jeudi 22 août 2019

C'est là notre seule monnaie



Voilà,
je me réveille la nuit et je m'attarde sur des pages écrites par des inconnus aux quatre coins du monde. Ce sont pour la plupart de parfaits étrangers qui pour l'immense majorité le demeureront à tout jamais. Nous faisons la même chose, nous partageons nos histoires, nos sensations, nous montrons des images, mus par le besoin de nous exprimer autant que par celui de communiquer et d'ouvrir notre monde à celui de tous ces partenaires inconnus pour lesquels nous alimentons une certaine curiosité. Nous sommes comme ces navigateurs qui de temps en temps donnent leur position. Et même ceux qui ont renoncé à cette pratique, laissent malgré eux la trace de leur passage, témoignant du fait qu'ils continuent de porter un vague intérêt à ce qui émane de nous. En retour il arrive que nous furetions parmi les vestiges de leur production passée. Nous nous reconnaissons dans nos questions et nos incertitudes, dans nos angoisses et nos indignations, dans les intérêts que nous partageons, dans les étonnements que nous ne voulons pas garder simplement pour nous, dans les détails qui nous intriguent, dans les pensées les phrases où les images produites par d'autres qui nous stimulent et dont il nous semble nécessaire de faire entendre ou de montrer la singularité. Nous échangeons des émotions, des réflexions, c'est là notre seule monnaie. Nos corps sont par la force des choses distants, mais nous nous étreignons en pensée, sans plus aucune distinction de race de sexe ou d'âge ou plus précisément nos pensées sont la manifestation d'une quête pour atteindre l'autre, et qui sait si parmi ces lointains ne se trouve pas le si-proche le presque-semblable orphelin ou orpheline d'une langue enfouie que nous aurions pu secrètement partager et dont nous gardons la même nostalgie. Il suffit parfois d'un reflet, d'un poème, d'une évocation furtive, pour que notre solitude trouve dans l'espace infini des messages qui se croisent, l'écho de sa propre intimité. Dans ce chaosmos virtuel, se tissent les liens, les correspondances d'un peuple fantôme qui n'existe plus que par ses projections dématérialisées rendues toutefois tangibles par le truchement de ces petits écrans que nous tapotons à longueur de journée et dont nous sommes devenus les esclaves consentants afin d'exprimer notre inextinguible besoin de reconnaissance sinon de consolation.

6 commentaires:

  1. et quelles étreintes que ces échanges-là, seuls espaces où la solitude est respirable sans doute. Magnifiques texte et image.

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  2. J'aime ce terme de "chaosmos". Le monde réel est souvent un chaos, chacun essaie, à sa manière, de survivre, de voir la beauté, de partager, de lire, de s'informer. Ne pas oublier cependant que le virtuel ne doit pas remplacer totalement le réel. C'est un savant dosage à faire entre les deux. Bises alpines.

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  3. Tu dis fort bien, -un très beau texte-, ce qui nous pousse à publier, à lire les autres; les liens à la fois personnels et désincarnés qui se créent. Comme So j'aime ces étreintes en pensée.

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  4. Did you coin that word? Chaosmos? I love it! Much to think about- More than just faces to see in this one.

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  5. Un besoin de reconnaissance ou de consolation... Peut-être aussi un besoin de mettre un peu de poésie, un peu de Beau dans nos vies si quelconques, en fin de compte. De sublimer un quotidien, de résister à une forme de médiocrité.
    Cet espace dans lequel nous laissons exprimer nos sensibilités est sans doute une échappée belle de nos subjectivités enlisées dans une existence souvent pesante.
    Et au coin d'une page, parfois une jolie rencontre.

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