Voilà,
en fait — et je ne me le formule que maintenant, alors que je suis sur la pente déclinante de ma vie — je n'ai jamais vraiment
créé. Quand j'ai commencé à faire des collages, je me suis juste
contenté d'assembler des éléments hétérogènes, et lorsque je
photographie je n'invente rien, je dérobe des fractions de secondes à la
réalité ambiante. Il est possible que ma relative maîtrise de certains outils informatiques y ajoute quelque chose de singulier.
Mais bon ce n'est pas vraiment de la création. J'ai certes fait quelques
dessins, peintures et coloriages et c'est sans doute cela qui m'est le
plus personnel. Ce n'est cependant pas d'un niveau extraordinaire. Je
repense à cela parce que pendant quelques jours, vers la fin du
confinement je me suis livré à une sorte d'activité maniaque, un peu
obsessionnelle, qui heureusement m'a quitté aussi vite qu'elle est
apparue (du moins je l'espère). Même si elle ne relevait pas de
l'invention d'une forme, elle manifestait toutefois une intention artistique.
J'empilais des livres se trouvant dans ma bibliothèque de sorte que,
superposés, les titres de leurs tranches formaient ainsi un petit poème.
C'est un peu con, un peu futile, ça a commencé comme un gag sur un
réseau social, mais j'ai continué. Ai-je fait cela pour me donner la
sensation d'exister auprès des autres, pour me sentir moins seul,
susciter des réactions, faire mon intéressant en quelque sorte, peu
importent au fond les raisons. J'y ai quand même passé du temps, et de
la réflexion. Mais, ce qui m'a intrigué — en plus du constat que je ne
me souviens assez peu du contenu de la plupart de mes bouquins — c'est la
récurrence du procédé utilisé, à savoir l'assemblage, le collage le
détournement à partir de quelque chose qui préexiste. Recycler en
quelque sorte. Réagencer. Bref pendant quelques temps ça m'a occupé
l'esprit. Bidouiller des trucs, même quand on se trouve dans la plus
grande indigence intellectuelle, sans grand entrain ni inspiration
constitue peut-être un signe de santé après tout. Même si c'est de l'art modeste,
c'est quand même un peu de l'art, en tout cas c'est une volonté
d'élaborer une forme aussi succinte soit-elle. Louise Bourgeois faisait
remarquer que "faire de l'art n'est pas une thérapie, c'est un acte de survie. Une
garantie de santé mentale. La certitude que vous ne vous blesserez pas
et que vous ne tuerez personne". Et d'ajouter : "J'exorcise les démons qui me poursuivent
depuis l'enfanc. Une fois la sculpture terminée j'ai l'impression que
l'œuvre a éliminé l'anxiété que je ressentais. Les artistes progressent
comme ça : ils ne s'améliorent pas, c'est juste qu'à chaque fois ils
sont capables de résister à leurs propres agressions. Toute ma vie a été
l'art de combattre la dépression, la dépendance émotionnelle ... Tout
ce qui m'importe c'est de vaincre la peur. Cacher, confronter,
exorciser, honte, trembler et finalement avoir peur de la peur
elle-même. C'est mon thème." Je trouve ça assez juste.
Je vous livre donc quelques un de ces poèmes sur tranches, ces sortes de cadavres exquis comme les nommaient les surréalistes. J'espère qu'ils amuseront mes quelques correspondants qui font vraiment œuvre de poésie. Pour ceux qui ne parlent pas français, j'en livre une traduction anglaise. De gauche à droite et de haut en bas.
Forgetting the time, the evil that's coming. The worst is already foreseen, I'm dead.
I give up the use of speech. Heading for the worst
Who are you, face found in the cafe of lost youth ? One can't see anything.
Dark Sunday, Laure. From the farthest reaches of oblivion, look at the snow falling on the side of Swann's house.
Ah youth! Said the two sons. Emilienne's legs don't lead to anything. It's advantageous to have somewhere to go.
Jerome, (an actor,) his wife Anne-Marie (a desolation), me, my sister, we killed Stella in the heart of darkness.
On the edge of time, in the mountains of the Netherlands, dreaming of oneself
gloomy delight face to darkness. Women and ghosts, tell me about love.
Bad news, very bad news. It's fucking war. Destroy, she says. To finish it off again, exterminate all those bully guys
What does love mean? Zig-zag, submission, big hugs for every day
Listen to me, I'm a strange loop, the whisper of ghosts, a moment in the wind, one, no one, and a hundred thousand. Fuck me.
A flea in your ear, blood in your eyes, it all gets complicated.
Bah, un jour j'ai fait un poème (un centon) avec des titres de poèmes de Bukowsky.
RépondreSupprimerOui, c'est con, mais moins dangereux que de construire des centrales nucléaires,
et surtout moins égocentré que de parader sur un plateau de tournage. On pourrait
même dire que c'est salutaire pas la modestie même du geste.
Solidairement, donc,
L.D
Et puis j'imagine que de fouiller ainsi ta bibliothèque t'a fait pour le moins redécouvrir, trier, ranger... non ? l'inverse ?
RépondreSupprimer(Ouf heureusement que tu as laissé les photos en français, parce d'en anglais j'aurais été mal !)
Monsieur Deheppe says it very well, above. I congratulate you on your creativity. I especially like the last line...........
RépondreSupprimer"je n'ai jamais vraiment créé.", dis-tu. "détruire, dit-elle". et entre les deux ? lorsque je prépare un risotto aux shitakes, je me sens comme un compositeur jonglant avec ses 3 casseroles et ses 9 ingrédients. n'est-ce pas une forme de création ? lorsque tu cherches tes livres, les empiles, tu crées des phrases. et qu'importe la valeur ? il n'y a pas de critique d'art pour en juger. quel créateur y a-t-il pour regretter les suppôts de l'industrie dite culturelle ? bref, tes cadavres exquis n'ont rien de morts; ils sont la vie, cette création qui nous échappe pour le plus grand bonheur du réel.
RépondreSupprimerA work of potential literature in the spirit of Oulipo. Extracting unforeseen meaning from the works of others. Perfect!
RépondreSupprimerbe well... mae at maefood.blogspot.com
Oh my gosh Kwarkito, I think this is brilliant! Seriously, you used your time, creativity and patience well, brava 💜
RépondreSupprimerJe trouve tes créations pleines de poésies. Des haïkus. Et j'adore��
RépondreSupprimerLidia
Amusant, oui, oui! J'aime beaucoup le montage où les fantômes murmurent formant une boucle étrange... Le début "Écoute-moi" et la fin fin "Baise-moi", très artistique!
RépondreSupprimerSuper! C'est Bill qui m'a envoyé sur votre blog, juste après qu'il a constaté que j'étais saisie de la même compulsion... Je me permets de mettre un lien de mes expériences vers les vôtres. Très oulipesque, tout ça !
RépondreSupprimerça alors : je viens d'acheter "Anthologie de l'oulipo" et je me délecte de ces poèmes et jeux de mots et de vers un peu dingues !
Supprimerwouah !! impressionnant ! j'adore ! vous avez dû "aérer" tous les livres ! Le "Mauvaises nouvelles, très mauvaises nouvelles..." excellent !
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