samedi 13 février 2021

En cherchant un livre


Voilà,
Chick Corea, Louis Pons, Jean-Claude Carrière... ces derniers temps des artistes, qui ont stimulé mon univers sensible et intellectuel, qui m’ont aidé à penser, ont accompagné des périodes de création, ou m’ont simplement offert des moments de plaisir, ont quitté cette réalité. Ils furent les compagnons du jeune adulte en formation que les années passées depuis m'ont rendu de plus en plus incertain — je parle de celui qui s’efforçait de se frayer un chemin dans un monde hostile, incompréhensible bien souvent énigmatique. Leur disparition me rappelle à quel point leur œuvre fut autrefois précieuse. Je n’imaginais pas vieillir à l’époque, je ne songeais pas que cela fût même possible. Il m’arrivait parfois, en de très rares moments de me projeter dans cette vague et abstraite hypothèse, mais sans être en mesure d’en imaginer la condition ni l’état. Je connaissais peu de vieux et n’avais aucune empathie particulière pour ceux que je croisais. Je ne voulais surtout pas leur ressembler. D’ailleurs je faisais commencer la vieillesse bien plus tôt que je ne le fais maintenant. J’éprouvais pourtant une admiration sans borne pour Henri Michaux — déjà bien âgé —, mais s’il me semblait le comprendre à l’aune de nos expériences communes, (les drogues et l'hypocondrie), j’étais incapable de vraiment le ressentir aussi intensément que je le supposais. Pourtant je m’en sors pas mal. Je fais encore illusion. Les fées Kératine et Mélamine se sont penchées sur mon berceau. Ce sont bien les seules d’ailleurs...  On me croit plus jeune que je ne le suis à cause de mes cheveux noirs. Peut-être le suis-je vraiment d'ailleurs. Après tout n'ai-je pas perdu ma dernière dent de lait à 64 ans ? Cette apparente jeunesse me permet d'entendre des gens de mon âge ou parfois même ne l'ayant pas encore atteint, pérorer du haut de leur "expérience" et même m'expliquer la vie. Prenant l'air un peu con, non sans une certaine jubilation, je les écoute dispenser leurs théories souvent vaseuses et leurs prétentieuses considérations. Quand je suis très lassé de ces conneries, il m'arrive parfois d'avoir envie de leur balancer qu'à cinq ans je savais déjà à quoi ressemble un type égorgé et les tripes à l'air qui gît dans un fossé et quelques autres détails mais à quoi bon. Où je m'aperçois que j'ai franchement pris un coup de vieux dans la tête, c'est que les gens me fatiguent avec leurs histoires. J'ai déjà tant de mal à me rappeler des miennes...
Sur la photo du haut, il manque un élément. Le livre de Louis Pons consacré au dessin. Un ensemble de notes et d'aphorismes, sur lequel je n'arrive pas à remettre la main. Rien ne m'agace tant que ce genre de situation. En le cherchant — sans succès donc —, je suis tombé sur d'autres documents. En particulier un petit carnet où la mère de ma fille a noté toutes les choses horribles que j'ai pu dire pendant sa grossesse, tant j'étais paniqué. J'ai éprouvé non seulement une immense honte, mais un terrible chagrin et le remords de lui avoir infligé ça, elle qui est une bonne et très courageuse personne. Il lui en fallu de la force pour résister. Même si je n'ai pas été pris par surprise et que j'ai acquiescé à son désir d'enfant, l'attente de celui-ci a été pour moi une source d'angoisse terrible, que j'ai extériorisée, sans discernement. Je m'en suis voulu par la suite de n'avoir pas été capable de manifester de l'amour pour l'être-à- venir, et d'avoir tant récriminé sans soutenir celle qui le portait. C'est sûr que j'ai irrémédiablement déchu à ses yeux. Dans ces circonstances les femmes préfèrent un mâle protecteur, même quand elles on demandé à un vieil enfant de les féconder. Je ne suis devenu père que lorsque j'ai tenu ma fille dans mes bras. C'est comme ça. La première fois, je lui ai tout dit, tout raconté du difficile chemin qui m'a conduit vers elle, je lui ai dit que je l'aimerai toujours et promis que je serai là pour l'aider. Sans doute était-ce un peu prétentieux, puisque désormais je ne lui suis d'aucune utilité en maths en physique en chimie en biologie, mais elle s'en sort très bien sans moi.
J'ai aussi retrouvé des pages que j'avais écrites pour et par elle, alors qu'elle n'avait que huit mois. Elles sont justes. Elles sont belles. Ça a atténué l'état dans lequel je me trouvais. En fouillant par-ci par là à la recherche de ce satané bouquin, je suis tombé sur ces graffiti dont je ne me souvenais plus. Impossible de savoir de quand ils datent exactement. Les années quatre-vingt sans doute. J'ai toujours eu besoin de laisser sortir mes monstres. Ceux que j'appelle mes clandestins.

 

7 commentaires:

  1. cela faisait longtemps que je n'avais pas écouté Corea. j'ai donc ressorti l'unique cd qu'il me reste de lui. et j'ai été déçu, je ne ressens rien que de l'ennui. est-ce qu'il m'a ému, inspiré, autrefois ? incapable de m'en souvenir.
    tes petits monstres sont plutôt réussis. si ne n'étais pas français, je dirais qu'ils sont très réussis. plus le temps passe et me rapproche du dernier souffle, plus j'ai honte d'être français. mon pays d'adoption, le Brésil, ne m'inspire plus guère non plus. alors quel pays ? citoyen du monde ? même pas. ou alors d'un autre monde.
    j'ai aimé lire ton texte. voilà qui, au moins, m'aide à vivre encore un peu. merci, donc.

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  2. Jean Claude Carrière, cet esprit assez universel m'a longtemps accompagnée, fait réfléchir et rire parfois. Un plaisir de remettre la main sur ses écrits.
    N'ayant que 3 ans de plus que toi, mes enfants ont plus de 40 ans, alors bien sûr je me sens âgée, souvent dépassée par le digital surtout. Je dois dire que je m'enfiche.
    Ton texte m'a touchée, nous sommes tant des femmes qui, comme toi, ne ressentent ce fameux "sentiment maternel" soit disant inné qu'une fois qu'on s'occupe de nos bébés !
    Bon dimanche Kwarkito.

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  3. …y al final, pese a las muchas
    situaciones y vocaciones en
    la vida, su verdadera vocación
    era la de ser padre.
    ¡Maravilloso texto!
    Salud y belleza.

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  4. Ce qui te rend humain et attachant, c'est cette capacité à te regarder avec une grande lucidité et à reconnaître tes manquements.

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  5. I love reading your text and seeing you art. Old or new art is never gone. Be sure to link up to me for FFO. Have a great day today.

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  6. Your so called monster, look quite friendly.

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