Voilà,
je suis moins effrayé par la perspective de la mort que par celle de laisser derrière moi tant de choses inachevées ou inaccomplies. Ma mort, en un sens, je peux l’imaginer comme un long sommeil serti dans une nuit plus douce que celles, si souvent agitées, où, en proie à d'obsédantes pensées peuplées de prémonitions, je me retourne avec angoisse, en sueur dans mes draps. Mais l’inaccompli, l’inachevé, ce n’est pas une nuit. C'est comme un bruissement obstiné qui continuerait de résonner alors même que je ne serais plus capable d'entendre les bruits du monde.
Bien sûr, il y a ces images
à peine entrevues, ces dessins ces esquisses tremblantes dans mon
esprit, pareilles à des silhouettes fugitives que l’on distingue, le
soir, derrière une vitre embuée. Elles se sont évanouies avant même que
j'aie pu tracer leur contour. Ces visions, si souvent différées, portent
déjà le poids d’un adieu prématuré. Elles me reprochent d’avoir laissé
s’éteindre leur éclat sans jamais leur donner la chance d’un corps, d’un
trait, d’un cadre. Mais il y a aussi les idées qui n'ont jamais été
creusées. Je les évoque, et les imagine aussitôt comme ces fleurs qui se
languissent dans l'obscurité des profondeurs marines. Je finis ma vie avec parfois par le regret de ces pages de ces phrases que je n’ai pas écrites, par paresse par manque de rigueur ou d'assurance.
Mais plus encore que ces œuvres absentes, c’est le désordre concret, celui des choses accumulées et jamais triées, qui m’apparaît comme une seconde mort plus triviale et plus effrayante que l'approche de mon propre effacement. Une inquiétude sournoise et délétère me saisit quand j'y songe. Car il y a ces papiers jaunis empilés dans des boîtes qui n'ont pas été ouvertes depuis des années, les carnets où ne subsistent que quelques phrases hâtives, pareilles à des racines privées de leur plante, et puis ces menus objets qui chacun contiennent, pour moi seul, la mémoire d’un instant : une enveloppe froissée, un billet d'avion, une clef dont la serrure n’existe plus, des vieilles cartes de visites, de téléphone. Je crains que, livrés aux mains étrangères qui viendront après moi, ces restes ne soient perçus uniquement comme le rebut d’une vie maladroitement amassée, et que personne ne devine la chaleur du secret ou l’éclat fugitif de l’émotion qu’ils protégeaient. Ces choses jamais jetées, recèlent des secrets ni grands ni dramatiques, mais elles relèvent de cette embarrassante pudeur, voisine de la honte que nous mettons à ne pas tout montrer de nous-mêmes, à garder pour nous ces petites traces muettes que nous n’avons pas voulu livrer, comme si nous pressentions qu’elles ne prendraient tout leur sens que dans l’ombre. Laisser cela derrière moi, exposer au regard nu des autres ce que j’avais choisi d’enfouir, livrer mes demi-aveux, mes maladresses, mes repentirs, à une lumière crue et étrangère, toute cette survivance maladroite, ce prolongement involontaire de moi-même, m'embarrasse. Et pourtant, je n'ose encore me résoudre à les jeter.
shared with weekend in black and white - weekend street
I so agree with what you say! We keep so many things that are important only to us.
RépondreSupprimerThere are a thousand things I wish I had asked my father about, but it's only now (in my dotage, 50 years after he died at 60) that the questions occur to me. I treasure the few things I have that he left behind--- Your daughter will treasure what she finds.
RépondreSupprimer...lost in the darkness.
RépondreSupprimerNicely said! Intriguingly beautiful photograph!
RépondreSupprimerWell written, Great captured
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