recueillir, être en compagnie de ses proches, ses enfants. Je répète toute la journée, c’est la première du spectacle le lendemain à 17 heures. The show must go on.
C'était mon oncle. Mon oncle Philippe. Il avait quatre ans de plus que moi. Il était parmi tous les homonymes de ma famille celui qui m'était le plus contemporain. Durant quinze ans, je l'ai vu quasiment tous les étés. A une certaine époque nous avons tiré des bords ensemble sur son bateau.
J'ai retrouvé cette photo datant du mois d'Août 2010.
Il faisait alors des rêves un peu fous.
A présent il a définitivement largué les amarres. Je ne parviens pas à y croire.

11 commentaires:

  1. The loss of family and friends is always heartrending. I have outlived my parents, a son, two brothers, many cousins, and friends who might as well have been brothers. I will not even try to offer thoughts on how or what to feel. I will only join Pierre-- Affectueuses pensées mon ami.

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  2. Accepter la mort est si difficile.
    Bien affectueusement en pensées avec toi.

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  3. Please accept my sympathy for your loss, and for your suffering with your uncle.

    best... mae at maefood.blogspot.com

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  4. Greetings and Salutations! Sending thoughts and prayers .... so sorry for your loss.

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  5. So sorry about your uncle. Prayers headed your way.

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  6. A sad, well-told story of loss. He looks very happy in the photo.

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  7. C'est si triste. sois heureux de l'avoir connu et partagé des bouts de vie avec lui. Affectueusement 🖤

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