jeudi 15 avril 2021

Au pied des monocotylédones


Voilà,
cent mille, la barre des cent mille morts dues au covid a été franchie en France aujourd'hui. Cent mille morts, c'est aussi cent mille noms inconnus pour la plupart. Cent mille vies fauchées, cent mille existences avec des amis des proches des parents des enfants. Bien sûr il doit y avoir un bon paquet de crétin(e)s parmi tous ces disparus, c'est inévitable, peut-être même des irresponsables et quelques complotistes. Mais tout de même,  sans le sabotage du système de santé depuis vingt ans, le renoncement à la recherche scientifique, et les décisions incohérentes de l'exécutif pendant cette crise on aurait pu limiter les dégâts. 
Tu te souviens du temps où l'on n'imaginait pas que de telles choses puissent arriver sous nos latitudes, parce qu'ici c'était le monde moderne ?
A présent on annonce que 91 variants de ce virus ont été répertoriés en Amazonie, dont un, le P1, déjà nommé "variant amazonien" constituerait d'ores et déjà, d'après certains virologues, une sérieuse menace pour l'humanité. Que faire de ces nouvelles, et de toutes les autres, concernant l'épidémie, la crise sociale et économique qui se prépare ? 
Goûter le présent, même s'il est pauvre en joies et en plaisirs. "Il faut vivre il faut travailler et seulement travailler", comme le dit Irina dans "Les trois sœurs" de Tchekhov. 
Seulement travailler ? Peut-être pas, en ce qui me concerne. Marcher aussi, faire de l'exercice, traîner, rêver, vivre intensément chaque instant qui vient dans la mesure de mes moyens et du périmètre autorisé. 
Nous ne connaîtrons désormais plus de temps sans tourment ni menace.
Que faire ?
Tout prend désormais un caractère d'urgence. 
Je réalise que je dois saisir toutes les occasions de m'exprimer, de manifester que je suis vivant. 
Une photo, un collage, quelques mots. De toute façon je ne suis bon qu'à ça. 
Cela fait si longtemps que j'ai peur. 
Mais il y a ce problème. Pourquoi suis-je incapable d'être plus fantasque lorsque j'écris ? Pour quelle raison suis-je à ce point entravé avec les mots ? Pourquoi m'est-il donc si difficile de m'accorder au langage autant que de m'en affranchir ?
Lorsque j'écris je ne suis jamais au bon endroit. Je ne parviens jamais à faire le point. Parfois j'ai l'impression de me répandre. De ne parler que de moi. Alors je m'en veux. Si je tente d'être objectif, mon objectivité peut paraître sombre, pessimiste. J'essaie d'être factuel parfois, mais c'est souvent chiant. De temps en temps je m'efforce de prendre du recul, de la distance. D'analyser la situation. Je peux même m'arriver d'écrire des choses pertinentes. 
Et après ? What´s the use ?
Pourtant la connerie je la flaire bien, et de loin. Elle m'insupporte. Mais à quoi bon la dénoncer, elle se répand dans un monde où de toute façon je ne serai bientôt plus.
Parfois j'ai l'innocence et l'étonnement du rêveur égaré dans un songe. C'est là ma vraie nature. Je n'ai jamais bien compris la réalité. Elle m'est toujours apparue aussi énigmatique que confuse. 
Mais il m'arrive aussi d'avoir le regard de celui qui à cinq avait déjà vu à quoi ressemble un type mort et mutilé dans un fossé. 
Et qui se souvient de l'odeur. 
Et qui sait depuis longtemps que les mouches aiment se promener sur les plaies. 
Et j'ai alors l'impression d'avoir cent ans. 
A l'époque cela m'avait paru sidérant énigmatique effrayant et presque irréel. Mais ce que je trouvais alors vraiment bien plus triste c'était la fin du film "Crin Blanc", lorsqu'il galope vers la mer. Rien que d'y repenser ça me noue la gorge. Ce film racontait l'histoire d'amour entre un enfant prénommé Folco et un cheval ; une histoire sans mot une histoire d'instinct. Une histoire qui pourtant finissait mal : pour échapper au gardians qui le poursuivaient Crin-blanc s'enfonçait dans les eaux du delta avec l'enfant accroché à son dos. 
Je me souviens, ce film était projeté sous une de ces vastes tentes de l'armée à la batterie de Djelfa. Peut-être avais-je besoin de rendre cette fiction plus forte que la réalité dans laquelle j'étais immergé pour en conjurer ou refouler l'effroi qu'elle suscitait.   
Mais je me perds en digressions. J'ai de la fuite dans les idées.
Je voulais juste raconter que l'été dernier, à Bordeaux, lors de ce qui ne fut qu'une parenthèse entre deux confinements, à cet endroit sous ce ciel, alors que je me promenais au jardin public, léger, heureux d'être dans cette ville qui me ramène à quelques souvenirs d'enfance, j'ai songé que je refoulais trop ma fantaisie. Celle dont je sais si bien user, en certaines circonstances, lorsque je fais l'acteur par exemple. Celle qui surgit parfois avec mes clandestins, quand je ne réfléchis pas. Oui au pied de ces grands arbres, enfin plutôt de ces grandes herbes, puisque les palmiers sont des monocotylédones, je me suis fait une promesse que je n'ai toujours pas tenue.
Linked with skywatch friday

9 commentaires:

  1. It's tragic. We've lost 500,000 in the USA and still the deniers talk about what a small percentage it is and call it the scamdemic. I don't think life will be the same.

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  2. I think this whole pandemic has made alot of people short tempered and anxious, all we can do is take it day by day.

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  3. "de la fuite dans les idées", tu n'es pas le seul, sois rassuré !

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  4. Beautiful sky. It's calm and this is what we need during the pandemia. And enjoy life, because the pandemia will not finish soon....
    Stay in health.

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  5. Not a happy threshold to cross, but a beautiful photo.

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  6. Our desert friend is right--- a beautiful photo. I enjoy seeing people whose work I follow comment on the posts of others I follow. It's interesting to feel like I know you--- from your images and especially your words-- the ones that trouble you. Now they say that booster shots will likely be needed. That's alright. Whatever it takes. One third of America can't even begin to tell truth from distortion and ignorance. But somehow many of them will survive to make us crazy in the months to come. Tonight I will remember the time I was in a tiny production of The Madwoman of Chaillot. The stage was tiny, the cast was tiny. I played the crowd.

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  7. "O Fantaisie, emporte-moi sur tes ailes pour désennuyer ma tristesse" ! écrivait Flaubert je ne sais plus où mais je me souviens de la phrase.
    On guettera donc cet/ton envol ici !







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  8. L'impression d'avoir cent ans, voilà qui me paraît étonnant. Et dire que chaque jour qui passe nous rapproche de cette durée à forte charge symbolique. Je sais que je n'atteindrai pas cet âge. Et pourtant il y a tant de choses que j'aimerais connaître, lire, contempler...

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