Voilà,
c'était l'année dernière, le 7 Avril, pour être précis, au début du printemps donc. Il faisait beau durant ce confinement strict qui nous autorisait tout de même une heure de promenade. Ce jour là, je l'avais faite en compagnie de ma fille. Trois semaines avant, le président nous avait expliqué qu'on était en guerre contre le virus. On allait voir ce qu'on allait voir. Ce fut la débâcle que l'on sait. On y est encore.
Ce jour-là, j'avais aperçu cet homme qui, dans la partie commune de la villa Louvat, située au 38 bis rue Boulard, profitait de la douceur de ce tiède après-midi en lisant une biographie de Michel Jarre. Il y avait soudain ce temps de vacance obligée, ce droit à la paresse — si cher à Paul Lafargue, qui était le gendre de Karl Marx —, et dont Malevitch considérait qu'elle est la vérité essentielle de l'homme. Tout à coup, pour les plus privilégiés des parisiens qui n'avaient pas émigré à la campagne, (ceux qui disposaient d'un appartement assez vaste, qui n'étaient ni médecins, ni infirmier(e)s, ni aide-soignant, et dont aucun proche n'était atteint de cette maladie qui abrégeait impitoyablement les vieux et les malportants), cette oisiveté imposée — dont on nous disait qu'elles ne durerait que quelques semaines — devenait une vertu cardinale, et même un signe de civisme, puisqu'elle permettrait de faire barrage au virus. On n'imaginait pas encore qu'un an plus tard, dans ce pays on en serait, question inorganisation, sensiblement au même point, et qu'entre-temps, nombre de gouvernements de par le monde auraient profité de cet effet d'aubaine pour, au prétexte de l'urgence sanitaire, et à la faveur de l'hébétude et de la sidération des citoyens face à l'événement, faire subrepticement passer de nombreuses lois liberticides. A ce moment là donc quelque chose advenait, sans précédent. Le monde entier était paralysé. Les optimistes se plaisaient à imaginer que cette situation inédite engendrerait de nouvelles solidarités, une réflexion sur le mode de fonctionnement de nos sociétés en matière d'écologie de soins et de protection sociale. Hélas, en ces temps, pas grand chose à attendre de l'espèce. Elle ne s'est pas mise encore assez en péril. La situation n'est pas assez critique. Elle ne se sent toujours pas menacée. Comme elle se pense au dessus de toutes les autres, son illusion de puissance lui donne un sentiment d'impunité en même temps que l'assurance qu'elle s'en sortira comme elle l'a toujours fait. Aujourd'hui, me reviennent ces mots de Michaux dans "Epreuves, exorcismes" : "Je n’ai pas entendu le chant de l’homme, le chant de la contemplation
des mondes, le chant de la sphère, le chant de l’immensité, le chant de
l’éternelle attente.
Mais j’ai entendu son chant comme une
dérision, comme un spasme, semblable à celle du tigre, lequel se charge
en personne de son ravitaillement et s’y met tout entier.
J’ai vu
les visages de l’homme. Je n’ai pas vu le visage de l’homme comme un mur
blanc qui fait se lever les ombres de la pensée, comme une boule de
cristal qui délivre des passages de l’avenir, mais comme une image qui
fait peur et inspire la méfiance".
J'écris donc cela un an après. Les années se suivent et ne se ressemblent pas. Aujourd'hui en dépit du soleil, il fait froid. Hier quelques flocons sont même tombés sur Paris. Le confinement est moins strict, mais il n'y a plus d'excitation. La dimension universelle de l'événement s'est atténuée. On s'est habitué dans ce pays aux 300 victimes du covid par jour. L'équivalent quotidien d'un crash d'avion. On n'applaudit plus les personnels hospitaliers le soir. Il paraît cependant qu'on a commencé à vacciner à tour de bras. Mais au cours de cette dernière année on nous a tellement menti. Les français s'aperçoivent peu à peu que leur pays n'est qu'une petite province où plus grand chose ne fonctionne et par bien des aspects qu'elle est très en retard sur nombre de pays voisins. Ah oui bien sûr, nous fabriquons des armes mais pas de vaccins, d'objets manufacturés. Nos chercheurs s'exilent parce qu'ils sont mal payés, nous envoyons nos soldats à l'étranger, mais notre système de soin est à l'agonie, autant que nos écoles et nos universités. Je n'ai jamais cru à la grandeur de la France, mais je n'imaginais pas qu'elle fût à ce point de délabrement. Une vieille maison rongée par les termites. J'ai même entendu récemment des éditorialistes de télévision évoquer le spectre d'un soulèvement populaire. Cela m'a rappelé cette histoire que les anglais adorent raconter. "Pourquoi les français font-ils si souvent des guerres civiles ? Ce sont les seules qu'ils sont certains de gagner."
Ah oui, à tout hasard, je précise quand même que le titre de ce post est ironique. Sa conclusion aussi.
D'ailleurs au passage je déplore que le point d'ironie ne soit pas plus accessible sur les claviers. Ou alors je suis trop con, trop déphasé pour le trouver. J'ai essayé pourtant. Sans succès. N'y aurait-il que le point d'interrogation arabe pour faire l'affaire ؟
Il me semble que, un an après, nous n'en sommes pas "sensiblement au même point". Nous disposons de plusieurs vaccins. Mais, comme toute connaissance qui apporte des réponses, elle ouvre de multiples autres questions. Ainsi va la science. Et c'est tout son intérêt.
RépondreSupprimerHere in NZ we aren't that much in a different place except vaccines are being rolled out at a snail's pace, I imagine the rest of the world is the same.
RépondreSupprimer·.
Haces un perfecto retrato de la situación que nos ha tocado vivir, cuando a otros les ha tocado morir.
No creo que estemos mejor que antes. En general, la sociedad no ha aprendido nada sobre esta pandemia, ni sobre las anteriores. Solo cuando la muestr está cerca alguno aprenden.
Me ha gustado la ironía final.
Un abrazo K
.·
LaMiradaAusente · & · CristalRasgado