mercredi 6 novembre 2024

Consternation

 
Voilà,
Karl Marx considérait que l’histoire se répète d’abord comme tragédie puis comme farce. Ce qui arrive aujourd'hui Outre-Atlantique est pire qu'une tragédie parce que c'est justement un redoublement de la farce. Personne ne pourra dire qu'il n'a pas été prévenu. On a vu le type à l'œuvre durant quatre ans, on a pu constater son ignorance crasse (notamment durant la crise du Covid), il y a eu les événements du Capitole et sa tentative de sédition. Tous les anciens présidents américains, même les plus cons comme Bush, des vice-présidents, des anciens leaders républicains, les chefs d'états majors, des anciens collaborateurs de Trump ont appelé à voter contre lui. Et pourtant le voilà réélu avec les pleins pouvoirs puisque les républicains sont désormais largement majoritaires au Sénat. Ce n'est pas seulement la défaite du camps des démocrates, c'est surtout le triomphe du populisme, de la force brute et obtuse, de la bêtise, de la misogynie de la vulgarité et de la haine. 
C'est la récidive qui est consternante. Que le système électoral américain soit obsolète et absurde, c'est un fait, mais tout de même, même s'ils ne sont pas majoritaires en voix, près de la moitié des électeurs ont apporté leurs suffrages à une canaille qui ne cache pas son jeu et revendique avec arrogance sa crapulerie. C'est cette adhésion qui questionne et stupéfie. Mais sans doute l'individu est-il, dans l'iconographie américaine un objet de fascination, comme le suggérait le photographe Andres Serrano. Dans son exposition "Portraits de l'Amérique" au musée Maillol, il y avait cette installation consacrée à Trump. "The apprentice" a pris sa revanche.
La servitude volontaire que j'évoquais il y a huit ans se confirme. L'empire romain a eu ses Caligula, ses Commode, ses Néron. L'empire américain a Trump. La différence, c'est que le peuple l'a choisi.
 
 

 
 
Hegel mettait l'accent sur la rationalité de l’histoire (on a le droit de rire) en ce sens que chaque étape, même tragique, permet à l’Esprit d’apprendre et de progresser. Apparemment une majorité des citoyens de États-Désunis est inapte à l'apprentissage. Mais peut-être qu'un hégélien verra l'émergence du néo-fascisme américain comme un moment de crise qui, par la négation de ses excès et la prise de conscience collective, permettra une évolution vers des systèmes politiques et éthiques plus équilibrés. C'est de l'ironie bien sûr. Ce pays avait la possibilité d’un stimulant rendez-vous avec son histoire, au lieu de cela il a choisi de se perdre sur un chemin bien ténébreux.
J'ai souvent — quitte à passer pour un pessimiste dépressif  — été plutôt lucide quant à la marche du monde, durant toutes ces années où j’ai tenu ce blog. Je ne me suis jamais fait beaucoup d’illusions sur la nature humaine. Je me range à l'avis de Jean Rostand pour qui "L'humanité est une maladie de la terre. Sur les planètes saines il n'y a pas d'homme". Pourtant je n'imaginais pas que cette réélection se produirait. Surtout après ce débat où il s'était couvert de ridicule. Mais bon, les gens qui votent pour Trump ne sont pas dans le domaine de la rationalité  de l'opinion et de l'argument, ils sont dans celui de la croyance. Et les faits ne pénètrent jamais le monde des croyances.
Et cela advient au pire moment de l'histoire de l'humanité, alors que la vie sur terre est de plus en plus menacée pour des raisons écologiques et climatiques. On pourrait penser qu'on a atteint le fond, mais non  apparemment il est toujours possible de creuser un peu plus.
Jamais autant d'ordures patentées et de crétins notoires n’ont accédé en même temps au pouvoir en différents endroits du monde. A la différence des dictateurs de la fin des années trente, ils sont nombreux aujourd’hui à posséder en plus l’arme nucléaire. Bref, on n’a pas le cul sorti des ronces. Cela va être difficile d’avoir l’esprit léger dans les années qui viennent.
Le weekend dernier, le dramaturge Wajdi Mouawad s’exprimait ainsi dans un entretien au journal Le Monde, : "Avec la probable victoire de Donald Trump, disait-il nous allons entrer dans une ère où la violence comme mode d’expression va se dessiner comme un droit allant de Washington à Moscou, de Tel-Aviv à Téhéran, de Pékin à Washington. Le cercle se referme sur notre époque. Entre la crise climatique et la crise géopolitique, la faillite de cette époque est d’autant plus abyssale que nous élisons ceux qui voient cette faillite comme une victoire. Comme il est chrétien et qu'il croit au salut de l'humanité et à la rédemption, il ajoute "Nous allons devoir faire preuve d’une grande solidarité pour passer à travers le cloaque qui approche et continuer à poser des gestes, si petits soient-ils, pour sauvegarder notre rapport à l’autre. Un rapport où la bonté et l’affection, comme des insectes en voie de disparition, devront être préservées pour être repollinisées plus tard. Sans doute pas de notre vivant. Pour nous, je crains qu’il soit un peu trop tard."
En exergue de cette publication, j'ai mis une photo du buste de Stefan Zweig, dont j'ai déjà parlé il y a quelque  mois. Je crois qu'aujourd'hui, il ne prendrait même pas le temps d'écrire un livre avant de se suicider.

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