dimanche 31 août 2025

La bonne place


Voilà,
en prenant de l’âge je trouve qu'elle est de plus en plus difficile à trouver la bonne place. Selon Alejandro Jodorowsky, "il faut apprendre à marcher plus lentement, à faire nos adieux à celui que nous étions, et à accueillir celui que nous sommes devenus. Vieillir, ce n’est pas seulement une affaire de temps, c’est une épreuve de courage : accepter notre nouveau visage, embrasser avec fierté ce corps qui nous a portés, et laisser tomber les peurs, les jugements, les fardeaux que les années n’ont pas su effacer. Devenir vieux, c’est apprendre à être en paix avec soi-même, à lâcher ce qui ne nourrit plus, et à chérir ce qui demeure encore. C’est comprendre que la vie se transforme, que les adieux jalonnent la route, et que chaque larme versée peut ouvrir la voie à un sourire nouveau, à un rêve inattendu, à une raison de plus de continuer d’avancer.". Je note, je note... Je vais faire de mon mieux, mais ce n'est pas gagné...
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vendredi 29 août 2025

Comme une journée glacée

Voilà,
"Je vois clairement aujourd’hui que j’ai échoué, et je m’étonne seulement, parfois, de n’avoir pas prévu que j’allais justement échouer. Qui avait-il donc en moi qui annonçât une victoire ? Je n’avais ni la force aveugle des vainqueurs, ni la vue pénétrante des fous.… J’étais lucide et triste comme une journée glacée." Fernando Pessoa Le livre de l'intranquillité 319

mardi 26 août 2025

Poço iniciático

Voilà,
conçu, entre 1904 et 1910 tout comme le palais et l'ensemble des jardins par l'architecte italien Luigi Manini, le puits initiatique (en portugais : poço iniciático) est une construction située dans le jardin du palais de la Regaleira de Sintra (Portugal) qui "conduit"  symboliquement l'initié des ténèbres vers la lumière en passant par plusieurs "paliers".  S'il porte ce nom c'est qu'on suppose qu’il a été utilisé dans les rituels d’initiation à la franc-maçonnerie Il a l'aspect d'une tour inversée de 27 mètres de haut qui s'enfonce dans la terre. C’est une galerie souterraine avec un escalier en colimaçon, soutenu par des colonnes aux chapîteaux sculptés, qui descend au fond du puits. La terre est le symbole de l'utérus maternel, en même temps que le lieu de la sépulture, où chacun retournera. Ses neuf paliers pourraient être une évocation des neuf cercles, de l'Enfer, du Paradis et du Purgatoire, de la Divine Comédie de Dante. Au fond du puits se trouve encastrée une rose des vents de marbre à huit pointes, disposée sur une croix des Templiers. Parvenu en bas, il faut cheminer à travers un labyrinthe de grottes humides où l'on est contraint de progresser en se penchant, avant de retrouver l'air libre. J’ai déjà évoqué les circonstances de cette excursion avec ma fille. Cela demeure l’un des plus beaux souvenirs de ma vie. Telle était la couleur du ciel ce jour-là.


lundi 25 août 2025

Au milieu de ce qui devient

 


Voilà,
les choses sont là, parmi les forces les mouvements les possibles. Elles demeurent au milieu de tout ce qui devient. 
Supposons un être humain, de ceux que l’on dit doué de raison. Imaginons-le ensemble, dans ce léger écart temporel qui fonde notre relation toi le lecteur ou la lectrice face à  ton écran et moi derrière mon clavier. Faisons pour une fois œuvre commune. Il est là donc, depuis un petit nombre d’années – du moins au regard de l’histoire de l’humanité. Mais, parce qu’elles se brouillent, les choses peu à peu s’effacent de son propre horizon. Elles ne se manifestent plus désormais que comme des signaux indicateurs de sa défaillance croissante, de sa débâcle prochaine. Bien évidemment il a du mal à se faire à cette réalité autant qu’à cette perspective. Cela le contrarie. S’il fait encore illusion, il lui arrive de plus en plus souvent de perdre pied. La terre tourne, sa tête aussi. Mais c’est comme si sa tête voulait tourner ailleurs que sur cette terre. Il va lui être bien difficile pense-t-il, de continuer à distraire – comme on le lui demande avec empressement (on lui reconnaîtrait quelques dispositions pour cela) – son prochain. Rien ne dit en outre que le prochain viendra. Il a tellement de trucs à  faire, le prochain. Lui aussi guette les signes, rassemble des indices et se soucie de son avenir. Il projette même de tout arrêter en récriminant. Tout arrêter, la bonne blague. Mais, d’ici-là, qui sait si cet être auquel nous avons encore le loisir de nous intéresser, ou plus précisément, la relation de cet être, aux choses qui l’entourent et au prochain qui s’éloigne, ne sera pas d’une tout autre nature. Ça s’est déjà vu. Alors, ne le négligeons pas et soyons indulgents avec lui, tant qu’il s’agite encore.

vendredi 22 août 2025

Silience


  
Voilà,
dans son dictionnaire des obscure sorrows
 John Koenig désigne sous le terme de silience
l'art caché autour de soi

jeudi 21 août 2025

Vers le bleu du jour

 

Voilà,
Il y a des choses qui se refusent à ma raison comme un chat se refuse à l’eau. La foi par exemple. Bien qu’elle ait, en certaines époques et dans certaines communautés inspiré des merveilles, comme cette chapelle d'un village de Bourgogne – et ça c’est très concret –, elle reste une énigme. J'en ai déjà précédemment parlé, et j'y reviendrai sans doute. Ce n'est pas que je traverse une crise mystique, mais cela occupe mon esprit ces derniers temps. Certains lieux, certaines circonstances favorisent ce genre de supinations et pronations mentales. Il m'arrive de temps à autre d'interroger cette idée, de chercher, de la tourner dans tous les sens. Elle est, depuis que je suis en âge de réfléchir, toujours présente avec plus ou moins d'intensité enfouie dans mes pensées. Comme un vieux Rubik’s cube dont je ne serais jamais parvenu à me débrouiller mais que je garderais tout de même, au cas où, dans un tiroir...

Les églises se remplissent et se vident au gré des siècles, les dieux meurent et renaissent sous d’autres noms, mais la foi, elle, persiste, en dépit des objections. Elle n’exige pas de preuves, se moque des arguments. Elle est là, obstinée, comme l’herbe entre les pavés ou les pierres. Certains prétendent qu’elle console, qu’elle donne un sens, qu’elle réchauffe les nuits trop longues. Peut-être. Mais il est aussi possible qu’elle ne soit qu’un leurre, un déni de réalité une de ces belles histoires qu’on se raconte pour conjurer la peur du silence.
 
Des savants, des philosophes, des poètes l’ont justifiée au prix de contorsions intellectuelles. Ce n’est ni une équation, ni un théorème. Pour Kierkegaard elle se présentait comme un saut subjectif, un engagement personnel envers une vérité excédant la logique. Wittgenstein la considérait comme une forme de vie intérieure exprimée dans des pratiques des rituels et un langage spécifique et pour cela, pensait-il, elle ne pouvait être envisagée de l’extérieur.
D’autres y voient une réponse à l’appel d’un mystère qui nous dépasse. Certains la considèrent comme une illusion correspondant à un besoin de protection infantile. Il est toujours facile de la réfuter puisque la foi est une adhésion à l’Invérifiable.
 

 
 
Quoi qu’il en soit, elle échappe. Autant à ceux qui la possèdent qu’à ceux qui la refusent. Elle semble parfois surgir en des moments étranges où l’on se surprend à espérer sans savoir quoi.
Chercher à comprendre ? Peut-être vaut-il mieux l’observer de loin, comme on regarde un avion s’éloigner dans la nuit étoilée. On ne saura jamais où il va, mais on a la certitude qu’il mène quelque part. Après tout, le mystère qui désigne bien des choses n’est pas fait pour être percé, mais pour nous rappeler que le monde est plus grand que nos doutes et nos certitudes.

                                                         Marianne   : un mystère s’il vous plaît 
                                                         Le serveur : il n’y a plus de mystère 
                                                         Marianne   : alors un verre d’eau
                                                         In "Pierrot le fou" de Jean-Luc Godard

Et si la foi n’était, au fond, qu’une façon d’admettre qu’on ne sait pas, tout en constituant le meilleur moteur pour avancer dans la vie ? un pari, comme le suggérait Pascal — le seul où l’on mise tout en sachant qu’on ne verra jamais les dés. Après tout, dans un monde où tout s’explique, il reste bien peu de place pour l’émerveillement. Oui la foi c’est cette certitude tenace que quelque chose, quelque part, répond dans l’écho du silence.
Plutôt que d’y voir une lâcheté, une fuite devant l’absurde, on peut tout aussi bien y reconnaître une forme achevée de lucidité sur le fait que la raison, si puissante soit-elle, ne comble pas tout. Pourquoi, dès lors, ne pourrait on pas s’accrocher, non à une vérité, mais à l’idée qu’il y en a une. Moins par naïveté, que par défi. Parce que croire, même sans preuve, c’est encore une façon de refuser que le dernier mot revienne au néant. 
Faute de compréhension, tourner son regard vers le ciel. Vers le bleu du jour qui nous cache toutes les énigmes qui scintillent dans la nuit ouverte sur l'infini.

mardi 19 août 2025

Juste penser à elle

 
Voilà, 
j'avais repris contact avec ma cousine en décembre 1984. Je me souviens très bien j'étais descendu à Bordeaux parce que quelques camarades du spectacle "Rêves de Kafka" y habitaient. À l'occasion de ce sympathique séjour durant lequel j'avais été hébergé par Léon Napias et Patricia Jeanneau qui possédaient une "échoppe" près de la gare, j'en avais profité pour rendre visite à ma cousine perdue de vue depuis une dizaine d'années. J'avais alors fait connaissance avec son fils âgé d'un an. Quelques mois plus tard elle était montée à Paris avec une copine, et à l'occasion de ce séjour elle était venue me voir jouer. Dans les années qui suivirent nous nous sommes quelques fois croisés de loin en loin. Au début des années 2000 nous avons recommencé à nous voir souvent. Je descendais parfois en Dordogne où elle vivait avec son époux. Elle passait parfois à Paris et je l'hébergeais alors durant ses séjours qui étaient pour elle l'occasion de faire moisson d'expositions et des spectacles auxquels je l'accompagnais parfois.
Ma cousine Cathy nourrissait une rancœur jamais rassasiée, contre ses parents d'une part et contre ses grands-parents maternels aussi, pour des raisons plus que justifiées mais qu'il ne m'appartient pas de dévoiler ici. Elle était très soucieuse de sa généalogie et passa beaucoup d'énergie à remuer de vieilles histoires de famille. C’était un de ses sujets de conversation favoris. Que son frère et sa sœur ne fussent pas aussi remontés qu'elle contre leurs aïeux l'indignait. Elle a ainsi fini par se fâcher avec eux aussi, et se couper de toute sa parentèle. Sans concession face aux injustices, elle voulait être, sinon aimée, du moins comprise inconditionnellement. Elle le fut par son mari.  
Bien que très différents nous aimions à nous retrouver. Nous avions une grand-mère commune quelques souvenirs d'enfance partagés et de l'affection l'un pour l'autre.
J'ai découvert l'existence de mes cousins par la branche paternelle en 1964 lorsque nous sommes, mes géniteurs et moi arrivés à Biscarrosse. J'avais huit ans. C'était une nouvelle vie qui commençait. Après l'Algérie et Châlons-sur-Marne, j'ai, sous ces latitudes, pour la première fois ressenti la sensation de paix, et l'impression de vivre dans un endroit paradisiaque. Je garde un doux souvenir de cette période entre 1964 et 1969. La cellule familiale essentiellement réduite à mes parents s'étendait soudain. Mon cousin, ma cousine, mon oncle et ma tante ainsi que ma grand-mère venaient parfois nous visiter, ou bien nous allions les voir à Bordeaux. Il y eut même des repas de famille, des fêtes de Noël partagées, des anniversaires. C'était bien, c'était nouveau – car ces gens n’étaient pas des militaires –, et tout pour moi était source d'étonnement. 
 
 
Des fragments de ma vie ressurgissent. Je retrouve de vieille photos scannées sur mon ordinateur. Celle du haut, prise en 2010 lors d'un de ses passages dans la capitale. La seconde datant de l'été 1971 cadrée par son père sans doute, à Biscarrosse devant sa caravane, dans un pré à l’entrée du bourg. Mes parents y avaient posé la leur une pliante erka. Nous revenions dans ce village où nous avions vécu durant cinq ans. Je me souviens, c'était la mode du camping à la ferme, chez l’habitant. L'oncle la tante mes cousins et la grand-mère paternelle étaient venus nous rejoindre. Ma cousine sur la gauche regarde l’objectif et mon cousin observe mon frère cadet de neuf ou dix mois dans les bras de notre grand-mère. À côté je fais la gueule. C'est une période ingrate, je suis mal dans ma peau je n'aime pas être photographié. Près de moi se trouve mon autre cousine avec qui je n’ai pas de souvenirs communs.
Au milieu du mois à la fin d’une journée extraordinairement caniculaire, le cerveau rongé par une tumeur, ma cousine est morte irréconciliée avec son frère et sa sœur. Ceux là ne sont pas venus pour sa crémation. L’aurait-elle désiré d’ailleurs ? Rien n’est moins sûr. Mais beaucoup de gens qui l'appréciaient étaient présents et de jolies choses furent dites à son sujet, et avec beaucoup d'émotion et d'amitié.
Elle avait sensiblement l’âge de notre grand-mère sur la dernière photo, je m’en rends compte à présent. Soixante-sept ans, c'est tout de même bien jeune pour mourir.

samedi 16 août 2025

Pressé d’écrire


 
Voilà,
"tu es pressé d'écrire
comme si tu étais en retard sur la vie
s'il en est ainsi fais cortège à tes sources
hâte-toi
hâte-toi de transmettre
ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance
effectivement tu es en retard sur la vie
la vie inexprimable
la seule en fin de compte à laquelle tu acceptes de t'unir
celle qui t'es refusée chaque jour par les êtres et par les choses
dont tu obtiens péniblement de-ci de-là quelques fragments décharnés
au bout de combats sans merci
hors d'elle tout n'est qu'agonie soumise fin grossière
si tu rencontres la mort durant ton labeur
reçois-là comme la nuque en sueur trouve bon le mouchoir aride
en t'inclinant
si tu veux rire
offre ta soumission
jamais tes armes
tu as été créé pour des moments peu communs
modifie-toi disparais sans regret
au gré de la rigueur suave
quartier suivant quartier la liquidation du monde se poursuit
sans interruption
sans égarement" 
suggérait au cours des années trente René Char dans son recueil le "Marteau sans maître". Je ne sais si ces consignes s'adressaient à lui-même ou au lecteur éventuel, mais elles me semblent toujours aussi pertinentes. Cela ne vaut d'ailleurs pas que pour les écrivains. Je m'efforce — dans la mesure de mes moyens — d'y souscrire depuis longtemps. Les années amassées et la présente époque chaque jour plus tumultueuse angoissante et confuse, donnent plus d'intensité à ce poème. C'est pourquoi, moi aussi, sommé par je ne sais quelle obscure nécessité, je m'obstine à continuer de bricoler dans mon coin. Je n'ai pas le choix. Je ne peux pas faire autrement. 

jeudi 14 août 2025

Comme une eau calme


Voilà,
j'ai pris cette photo à Fontarrabie. Dieu me semble une idée absurde, mais j'aime l'ombre fraîche des églises, leur odeur de cire et d'encens et le doux repos qu'elles offrent. Les statues parfois semblent m'y observer avec indulgence. Le soleil, filtré par les vitraux, colore les vieilles dalles que tant de croyants ont polies. Des grains de poussière flottent dans un rai de lumière. Restées au bord des lèvres, d’anciennes et secrètes prières peuplent le silence. 
Souvent, j'envie la disposition mentale de ceux qui croient. Ils ont, chevillé au corps, l’espoir, ce crédit qu’on accorde à l’avenir sans savoir si le destin est solvable. Confiants dans une force invisible qui les soutient, ils n’ont pas besoin de preuves ; leur certitude est un sol ferme sous leurs pas. Je voudrais moi aussi oublier le poids des questions. Me laisser porter et songer que l'éternité se répand en moi comme une eau calme. Devenir leur semblable et pouvoir m’adosser à l'invisible.
Mais bon, je n'ai que mes épaules fatiguées, et je ne connais ni la foi ni la ferveur.

samedi 9 août 2025

À nous deux Paris

 
Voilà
"L'avantage de l'époque est que tout est dit. Partout dans le monde la quête du pouvoir redevient ce qu'elle a toujours été. Une mêlée sanglante et l'idée même d'une limite à la logique de la force est désormais inconcevable. Nous sommes face à une apocalypse au sens premier du terme. non pas fin du monde, mais sa révélation. Tout est explicite et, sur la scène, des masques de comédie jouent un texte de tragédie. Détourner le regard du spectacle est presque impossible. Mais à regarder la réalité en face on risque d'être aveuglés par l'éclat d'images de plus en plus violentes qui se réfractent d'un écran à l'autre. Se confronter à la réalité aujourd'hui, c'est tomber dans un état de transe. Devenir la proie d'une hypnose qui est la méthode du nouveau pouvoir pour installer son empire. Face à l'hypnose, la littérature est un interrupteur. Le grain de sable qui empêche la machine d'accomplir son œuvre. Depuis toujours les écrivains traversent la catastrophe future pour que nous n'ayons pas à le faire. La disparité des forces en présence est grande mais le véritable enjeu est de ne pas se laisser intimider par les éclairs et les coups de tonnerre des nouveaux enchanteurs. A l'heure  des prédateurs , tout est fait pour nous convaincre que le retour de la force est inéluctable. Et pourtant, à chaque fois, la lecture d'un livre ouvre la voie à la possibilité d'un avenir différent. Ce qui nous arrive en fin de compte, ce n'est pas l'inévitable mais l'imprévisible. Annoncer l'avenir est toujours un acte de pouvoir, mais imaginer des futurs alternatifs demeurera toujours un acte de liberté
 
 
C'est étrange de découvrir ce texte de Giulano da Empoli, dans le Paris désert, insouciant et frivole du mois d'Août. La capitale est en congé de la plupart de ses habitants. Tout est sur pause, comme chaque année à la même époque. On dirait que le monde extérieur n'existe pas, qu'il n'y a pas de Gaza, d'Ukraine, de fascisme croissant aux USA, de mesures antisociales prévues à la rentrée, que les incendies dus à la sécheresse, les catastrophes climatiques ne sont que des épiphénomènes. Des choses ignobles se trament un peu partout dans le monde. Rarement la paix n'a paru aussi fragile. Certains ne se rendent pas compte. D'autres essaient  de ne pas y penser. C'est peut-être ça l'image de notre avant-guerre. Les bains de soleil qu'on prend à Paris-Plage, les déjeuners qui durent à la cafétéria du musée Carnavalet. La fraîcheur trouvée dans les salles climatisées des cinémas.

Sinon il y a un an la tour Montparnasse ressemblait à cela. Les Jeux Olympiques distrayaient le monde  et toute la France était amoureuse de Léon Marchand, la nouvelle idole de la natation française. Il continue d'ailleurs de forger sa légende puisque il a été sacré la semaine dernière double champion du monde en 200m et 400m quatre nages et a battu un record du monde. Avec ma fille qui avait réservé des billets quelques mois auparavant nous avions assisté à un match de foot au Parc des Princes entre le Japon et le Brésil, et aussi passé une après-midi à regarder des séries de Rugby à sept féminin au Stade de France. Par je ne sais quel tour de passe-passe, les pauvres avaient été éloignés de la capitale, et la ville était propre et joyeuse. Je marchais beaucoup dans les rues, rassuré par le bulletin de santé de ma fille mais, jusqu'au 9 Août, vaguement inquiet aussi, dans, l'attente d'un diagnostic me concernant qui s'avéra finalement favorable.
 

Je me souviens que ce matin là, après avoir levé les yeux vers la tour, j'ai acheté, dans cette petite boutique située sur un tronçon de l'avenue du Maine assez peu fréquenté, une boisson fraîche artisanale servie par une charmante jeune femme.  
Notre président tout con, malgré la désastreuse séquence politique qu'il avait initié, passait son temps à papouiller les champions qu'il félicitait ou consolait. Et si nous avions échappé à une majorité d'extrême-droite au parlement, le pays était privé de coalition apte à gouverner. Les perdants expédiaient donc les affaires courante durant la trêve olympique. 
À l'époque on n'osait imaginer que le crétin orange redeviendrait président dans sa nation. C'est fou de constater à quel point, en si peu de temps, l'Histoire s'est accélérée, et qu'aujourd'hui le monde entier est entré dans une ère irrationnelle et incontrôlable que peu d'experts en géopolitique étaient alors en mesure de prévoir.
Toutes ces réflexions sont un peu décousues, j'en conviens. Si je suis en ce moment bel et bien à Paris, mes neurones, eux, semblent partis en vacances je ne sais où. J'ai du mal à trouver un sens aux rares activiés que j'entreprends. Je ne sais comment me débrouiller de ma vie. J'ai l'impression que je me délite moi aussi. Je suis juste content d'être encore capable d'écrire des phrases. Même si, depuis longtemps je ne suis plus en mesure de, malgré tout, porter un regard poétique sur le monde. J'aimerais bien pourtant.

jeudi 7 août 2025

Péché mignon

 
Voilà, 
j'aime bien le hameau que Marie-Antoinette s'est fait construire à Versailles, non loin du Petit-Trianon. Oui j'y vais et j'aime y retourner comme un diabétique revient chez Ladurée. J’ai grignoté Bourdieu, lu Marx, Piketty Descola et Lordon. N’empêche. La ferme de Marie-Antoinette, c’est mon plaisir honteux. Mon péché mignon, mon fantasme bucolique. Je m'y rends comme d’autres vont à Lourdes. Pas pour y croire, mais pour goûter l’illusion.
Les rochers semblent en carton, les chèvres d'opérette. Qu'importe. Ce kitsch pastoral, ce luxe rustique, d'un disneyland d’Ancien Régime me charme. Bien sûr on peut qualifier d'obscène l'élégance factice de cette campagne qui fut aménagée pendant que le peuple crevait de faim. Mais elle me ravit tout de même. C'est bon parfois quand l'hyperréalité nous caresse dans le sens du velours. 
 
 
La ferme ?  Ce n’est pas une ferme. C’est l’idée d’une ferme. C’est le faux qui ne cherche même plus à faire semblant. J’ai le goût du paradoxe. Je déteste l'ordre établi mais j’admire les rosiers taillés au cordeau. Je préfère ça à un jardin ouvrier sponsorisé par la mairie. Au moins ici, le mensonge est baroque.
Marie-Antoinette jouait à la bergère, moi, je joue au touriste égaré. Et Tant pis si tout cela est trop. Trop propre. Trop parfait. Trop ridicule. Ce trop, rappelle une vérité historique. Le pouvoir se rêve enfant, il joue à la vie simple, il finit sous la lame.
On peut rêver non ? 

dimanche 3 août 2025

La Joie

 
Voilà,  
l'humanité est un organisme parasite qui vit à la surface de la terre. Elle y a bâti de plus ou moins complexes édifices qu'elle peint parfois ou bien couvre de photos ou encore souille de graffiti. De temps à autre elle s'interroge sur le sens de son existence. Tout en saccageant l'écosystème dans lequel elle a prospéré, elle peut à l'occasion échafauder de subtiles théories sur l'origine de l'univers. Depuis quatre-vingts ans, elle a en outre, développé la capacité de s'autodétruire. J'ignore quel est le plan de la Nature concernant cette étrange entité. Rien d'ailleurs ne dit que la Nature ait un plan. Il est possible que cela ne soit qu'un enchevêtrement de contingences qui dure depuis quelques milliards d'années. Pourquoi dès lors, chacun fait-il de son existence une telle affaire ? La vie, somme toute, n'a aucune obligation à notre égard. Pour échapper aux questions et aux tourments qui nous accablent parfois, il nous a été offert l'opportunité de la joie. Un philosophe a dit qu'elle nous permet de résister à tout ce qui est abominable et qu'il faut la faire grandir pour qu'elle touche le plus grand nombre de personnes. Ce serait, selon lui, le seul moyen de supporter collectivement la difficulté. À cause d'une insupportable douleur physique, ce philosophe a tout de même fini par se suicider. Qu'en tirer comme conclusion ? Que c'est bien le corps qui détermine essentiellement notre identité en ce bas-monde. Ils ont bien raison ces deux-là d’exulter dans les bras l’un de l’autre.
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samedi 2 août 2025

Au courant de tout

 
 
Voilà,
autrefois, avant la deuxième guerre mondiale, on pouvait avoir l'excuse de l'ignorance. Tout paraissait plus lointain, dans le temps et dans l'espace. Le tout-venant, en dehors des zones concernées, pouvait vraiment ne pas savoir ni même imaginer la mesure de l'horreur qui existait. Les vérités étaient alors locales.
Aujourd'hui, nous voyons tout, sommes au courant de tout. En temps réel.
Et franchement il n'y a pas de quoi pavoiser.
j'aimerais être plus léger, mais c'est difficile
Les massacres, les catastrophes écologiques, les délires des autocrates, tout est à vue, comme un grand spectacle pornographique mettant à nu la laideur de l'humanité. C'est encombrant. 
tout cela m'atteint. Je ne peux pas m'empêcher d’y songer.
Par exemple, on voit que Gaza est devenu un gigantesque camp de concentration où la famine est planifiée, organisée. Comment pouvait on imaginer qu'après tout ce que ce peuple avait traversé, il massacrerait des enfants innocents. Ce que Hérode n'avait pas accompli — au contraire de ce que l'évangile de Matthieu a voulu nous persuader, (et ce mensonge s'est propagé à travers des siècles) — Netanyahu et ses complices le réalisent.
David Grossman une des voix importantes d'Israël, une de ses consciences, reconnaît que ce qui se passe à Gaza relève d'un génocide. Ceux qui l’exprimaient auparavant étaient taxés d'antisémitisme, voire de complicité idéologique avec le Hamas. Aujourd'hui l'évidence est trop flagrante. Le plus déplorable, dans ces tragique événements c'est de constater que les descendants des victimes de l'holocauste, profanent la mémoire de six millions de juifs européens martyrisés, en ressemblant quatre vingts ans plus tard  à leurs bourreaux
Je sais, je l'ai déjà écrit, mais ce constat me sidère. Cela me semble une des plus grande défaite de l'humanité. Cela signifie que les "plus jamais ça", les "devoirs de mémoire", les voyages organisés à Auschwitz pour des scolaires, les livres, les films, tout cela est sans effet.
Est-ce pour autant dépourvu de sens de le rappeler ?
Ce peuple qui affirmait avoir été choisi par le dieu qu'il avait inventé pour devenir une nation sainte dont la responsabilité était de conserver et transmettre un message de paix, s'est totalement parjuré. Comment à travers le pays qui le représente peut-il encore désormais prétendre à l'exception ? Exception qui se manifeste par le fait qu'Israël bafoue depuis sa création le droit international. Entre 1948 et mars 2024, cette nation a fait l'objet de 229 résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU sur la colonisation, le statut de Jérusalem et le retour des réfugiés palestiniens. Elles sont demeurées sans effet. 
Tout l'Occident une fois de plus est complice et a encouragé cette barbarie. 
Je me permets d'insérer là, un article de Gilles Deleuze datant de 1983, je crois. Cela signifie juste qu'il était clairvoyant il y a déjà plus de quarante ans.
" D’un bout à l’autre, il s’agira de faire comme si le peuple palestinien, non seulement ne devait plus être, mais n’avait jamais été. Les conquérants étaient de ceux qui avaient subi eux-mêmes le plus grand génocide de l’histoire. De ce génocide, les sionistes avaient fait un mal absolu. Mais transformer le plus grand génocide de l’histoire en mal absolu, c’est une vision religieuse et mystique, ce n’est pas une vision historique. Elle n’arrête pas le mal ; au contraire, elle le propage, elle le fait retomber sur d’autres innocents, elle exige une réparation qui fait subir à ces autres une partie de ce que les juifs ont subi (l’expulsion, la mise en ghetto, la disparition comme peuple). Avec des moyens plus « froids » que le génocide, on veut aboutir au même résultat.
Les USA et l’Europe devaient réparation aux juifs. Et cette réparation, ils la firent payer par un peuple dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’y était pour rien, singulièrement innocent de tout holocauste et n’en ayant même pas entendu parler. C’est là que le grotesque commence, aussi bien que la violence. Le sionisme, puis l’Etat d’Israël exigeront que les Palestiniens les reconnaissent en droit. Mais lui, l’Etat d’Israël, il ne cessera de nier le fait même d’un peuple palestinien. On ne parlera jamais de Palestiniens, mais d’Arabes de Palestine, comme s’ils s’étaient trouvés là par hasard ou par erreur. Et plus tard, on fera comme si les Palestiniens expulsés venaient du dehors, on ne parlera pas de la première guerre de résistance qu’ils ont menée tout seuls. On en fera les descendants d’Hitler, puisqu’ils ne reconnaissaient pas le droit d’Israël. Mais Israël se réserve le droit de nier leur existence de fait. C’est là que commence une fiction qui devait s’étendre de plus en plus, et peser sur tous ceux qui défendaient la cause palestinienne. Cette fiction, ce pari d’Israël, c’était de faire passer pour antisémites tous ceux qui contesteraient les conditions de fait et les actions de l’État sioniste. Cette opération trouve sa source dans la froide politique d’Israël à l’égard des Palestiniens.
Israël n’a jamais caché son but, dès le début : faire le vide dans le territoire palestinien. Et bien mieux, faire comme si le territoire palestinien était vide, destiné depuis toujours aux sionistes. Il s’agissait bien de colonisation, mais pas au sens européen du XIX° siècle : on n’exploiterait pas les habitants du pays, on les ferait partir. Ceux qui resteraient, on n’en ferait pas une main-d’œuvre dépendant du territoire, mais plutôt une main-d’œuvre volante et détachée, comme si c’étaient des immigrés mis en ghetto. Dès le début, c’est l’achat des terres sous la condition qu’elles soient vides d’occupants, ou vidables. C’est un génocide, mais où l’extermination physique reste subordonnée à l’évacuation géographique : n’étant que des Arabes en général, les Palestiniens survivants doivent aller se fondre avec les autres Arabes. L’extermination physique, qu’elle soit ou non confiée à des mercenaires, est parfaitement présente. Mais ce n’est pas un génocide, dit-on, puisqu’elle n’est pas le « but final » : en effet, c’est un moyen parmi d’autres.
La complicité des États-Unis avec Israël ne vient pas seulement de la puissance d’un lobby sioniste. Elias Sanbar a bien montré comment les Etats-Unis retrouvaient dans Israël un aspect de leur histoire : l’extermination des Indiens, qui, là aussi, ne fut qu’en partie directement physique. il s’agissait de faire le vide, et comme s’il n’y avait jamais eu d’Indiens, sauf dans des ghettos qui en feraient autant d’immigrés du dedans. A beaucoup d’égards, les Palestiniens sont les nouveaux Indiens, les Indiens d’Israël. L’analyse marxiste indique les deux mouvements complémentaires du capitalisme : s’imposer constamment des limites, à l’intérieur desquelles il aménage et exploite son propre système ; repousser toujours plus loin ces limites, les dépasser pour recommencer en plus grand ou en plus intense sa propre fondation. Repousser les limites, c’était l’acte du capitalisme américain, du rêve américain, repris par Israël et le rêve du Grand Israël sur territoire arabe, sur le dos des Arabes."
 
Est-ce parce qu’ils sont cyniquement conscients que nous sommes entrés dans une ère de chaos irréversible, que les dirigeants actuels des "démocraties occidentales", continuent de fermer si complaisamment les yeux, sinon d'encourager ce qui se passe là-bas  ? Ou pressentent-ils que d'ici peu ils agiront de semblable façon, avec d'autres populations ? Du reste ne le font-ils pas déjà un peu — plus timidement certes — en laissant se noyer les migrants dans la Méditerranée ou dans la Manche ? Et lorsqu'ils les réexpédient vers la Tunisie la Libye ou l'Albanie, ne monnayent-ils pas avec ces pays, une procuration pour se donner bonne conscience ?
S’il est vrai que l’histoire future est déjà toute entière en germe dans l’histoire présente, alors ce que nous voyons aujourd’hui ne laisse rien augurer de bon. Le Mal semble se répandre frénétiquement à la surface de la planète. Est-ce dû au fait que celle-ci devient de plus en plus difficilement habitable en raison des perturbations climatiques qui s'y manifestent avec une intensité croissante ? Les décennies qui restent vont elles voir l'humanité, comme déjà résignée à sa perte, se vautrer dans l'abjection ?

 *
 
J'écoute la radio. Je voudrais soudain que le monde entier soit ramassé, contenu dans cette chanson si belle si tendre si douce et tellement irréelle au regard des temps que nous vivons. Elle parle d'amour.
 
 

 
Je donne la traduction approximative  en anglais pour mes lecteurs étrangers 
Tell me it half-heartedly with tip of your lips / I hear it with my heart/ Not so loud, calm that fever / Yes, I'm listening / Oh, tell me softly / Just whisper it to me / I'll listen to you better / No doubt
If you speak half-heartedly with the tip of yout lips / I hear very well with the tip of my heart / And I can continue my dream / My dream /
May love be in my ear / Sweet as the song of bees / In summer, one day, in the sun / In the sun.
Look, in the evening that is leaning / Over there, the sailboat swaying / How pretty it is, its white sail / Dancing. / I tell you with the tip of my lips / You annoy me with the tip of your heart / Your cries disturb me, I dream / I dream.
Come and talk to me about love / In a low voice, in this backlight / And please, make me /Silence.
Let's take the evening instead / Over there, that rocking sailboat / How pretty it is, its white sail / Dancing/ I'll tell you with the tip of my  my lips / ‘I love you with all my heart.’ / And we can live my dream / My dream..
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vendredi 1 août 2025

Plus loin encore dans le regard du sourd

 

Voilà,
hier, 31 Juillet, Bob Wilson est mort. Il est parti s'enfoncer plus loin encore dans le regard du sourd. Grâce à lui j'ai découvert en voyant "Einstein on the Beach" en 1976 au festival d'Avignon, du théâtre qui ne ressemblait pas à toutes ces vieilleries qu'on nous infligeait alors. C'était du théâtre de la modernité, un théâtre d'images où le texte n'était pas prépondérant. Un théâtre de visions, résolument contemporain et qui était parfois comme une réminiscence de choses que j'avais vues ou lues dans mon enfance. Un théâtre d'apparitions où l'inconscient, le rêve affleuraient  sans cesse. Un théâtre comme surgi d'un outre-monde qui semblait exaucer le vœu d'Arthur Gordon Craig pour qui "l’artiste du théâtre futur devrait composer avec le mouvement, le décor, la voix"
 Après avoir vu "Le Regard du sourd", Aragon, en Juin 1971, s'était, à l'adresse d'André Breton mort depuis cinq ans, fendu d'une sorte de lettre de réconciliation posthume, où il affirmait à propos du spectacle de Bob Wilson "Je n'ai jamais rien vu de plus beau en ce monde depuis que j'y suis né. Jamais. Jamais aucun spectacle n'est arrivé à la cheville de celui-ci, parce qu'il est à la fois la vie éveillée et la vie aux yeux clos, la confusion qui se fait entre le monde de tous les jours et le monde de chaque nuit (...) C'est le rêve de ce que nous fûmes, c'est l'avenir que nous prédisions".
 Il est probable que bien des collages que j'ai commis dans ma jeunesse au début des année 80, comme celui-ci ou bien cet autre ou encore celui-là ou ce dernier,  — autant d'images que je définissais comme appartenant à mon théâtre intérieur —, doivent beaucoup à la déflagration que constitua pour moi la découverte de "Einstein on the Beach". 
Après la disparition de David Lynch en Janvier dernier, c'est un autre artiste de mon panthéon personnel qui s’éteint. Je commence de plus en plus à me sentir d'une autre époque. Quoi qu'il en soit, pour ceux que cela intéresse, toutes les gazettes (du moins en Europe) sur tous leurs supports évoquent le départ de cet artiste majeur et délivrent — pour certaines — quelques savantes analyses de son œuvre. Je me contenterai pour ma part d'exhumer une vieille vignette d'autrefois, une de celles que, tel un somnambule égaré entre torpeur et hébétude, je réalisais parfois la nuit, pour conjurer la peur et donner une forme acceptable à mes angoisses. Les mots en la circonstance ne m’étant pas d’un grand secours, je trouvais une forme de salut dans la lente restitution d’images qui, presque à mon insu, s’élaboraient dans mon esprit.

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