jeudi 16 janvier 2025

Voilà c'est ça

 
Voilà,
parfois je m'arrête devant un truc que je vois, qui n'a aucun intérêt pour le passant ordinaire et je me dis "voilà c'est ça". Je ne sais pas ce qu'il y a dans le "ça" ; quelque chose qui m'échappe, que je porte en moi depuis longtemps sans doute, car les choses à l'abandon décrépites, les traces infimes m'ont toujours fasciné. "Ça" a sûrement quelque chose à voir avec la solitude, la mélancolie. Bref je veux garder ce lieu et cet instant qui prennent soudain un relief particulier et méritent d'être saisis. Est ce que c'est moi, où le monde qui exige que je sois son intercesseur ? Y a-t-il quelque chose dans l'air qui réclame d'être retenu, quelque chose de rêvé, niché en ce lieu et qui affleure à la surface du présent et qui se nourrit de tous les fragments d'histoires qui se sont déjà déposées à cet endroit. Et puis je photographie aussi les choses pour, comme disait je ne sais plus qui, Winogrand peut-être, me faire une idée de ce à quoi elles ressemblent, une fois photographiées. De façon générale, j'essaie de les rendre plus belles.

Tendre ciel

                                           
 
Voilà,
 C'est une chose que je ne puis comprendre
 Cette peur de mourir que les gens ont en eux
 Comme si ce n'était pas assez merveilleux
 Que le ciel un moment nous ait paru si tendre 
   Louis Aragon

mardi 14 janvier 2025

Nommer les choses

 
Voilà,
En Californie ces derniers temps, les gens riches qui bénéficient d’optimisations fiscales leur permettant d’échapper aux impôts réalisent que, lorsque les services publics sont privés de moyens, ces derniers ne peuvent fonctionner. Les ravages causés récemment ne sont pas dus qu’au dérèglement climatique et aux incendies. Ils sont aussi la conséquence des politiques ultra-libérales qui négligent le bien commun, comme l'accès à l'eau et l'entretien des forêts. C'est ainsi : la stigmatisation de l’intervention de l’État et de toute forme de réglementation a aussi un coût.
Il paraît cependant que de riches propriétaires engagent des pompiers privés payés 2000$ de l’heure pour protéger leur maison. L’idée même de pompier privé a quelque chose d’absurde : c’était un fantasme sexuel très en vogue dans les boîtes gay hardcore des années 70
Ces récents événement appellent aussi quelques questions. 
Si d'après les médias, les récents incendies de Californie c'est l'Apocalypse, alors comment nommer la destruction et le nettoyage ethnique de la bande de Gaza, la famine endémique en Érythrée, les bombardements russes sur l'Ukraine ? Et si 15 000 hectares brûlés c’est un mega-feu, alors comment qualifier les 440 000 ha brûlés en Amazonie en Juin 2024 ou les 81000 ha réduits en cendres en Grèce à l’été 2023. Une catastrophe chasse l'autre et puis l'on oublie. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, sur cette planète qui, depuis que la météo existe, n’a jamais été aussi chaude, Los Angeles nous offre l’image du monde qui vient. Une impression de déjà-vu pourtant. Ça ressemble à la bande-annonce d’un disaster-movie. Rien n’étonne plus dans la ville du cinéma.

lundi 13 janvier 2025

Comme les rêves

 
 
Voilà,
"Les villes, comme les rêves, sont faites de désirs et de peurs, même si le fil de leur discours est secret, si leurs règles sont absurdes, si leurs perspectives sont trompeuses et si tout cache autre chose". (Italo Calvino)
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dimanche 12 janvier 2025

Un manège décoré

 

Voilà,
j'avais pris cette photo un dimanche de décembre 2023, alors que j'étais allé manger chez l'amie Agnès, je crois que c'était, entre Noël et le nouvel an. J'avais vaguement traîné dans le quartier désert avant de me rendre chez elle. Sans doute étais-je un peu rassuré par le bulletin de santé reçu quelques jours plus tôt, validant les premières étapes du lourd traitement destiné à soigner ma fille. Je mesure aujourd'hui comme je m'y raccrochais (et sa mère aussi sans doute). Il ne restait que l'espoir à quoi s'agripper malgré tout. Je m'efforçais de faire de mon mieux, pour répondre aux amicales sollicitations des quelques personnes qui me soutenaient alors, en me téléphonant régulièrement. Mais il m'était difficile de sortir, de parler.

Un peu plus d'un an après, je réalise à quel point j'étais comme un zombie, faisant de mon mieux pour n'en rien laisser paraître. La distance que je mettais entre l'état émotif intérieur et l'apparence que j'essayais de donner, m'épuisait. 
Je ne trouve toujours pas les mots pour évoquer cette période où je bricolais des solutions de fortune pour échapper à l'angoisse. Je voudrais ne plus avoir à penser à ça. Mais c'est toujours là, cela me rattrape toujours. Au coin d'une rue, devant un paysage ou un visage aperçu. En écoutant un morceau de musique.
Je peux ensuite demeurer des heures, hébété, sans rien dire. Comme si les mots étaient gommés de ma pensée.
Je ne parviens plus à écrire ce que j'éprouve. Je n’ai plus de force, plus d’énergie, plus d’idées. Du mal à parler, à socialiser, aussi. L’impression toujours d’être à côté de la plaque.

vendredi 10 janvier 2025

Flânerie et perplexité

 

Voilà,
dans ce jardin désert, devant cette ligne sinueuse de bancs, je songeais — peut-être à cause des douleurs nouvelles, des symptômes inexpliqués et troublants — qu'à plus ou moins brève échéance, viendra un temps où je ne porterai plus aucun regard sur les choses, que je ne serai plus au monde. 
C'est dommage, parce que j'aime bien m'y promener dans ce monde, j'aime bien y flâner. J'aime bien y distinguer et en retenir des détails qui paraissent insignifiants. Un rien m'y surprend, ou du moins suscite mon intérêt. J'aime bien m'y poser des questions. 
Par exemple dans ma flânerie, longeant cette allée je m'étais en même temps demandé, si le deuxième théorème d'incomplétude de Gödel dont un ami, quelques jours auparavant, m'avait longuement parlé, pouvait laisser supposer que, étant donné que les ordinateurs sont essentiellement des systèmes formels, ils auraient donc toujours des limites fondamentales dans leur capacité à résoudre certains types de problèmes ou à formaliser toutes les vérités mathématiques. 
Le matin même pourtant j'avais entendu à la radio qu'une étude réalisée par des chercheurs allemands avait conclu que l’IA était capable d’identifier un whisky avec plus de précision que des experts. 
Bref, dans la grisaille et dans le froid le cerveau suggérait bien des motifs de perplexité.

mercredi 8 janvier 2025

Se réfugier

 
Voilà,
Anne chez qui j'étais il y a dix ans le matin de la tuerie de Charlie Hebdo, et que je n'ai pas vue depuis fort longtemps m'écrit ce matin qu'elle s'est rendue hier soir place de la République espérant un hommage aux victimes. Au lieu de quoi, il n'y avait que des gens se réjouissant de la mort de Le Pen. Que cette vieille crapule fasciste ait cassé sa pipe à la date anniversaire de la mort de Cabu  — qui l'avait beaucoup caricaturé — est bien étrange. "Le canard enchaîné" a d'ailleurs titré aujourd'hui "Le Pen allongé "Charlie" debout".
Autre curiosité, Dans son livre "Soumission", paru ce sinistre 7 janvier 2015, Houellebecq  imaginait pour 2022 qu'un président issu du parti Fraternité musulmane (le parti des musulmans de France, pure invention de l’auteur) avait nommé François Bayrou Premier ministre. On est en 2025, on n'a pas de parti musulman en France  — et c'est tant mieux — la fille de Marine Le Pen est aux portes du pouvoir, mais on a quand même le pitoyable et médiocre François Bayrou premier ministre d'un président immature qui ayant joué avec les institutions de la République, a rendu cette dernière plus fragile que jamais. 
En Europe, l'Italie est gouvernée par une première ministre néo-fasciste, l'Autriche a depuis hier un chancelier issu du parti neo-nazi autrichien, les Pays-Bas sont gouvernés depuis l'été par une coalition entre la droite et l'extrême-droite. La Hongrie est dirigée par un populiste qui fait les yeux doux à Poutine. En Syrie al-Qaida pris le pouvoir. En Israel et en Palestine, la haine mutuelle n’a plus de limites. Poutine continue de laminer l'Ukraine, et enfin Trump dans un discours délirant et ubuesque envisage d'annexer le Canada, le Groenland le canal de Panama et le golfe du Mexique. En outre on apprend aujourd'hui, que Facebook n'aura plus de fact-checkers si bien que la désinformation va s’amplifier. On est en pleine tragifarce. Bref tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. 
 

Parfois j'aimerais me réfugier dans une peinture ancienne. Comme celle-ci, de Guiseppe Zaïs, (un vedutiste vénitien du 18ème siècle) que j'ai contemplée, il y a fort longtemps, lors de mon premier séjour à Venise en 1985. Lorsque je ressemblais à cela. Je travaillais beaucoup, je jouais le rôle de ma vie, j’avais du succès, j’étais aimé, je me projetais dans l’avenir.

mardi 7 janvier 2025

Malgré tout

Voilà,
les fêtes de l'hiver sont finies. Le triptyque Noël - Nouvel an - Epiphanie est derrière nous. On continue de se souhaiter la bonne année — je joue le jeu moi aussi — mais on doit bien admettre que cela relève de la pensée magique. Tout le monde sent bien que cette année sera encore plus chaotique que la précédente. La situation mondiale n'offre pas de grand motifs de pavoiser. Celle de notre pays n'est guère brillante, et dans de nombreux autres ce n'est pas fameux non plus. On va essayer de ne pas se décourager, de continuer à faire des images, raconter des histoires, écouter de la musique, voir des expositions des films, lire de la poésie des romans, faire du théâtre. De dire merci pour ce qu'on peut encore trouver de beauté. Malgré tout. Malgré les périls nouveaux qui se dressent, malgré ceux qui persistent et que nous rappelle ce triste anniversaire de la tuerie de Charlie Hebdo.

dimanche 5 janvier 2025

Dormir pour oublier (34)

Voilà,
le 29 décembre, dépité de ne pouvoir entrer à l'exposition de Chiaru Shiota au Grand Palais, j'ai traversé les jardins des Champs-Élysées pour me rendre à l’Hôtel de la Marine, place de la Concorde afin d'y visiter une exposition intitulée "La couleur parle toute les langues", rassemblant près de 80 œuvres de la collection Al Thani. Sur le chemin, à deux pas du Palais de l’Élysée où réside encore celui qui en 2017 disait "je ne veux plus voir un homme ou une femme dans la rue", je me suis autorisé cette photo. Quelques jours plus tard j'ai remarqué un détail qui m'avait échappé sur l'instant. Il rend l'image plus perturbante encore. Si on la scrute attentivement, il est possible d'imaginer une histoire.
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vendredi 3 janvier 2025

Vieux port

  
 
Voilà,
j'ai pris cette photo à Marseille fin Septembre 2007 sûrement à cause du gros homme sur la droite et aussi des pêcheurs à la ligne. Aujourd'hui, je n'arrive pas à réaliser que soit passé tant de temps depuis que j'ai saisi ce moment. C'était à l'époque de la coupe du monde de Rugby en France, et je me souviens avoir assisté à la défaite du Pays de Galles face aux Fidji à la terrasse d'un café près du vieux port. Il est aussi possible que ce soit à l'occasion de ce séjour que j'ai vu pour la dernière fois mon grand-cousin Jacques qui vivait à Marseille. 
J'étais venu ici avec les Jacquelin pour un série de performances à l'occasion de l'exposition "L'art tangent" au Fonds Régional d'Art Contemporain qui se situait près de la vieille charité non loin du quartier dit "Le panier". C'était un moment joyeux et léger, comme souvent avec eux. J'aime beaucoup travailler en leur compagnie. On fait souvent des trucs assez rigolos ensemble. Susan Sontag disait "C'est avec les mots qu'on comprend, c'est avec les images qu'on se souvient". Je ne sais pas si les mots m'ont permis de comprendre grand-chose — je les tiens pour duplices, et ils exigent d'être manipulés avec beaucoup de subtilité et de précaution — mais oui, il ne fait aucun doute, en ce qui me concerne, que les images convoquent bien souvent les souvenirs.

jeudi 2 janvier 2025

Songer en marchant


Voilà,
dans la brume hivernale la Tour Eiffel clignote comme un sapin de Noël sous ses guirlandes. A ce qu'on dit  — mais on dit tant de choses — à cette époque de l'année toutes les planètes du système solaire sont alignées. Toutes les têtes de cons qui dirigent les grands pays le semblent aussi. Je marche dans le froid en rêvant de chaumière à la campagne qui sentirait le pain d'épice l'orange la cannelle le chocolat chaud et le feu de bois. Je songe soudain à cet adage de Maître Eckart "ce ne sont pas les choses qui font obstacle, c'est toi qui te tiens à l'envers par rapport à elle" . Et je rebrousse aussitôt chemin à la recherche d'un endroit chaud, une bouche de métro donc. Tant pis, je ne ferai pas mes dix mille pas aujourd'hui.

mercredi 1 janvier 2025

Carré parfait et bonnes questions

Voilà,
il paraît que le nombre de l'année qui vient est un carré parfait (45²) que c'est aussi le produit de deux carrés (9²x5²) ainsi que la somme de trois carrés (40²+20²+5²) et mieux encore la somme des cubes de tous les chiffres de 1 à 9.  Je ne sais pas si on peut en tirer une quelconque conclusion, et s'il y a lieu de s'en réjouir ou pas. D'un point de vue esthétique ou formel peut-être, pour peu qu'on ait la fibre mathématiques. Ce n'est pas mon cas. 
Pour l'année qui vient, j'essaierai donc — comme me l'a fermement intimé il y a peu ce Père Noël quelque peu autoritaire, et même vaguement menaçant — de me poser les bonnes questions, (et j'encourage mes lecteurs à en faire de même en consultant ce lien où je leur réserve une surprise)
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mardi 31 décembre 2024

Salut !

 
Voilà,
On dit qu'à cette période les optimistes fêtent l'année qui vient et que les pessimistes saluent l'année passée. Je serais juste reconnaissant à la providence d'avoir exaucé les vœux que dans un moment de grand désarroi, je formulais il y a un an, à pareille époque. Pour ma part 2024 aurait pu être effroyable, elle fut seulement éprouvante. Pour l'année qui vient je souhaite juste que d'heureuses surprises y abondent, et avant tout pour ma fille qui, confrontée à une terrible adversité, s'est révélée cette année d'un courage d'une ténacité et d'une élégance qui forcent l'admiration.

jeudi 26 décembre 2024

Réminiscence


Voilà,
quand il m'arrive d'évoquer cela, je sens bien que la plupart du temps, mes interlocuteurs pensent que ce n'est pas possible, que j'affabule. Pourtant — et je peux l'éprouver de nouveau en me concentrant bien, et mieux encore, lorsque je suis dehors et qu'il fait froid, sec, et un grand ciel bleu — je me souviens de cette sensation de transport d'émerveillement et de toute puissance, quand assis dans ma poussette et bien emmitouflé, je voyais le monde bouger autour de moi. C'était en Allemagne. C'est alors que je commence à me constituer en tant qu'être. C'est à ce moment que je prend conscience que je suis au monde et que je ressens. Je crois que c'est dans la densité de ces moments-là, que s'est formée ce que a langue allemande nomme, l'Innerlichkeit, qui désigne tout à la fois la lumière intérieure, la profondeur de l'âme et l'intensité des sentiments  Et que, ressentir fait plaisir. Prendre conscience, avoir du plaisir, n'a rien à voir avec le langage. Je ne le sais pas encore, puisque, à l'époque je ne sais pas ce qu'est le langage. Ce que j'éprouve c'est l'épanouissement dans le pur instant qui se déploie en durée, l'intensité du bien-être éprouvé. Je ne peux le nommer. Je ne sais pas que ça s'appelle un délice. Sans doute ai-je l'impression de ne faire qu'un avec le monde qui s'imprime dans mon regard, dans mes poumons. Je vois je respire ça me plaît. Ce qui me traverse me plaît. C’est cela donc qui inaugure la lignée des souvenirs. Il y en a un  autre en Allemagne à travers les vitres d’une voiture. Je suis à l'avant, sur les genoux de ma génitrice et je vois un fleuve en contrebas avec des péniches et une ville. Mais de celui-là je ne suis pas sûr qu'il ne soit pas une recomposition. Qu'importe. Pour revenir au premier, il m'arrive parfois d'avoir envie de l'éprouver complètement encore. Mais cela voudrait dire que je suis sur un fauteuil et que l'on me pousse, perspective tout à fait inacceptable. J'ai repensé à cela il y a quelques semaines sur les bords de la Côle.

dimanche 22 décembre 2024

Tout fuit

 
 
Voilà
"Je ne pleure pas la perte de mon enfance ; je pleure parce que tout, y compris mon enfance, se perd. C'est la fuite abstraite du temps – et non la fuite concrète du temps qui m'appartient – qui me meurtrit, dans mon cerveau physique" Pessoa (L.I. 266)

vendredi 20 décembre 2024

Viviane

 
Voilà,
dans un précédent billet, j'avais parlé de cette fille, Viviane. J'ai retrouvé par hasard une photo d'elle sur une vieille planche contact, et je l'ai scannée. C'est la brune frisée qui tient serrée sa camarade. Je ne me rappelle pas les circonstances de cette photo. Prise après Avril 80, ça j'en suis certain, je venais tout juste de faire l'acquisition d'un 24x36 avec l'argent gagné sur un certain spectacle. Il y a quelque chose de troublant dans cette étreinte et dans la façon dont elle fixe l'objectif, qui correspond assez peu au souvenir de la fille exubérante qu'elle était. Elles sont devant une 2CV fourgonnette. Déjà à l'époque, ce genre de véhicule passait pour une antiquité. 

jeudi 19 décembre 2024

Lumière d'hiver

 

Voilà,
un peu moins seul que de coutume, me sentant toutefois étranger à la compagnie, cigale parmi les fourmis, mais n'ayant plus désormais la force de chanter, j'aurai cependant marché dans cette lumière, dans ce paysage. Il y aura eu ce moment de suspension, près de la rivière devant l'ancien moulin, avec le vieux clocher non loin. Une fois encore je n'aurai pu m'empêcher de songer qu'une autre vie m'eût été possible, si j'avais été un peu plus malin. Qu'importe à présent, il n'est plus temps d'y penser. Je peux encore marcher, découvrir, m'étonner, ce n'est pas donné à tout le monde.

 
Ainsi au pied de l'église aurai-je appris qu'au moyen-âge, alors que les décès de nouveaux nés étaient fréquents et qu'ils entraînaient souvent l'absence de baptême les privant  de paradis, on avait coutume, afin d'apaiser les parents de leur donner une sépulture dite "sépulture à répit".
 

Cela consistait en logettes creusées dans les fondations de l'église, où les corps étaient disposés recouverts d'une pierre. L'eau de pluie tombée du toit d'une église étant considérée comme bénite, elle purifiait le corps de l'enfant et symbolisait le baptême. Après un certain temps passé dans la logette, l'enfant nouvellement baptisé pouvait enfin être enterré au cimetière et son âme rejoignait ainsi le paradis.

mardi 17 décembre 2024

Dormir et dédormir

  

Voilà,
"de l'autre côté de moi, bien loin derrière l'endroit où je gis, le silence de la demeure touche à l'infini. J'écoute la chute du temps, goutte à goutte, et aucune des gouttes qui tombent n'est entendue dans sa chute. Je sens mon cœur physique oppressé physiquement par le souvenir, réduit à rien, de tout ce qui a été ou de tout ce que j'ai été. Je sens ma tête matériellement posée sur l'oreiller, qu'elle creuse d'un petit vallon. La peau de la taie d'oreiller établit avec ma peau le contact d'un corps dans la pénombre. Mon oreille interne, sur laquelle je repose, se grave mathématiquement contre mon cerveau. Mes paupières battent de fatigue, et mes cils produisent un son d'une faiblesse extrême, inaudible, sur la blancheur sensible de l'oreiller relevé. Je respire, tout en soupirant, et ma respiration est quelque chose qui se produit – elle n'est pas moi-même. Je souffre sans penser ni sentir. L'horloge de la maison, endroit fixe au cœur de l'infini, sonne la demie, sèche et nulle. Tout est si vaste, tout est si profond, tout est si noir et si froid. "Fernando Pessoa in Le livre de L'Intranquillité

dimanche 15 décembre 2024

Angoulême

 
Voilà,
Angoulême où j’ai fait une petite escale avant de prendre mon train est désormais une ville connue pour son festival de la bande dessinée qui, je crois, a dépassé nos frontières. C’est même devenu une partie de son identité puisque les noms de rues y sont déclinés sous forme de phylactères. Rien d’étonnant à ce qu’autant de murs peints évoquent des personnages de bd. Sur la première photo, on peut reconnaître au centre Goscinny, le dessinateur de la série "Astérix le gaulois" écrite avec Uderzo. Assis à sa table de dessin, e ses plus célèbres créations Astérix, Lucky Luke, Iznogoud, le Petit Nicolas, Oumpahpah semblent s'en échapper. Cette peinture murale a été  conçue par le dessinateur Boucq et réalisée par Moon.
 
 
En bas à gauche, c'est un dessin du bédéaste Frank Margerin avec son personnage fétiche Lucien, le rocker à la banane sur sa moto. .Je n'ai pas reconnu le dernier dessinateur. 
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mercredi 11 décembre 2024

Dormir pour oublier (33)

 
Voilà,
pour la plupart on pourrait aussi bien les désigner comme "asphaltés", tant ils semblent appariés au bitume du trottoir, ces dormeurs devant lesquels on passe, non pas indifférents, mais impuissants, gênés et vaguement honteux. Pendant les Jeux Olympiques ils avaient été dissimulés, cachés on ne sait où. La ville pouvait enfin ressembler, pendant quelques semaines à celle que l'on voit dans une série populaire.
Et puis tous ces laissés-pour-compte de notre société sont réapparus peu à peu dans les rues de Paris. Au moins ceux-ci ne nous effraient-ils pas. Ils ne résistent plus. Ils glissent doucement vers la mort.
Aujourd'hui, il paraît que 700 enfants dorment aussi la nuit dans les rues de Paris.
Rappelons quelques chiffres au passage : 735 personnes décédées dans la rue l'an dernier, un record. 45 000 lits en moins dans les hôpitaux, depuis que Macron est président. Un autre record. Aujourd'hui les moyens des collectivités locales se raréfient car l'État exige qu'elles fassent des économies. A tel point qu'elles annoncent ne plus pouvoir investir dans les établissements scolaires. On en est là, on coupe dans les budgets sociaux, éducatifs, culturels. Alors envisager des refuges supplémentaires pour sans-domiciles...
Sinon, le nombre de milliardaires français est passé de 65 à 147 en dix ans.
Le plus fortuné d'entre eux, possède une collection d'art contemporain qu'il ouvre au public. La dernière exposition programmée pour clore l'année à la Bourse du Commerce est consacrée à l'arte povera. Je me demande s'il n'y aurait pas là comme du foutage de gueule, par hasard.
C'est donc ça la France de 2024. Ingouvernable. Injuste. Aveugle à la misère. Sourde à la colère aussi. Mais bon, les J.O. furent un succès et Notre-Dame de Paris a été sauvée. Il ne faut pas non plus être trop exigeant n'est-ce pas ?
Pour être tout à fait juste et quitte à déplaire ou choquer cela ne m'importe plus beaucoup. J'ai trop à faire avec ma propre douleur physique. D'ailleurs sur cette photo, ce n'est pas vraiment la misère que j'ai photographiée, plutôt son spectacle obligé, qui est comme un crachat à la face des passants. Ce qui embarrasse la plupart dans cette affaire n'est pas que cela existe, mais plutôt que cela puisse autant se voir et que ça ne coïncide pas avec la réalité plus ou moins glamour et aseptisée que les vendeurs de bagnoles, de parfums, de services bancaires, de cuisines intégrées essaient de nous vendre à longueur de journées dans leurs publicités à la con. Ce type là au sol, qui voudrait  vraiment le recueillir chez soi. Pas moi en tout cas. On s'est pour la plupart résignés à l'idée qu'il est irrécupérable. Simplement il n'y a plus d'asile pour les indigents. Ce service public n'existe plus. Alors  peu à peu (je ne sais pas quand ça a commencé) on a intégré l'idée, accepté le concept de chosification des corps. Il font partie du décor, comme les panneaux Decaux ou les colonnes Morris. Inconsciemment, bien qu'on ne veuille pas se l'avouer, on en vient à les considérer comme ces détenus dans les camps de concentration. Ceux qu'on désignait sous le terme de "Stück" qui signifie, pièce, morceau, partie, élément. Je me souviens très bien de la première fois où j'ai vu des corps-choses. C'était à gauche de cette porte. J'étais enfant. Mais c'était dans un pays qui n'était pas le mien. J'avais au moins conscience de ça, que c'était moi l'étranger. Bien plus tard à Paris, j'ai découverts les clochards. Mais les clochards étaient des personnes. Ils avaient leurs lieux, la place Maubert, la Contrescarpe. Ils vivaient sous les ponts. la doxa considérait qu'ils constituaient une espèce de confrérie. On en faisait même des cartes postales. Ils faisaient partie du patrimoine local, comme les poulbots de la butte Montmartre. Je simplifie bien sûr.  Oui c'est étrange je ne me souviens pas vraiment quand sont apparus en nombre tous ces corps-épaves dans les rues de Paris, ni comment petit à petit j'en suis venu, malgré tout, à subrepticement m'accommoder de cette part de réalité comme le ferait un gardien de camp, finalement.

lundi 9 décembre 2024

L'autre scène

Voilà,
dans ce théâtre peuplé de spectres au fond la-bas tout au fond entre souffle et mémoire se donne une représentation qui jamais ne cesse et toujours se joue de moi. Continûment, des signes aussi obscurs que fugaces traversent la scène, me laissant vague et pantois. Et si des voix confuses peuplent parfois son espace, elles ne sont que bribes plus ou moins compréhensibles, imperceptibles traces de ce qui m'a irrévocablement quitté. 
Et pourtant, c'est aussi l'illusion parfois, que rien vraiment n'a commencé, que les larmes jamais n'épuiseront cet insatiable chagrin mûri dans la plaie toujours vive d'une secrète et très ancienne blessure 

dimanche 8 décembre 2024

Illusion

Voilà,
Boulevard Saint Germain, non loin du carrefour de l'Odéon, pour dissimuler le ravalement d'un immeuble une grande bâche en trompe l’œil a été disposée devant sa façade. Dommage, qu'une gigantesque publicité pour Prada en gâche en partie l'effet.
 

Sinon, j'essaie de travailler, mais je n'y parviens pas. Je suis perpétuellement distrait, incapable de me concentrer. Les heures passent et rien n'arrive. Ce que ma pensée produit est d'une indigence qui me navre.

lundi 2 décembre 2024

Projet modeste

 
Voilà,
quel bonheur d'entendre Mélodie Gardot, qui parle un français parfait. Interviewée lors de l'émission du matin de France-Musique, à l'occasion de la parution d'une compilation elle évoque ses vingt ans de carrière. C'est une pause après les informations du matin alarmantes, les messages laissés sur des réseaux sociaux par des amis vivant à Beyrouth, les nouvelles des États-Unis, avec les nominations de l'administration Trump, qui vues d'ici paraissent absolument délirantes, la chute annoncée du gouvernement en France, et la crise de régime inédite sou cette constitution, la progression de Al-quaida en Syrie, la rupture des équilibres politiques sur la planète... 
Dans la nuit j'avais repensé au journal intime de L.S. parcouru il y a quelques mois à l'IMEC. Elle y faisait de longs développements sur l'invasion de l'Abyssinie par les italiens en 1935, des analyses géopolitiques passionnantes sur la SDN et les positions des puissances européennes. Elle livrait sa perception des événements qui bouleversaient alors le monde, se prêtant parfois à quelques prédictions qui ne se sont pas vérifiées. Cela m'avait paru étrange, toutes ces pensées à soi-même, à presque un siècle d'écart, avec la sensibilité de l'époque et le mode de diffusion des nouvelles de ce temps. Aujourd'hui l'information est partout, en temps réel, un événement chasse l'autre, de sorte que l'on vit sans possibilité de recul dans un perpétuel présent. Et que toute chose passée semble très vite lointaine. La crise du Covid si exceptionnelle par son ampleur, sa singularité et son impact stupéfiant semble rétrospectivement anodine et lointaine sauf sans doute pour ceux qui ont eu à en souffrir directement, ou qui furent au cœur de l'événement. Pourtant que de choses se sont dites alors, en particulier sur les réseaux qui faisaient souvent fonction de journal extime. Et que n'a-t-on lu. Plus rien ne serait pareil. Une prise de conscience s'opérait. Foutaises.
Ces derniers temps, je ne peux m'empêcher des rapprochements absurdes, même si je sais bien que jamais l'histoire ne se répète exactement à l'identique. Je m’interroge (je ne dois pas être le seul). Sommes nous plutôt en 1936 en 1938 ou 1939 ?  Car de plus en plus de voix nous promettent la guerre pour bientôt. On verra bien. La marche du monde m'intéresse de moins en moins. Je n'y ai quasiment plus cours. En ce qui me concerne, je n'ai que des projets modestes pour les mois qui viennent.
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dimanche 1 décembre 2024

Pêle-mêle avec énigmes


Voilà,
non loin de chez moi, apparition d'un nouveau mural en l'honneur du réalisateur Jacques Demy, qui vécut dans le quartier en compagnie d'Agnès Varda dont la maison se trouve rue Daguerre. "Les demoiselles de Rochefort" y sont célébrées comme il se doit, mais aussi "Les parapluies de Cherbourg", par Alice Wietzel dans un graphisme fin, sobre et coloré.
 
 


Sinon ce trouble à cause de cet énigmatique j'aime ça et l’idylle aussi écrit dans un commentaire de ce blog sous une image qui ne suggère rien se rapportant à cela. Qui donc a pu rédiger ce message ? Y-a-t-il une allusion ? Je cherche une raison je suppose quelque nom. J'en viens même à soupçonner une intention cachée. Cela me laisse perplexe. Ce n’est peut-être somme toute qu’une faute de frappe qui aurait échappé à la vigilance de son anonyme dactylographe et que le correcteur orthographique aurait sublimé.  Ne vit-on pas dans un monde où tout ce qui s’écrit ou se voit est sujet à caution ? Des mots vont, des mots viennent comme de petits mercenaires sans foi ni loi. Et qui peut écrire "ça me serre le cœur" sous quelques mots rédigés à la hâte ou encore "écris sans nécessité j'aime lire pour rien". L'anonymat, même bienveillant, contrarie. 
 


Ils ne manquent d'ailleurs pas les sujets de contrariété, de perturbation même, par les temps qui courent : le procès de Mazan, et toutes les répugnances qu'il dévoile depuis trois mois, les génocides en cours, les guerres qui se rapprochent, les démocraties qui se désagrègent, la bêtise et la corruption des politiciens, les désastres écologiques de plus en plus nombreux, l'incurie des pouvoirs publics pour les anticiper, la course à l'abîme, le Mal qui étend son ombre partout. Je ne parle là que de la sphère publique. Je me souviens de mon devoir de français du brevet d'études du premier cycle (j'avais quinze ans) : "S'informer est notre premier devoir". Oui bien sûr, mais comment faire quand le monde vous assaille à ce point. Toute la saleté de l'humanité sur des écrans lisses. On a envie de devenir mutique.
j'ai quand même trouvé une bonne nouvelle : une découverte prometteuse a été faite dans la lutte contre la pollution plastique : des larves de vers de farine capables de consommer du polystyrène. Elles rejoignent le petite groupe d"insectes capables de décomposer le plastique polluant. C'est la première fois qu'une espèce d'insecte originaire d'Afrique est capable de le faire. Je ne sais pas si ça suffira pour la semaine. 
 
 

 
Mais bon, j'ai vu, de nuit, le joli jardin du Musée du quai Branly éclairé par Yann Kersalé. Et un peu de beauté ça met du baume au cœur, comme on dit

vendredi 29 novembre 2024

Au bord de l'écoulement des choses


Voilà
"Je m'arrête parfois, subitement, entre la vie qui va et la vie qui vient ; je stagne au bord de l’écoulement des choses. Et la stupeur de tout s’écroule sur ma tête. A d'autres moments il semble que brusquement, l'univers joue mal son rôle et trahisse ainsi son étrangeté ; il semble soudain me parler d'une autre voix, me révéler, un bref instant, une autre nature. Comme un rideau soulevé par le vent, et qui, en un éclair, entre-dévoile une parcelle irrévélée de quelque chose d'inconnu, d’inattendu..." Fernando Pessoa "Le livre de l'intranquillité" 

mercredi 27 novembre 2024

Passerelle Debilly

Voilà,
hier en me rendant au musée du Quai Branly, pour l'exposition "Zombies", profitant du beau temps, j'ai eu envie de photographier le pont "satanique" comme l'ont qualifié des culs-bénits traditionalistes français. C'est en effet à cet endroit que pendant la cérémonie des J.O. s'est déroulée la scène avec un Dyonisos nu et bleu que des crétins aussi incultes que malintentionnés ont confondue avec un pastiche de la cène. Le 7 octobre dernier plusieurs centaines de catholiques traditionalistes se sont d'ailleurs réunis sur la passerelle Debilly à Paris pour une prière de rue visant à "réparer le mélange de blasphème, de satanisme et d'idéologie LGBT" de la cérémonie d'ouverture des Jeux 2024. Les participants de ce rassemblement non autorisé par la préfecture, y ont demandé "l'aide de la Vierge Marie pour combattre les ennemis de l'Église".

mardi 26 novembre 2024

Quand tombe la nuit


 
Voilà,
"dans les ombres indécises d'une lumière qui va bientôt mourir, avant que la tombée du jour ne se change en nuit précoce, j'aime à errer sans penser parmi ce que devient la ville, et j'avance comme si tout était irréparable. Je savoure, avec mon imagination plus qu'avec mes sens, la tristesse diffuse qui me hante. Je marche au hasard, et feuillette en moi, sans le lire, un livre au texte intersemé d'images rapides, à partir desquelles je forme nonchalamment une idée qui n'aboutit jamais.
Certains lisent aussi rapidement qu'ils regardent, et terminent sans avoir tout vu. De même, je tire du livre qui se feuillette tout seul dans mon esprit une vague histoire inachevée, souvenir de quelque autre vagabond, morceaux de descriptions de crépuscules ou de clairs de lune avec des parcs au beau milieu et des allées où des silhouettes, vêtues de soie, passent et repassent.
J'indiscrimine à force d'ennui et d'or. Je marche tout à la fois dans la rue, dans la fin du jour et dans ma lecture faite en rêve, et ces divers chemins sont tous réellement parcourus. J'émigre et me repose - comme si j'étais à bord d'un navire déjà parvenu en haute mer.
D'un seul coup, les réverbères morts font coïncider leurs lumières subtiles des deux côtés de la longue rue qui dessine une courbe. Avec un choc, ma tristesse grandit encore. C'est que le livre est fini. Il reste seulement, dans la viscosité aérienne de la rue abstraite, un mince filet de sentiments, tout extérieur, comme un filet de bave du Destin stupide, qui tombe goutte à goutte sur ma conscience d'être.
Quelle vie différente que celle d'une ville où la nuit tombe. Quelle âme différente que celle d'un homme regardant tomber la nuit. Je marche, incertain et allégorique, être irréellement sensible. Je suis comme une histoire qu'on aurait racontée, et si bien racontée qu'elle aurait pris chair, mais sans bien pénétrer en ce monde-roman réduit à un début de chapitre : "A cette heure on pouvait voir un homme descendre lentement la rue de..."
Qu'ai-je à voir avec la vie ?
"
(Pessoa  Le Livre de l'Intranquillité 181) 

dimanche 24 novembre 2024

Pêle-mêle en forme de bilan

 

Voilà,
cette fresque se trouve dans un café à l'angle de la rue Littré et de la rue de Vaugirard. J'ai pris la photo il y a quelques jours. Je l'avais aperçue, à travers la vitre de l'établissement il y a un peu plus d'un an, alors que je marchais à la nuit tombante, un soir d'Octobre, dans un état second, les yeux embués de larmes. L'idée m'avait effleuré qu'il faudrait que je revienne un jour la photographier, mais cela m'avait aussitôt paru stupide et absurde. Je venais d'apprendre la nature du mal sournois qui affectait ma fille. J'étais en état de choc. Le sol se dérobait sous mes pas, plus rien n'avait de sens. L'avenir s'ouvrait comme un gouffre. J'étais effrayé à l'idée de la perdre. 
Je l'avais appris de son médecin généraliste qui tenait l'information du spécialiste vers lequel elle nous avait envoyé et que nous allions rencontrer le lendemain ma fille, sa mère et moi. J'avais pris ce rendez-vous pour savoir les questions que nous pouvions poser au médecin, dans la mesure où ma fille était une très jeune adulte, et que l'annonce lui serait adressée en notre présence. J'avais déjà dans l'idée que cela ne serait pas très fameux. 
Dans son cabinet où elle m'avait accueilli après son dernier patient de la journée, elle s'était permis cette entorse à la déontologie, sans doute pour amortir le choc du lendemain. Je lui suis reconnaissant de cette délicatesse.
Je ne raconterai pas la journée qui a suivi. Elle est inscrite dans ma mémoire dans ses moindres détails. Tout au plus puis-je dire que c'était une radieuse journée d'octobre. La lumière était belle au parc Montsouris où j'étais venu marcher tout seul avant l'entretien.

 
Je ne parle pas non plus des mois qui ont suivi ,qui furent parfois éprouvants. Il m'arrivait dans ce blog de faire allusion à ce que j'éprouvais. J'en concevais autant d'envie que de réticence car après tout ce n'était pas "ma" maladie. Mais j'étais en souffrance, et il me fallait tout de même trouver un exutoire. Les mots ne m'étaient pas d'un grand secours, tout me semblait dénué de sens. Certaines images par leur fabrication m'ont apaisé. Elles sont encore là comme des talismans. Je n'oublie pas les nuits, rongées par la peur et l'incompréhension. L'hôpital, les cheveux de ma fille qui tombent, son crâne nu, sa fatigue, les effets secondaires du traitement, mais aussi son élégance, sa dignité dans l'adversité. Nos promenades quasi quotidiennes. La plupart de mon temps lui était dévolu. Je n'en continuais pas moins de prendre des photos. Mais parfois, lorsque je me retrouvais seul, je n'étais plus qu'une plaie ouverte.


Les nouvelles du monde étaient si affligeantes, que je n'écoutais pas la radio, évitais la télévision. Il y avait le cinéma, les expositions pour faire diversion. Quelques vieux ami.e.s m'ont témoigné du soutien. Certain.e.s sont apparu.e.s. Ils se reconnaîtront, s'ils me lisent. D'autres se sont défilés avec plus ou moins de délicatesse. Il y a eu des petites lâchetés. D'êtres qu'on pensait proches, on espérait des gestes simples qui ne sont jamais venus. Il en est même un qui s'est comporté de façon ignoble. C'était certainement le plus intelligent de tous, le plus vaniteux aussi. Comment ai-je pu à ce point me tromper sur certaines personnes ? 
 
 
Ma fille s'est rétablie. "Vous pouvez reprendre votre vie d'avant" lui a-t-on dit un jour. Depuis elle la croque à belles dents. Ces derniers mois elle n'a cessé de voyager en Europe. Aujourd'hui, je suis un peu apaisé. Soulagé, sans pour autant être rassuré. Je prends parfois la mesure de la catastrophe à laquelle nous avons échappé. Je ne suis ni heureux ni malheureux, dans une sorte de brume intérieure un peu comme cette image. Je parviens difficilement à reprendre le cours ordinaire des jours. Oui j'ai refait l'acteur, participé à quelques projets, je socialise un peu. Mais une part de moi est toujours absente, ailleurs, en retard, à côté, sur le bord, en marge, en vrac, en catimini. Aujourd'hui par exemple, je suis resté chez moi, en pyjama, alternant lectures, radio, scrolling débile sur mon smartphone et siestes. Je suis comme un instrument désaccordé. La mélodie du temps qui passe sonne un peu faux. J'essaie encore de comprendre le monde où je vis, comme hier, mais je n'y parviens pas. Et puis à quoi bon ? Même quand j'écris, j'ai plus l'impression de m'éloigner de moi-même que de m'en rapprocher.

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