dimanche 12 septembre 2021

La troisième révolution

 
 
Voilà,
comme je ne sais plus trop comment dire ce que de toutes façons je ressasse depuis tant d'années dans ces pages, je partage ce texte très pertinent, de Fred Vargas, romancière française et archéozoologue. Et comme il y est aussi question de fourmi, j'y associe celle-ci, très grosse,  aperçue, il y a quelques mois sur un mur de Paris. 

«Je dédie ce post à mes enfants et à tous les enfants de la terre
Puissent-ils avoir la clairvoyance et le courage que nous n'avons pas eus (et je ne leur demande pas de nous pardonner).
Nous y voilà, nous y sommes. Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les hauts-fourneaux de l'incurie de l'humanité, nous y sommes.
Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l'homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu'elle lui fait mal. Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités d'insouciance.
Nous avons chanté, dansé.
Quand je dis « nous », entendons un quart de l'humanité tandis que le reste était à la peine.
Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté nos pesticides à l'eau, nos fumées dans l'air, nous avons conduit trois voitures, nous avons vidé les mines, nous avons mangé des fraises du bout monde, nous avons voyagé en tous sens, nous avons éclairé les nuits, nous avons chaussé des tennis qui clignotent quand on marche, nous avons grossi, nous avons mouillé le désert, acidifié la pluie, créé des clones, franchement on peut dire qu'on s'est bien amusés.
On a réussi des trucs carrément épatants, très difficiles, comme faire fondre la banquise, glisser des bestioles génétiquement modifiées sous la terre, déplacer le Gulf-Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire péter l'atome, enfoncer des déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni connu.
Franchement on s'est marrés.
Franchement on a bien profité.
Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu'il est plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des pommes de terre.
Certes.
Mais nous y sommes.
A la Troisième Révolution.
Qui a ceci de très différent des deux premières (la Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu'on ne l'a pas choisie.
« On est obligés de la faire, la Troisième Révolution ? » demanderont quelques esprits réticents et chagrins.
Oui.
On n'a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé notre avis.
C'est la mère Nature qui l'a décidé, après nous avoir aimablement laissés jouer avec elle depuis des décennies.
La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets.
De pétrole, de gaz, d'uranium, d'air, d'eau.
Son ultimatum est clair et sans pitié :
Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l'exception des fourmis et des araignées qui nous survivront, car très résistantes, et d'ailleurs peu portées sur la danse).
Sauvez-moi, ou crevez avec moi.
Évidemment, dit comme ça, on comprend qu'on n'a pas le choix, on s'exécute illico et, même, si on a le temps, on s'excuse, affolés et honteux.
D'aucuns, un brin rêveurs, tentent d'obtenir un délai, de s'amuser encore avec la croissance.
Peine perdue.
Il y a du boulot, plus que l'humanité n'en eut jamais.
Nettoyer le ciel, laver l'eau, décrasser la terre, abandonner sa voiture, figer le nucléaire, ramasser les ours blancs, éteindre en partant, veiller à la paix, contenir l'avidité, trouver des fraises à côté de chez soi, ne pas sortir la nuit pour les cueillir toutes, en laisser au voisin, relancer la marine à voile, laisser le charbon là où il est, (attention, ne nous laissons pas tenter, laissons ce charbon tranquille) récupérer le crottin, pisser dans les champs (pour le phosphore, on n'en a plus, on a tout pris dans les mines, on s'est quand même bien marrés).
S'efforcer. Réfléchir, même.
Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être solidaire.
Avec le voisin, avec l'Europe, avec le monde.
Colossal programme que celui de la Troisième Révolution.
Pas d'échappatoire, allons-y.
Encore qu'il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux qui l'ont fait le savent, est une activité foncièrement satisfaisante.
Qui n'empêche en rien de danser le soir venu, ce n'est pas incompatible.
A condition que la paix soit là, à condition que nous contenions le retour de la barbarie, une autre des grandes spécialités de l'homme, sa plus aboutie peut être.
A ce prix, nous réussirons la Troisième révolution.
A ce prix nous danserons, autrement sans doute, mais nous danserons encore.»
Linked with Monday mural

9 commentaires:

  1. I recently read several books that are very relevant here. One by Elizabeth Kolbert about how the human project has destroyed the planet. The others: police procedurals by Fred Vargas. I wouldn't have thought they were so connected, but here we are. Also -- that's a nice mural.

    best... mae at maefood.blogspot.com

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  2. Very well said--- But large numbers of people will ignore-- and resist-- and lie about it. Between retiring and covid my driving has been cut by 90 percent. That's something, I guess.

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  3. it speaks very well of how life is today in our world - I agree with what he's said.

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  4. J'adore la fourmi! Elle me rappelle un bouquin lu il y a 40 ou 45 ans, ou longtemps après les humains, la civilisation des insectes domine la terre. J'essaie depuis des années à retrouver ce livre, sans en connaitre le titre ni l'auteur... En vain pour l'instant.

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  5. ...there need to be some huge changes made with how we live!

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  6. Wow, amazing text!
    Love the huge 3D ant. Thanks for participating in Monday Murals Kwarkito :) Have a nice week.

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  7. The Times They Are a-Changin ?????? Bob Dylan, 1964

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  8. Fifty plus years ago Earth Day was created in the States for the very reason the author stated. This third revolution has been here that long and we still don't or won't face facts. I enjoyed this because it hits so close to home for me. I also enjoyed the ant mural, too, Kwarkito.

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  9. Il y a du boulot mais allons-y sans hésiter.
    Merci pour ce texte qui secoue, réveille, ne mâche pas ses idées....

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