"2 Août 14. La Russie déclare la guerre à l'Allemagne. Après-midi piscine" Franz Kafka, in Journal. J'aimerais pour ma part pouvoir m'en tenir à cette apparente désinvolture, à cette indifférence feinte, ou à cette distance je ne sais. Mais nous vivons dans un monde qui a bien changé. Difficile d'échapper aux images de massacre et à la toute puissance de l'actualité quand sur les réseaux sociaux, à la télévision dans les journaux, on parle tant de ça plutôt que des marronniers habituels de l'été. Oui on en parle quand même. Je trouve aussi des courriers dans ma boîte-mail, comme celui-ci, accompagné de ce commentaire d'une amie : "Tristement affligeant, Je vous communique le témoignage de Salma, enseignante de Français à Gaza. Bel été à vous et profitons de la chance que nous avons de vivre en paix". Je ne connais pas cette femme, j'ai même eu un doute sur la véracité de ce courrier (il y a tant de hoaxes et de désinformation de part et d'autre) mais cette lettre me bouleverse et je la tiens pour un témoignage vraisemblable :
Chers amis,
Je suis désolée de vous dire, « Je n'ai plus d'espoir ».
Oui, je n’ai plus d’espoir :
Quand on arrive au point de donner le nombre de morts
sans donner leurs noms alors qu’on a décidé de ne pas le faire au début de l’offensive, je n’ai plus d’espoir !
Quand on passe notre vie entre la radio et les sites
internet d’information, quand l’électricité vient nous rendre visite bien sûr,
là, je n’ai plus d’espoir !
Quand l’armée « la plus morale au monde »
bombarde partout dans la bande de Gaza et qu’on ne sait plus si les frappes
sont près ou loin de chez nous, je
n’ai plus d’espoir !
Quand cette armée bombarde les hôpitaux, les écoles et
les mosquées, je n’ai plus d’espoir !
Quand l’armée israélienne bombarde tout, les gens même
les paramédicaux, les pierres, les terres, les animaux et les arbres, je n’ai plus d’espoir !
Quand mon fils ne peut pas dormir plus de 4h, parce qu’il
a peur de nous perdre (il croit bien qu’en gardant les yeux ouverts, il nous
protège et nous garde.), je n’ai plus d’espoir !
Quand mon fils m’embrasse et me demande de le prendre
entre mes bras et de bien le serrer une dizaine de fois par jour, je n’ai plus
d’espoir !
Quand je cours vers le téléphone pour avoir des nouvelles
des autres, sciemment, mes parents lorsqu’il y a un/ des bombardement/s près de
chez eux, je n’ai plus d’espoir !
Quand le mois de Ramadan, le mois le plus joyeux et
généreux de l’année, devient le mois le plus morne, je n’ai plus
d’espoir !
Quand mon fils a peur qu’une roquette tombe dans sa
chambre et détruise tous ses jouets, je n’ai plus d’espoir !
Quand il sait qu’une de ses meilleures amies a perdu son
papa et qu’à cause des bombardements il ne peut pas sortir lui dire, « on
est tristes pour toi, on est tous, autour de toi, ne t’inquiète
pas ! », je n’ai plus d’espoir !
Quand j’imagine que les musulmans, partout dans le monde,
vont fêter la fête de l’Aïd normalement sans penser à ce qui nous arrive, je n’ai plus d’espoir !
Quand on perd un de nos proches lors d’un bombardement et
qu’on se dit, « heureusement, on en a perdu un, il y a d’autres familles
qui en ont perdu beaucoup
plus !! » Oui, je n’ai plus d’espoir !
Quand nos cœurs pleurent plus que nos yeux, je n’ai plus
d’espoir !
Quand on croit fort à l’idée que les morts ont plus de
chances parce qu’ils ne vont plus souffrir, je n’ai plus d’espoir !
Quand on parle de la mort comme si c’était un
choix et que chacun dit, « Je n’ai pas peur de la mort, mais ce qui
me fait peur, c’est de perdre tous les membres de la famille et de survivre, je
veux mourir avec les autres ! », je n’ai plus d’espoir !
Quand on sait que l’armée israélienne bombarde un
quartier tout près des frontières et qu’on a peur qu’un nouveau génocide
arrive, je n’ai plus d’espoir !
Quand le père Moussallam
dit, « S'ils détruisent vos mosquée, appelez à la prière dans nos
églises. » et que les barbares ne bombardent pas seulement les mosquées,
mais aussi les églises, je n’ai plus d’espoir !
Quand les criminels tuent la beauté de ma ville et
l’innocence de nos enfants et qu’ils disent que c’est le droit à la défense, je
n’ai plus d’espoir !
Quand on est dans un pays occupé depuis 68 ans, mais qu’on
n’a pas le droit de résister, d’exister, je n’ai plus d’espoir !
Quand ce monde parle de la liberté, de la démocratie et
de la fraternité et qu’il les interdit aux autres, je n’ai plus d’espoir !
Quand les pays arabes (nos frères !!!!) nous jettent
au feu et vont à la mosquée pour prier et s’approcher de Dieu qui n’accepte pas
ce qu’ils font, je n’ai plus d’espoir !
Quand on attend une bonne nouvelle, l’arrêt de tous ces
massacres, mais que ces nouvelles deviennent des rêves, je n’ai plus
d’espoir !
Quand l’odeur de la mort se rapproche de nous, je n’ai
plus d’espoir !
Chers amis,
Je suis très désolée, malgré votre soutien concret et
moral, vos manifestations, vos messages très doux et vos sentiments, je n’ai
plus d’espoir !
Salma AHMED ELAMASSIE
A GAZA
le 25 juillet 2014
Oui, il se passe des choses horribles sur cette bande de Gaza large de 10 km et longue de 40, là-bas en Palestine, cette terre promise où Kafka à la fin de sa vie rêvait d'aller pour y ouvrir un restaurant avec Dora Diamant. Je pense à tous ces enfants qui ont eu le malheur de naître là, d'appartenir à un peuple aussi méprisé par le monde arabe que le sont les roms dans les pays européens.... J'ai autrefois vécu en zone de guerre - mais moi c'était "peanuts", ridicule à côté de ce qu'ils endurent - et je sais ce que ça laisse comme cicatrices. Je n'ose imaginer ce que sera la suite de leur vie. Des hommes brisés, cassés qui sans doute ne pourront, pour la plupart, trouver de force que dans la haine et le désir de vengeance. Voilà ce que le cynisme et la bêtise de ces dirigeants sépharades de l'État d'Israël invoquant une fois de plus la Shoah pour justifier ce qu'il faut bien appeler des crimes de guerre, va provoquer : le conflit sans possibilité de négociation pour des dizaines et des dizaines d'années encore. Leur comportement aveugle et le sentiment d'impunité dont ils semblent jouir attisent non seulement les braises d'un antisémitisme toujours latent partout dans le monde, mais sont aussi en train de faire exploser la société israélienne qui se reconnaît de moins en moins dans cet état, où une poignée d'extrémistes religieux et d'ultranationalistes font la pluie et le beau temps à la Knesset. Je ne sais ce qu'il sera advenu quand ces lignes paraîtront. Peut-être une autre catastrophe aura-t-elle, au cœur de l'été, chassé celle-ci. Oui, c'est l'été en Europe et on cherche à oublier les soucis, à se couper du monde pour ne pas voir. On voudrait être futile comme en ce temps où l'on proclamait la fin de l'histoire. Aujourd'hui pourtant, même les plus optimistes parmi ceux qui croient au modèle dans lequel nous vivons, commencent à pressentir que les choses ne vont pas à aller en s'arrangeant et que l'horizon du pire est notre plus vraisemblable perspective. Oui le monde change. Le chaos devient sa forme de stabilité. Mais bon, en attendant, on prend le soleil.
¡¡Hola de nuevo, Kwarkito!!, extraordinario texto, en momentos
RépondreSupprimertan horribles y con tan poca solución, ¡estoy contigo!.
Busquemos la esperanza y el consenso.
Un saludo, Ángel