vendredi 9 octobre 2020

De fil en aiguille


Voilà,
Internet a du bon. Il encourage les esprits curieux mais désœuvrés à s’abandonner à la sérendipité et à découvrir des choses qui seraient alors restées ignorées. Et l'on est pris de vertige parfois par les destinées des uns et des autres, guidés par l'ambition qui souvent mène vers des chemins  incertains, la plupart du temps empruntés avec ruse et opportunisme. 
Il y a quelques jours, à la radio, j’ai entendu parler d’un compositeur du début du siècle prénommé Florent Schmitt. Dans sa présentation l’animateur a pris force précaution pour introduire l’œuvre de ce musicien. Ses penchants d’avant-guerre pour l’antisémitisme et par la suite ses complaisances à l’égard de l’Occupant et des thèses collaborationnistes avaient en effet de quoi rebuter. L’homme un jour, dans le courant des années 30, lors d’un concert de Kurt Weill à Paris est même allé jusqu'à crier "Vive Hitler" et s’est répandu en insultes antisémites. Cela a plutôt nui a sa postérité. Enfin un petit peu, vraiment très peu, il s'en est plutôt bien sorti. A l'issue de la guerre il ne fut pas poursuivi : Florent Schmitt a expliqué son voyage en Allemagne pendant l'occupation par la volonté de revoir son fils, resté prisonnier dans un stalag depuis juin 1940. Il a justifié son appartenance au Groupe Collaboration par son souci de défendre la musique française. Selon Wikipedia, il a prétendu que sa position lui permettait également de signer des pétitions en faveur de musiciens israélites tels que la cantatrice Madeleine Grey, le pianiste François Lang, le compositeur Fernand Ochsé ou de soutenir ses amis Paul Dukas, Alexandre Tansman ou Arnold Schönberg qu’il appréciait et défendait vigoureusement. Il a plaidé son absence d’implication politique.  Il ne fut donc pas poursuivi.



Tout juste fut-il condamné dans le cadre de l’épuration professionnelle. Et encore : le , le Comité national d’épuration des gens de lettres, auteurs et compositeurs a prononcé contre lui une peine d’interdiction d’éditer ou de faire jouer ses œuvres d’une durée d’un an, interdiction partant du 1er Octobre 1944. C'est à dire une rétroaction nulle, valant absolution. Et par la suite cela n'a pas empêché qu'il soit décoré et honoré du grade de commandeur de la légion d'honneur en 1952.
 Voilà pour l'individu. Mais sa musique, que je n’avais jusqu’à ce jour jamais entendue se révèle tout à fait puissante subtile et saisissante. On devrait aujourd’hui la jouer et la diffuser autant que celle de Ravel Debussy ou Satie qui furent ses contemporains. Je mets en lien la première des trois émissions qui lui ont été consacrées. A noter qu'il fut aussi l'un des premiers à écrire une pièce pour un quatuor de saxophones.



Célèbre romancier, critique musical (c’est lui qui dans le journal "Je suis partout" a rapporté et amplifié l’intervention de Schmitt puisque selon ses dires, Schmitt aurait ajouté "Nous avons déjà assez de mauvais musiciens pour avoir à accueillir les Juifs allemands"), Lucien Rebatet quant à lui, ne s'en est pas mal sorti non plus. Il est mort paisible en 1972 dans son village natal.
 Entré en avril 1929 — malgré un profond mépris pour le camp de la « Réaction » incarné selon lui par Maurras  — comme critique musical au journal nationaliste et monarchiste L'Action française, il  y écrit sous le pseudonyme de François Vinteuil (ce qui paradoxalement ne manque pas de rappeler Proust), puis sous celui de François Vinneuil. En 1932, il devient journaliste à Je suis partout, où son style et ses convictions vont s'affirmer. Il y signe des articles comme « Le Cinéma par ceux qui le font », « Les Étrangers en France : l'invasion » ou encore « Les Émigrés politiques en France ». Il y accueille avec enthousiasme la parution du pamphlet ouvertement antisémite de Céline "Bagatelles pour un massacre". Antisémite virulent, Rebatet outre les juifs attaque dans ses articles, le communisme, la démocratie, l'église et se proclame germanophile et fasciste.
En 1942, il publie Les Décombres, où les juifs, les politiques et les militaires sont dénoncés comme responsables de la débâcle de 1940, sans pour autant que soient épargnées les autorités de Vichy. Il y explique que la seule issue pour la France est de s'engager à fond dans la collaboration avec l'Allemagne nazie. Ce pamphlet, tiré à quelques 65 000 exemplaires sous l'Occupation est désigné comme « livre de l'année » par Radio Paris et souvent qualifié de « best-seller de l'Occupation ». Son auteur finit par être arrêté à la fin de la guerre avec Marc-Antoine Cousteau, le dernier directeur  du journal "Je suis partout", et tout deux sont condamnés à mort.  
Grâce à une pétition d'écrivains comprenant notamment les noms de Camus, Mauriac, Paulhan, Martin du Gard, Bernanos, Marcel Aymé ou Jean Anouilh, qu'on ne peut pas tous suspecter être fascistes, et qui sans doute auraient pour la plupart connu un sort différent si les nazis avaient gagné, le nouveau président de la République Vincent Auriol le gracie en Avril 1947, et sa condamnation à mort, ainsi que celle de Pierre-Antoine Cousteau, est commuée en peine de travaux forcés à perpétuité. Détenu à la prison de Clairvaux, il cosigne en 1950 avec Cousteau Dialogue de vaincus, où il relate, dans un dialogue avec son codétenu, le sens de leurs engagements, leurs désillusions et leurs visions de l'avenir. Tous deux seront finalement libérés — Rebatet en 1952 et Cousteau en 1953, grâce à l'intervention de son frère  Jacques-Yves le fameux Commandant Cousteau.
Étrange destin que celui de Rebatet. Dans sa jeunesse, il s'honore d'aimer Wagner, alors que ce dernier en France représente le symbole honni de l'Allemagne. Arrivant à Paris, il se prend de passion pour Stravinski, Berg, Bartok, et même Schönberg, il s'enthousiasme pour les peintres juifs de l'école de Paris, et aussi pour Picasso, ainsi que pour "Le Manifeste du surréalisme" d'André Breton. Dans un article qui lui est consacré, et dont sont extraits le passage qui suit Robert Belot rapporte que sa haine de la république se serait cristallisée les deux années précédant son entrée à l'Action Française, durant lesquelles il dut survivre en travaillant pour un très modeste salaire dans une compagnie d'assurances où il se sentait déclassé.  Chose curieuse, c'est à l'Action française qu'il peut enfin s'épanouir car la direction littéraire du journal en la personne de Pierre Varillon veut donner sa chance à de jeunes plumes (il y entre en même temps que Thierry Maulnier et Robert Brasillach qui connurent des fortunes fort différentes). Sa haine de la bourgeoisie (qui constituait la part essentielle du lectorat de l'Action Française) le conduit à travailler à "Je suis Partout" où Pierre Gaxotte le rédacteur en chef cherche à recruter des jeunes n'ayant "aucun intérêt dans l'univers capitaliste et une aversion pour l'esprit bourgeois ".  Sa haine de la bourgeoisie se doublera bientôt d'une haine des juifs le menant à préconiser dès 1935, que la France se dote de camps de concentration comme les allemands.
Voyageant de notices wikipedia, en articles divers je constate qu'en France, nombre d'auteurs et de personnalités, ayant eu dans leur jeunesse des affinités avec le fascisme, la collaboration, l'antisémitisme, n'ont guère été inquiétées par la suite pour leur passé, et certains ont même pu accéder à des responsabilités fort importantes et à des honneurs nationaux, comme Maulnier ou Gaxotte. J'ai aussi pu constater que la solidarité entre normaliens ou anciens des grandes écoles dépassait les clivages politiques. Ce qui est encore aujourd'hui le cas d'ailleurs. On comprend ainsi mieux pourquoi ce pays demeure toujours aussi raciste, xénophobe et que l'antisémitisme continue de s'y épanouir, puisque finalement ce sont les enfants et les héritiers spirituels de ces courants de pensée qui se perpétuent encore de nos jours et continuent de s'exprimer dans la presse et à prospérer dans les sphères politiques. 

3 commentaires:

  1. i gave it a listen and his music is rousing enough but the history you talk about is very similar to the US and the reasons why racism and anti-Semitism is alive and well here...

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  2. I honestly thought things were much better here than they'd been in my youth. The last few years have proved me wrong. A most interesting post, and I have to admit I like what I hear. And you are right about discovery. The internet is good in so many ways, but so dangerous as well.

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  3. Super reflection with a path that entices us to follow it to an unknown place. I prefer the music second video.

    Hopefully one day France will not have any racists or anti-Semites.

    As a mixed race person (black father/white mother) I have seen racism in my life. However these days racism is not a big problem in the US, which is contrary to what the news media and certain organizations want us to believe. In fact we've recently had a black president and our current president has several Jewish family members. Here it seems like the use of the word "racism" is a tool to divide us as a nation and the only fascist tactics that I see come from those who claim to be anti-fascist. Strange times.

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