mardi 24 août 2021

142, Boulevard Brune

Voilà,
cette photo ne me satisfait pas pleinement ; pourtant j'y suis attaché. En dépit de ses imperfections (j'aurais peut-être dû attendre une demi seconde afin que l'homme qui marche s'avance un peu plus dans le cadre) elle me charme cependant. Peut-être aussi parce que je l'ai prise très peu de temps après la fin du confinement, période qui au fur et à mesure qu’elle se perd dans le souvenir me paraît d’autant plus irréelle. Nous étions alors tout étonnés de revoir des gens dans les rues et des magasins ouverts, de ne plus avoir d'attestation de sortie à remplir et la possibilité de s'aventurer à plus d'1 km de chez soi.
J'avais accompagné S. venue me rendre visite la veille, et qui ce jour-là était allée rejoindre sa mère à la station service de la porte d'Orléans. Rentrant à pied chez moi, j'avais pris quelques photos. Celle-ci je crois constitue la première de la série. Traversant le Boulevard Brune, le contraste entre cet homme immobile, attendant vraisemblablement quelqu'un, — m'a-t-il aperçu ? est-ce la raison de cet air ombrageux ? —, et, sur le mur, le petit personnage en relief  qui suit son chemin, m'a interpellé. L'irruption fortuite du troisième homme, a créé à l'intérieur du cadre un triangle que je constate seulement maintenant et qui, bien qu'accidentel, ne me déplaît pas. Et puis finalement ce n'est pas mal d'avoir ces deux hommes. 
Bien sûr je pourrais profiter de ce hasard pour ne cadrer que les deux silhouettes qui marchent, cela créerait un effet insolite et amusant. Mais je tenais aussi aux enseignes superposées. Celles indiquant les hôtels ont quelque chose d'incongru. En effet il n'est rien qui ne ressemble à l'Acropole dans le coin. Quant au terminus, il est lui aussi assez surprenant : la gare la plus proche est à six stations de métro. Mais la scène, banale, et les lieux sans charme particulier, m'évoquaient aussi l'atmosphère de certains romans de Patrick Modiano, ou de Simenon. C'est sans doute cela qui a retenu mon attention. Et peut-être aussi que le boulevard Brune me rappelle un souvenir d'adolescence, concernant le peintre Gérardo Chavez déjà évoqué dans ce blog. 
Il y a tant de raisons cachées, parfois même inconscientes pour lesquelles il m'arrive d'appuyer sur le déclencheur. Souvent c'est l'intuition que cela pourrait donner quelque chose d'intéressant. Mais l'énigme réside précisément dans la nature de cet intérêt. Parfois c'est évident. Concernant cette image, ça l'est beaucoup moins. L'observant avec plus d'attention, je remarque néanmoins que de façon subreptice, il est questions de directions qui s'opposent les unes aux autres. Ai-je vraiment pensé à cela ? C'est peu probable. Mais il est par contre vraisemblable qu'à cet instant, mon esprit ait décelé quelque chose qui relevait de l'anomalie — peut-être ce grand vide, entre les protagonistes, comme le signe de "la distanciation sociale" concept qui fit fureur à l'époque — et qu'alors j'ai éprouvé le besoin de retrancher de cette réalité une fraction de seconde afin de la convertir en une matière plus tangible et durable.

16 commentaires:

  1. Interesting thought - what draws us to a photo might be asthetic but might also be empotive and memory. Our history we carry with us and project into the photo. Lovely post. #MCoW

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  2. Boooy. You made me go through this by myself, no google translate. And I really got it!
    Sad sign with the distance, but reckon you make me re-learn your language ;-)

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  3. I like the black and white photo. Hope life is getting back to normal, or as as normal as can be.
    I see Europeans are travelling all over.

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  4. Lydia (above) has an interesting thought...

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  5. ...images are often filled with memories, it's nice to have them.

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  6. Fine looking signs. One would know where to stay seeing those.

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  7. It has been many, many years since I studied French, but I enjoyed both your photo and my attempt to struggle along and translate it! Thanks for sharing at https://image-in-ing.blogspot.com/2021/08/a-few-from-archives.html

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  8. Ces réflexions sur le pourquoi on prend une photo, sur cet inconscient qui nous pousse à le faire est fort intéressante. Comme tu le dis, ce n'est en général qu'après on voit vraiment ce qu'on avait perçu sans le savoir.
    Bonne journée !

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  9. Espérons que ce soit le "terminus" d'une époque.

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  10. I find it a pleasing composition - the triangle works well. It's good to be able to get out and about again.

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  11. I know what you mean about the photos and its charm. It's quite pleasing to the eye.

    Thanks for sharing your link at My Corner of the World this week!

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  12. A moment in time. so many reasons to press the shutter. I wouldn't have hesitated.

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  13. la photo est plus qu'intéressante : captivante. et l'analyse que tu en fais : prodigieuse.

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  14. It is a great shot. Especially it kind of shows the uncertainty of things nowadays.

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