Voilà,
ta langue passe et repasse derrière la dent qui bouge un peu. Tu es intrigué par ce légère ébranlement. Tu traînes sur les berges du fleuve qui scintille sous le soleil de midi. Tourmenté cependant par de lancinantes pensées dues à ce message découvert le matin même sur ton portable alors que tu étais à peine réveillé. Ces mots sobres et pudiques publiés par une lointaine connaissance sur un réseau social qui ne te lâchent pas "Comment écrire l’impensable...Mon amour, mon ami, mon amant, le père de mes enfants, mon *** s’en est allé, trop tôt. Assis face à la mer, son cœur a lâché... Grande est notre douleur mais nous tiendrons le cap."
Tu ne cesses de penser à elle, que tu connais depuis des années sans vraiment la connaître, toujours souriante, toujours aimable, simple et solaire, et dont tu as des nouvelles régulières par ce réseau social qui donne l'illusion d'une proximité. Et tu te souviens l'avoir croisée cet été un soir au festival. Elle était toujours aussi jolie.
À présent tu marches à côté de tes pas. Tu regardes les passants. Les joggers qui transpirent dans l'effort. Les lourds cumulus immobiles dans le bleu du ciel semblent presque artificiels. C'est le premier jour de Septembre. Tout semble pourtant paisible, en suspens. Dans un coin de ta tête une bluette qui te rappelle ton enfance. Tu n'as plus envie de regarder tes mails. D'entendre les actualités. Tu veux juste marcher seul, sachant pourtant combien la solitude te coûte. Ne plus vivre que dans un monde futile de musique et de refrains. Être encore plus improductif. Jouir du temps présent. Tu voudrais que la mort ne te trouve pas maussade si elle devait te prendre par surprise.
(...)
Le lendemain, tu marches encore. Cette fois dans ce quartier où tu as tant et tant de fois déambulé depuis tant et tant d'années. Comme souvent tu reviens vers la boutique des songes, celle qui a toujours été là, devant laquelle sans jamais oser en franchir le seuil, tu t'es si souvent attardé depuis que tu habites cette ville. Une jeune femme t'en ouvre la porte, affirme qu'elle te reconnaît et c'est vrai puisqu'elle articule ton prénom. Elle t'accueille avec une bienveillance inattendue. Bientôt, elle te raconte l'histoire de ce lieu qui appartenait autrefois à une aïeule, t'explique qu'elle y a grandi. Elle te confie ce qu'elle imaginait qui s'y passait la nuit quand tout était fermé, elle te montre des objets, t'indique leur provenance. Tu te sens vaguement embarrassé de ton corps tu voudrais n'être qu'un pur esprit ça serait tellement plus simple tu as peur de casser quelque chose tu ressens un léger vertige dans ce cabinet de curiosités où certains hivers tu aurais voulu te réfugier comme dans une maison de poupée tu ne te la figurais pas si jeune la bergère du troupeau des rêves mais il faut la laisser il faut t'en aller et tu la quittes à regret. Tes pas te mènent vers le grand jardin que tu traverses en somnambule et sur lequel se répand une tendre et douce lumière de fin d'été. Les ombres commencent à s'allonger. Tu n'entends pas les bruits de la ville. Juste le chant des oiseaux dans l'air tiède et les cris joyeux des enfants qui traînent après leur premier jour de classe, et profitent des derniers rayons de soleil. Et tu tiens frêle entre deux mondes, étonné, pensif, surpris d'être là encore, parmi tant de questions irrésolues, mais vaguement détaché aussi, comme si au fond, plus rien n'avait vraiment d'importance. Ni ce qui a été accompli, ni ce qui reste à faire.
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Your words have touched something way down inside me. Rather like waking from a dream. Well, then let me leave this thought from your shop of dreams: Perhaps inanimate objects grow souls as they age--like patina. I need a glass of wine.
RépondreSupprimerMerci pour avoir écrit ce texte là. Pour associer comme ça si délicatement le plus grand malheur et la plus belle lumière (et me rappeler de cesser de courir après le vent)
RépondreSupprimerthese thoughts put into words are beautiful, and also tragic...
RépondreSupprimerBeautiful thoughts an images.
RépondreSupprimerque l'image du parc est belle ! ton Paris n'est pas celui des autres, celui des touristes ..
RépondreSupprimerles mots comme toujours touchent profondément !
Que la mort ne nous trouve pas maussade,c'est exactement ça !
RépondreSupprimerMarcher au hasard pour essayer d'égarer les idées floues, remarquer quand même le chant des oiseaux, un pas vers cette belle lumière de ton parc.
RépondreSupprimerMerci, bonne journée.
Entre deux mondes, tu flottes à la fois présent et absent, tu es comme dans un état d'attente. Peut-être te dis-tu que tu n'attends rien sauf l'inattendu ?
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