Voilà,
on commémore aujourd'hui le centenaire la fin de la guerre de 1914-18, une boucherie qui fit plus de 18 millions de morts, certains venus de très loin. A Paris, il existe une toute petite avenue, fort élégante —que j'ai découverte cet été — l'avenue Frémiet (qui fut un célèbre sculpteur animalier), dans le seizième arrondissement, perpendiculaire à la Seine, entre l'Avenue du Président Kennedy et la rue Charles Dickens. Cette voie a pour particularité que tous les immeubles, cossus de style art nouveau qui la bordent ont été conçus par le même architecte — Albert Vêque — et bâtis entre 1913 et 1918 (peut-être par des femmes des maghrébins et des chinois), pendant que les jeunesses européennes et celles des possessions britanniques et françaises d'outremer, et plus tard de jeunes américains se faisaient massacrer. Ainsi les affaires continuaient-elles, au profit de riches familles pour lesquelles sans doute la guerre fut une opportunité d'augmenter fortune et patrimoine. On ne peut s'empêcher de songer à la réflexion d'Anatole France "on croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels. Ces maîtres de l'heure possédaient les trois choses nécessaires aux grandes entreprises modernes : des usines des banques des journaux". Rien de nouveau donc.
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Allez un peu de fantaisie pour changer. Le 10 Novembre, veille de l'armistice Franz Kafka note ce rêve connu sous le titre "rêve de la bataille de Tagliamento" : "une plaine, le fleuve n'existe pas vraiment, de nombreux spectateurs se pressent, très agités, prêts à courir en avant ou en arrière selon l'évolution de la situation. Devant nous un plateau dont on voit très nettement le bord, tantôt nu tantôt couvert de hautes broussailles. Les Autrichiens se battent tout en haut du plateau, sur le versant opposé. On s'inquiète, comment cela va-t-il finir ? Sans doute pour gagner un peu de répit, on regarde de temps à autre quelques buissons isolés sur le versant sombre, derrières lesquels un ou deux italiens apparaissent et tirent. C'est sans importance, cependant nous nous préparons à prendre la fuite. Puis de nouveau le plateau. Des autrichiens courent le long du bord nu, s'arrêtent d'un seul coup derrière des bouquets d'arbres et repartent. De toute évidence cela va mal, on ne comprend d'ailleurs pas que les choses aient pu aller bien, comment pourrait on, n'étant soi même qu'un homme, vaincre des hommes qui ont la volonté de se défendre. Grand désespoir, la fuite générale va devenir nécessaire. C'est alors qu'apparaît un major prussien qui, du reste était là depuis le début et avait observé avec nous, mais qui entrant tranquillement dans l'espace soudain vide, se manifeste comme une figure nouvelle. Il met deux doigts de chaque main dans sa bouche, et siffle comme on siffle un chien, mais affectueusement. Ce signal est destiné à sa section qui attendait non loin de là et qui maintenant se met en marche. Ce sont des soldats de la garde prussienne, des jeunes gens peu nombreux et silencieux, peut-être n'est-ce qu'une compagnie, il semble qu'ils soient tous officiers, en tout cas ils ont de longs sabres et des uniformes foncés. Ils défilent devant nous en rangs serrés. à pas brefs et lents, nous jettent un regard de temps à autre, et cette marche à la mort se fait avec tant de naturel, qu'elle émeut et exalte, tout en communiquant la certitude de la victoire. Délivré par l'intervention de ces hommes, je me réveille.
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J'avais prévu de finir sur cet étrange récit de Kafka. Mais tout de même, je ne peux m'empêcher d'évoquer l'anecdote concernant le Président des Etats-Unis, venu commémorer le martyr des soldats américains engagés en Europe en 1917-18 et qui finalement pour des raison de météo annule sa présence sur l'ancien champ de bataille. On s'étonne que les diplomates de la plus grande nation occidentale n'aient pas envisagé ce cas de figure pour une visite en Novembre en France. L'insulte faite à la mémoire de ces soldats, qui, eux, ont du passer plus d'une journée sous la pluie et dans la boue relève de l'abjection et de l'ignominie. On peut imaginer cette ordure regardant CNN dans une pièce de la résidence de l'Ambassade des USA, et vitupérant en tweetant au sujet de quelque journaliste qui lui déplaît. Le mépris de cet homme pour tout ce qui n'est pas lui est stupéfiant. Je crois qu'aux Etats-Unis, un cinéaste devrait réaliser pour faire contrepoint au chef d'œuvre de Griffith "Naissance d'une Nation" quelque chose qui s'intitulerait "Mort d'une Nation". Je crois vraiment que cette autocrate mène la civilisation occidentale à sa perte. Son ego est si boursouflé que je suis à peu près certain qu'il souhaite que le monde ne lui survive pas. ce qui est étrange, c'est qu'autant d'américains lui renouvellent leur confiance.
Your description of #45 is perfect Kwarkito, filth he is! Unbelievable to the rest of the world how this could have even happened and yet it continues. If we have another war the condition should be that those who decide it should be in the front line fighting it.
RépondreSupprimerÀ propos de s'enrichir pendant la première guerre, j'ai regardé hier soir "Au revoir là haut". Très beau film, où alternent moments émouvants, durs, drôle, pleins de fantaisie aussi.
RépondreSupprimerQuant à la pluie qui risquerait de faire fondre l’ego boursouflé...qu'ajouter?
Une promenade solitaire dans les rues de l'été chaud
RépondreSupprimeren regardant les lumières et les ombres changer
au fil des heures. L'"avenue", comme il dit.
vous, vous, êtes un beau caprice architectural, bien dédié
Cette boucherie.
Le texte, comme toujours, est magnifique et réfléchi.
Des câlins.
I know Macron is not your favorite person these days, but I loved the way he put the idiot in his place today. Will it ever end?
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