jeudi 21 avril 2016

Au dépourvu


Voilà,
le paradoxe est que je ne vois plus vraiment ce que je photographie. Je l'entrevois juste. Je ne perçois en fait qu'une partie du champ dont la profondeur m'échappe. Je ne saisis le relief que très approximativement. Il en a toujours été ainsi, même si désormais tout devient de plus en plus imprécis, non pas flou mais vague. Faire le point, et là je ne parle pas seulement de faire le point avec un appareil photo, non faire le point sur un visage ou un regard pendant une conversation, ou pour lire plusieurs pages d'affilée exige un intense et toujours plus difficile effort de concentration. A présent j'aperçois plus que je ne regarde ou ne distingue. Mon attention de plus en plus flottante n'opère que par intermittence et relève de fait plutôt de la distraction. Les choses sont là, d'accord, mais elles me parviennent plutôt comme une rémanence que comme une réelle apparition.
Parfois des genres de phosphènes (mais ils ne sont pas - du moins pas pour l'instant - aussi perturbants que les acouphènes peuvent l'être pour l'ouïe) se disséminent en de petits points brillants ou en de minuscules billes flottant entre regard et vision. Il arrive aussi que des sortes de filaments semblent glisser dans une substance aqueuse. C'est un peu embarrassant chez le boucher ou pendant une réunion professionnelle qui devient une sorte de dispositif à la Yayoi Kusama. Chose étrange, en rêve ce phénomène ne s'est encore jamais produit. Mais je sens bien que ça se modifie qu'il faut en profiter tant qu'il est encore temps. L'autre jour, dans le ciel, il m'a semblé qu'un oiseau se dédoublait. Sur un tableau de bord, je mélange les boutons, je ne reconnais plus les sigles, je ne mémorise plus les informations. Dans la salle de bains je confonds les étuis. Mais au fond, ce n'est peut-être pas simplement qu'une affaire d'usure des organes. Il se peut que cela soit aussi une disposition psychique pour me détourner de la réalité, la fuir. La transformer pour y trouver autre chose que ce que j'y vois et qui me semble souvent si tristement terne. Je peux encore m'émouvoir d'une belle lumière, d'un paysage, un détail peut me sauter aux yeux et prendre toute la place. Évidemment, je sais ce qui continue d'attirer mon regard dans les rues. De plus en plus souvent je pense au travail d'Evgen Bavcar, ce photographe aveugle. Peut-être faudrait-il que je m'intéresse d'un peu plus près à tout cela désormais, pour ne pas être pris au dépourvu. "Dépourvu", comme il me paraît soudait étrange ce mot dans ce contexte. Ça existe le verbe dépourvoir ? Faut que je vérifie.
(...)
Ben oui ça existe. La définition c'est "priver de ce qui est utile, indispensable". En fait c'est le contraire du verbe pourvoir dont la première définition est pour le Larousse "Donner quelque chose à quelqu'un, l'en doter, en parlant d'une puissance supérieure". Exemple : La nature l'a pourvu d'un physique agréable. Ouais bof. C'est vrai qu'il m'arrive parfois d'être beau gars quand je suis bien coiffé mais tout de même faut pas exagérer.

4 commentaires:

  1. "attention" is becoming harder to give, but mindlessly easy to be distracted.... p.s. thanks for the interesting links to the artists

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  2. I wonder what has surprised this face. Is it in your dream?

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  3. A bit scary and frightening. Nicole will love this one.

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  4. Elizabeth is right, I love this face. Reading your text I find that you have described perfectly what was going on with my eyes I could never come up with the words to explain my vision. Or lack there of. As for this art. The face slowly fading into the background, hair straight up, pock marks on the skin, eyes full of horror. I see fear in the face along with excitement. A face of ones dreams real but not. I know this may not make much sense but then we each see art through different experiences, different emotion. I think it is brilliant. Thank for joining FFO.

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