lundi 6 juin 2016

D'une photo volée


Voilà, 
l'iPhone a ceci de formidable qu'il permet de faire des photos volées. Il remplit avantageusement les fonctions des minox d'autrefois. Je sais que cela peut, pour certains, paraître choquant, mais je n'ose pas aller vers les gens pour leur demander si je peux les photographier. Et puis, si par chance j'avais eu le consentement de ce monsieur, jamais je n'aurais pu obtenir cette expression. Je l'ai longtemps regardé. Je n'avais pas d'intention particulière. Et puis cette solitude, où il m'a semblé percevoir de l'égarement et aussi un vague effroi et une certaine tristesse, m'a tout à coup ému. De plus en plus souvent je regarde les vieux maintenant qu'a moi aussi comme Lear, il semble que les cieux ne sont plus dans leur prime jeunesse. À quoi pouvait il bien songer ? Était-il inquiet ? Son corps le faisait-il souffrir ? Avait-il du mal à dormir ? Songeait il à ses enfants ? Se sentait-il abandonné ? Avait-il le sentiment d'une vie remplie ? Avait-il donné de l'amour ? En avait-il reçu ? En réclamait-il encore ? Avait-il encore du goût pour le sexe ? Des mains caressaient-elles encore son vieux corps ? Etait-il fatigué de vivre et effrayé de devoir mourir ? J'en étais là de mes questions lorsque je fus dérangé de cette même façon qui souvent m'exaspère. Car prendre le métro ce n'est pas simplement s'affliger du spectacle de tous ces visages tristement résignés ou encourir le risque d'un possible attentat terroriste ; c'est aussi devoir subir ces affronts â la langue française que nous infligent régulièrement les messages d'alerte de la RATP. Ainsi de l'insupportable "le trafic est perturbé sur la ligne 6, cela fait suite à un incident voyageur" : un professeur d'autrefois l'aurait souligné d'un trait rouge associé à l'annotation "lourd". La formule s'avère systématique donc sûrement réglementaire et obligatoire. "En raison de" serait pourtant plus élégant. Mais bon, je ne vais pas me battre pour la sauvegarde de la langue française. En fait à l'heure qu'il est j'en ai plus grand chose à battre. Elle me survivra bien assez. Elle tiendra bien jusqu'à l'extinction de l'espèce ; je ne parle que de cette espèce le plus souvent braillarde chamailleuse et malpolie qu'on appelle les français qui depuis bien longtemps ne produit plus ni de grande pensée ni de grands stylistes. J'avais une correspondance à prendre. Je dus à regret abandonner ce visage à tous les fantômes qui semblaient le hanter. Mais durant quelques minutes, je l'avais éprouvé, lui que je ne connaissais pas comme mon semblable et mon prochain. Terriblement.

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