vendredi 10 mars 2017

Boire à la Source voluptueuse d'Autrefois


Voilà,
Je me réveille et aussitôt je mets France Musique. Le trio Altenberg joue des pièces de Mendelssohn pour piano, violon et violoncelle. Je ne connaissais pas, c'est beau. Je pourrais me rėjouir de cette trouvaille que cela soit mon bonheur du jour et m'en satisfaire. Parfois j'essaie de croire que la musique va me protéger du monde, des mots, de toutes ces conneries propagées à longueur de journée sur les ondes et les medias de toutes sortes, qu'il va m'être possible d'échapper aux prises de positions des uns et des autres. Mais je suis à la merci des réseaux sociaux (que je consulte tout de même sachant pourtant qu'ils sont aliénants et déprimants) autant que de ma propre conscience historique : je sais que dans les années trente à quarante, la musique ne protégeait de rien. On interdisait de jouer Mendelssohn en Allemagne au prétexte qu'il était juif, et dans les camps de concentration on faisait interpréter la grande musique allemande par des orchestres de déportės avant de les gazer. Je voudrais me soustraire à la bêtise politique et plus généralement à la cruauté du monde et au pressentiment des temps obscurs qui semblent s'annoncer. Mais je sais que c'est illusoire. Tout comme échapper aux pensées morbides parce que de plus en plus de gens qui furent plus ou moins proches à différents moments de ma vie disparaissent ou sont très malades. Et les douleurs de mon corps dont je ne sais si elles sont prėoccupantes ou normales, d'elles aussi je me passerais bien. En ce sixième anniversaire de la catastrophe de Fukushima, je ne parviens pas à songer à l'avenir avec sérénité ou même indifférence. Je ne parle pas du mien, mais de celui de ma fille et des enfants de mes amis. Je dois avancer vers ma vieillesse incertaine avec toutes ces inquiétudes. Le monde que j'ai connu s'effondre, tout comme disparaissent les valeurs qui m'ont en partie constitué. La nation où j'ai grandi semble renier sa devise inscrite au fronton des mairies. La radio continue de diffuser des pièces de Mendelsshon, ce sont les romances sans paroles pour piano seul. Il faut que je me lève, que j'aille travailler. Me reviennent en mémoire, sans que je puisse me l'explique des choses vues et entendues il n'y a pas si longtemps qui demeurent effrayantes. L'homme par exemple croisé il y a deux ans près de la gare Montparnasse alors que non loin les cheminots défilaient pour leurs revendications. Il disait à son copain que lui il avait deux modèles dans la vie : Hitler et Napoléon. Je m'étais mêlé à la conversation et lui avait demandé un peu plus sur Hitler, il m'avait expliqué que Hitler était un grand homme parce qu'il avait rétabli la situation économique dans son pays en 5 ans. Là je m'étais senti impuissant devant la force brute de la connerie. Mes livres, ma bibliothèque ma faculté d'analyse, ne m'étaient d'aucun secours. J'avais bien tenté quelques arguments mais aussitôt j'avais renoncé. Une sorte d'accablement m'avait envahi, comme lorsque j'avais vu dans ma rue ces deux noirs s'engueuler. L'un vêtu d'une combinaison verte de la mairie de Paris essayait d'empêcher l'autre au volant d'une BMW de se garer sur une place réservée aux handicapés. Le conducteur avait traité l'employé de la ville de pauvre nègre bon qu'à ramasser les poubelles. J'avais observé ça un peu interdit. Aujourd'hui, dans ce pays près de cinquante pour cent des gens hésitent dans leur choix entre deux genres d'escrocs, tous deux à la tête de partis devenus quasiment maffieux. Ce qui reste de la gauche se déchire malgré la consternation des quelques qui s'y reconnaissent encore. Les sociaux démocrates se laissent abuser et se jettent dans les bras d'un jeune arriviste qui dit tout et son contraire, et qui est l'otages des banques et des grands industriels. Le fascisme n'est même plus rampant, il s'affiche sans complexe  dans les commisssariats, et dans les émissions de la télévision publique. Parfois, j'ai l'impression que je vis dans un monde en train de sombrer irrémédiablement dans le chaos et le non-sens. Je voudrais retourner à Venise, "boire à la source voluptueuse d'autrefois" comme l'a si joliment écrit Thomas Mann (Linked with the weekend in black and white

5 commentaires:

  1. " Et les douleurs de mon corps dont je ne sais si elles sont prėoccupantes ou normales"... cette préoccupation-là et les autres. Brrr !!!

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  2. I've decided I need more Roussel and Honegger. I'm listening to Shostakovich's very sorrowful violin concerto at the moment, and it seems to go with your post. I love the picture.

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  3. Beautiful, evocative photo. I would love to see Venice.

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