Voilà,
en voyant ce tableau de Marcel Gromaire au Musée d'Art Moderne je me suis souvenu de ce poème particulièrement mélancolique de Franck Venaille auteur que j'aimais beaucoup dans ma jeunesse, lorsque je ne lisais que de la poésie. J'habitais une petite chambre de bonne rue Saint Placide, et, même si une famille aimante m'avait quasiment adopté, il y avait malgré tout beaucoup de solitude dans ma vie. La première ligne du poème m'est revenue à l'esprit, ainsi que des images que sa lecture souvent recommencée suscitait en moi, à cette époque. J'avais vingt ans, et ce n'était pas facile. J'étais obsédé par l'idée qu'il fallait que je me fasse réformer, que j'échappe absolument à toute cette merde militaire dans laquelle j'avais trempé depuis ma naissance. C'était difficile de s'en débarrasser, et je n'avais aucune envie de m'y replonger, de refoutre les pieds dans une caserne, que des connards de sous-officiers bas de plafond me donnent des ordres, que des trous-du-cul bornés tentent de me faire marcher au pas. Plutôt crever. J'étais prêt à tout pour échapper aux servitude de la vie de troufion. J'avais parfois des conduites à risque tellement j'étais angoissé par cette affaire. Finalement ils ne m’ont pas eu. J’ai eu de la chance, je m'en suis sorti sans trop de séquelles. Venaille justement évoquait beaucoup, à mots plus ou moins couverts ce qu'il avait subi, comme appelé du contingent en Algérie. On y sentait comme il avait été cassé, par tout ce qu'il avait vu et éprouvé là-bas. Sa douleur ne m'était pas étrangère. J'avais connu, enfant les mêmes cieux que lui à la même époque. Le sort m'avait été plus favorable. Je n'avais perdu personne de proche. Par deux fois, à quelques secondes près, le malheur aurait pu survenir. Je m'étais accommodé de ce que j'avais pu ressentir, parce qu'au début de sa vie on a beaucoup plus de force vitale pour s'arranger avec les mauvais souvenirs, même si le poison de la mélancolie continue d'infuser tout le reste de l'existence. Comme lui je sais que "l'état de guerre n'en finit pas".
Venaille, je l'avais découvert, comme nombre de poètes contemporains de l'époque grâce à cette revue de poésie au format de poche qui s'appelait Poésie 1 parce que chaque numéro ne coûtait qu'un franc. Il y avait de nombreuses publicités à l'intérieur, surtout pour RTL, la radio, mais c'était une entreprise éditoriale vraiment intéressante. J'ai pu ainsi découvrir des tas d'auteurs passionnants, qui m'ont rendus la vie plus supportable. J'ai gardé tous ces livres. J'y tiens. Je les ouvre parfois, j'y retrouve les peurs, les espérances, et les incertitudes d'alors qui m'ont longtemps accompagné. J'ai donc retrouvé l'intégralité de ce poème que je vous livre tout entier.
C'était bon d'avoir trente ans et de vivre à paris où tant de femmes ressemblent à des Gromaire
de caresser des nuques devenues timidement amies
en prononçant des paroles sans suite sans fin ni importance
banales et sereines parfois même imprévues
au rythme de la locomotive du sang des hardiesses et des désespoirs fulgurants
qui faisaient tituber maudire et regretter, parfois pleurer
souvent pleurer et nous réfugier dans une indifférence factice
prête à laisser jaillir ce feu qui nous consumait
au premier sourire à la première parole simplement aimable
à ce geste de la main vers notre main notre bras sur notre épaule
à nous qui marchions dévorés de tendresse et d'envies contradictoires
C'était bon de rire avec elles de parler avec elles de souffrir avec elles
et de tenter sa chance sans louvoyer
de dire notre détresse et notre solitude
et d'appeler encore plus de détresse et de solitude
déjà muré dans l'inextricable déchéance d'une vie aux espérances saccagées —
Pour ma part je n'ai plus trente ans depuis longtemps, mais je suis toujours prêt à laisser jaillir un feu qui me consume, même s'il est trop tard. Malheureusement on a beau avoir lu les bons philosophes, on en esquive pas moins le réel pour s'illusionner. C'est toujours une faiblesse de croire. De s'obstiner à croire. Et c’est difficile ensuite d’admettre qu’on s’est trompé. On a un peu honte. On ne s'en remet jamais tout à fait. Les gens qui calculent s'en sortent mieux. A condition de bien compter. On devrait plus souvent faire confiance aux murs.
Un poète que je ne connaissais pas du tout. C'est curieux car il parle de ses trente ans, et en le lisant je pensais à mes 20 ans plutôt dont, 50 ans plus tard, je me souviens fort bien.
RépondreSupprimerJe découvre avec plaisir Gromaire aussi, merci pour tout.
Contemporary arts are nice to view too. Different.
RépondreSupprimerI like Kwarkito-- He spins my head around.
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