samedi 26 novembre 2011

Arrêt du 38, place du Chatelet



Voilà
il y avait dans cet individu tout un concentré d'abjection de morgue et de méchanceté qui le rendait particulièrement répugnant. Je ne sais d'où il était, russe serbe ou polonais, mais avec un fort accent de l'Est en tous cas. Je le voyais et l'entendais s'oublier là, ivre, tenant encore à la main le gobelet de vin chaud que des bénévoles à quelques pas d'ici offraient aux sans-domicile qui errent dans le quartier. C'était un flot ininterrompu, mêlant à un idiome de l'est, des mots de français dans une insupportable loghorrée antisémite. Tous les clichés y passaient, sur les juifs voleurs et leurs femmes salopes, je ne développerai pas. Il s'imaginait policier en train de perquisitionner. Se représentait comme un bras du pouvoir, peut-être comme le pouvoir même. Dans son délire surgissait parfois le mot "Imperator". Mais ce qui revenait sans cesse à sa bouche c'était "tuer". Ce qui l'animait c'était ce désir là, irrépressible et obsessionel. Ce type effrayant avait dans la mâchoire quelque chose de brutal, cruel et prédateur. Je ne pouvais m'empêcher de penser à tous ces miliciens serbes, aux ravages commis par tous ces types pétris de haine envers tout ce qui ne leur ressemblait pas. Mais sa haine à lui devenait contagieuse, c'était ça le plus horrible, j'en venais à mon tour à le regarder comme un moins que rien une espèce nuisible, à lui dénier son statut d'être humain, à songer qu'il méritait déjà le couteau qui le crèverait. Je sortais d'un musée où j'avais vu de belles œuvres qui élèvent et apaisent, et à présent son comportement me souillait, faisant sourdre en moi de sombres idées qu'il me fallait au plus vite chasser de mon esprit. Quand je l'ai vu se lever pour se diriger d'un pas martial, les mains croisées dans le dos vers ce square du Chatelet où vraisemblablement il devait passer ses nuits, j'ai songé que le monde tout de même, était un sale endroit oui vraiment un bien sale endroit. Et j'ai repensé  à ce livre "les naufragés" de Patrick Declerk, qui à sa manière étrange et perturbante a tenté de construire une "ethnographie du désordre, du chaos et du néant" que chaque jour nous côtoyons.

4 commentaires:

  1. Si je n'avais lu ton texte avant même de détailler la photo,
    j'aurais pu tomber dans le piège
    des apparences, si souvent trompeuses.
    Car visuellement le rôle du père Noël lui irait mieux que celui de tortionnaire.
    Ce personnage à l'air si jovial que l'on imagine mal que sous cet air rigolard se cache la haine.

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  2. Bonjour.
    C'est sur "Assemblage" que j'allais (que j'allais) répondre à votre commentaire sur mon blog. Mais aujourd'hui est aujourd'hui, le blog entretient une intéressante ambiguïté entre éphéméride et mémoire. Et j'ai fait un petit séjour à l'hôpital. C'est donc pour aujourd'hui. Merci infiniment pour votre signe. Un blog "poétique" peut s'ouvrir aux commentaires mais ne les facilite guère.Ce n'est pas avec un enthousiasme slave que j'ai parcouru vos pages, ni pour leur ordonnance toute française (question à débattre et à n'en plus finir). À voir ces photos, cette mise en page impeccable, cette régularité qui me fait honte, et ces textes qui au-delà de leurs propos toujours aigus m'évoquent - l'acceptez-vous ? - le goût, je me sens parent "quelque part". J'ôte aussitôt ce timide quelque part quand j'aperçois que vous prêtez l'oreille à César Franck… J'ai traîné, mais voici. À tirer le fil quand vous voudrez. Merci encore. Amitié.  

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  3. Quand on est pas pauvre et que notre système fait la guerre à notre place pour notre richesse on croit qu'on est 'normal' et on en arrive même à juger la terre entière à l'aube de notre personnalité 'sensible et raisonné'. Pas vrai?

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  4. Je ne comprends pas très bien où tu veux en venir Kazimir. Supposerais tu que je suis riche à l'abri et complice du système ? Pour ce qui est de la raison oui j'essaie de la garder. C'est peut-être même ce qui est au principe de ce blog : essayer de trouver une distance raisonnable à l'égard de ce qui me touche, pour échapper autant à la tentation de l'indifférence qu'à la contagion de la folie. Est ce cela que tu sembles confondre avec un jugement ?

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