Voilà
j'ai retrouvé ces photos prises par Jean Péraud qui figurent dans l'ouvrage "Terre lointaine" consacrée à la guerre menée par le Corps expéditionnaire français en Indochine. Ce livre était caché de ma vue, dissimulé dans une armoire et, comme toutes les choses interdites, somme toute assez facile d'accès. Il suffisait de savoir où se trouvait la clé. Je me suis souvent attardé, enfant - je devais alors avoir une dizaine d'années -, sur cette double page qui mettait les deux images en regard l'une de l'autre. Le commentaire a sans doute influencé ma perception. Il disait en l'occurrence ceci : "les photos de ces deux pages sont les plus émouvantes que je connaisse. Elles représentent des hommes dans un paysage. Dans le même paysage. Avant et après. Dans l'intervalle ils sont morts. Celui au premier plan n'est peut-être que blessé, mais il va sûrement être achevé par la mitrailleuse qui a tué ses camarades et il le sait. Il colle à la terre, il voudrait rentrer sous terre : il va revenir dans un instant à la terre. Le paysage n'a pas bougé. Si j'étais le photographe, j'aurais l'impression d'être complice de la mort de ces hommes. Ou, ayant risqué moi-même à ce point ma vie, complice avec la mort." Rien ne dit que cette interprétation soit juste. Peut-être ne font ils que se plaquer au sol en espérant que rien ne retombe dans les parages. Peu importe. Je croyais ce que disait la légende, interrogeant cette fraction de seconde qui n'avait pas trouvé sa représentation, essayant, fasciné par cet intervalle, de me figurer en vain, à quoi pouvait ressembler l'instant fatal. C'était dans les années soixante, à Biscarrosse où la vie était si douce, en dépit des images d'une guerre qui avait juste changé de nom et dont les actualités, par la petite fenêtre de la télévision, déversaient dans la pièce où était servi le repas du soir, leur flot quotidien d'horreurs. Il me fallait en plus supporter les commentaires obscènes de mon géniteur qui le cul vissé sur sa chaise, reconnaissant ou croyant reconnaître des lieux où il avait combattu, continuait de vivre sa guerre par procuration en jouant les grands stratèges. De cela sans doute, il me faudra bien rendre compte un jour.
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