dimanche 15 mars 2015

Vers des ruisseaux touffus où tremblent des cerises...


Voilà,
souvent, pour expliquer le sens de son action, il avait coutume de dire qu'il était "l'âne qui porte les prophètes". C'est une ânesse qui, pendant qu'une enceinte diffusait les suites pour violoncelles de Bach, a précédé la carriole transportant son cercueil décoré par ses filles de motifs de tapas océaniens qu'il aimait beaucoup. Dans le petit cimetière, quelqu'un a lu "la prière pour aller au paradis avec les ânes" de Francis Jammes. Des amis ont ensuite rendu des hommages sobres et émouvants, où des sanglots parfois s'étouffaient au détour d'une phrase. Il y eut d'autres discours après, plus officiels et convenus. C'est alors que l'ânesse s'est mise à souffler un peu. Mais quand ensuite fut diffusé le poème de Verlaine chanté par Léo Ferré qui commence par "âme te souvient-il au fond du paradis de la gare d'Auteuil et des trains de jadis..." Il y eut un grand silence, et des larmes difficiles à retenir. Le curé d'origine africaine qui autrefois venait donner la communion à Dominique quand elle ne pouvait plus se déplacer a pris alors la parole. Non pour une bénédiction que le défunt ne souhaitait pas, mais pour, en peu de mots, mais si justes et sincères, s'adresser une dernière fois de sa voix chaude et apaisante, à "Papa Philippe" comme il l'appela. Il savait que dans cette assemblée, nombreux étaient ceux pour qui il avait été comme un père. Ensuite, ce fut la mise au caveau au son de l'adagio du concerto pour hautbois en Ré mineur de Alessandro Marcello, les pétales de fleurs jetés sur la bière, et une dernier poème, celui des "deux escargots qui s'en vont à l'enterrement d'une feuille morte" de Prévert, chanté par les Frères Jacques, ses amis d'autrefois. On s'est ensuite retrouvés dans la salle des fêtes du petit village pour boire et manger comme il aimait tant le faire... Le portrait peint par Yves Faucheur qui se trouvait autrefois dans l'entrée de l'appartement de la rue de Vaugirard y était accroché. Cette matinée de séparation, ses filles ses petits-enfants et ses proches ont su en faire un adieu tendre et paisible, un moment partagé qui lui ressemblait, atténuant ainsi le chagrin éprouvé. Par delà la mort, quelque chose de lui se perpétue, essentiel : cet art de vivre qui lui était si singulier, prodigue de tant de bonté, d'attention et de générosité. 

Portrait de Philippe Tiry par Yves Faucheur

Les liens qui évoquent Philippe

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