vendredi 30 octobre 2020

Promeneurs dans un œil d'or


Voilà,
les promeneurs à peine sortis de l'enfance trimballaient leur naïve arrogance. Ils répétaient des choses qu'ils avaient entendues de leurs aînés sans toutefois vraiment les comprendre. Ils affirmaient bruyamment "mieux vaut vivre comme Deleuze ou Foucault et penser comme Kant plutôt que le contraire". C'est qu'ils aspiraient à être l'élite intellectuelle de demain. Ils se sentaient pour cela dans l'obligation de faire provision de phrases définitives. Ils se les appropriaient faisant claquer comme des fouets ces nouvelles certitudes. 
Ils étaient passés dans le regard du vieil homme sans même l'apercevoir. 
Les entendant le vieux les avaient considérés avec un peu de commisération. Ne leur avait il pas ressemblé ? N'avait il pas été, lui aussi en son temps, comme eux péremptoire ? N'avait il pas braillé d'irrévérencieux slogans — "le désordre c'est l'ordre moins le pouvoir"—, asséné d'incompréhensibles et sentencieuses formules dont la fatuité n'avait d'égale que l'indigence —"chaque époque doit trouver son humanisme en l'orientant vers son degré extrême d'aliénation"—. 
Ils finiraient bien par se rendre compte. Ils n'étaient pas préparés au monde de terreur vers lequel ils cheminaient. Le vent de l'Histoire ils allaient pour sûr le sentir passer, d'ici peu. Mais ils n'avaient encore aucune idée de la forme que cela prendrait.
Il aurait bien aimé leur  souhaiter l'illusoire prospérité du monde dans lequel il avait vécu et qui avait conduit à ce présent si déplorable, et à cet avenir angoissant. Inconscients pour le moment de ce qui les guettait, ils se divertissaient
"Qu'ils en profitent" songeait le vieux. "Qu'ils se donnent de la joie, du plaisir. Le courage viendra après. Il en faudra".

mercredi 28 octobre 2020

Remuez vos corps d'athlètes


Voilà 
"Dénonce les voisins qui font du jogging et accumule des points pour gagner un week-end à Vichy". C'était une plaisanterie qui courait sur les réseaux sociaux au moment du premier confinement, lorsque le bon vieux tropisme français pour la délation refaisait son apparition. En même temps c'était étrange d'apercevoir dans la rue des injonctions absurdes en ces circonstances telles que "Remuez vos corps d'athlètes" alors que tout le monde était plus ou moins assigné à résidence, et que seulement une heure de plein air nous était autorisée. Mais aux injonctions contradictoires, nous nous sommes habitués depuis le mois de Mars. Et à ce qu'il semble, cela n'est pas près de s'arrêter. Donc, ce soir on nous annonce que l'heure et grave, la situation devient incontrôlable et il va falloir reconfiner et fissa. On nous annonce quatre semaines, comme la dernière fois mais il est possible qu'on soit amené à hiberner. Je devais faire une lecture publique vendredi au Studio Hébertot qui va vraisemblablement être annulée. Quelques répétitions de prévues. Des castings. J'en saurai plus ce weekend. Je pense évidemment à tous mes camarades qui devaient se produire dans ces prochains jours. Surtout aux plus jeunes.
Quoiqu'il en soit, je me sens beaucoup moins vaillant qu'au printemps. Et je ne suis pas certain d'avoir été très prudent ces dernières semaines, un peu dans le déni de cette nouvelle vague, au prétexte qu'en Février 19, j'ai connu un épisode broncho-rhino-pharyngé  assez terrible et que je me suis persuadé que cela ne pourrait pas se reproduire. Comme j'ai un bilan sanguin plutôt bon, et que mon dernier rendez-vous chez le médecin semblait plutôt rassurant, il est possible que j'en sois venu à manquer de vigilance. Je prends pourtant des vitamines. Je renforce mes défenses immunitaires. Je mange équilibré. Je fais de l'exercice. Je porte un masque lorsque je sors. Je me tiens la plupart du temps loin des autres. Cela suffira-t-il ?
À présent j'ai des doutes. Un être proche a été contaminé. Sans gravité, certes, mais tout de même. Et je me demande si je n'ai pas été un peu présomptueux. J'ai pris le métro, le bus, Je suis allé au musée, au cinéma.
Évidemment les nouvelles alarmantes diffusées à la télévision n'incitent guère à la sérénité. Cependant on ne nous dit jamais que 97% des français qui ont déclaré la maladie n'en meurent pas. Sachant que nombre de gens l'ont peut-être contractée mais l'ignorent, faute de dépistage et de traçage, il est probable que La proportion de survivants est plus importante encore. Entretenir la peur est plus facile que d'avouer ses incompétences. Macron était conseiller à l'Élysée, puis ministre du Budget avant  de trahir son président. Il a une part de responsabilité dans l'appauvrissement de la Santé publique. Rappelons que l'Allemagne a 20 000 lits de réanimation pour 83 millions d'habitants. La France 6000 pour 67 millions.

mardi 27 octobre 2020

Instructions pédagogiques


Voilà,
à tous ceux qui, cette dernière semaine, sur les réseaux sociaux, ont écrit "Je suis enseignant", sans pour autant l'être, comme on déclarait il y a cinq ans "je suis Charlie", et qui, vraisemblablement par goût du risque, se sont découverts une nouvelles vocation, il me semble nécessaire voire urgent de rappeler quelques instructions et/ou outils pédagogiques, de l'éducation nationale, où l'on parle couramment le Roland-Barthes sans crainte du ridicule.

La nécessité d’un modèle théorique et technologique de l’agir enseignant dans la classe
Un contexte idéologique et politique pressant
La transposition nécessaire d’un ensemble très riche de travaux théoriques
Des obstacles théoriques et praxéologiques bien identifiés
  • Rompre en formation et dans la recherche avec la partition didactique / pédagogie
  • L’élève et le maître : des personnes et pas seulement des sujets épistémiques
  • Identifier la singularité de l’agir de l’enseignant, sa créativité au cœur de formes sociales et scolaires pérennes
  • Donner un statut aux divers langages dans la classe
  • Rendre compte de l’évolution des significations partagées pendant la leçon, théoriser les imprévus
  • Conclusion intermédiaire : la nécessité d’un modèle fédérateur, heuristique, qui soit praxéologique mais non normatif

Le modèle du multi-agenda, une architecture de cinq macro-préoccupations conjuguées (travaux de 2004-2007 de l’ERTE 40)
Le pilotage de la leçon
L’atmosphère
Le tissage
L’étayage : un organisateur central de l’agir enseignant
Les savoirs visés : une cible floue
 

Postures d’étayage des maîtres, postures d’apprentissage des élèves : un jeu dynamique (travaux de 2007-2008)
Éléments de méthodologie : le principe de la comparaison
Premiers résultats : des gestes de métier installent vite un genre commun et son pilotage
Retour sur le terme posture aujourd’hui très à la mode
Bref rappel sur les postures d’étude des élèves
La posture d’étayage du maître : une organisation modulaire et finalisée de gestes
Un inventaire limité des postures d’étayage et leurs gestes constitutifs
La dynamique réciproque des postures : un double ajustement
Les changements de postures : le jeu entre dynamique de surface (contexte) et logiques profondes
 

Postures d’étayage des enseignants, postures d’étude des élèves : quels liens ? Une étude de cas
Isabelle : une posture d’accompagnement dominante dans le premier scénario
Les postures des élèves d’Isabelle
Sophie : une posture de contrôle dominante, la parole des élèves en partie confisquée
Les postures des élèves de Sophie
 

Conclusions et perspectives
Une grammaire de l’agir enseignant à poursuivre
Mais une grammaire à poursuivre.

Sinon, sauras tu trouver le punctum de cette photographie unaire représentant un fétiche de sujet épistémique s'apprêtant à traverser un référentiel balisé ?

 linked with signs2

lundi 26 octobre 2020

Lumière d'Automne


 Voilà,
 hier au cinéma (car les cinémas sont encore ouverts pour le moment) j'ai vu la bande annonce du film de Viggo Mortensen "Falling". Deux répliques m'ont particulièrement réjoui : "Quand un type de mon âge se dit qu'il a envie de pisser, c'est qu'il l'a déjà fait" et "le paradis ne veut pas de lui et l'enfer nous l'envoie". il ne m'en faut pas plus pour faire ma journée, ces temps-ci. Et aussi ce petit bonheur du jour : En ouvrant ma fenêtre (car il est très important d'aérer pour combattre le virus), à la fenêtre d'en-face, de l'autre côté de la rue, j'ai aperçu une jeune femme avec son copain dans la cuisine de l'appartement de ses parents. Elle m'a fait un petit bonjour de la main. Je me suis dit que cela devait une des filles que, de chez moi, j'ai vues grandir autrefois, dans cette maison sans jamais les connaître. Elles ne viennent plus très souvent, car elles doivent habiter dans une autre ville ou un autre pays. Je les ai aperçues adolescentes, essayer des looks différents, amener des potes chez elles, et devenir des femmes... Et puis à la réflexion, j'ai réalisé qu'il devait plutôt s'agir d'une fille de ces filles... Eh oui, le temps passe vite.
En attendant c'est l'automne et aujourd'hui la lumière est aussi belle que la semaine dernière à Chantilly. 
(linked with skywatch friday)

dimanche 25 octobre 2020

L'homme qui monte l'escalier


Voilà,
j'ai aperçu il y a peu, rue Etienne Marcel cette peinture murale de Fabio Rieti, là depuis très longtemps, mais qui a été restaurée ces dernières années, par sa fille, grâce au financement de la ville de Paris. C'est selon l'auteur du projet  "un peu une autobiographie. C'est moi, qui monte l'escalier avec ma valise. Au-dessus, il y a ma petite fille. Et en bas, c'est la référence à la musique, avec Glenn Gould et Yehudi Menuhin. Mon père étant lui-même musicien"
Cette gigantesque fresque murale, en rappelle une autre autrefois très connue qu'il avait lui-même réalisée sur l'une des faces d'un gigantesque cube de béton dressé dans le quartier des anciennes halles de Paris qui abritait l'usine de climatisation du centre commercial souterrain des halles-beaubourg construit à l'emplacement des anciens bâtiments Baltard. Ce cube qui fit en son temps scandale, fut ensuite entouré par des immeubles prévus dans le plan de réaménagement urbain du quartier. Fabio Rieti est aussi l'auteur des fenêtres peintes de la place Edmond Michelet. (Linked with Monday murals).

vendredi 23 octobre 2020

Masque parmi les masques

Voilà,
elle s'est insinuée dans notre quotidien l’étrangeté. Tout particulièrement dans les villes. On cherche des issues hors de chez-soi. Ce n'est pas sans une certaine fatigue, que las, résignés, nous cheminons dans un environnement bizarre, devenu hystériquement hygiéniste. On se surprend de plus en plus souvent à y percevoir l'autre avec méfiance, redoutant son éventuelle puissance contaminante. Et l'on avance incertain dans un labyrinthe de frayeurs et de songes rugueux. (Linked with weekend reflections)

jeudi 22 octobre 2020

Transformer les morts en diamants

 

Voilà,
j'ai lu qu'à Hong-Kong, faute de place on transforme les morts en diamants. Comme ne l'a pas dit Confucius, "si ta vie n'a pas été brillante ta mort peut le devenir". Et je me suis rappelé ces larges avenues du cimetière chinois de Manille, ses tombes bâties comme des villas, et l'allée des nouveaux-nés avec son panier de basket. (Linked with the weekend in black and white)

mardi 20 octobre 2020

Du côté des étangs de Commelles

  
 

Voilà,
c'était bon d'aller prendre l'air hier, à quelques kilomètres de Paris, du côté du domaine de Chantilly, aux étangs de Commelles près du château de la reine Blanche. Bon de marcher en bonne compagnie, de s'abstraire un moment de l'ambiance délétère qui plane sur ce pays, en raison de ce crime horrible commis par un fanatique islamiste contre Samuel Paty un professeur d'Histoire. Mais je n'étais pas aussi détaché que j'aurais voulu l'être. Je repensais à ce texte, lu le matin-même sur facebook, écrit par un certain Alexis Poschke et que je reproduis là in extenso (Linked with my corner of the world)
 
 "Il y a ce moment que craignent tous les enseignants dès lors qu’ils s’aventurent en-dehors de leur maigre zone de confort, à l’occasion d’un repas de famille, d’un verre avec des inconnus : ce moment que votre métier, que bien souvent vous faites par passion, parce que vous avez une vocation, en est réduit à de vagues préjugés : pour les uns, vous êtes au mieux un fainéant, au pire un lâche, et il s’agit de vous situer sur le dégradé de la planque. D’autres vous disent, croyant vous faire plaisir, qu’ils ne pourraient pas faire votre travail quand ils apprennent que vous enseignez en banlieue, puis déroulent un chapelet de préjugés sur vos élèves, ou alors remettent en question le bien-fondé de vos séquences si patiemment préparées, pensant secrètement mais sans vous le dire que vous êtes un idiot. À ce moment, vous savez que la soirée est gâchée. Tout en vous mordant les joues, vous apprenez à ne plus réagir que lorsqu’on attaque vos élèves : pour vous-même, c’est peine perdue ; parfois obtient-on, à la rigueur, un petit : « toi, c’est différent », semblant de compromis qui permet de clore un débat qui n’a pas vraiment eu lieu. Le mépris, c’est l’ordinaire des enseignants. Et puis, le mépris, c’est visqueux, c’est contagieux. À la fin, tout le monde se sent en droit de vous faire la leçon.
 
À la vérité, je crois que si les enseignants ont cette habitude de se marier entre eux, c’est parce qu’on ne vous comprendra jamais plus exactement dès lors que vous avez commencé à faire cours. Ce qu’il se passe dans une salle de classe est si complexe, subtil, que tous ceux qui en parlent à votre place vous agacent. Devenir enseignant, c’est devenir incompris dans un monde qui croit savoir mieux que vous ce qui fait votre quotidien, et ce que vous devriez dire, faire, enseigner. Les uns vous reprochent vos vacances, d’autres votre lâcheté supposée, et d’autres encore la teneur de vos cours. Que s’imaginent-ils ? Qu’on entre dans la fonction publique comme dans un grand lit douillet et qu’il n’y a plus qu’à y faire ce qu’on veut ? Le plus souvent, c’est simplement agaçant ; parfois, quand d’aucuns se sentent en droit de s’offusquer, c’est une porte ouverte au pire. C’est aussi le début d’une tragédie.

J’ai lu depuis hier bien des horreurs à propos de l’assassinat atroce de Samuel Paty. J’ai lu par endroits d’odieux commentaires qui osaient lui reprocher d’avoir montré des caricatures de Mahomet en classe. Des larmes de rage me sont à nouveau montées aux yeux, venant ajouter plus d’horreur encore à l’horreur. L’accuser de cela, c’est ça le lit douillet ; il consiste à dire : le problème est réglé, puisqu’il venait de lui. Ces reproches sont des coups portés à sa mémoire, et à l’honneur aussi de ceux-là même qui les portent. Ils éclaboussent de honte ceux qui les tiennent.

Ils sont évidemment nombreux, les enseignants – et j’en suis – à aborder des sujets de société en classe. À l’occasion d’une remarque qui fuse, et qui nous pousse à interrompre le cours, parce qu’il faut faire un peu de ménage, parce qu’il y a des choses qui moisissent sous les crânes, des intolérances de tous bords qu’il faut pêcher dans les têtes pour les jeter au centre de la salle, et les voir se débattre et s’asphyxier, comme des poissons sur le pont d’un chalutier. Après un drame, aussi, quand les enseignants, parfois endeuillés eux-mêmes, doivent gérer une émotion qui les dépasse, mais qu’il n’y a qu’eux à la barre. Alors, pour un instant, ils deviennent des « héros », et on les pare d’attributs dont ils ne veulent pourtant pas, ils veulent surtout des classes moins chargées, et dont on parait aussi les soignants il y a quelques mois – ça ne coûte rien, des mots. Le mêmes qui n’avaient que du mépris pour le corps enseignant se rangent avec eux, et déguerpiront dès que l’actualité sera différente pour se ranger ailleurs, comme des pénibles lors des alarmes incendie.

Il faut parfois du courage, croyez-moi, pour tenir face à une classe qui déborde de questions, dont certaines sont de nature à vous heurter ; non pas que les élèves veuillent vous bousculer pour voir comment vous allez tomber, mais ils veulent parfois simplement éprouver un discours qu’ils avaient, le confronter au vôtre, celui de l’institution. Lorsqu’ils font ça, je me dis qu’on avance tous ; je préfère entendre des horreurs pour pouvoir ensuite en discuter qu’abandonner mes élèves à des discours d’intolérance. Il faut parler, de tout, d’absolument tout, dès lors que le besoin s’en fait sentir. Évidemment qu’il faut parler de la liberté d’expression. Évidemment qu’il ne faut pas avoir peur d’aborder un sujet, quel qu’il soit. Ou l’on crée des générations qui pensent que la Terre est plate, que l’évolution n’est pas scientifique, que tout brûle sauf le Coran, que quelque part on organise un « grand remplacement », que le génocide arménien n’a pas existé, et même que les sirènes, elles, existent. Figurez-vous que nos élèves ne sont pas les imbéciles qu’on croit parfois, qu’ils sont capables de débattre et de discuter, de se remettre en question, de réfléchir. S’interdire des sujets, c’est insulter leur intelligence, et oser les heurter, c’est une manière de respect.

La laïcité – mot que l’on trempe dans toutes les sauces – ne signifie pas, comme j’ai pu le lire, que la religion n’a pas sa place à l’école : elle l’a, au sein des programmes. Le monde contemporain ne serait pas ce qu’il est sans l’apport des monothéismes. On ne peut le comprendre sans comprendre les religions du Livre. Il faut toujours questionner la religion, et ça n’est pas un manque de respect que de le faire, ça n’est pas non plus une agression. Notre travail, c’est de donner aux élèves des rames pour avancer dans le monde que d’autres ont préparé – ou détruit, question de point de vue – pour eux, de les pousser à la réflexion. Je dis souvent à mes élèves qu’une idée, si forte soit-elle, si convaincu soit-on qu’elle est inattaquable, ne vaut rien tant qu’on n’a pas eu à la défendre par des arguments ; qu’il faut toujours chercher à l’attaquer par soi-même pour voir si elle tient debout, si elle a des failles, et qu’on en sort toujours gagnant, soit qu’on saura mieux défendre ce qu’on avait pensé sans savoir pourquoi, soit qu’on aura laissé tomber une pensée qui ne valait rien, ou qui ne nous allait pas. Un vrai débat ne fait que des gagnants, et tout ce qui est gagné autrement que par des arguments est en fait perdu.

L’esprit critique, c’est un cadeau que l’on fait à nos élèves. C’est un beau cadeau, peut-être la plus jolie chose qu’on puisse leur donner, parce qu’une fois qu’on l’a, on ne le perd pas de sitôt.

Il faut tenir bon et continuer de questionner le monde par tous les moyens ; il ne le faut pas par posture, pour faire les gros bras, mais il le faut parce qu’ils le méritent. Parce que nos élèves ne sont pas les hordes sauvages que nous décrivent les éditorialistes mais des êtres pensants, curieux, subtils, ambitieux aussi. Il faut toujours tout questionner. Samuel Paty avait indiscutablement raison de le faire.

Un homme hier parce qu’il croyait en l’intelligence et en l’esprit critique, a été décapité, en quittant son collège, par un lâche qui n’avait en manière d’argument qu’une lame. Comment en est-on arrivé là ? Je ne suis qu’enseignant, je n’en sais rien, je ne sais parler que de ce que je connais, pour le reste, je n’ai que des larmes. Je garde pour ailleurs ma colère et ma rage et mes cris étouffés. Pour demain, aussi, pour la place de la République qui peut-être en a assez de nos cris, et qui se demande pourquoi ils ne cessent pas, pourquoi on n’a pas réussi à faire en sorte qu’on puisse ne plus crier, ne plus pleurer. Je me le demande aussi, et la question me tourne dans la tête. Mais je ne suis qu’un enseignant, et nos épaules à tous sont lourdes ces temps-ci.

Aujourd’hui, je pense à mes élèves, et je regrette d’être en vacances ; j’aurais voulu être là pour eux lundi, pour faire ce qu’il faut faire de toutes les choses traumatisantes : en parler. Défaire les nœuds de la pensée, les aider à y voir plus clair, leur dire que les méchants, c’est pas eux. Ils vivront peut-être certains discours comme des attaques dans les jours à venir, parce qu’il est si facile d’écrire « musulman » sur une boîte et de mettre tout le monde dedans. Je pense aussi à cette petite fille, j’espère que ça ne vous choquera pas, dont on a jeté l’identité sur internet, et à la culpabilité qui va l’étreindre. Je pense aux élèves à qui les charognards de l’information ont tendu des micros pour abreuver leurs journaux. Je pense plus particulièrement aux élèves de Samuel Paty, je pense à eux maintenant et à eux plus tard, j’espère qu’ils seront entourés dans les jours à venir.

Et je pense avant tout à Samuel Paty et à tous ceux qui l’aimaient.

M. Paty, je ne vous connaissais pas, mais je vous pleure aujourd’hui. J’aurais voulu que tout le monde puisse recevoir l’esprit critique que vous vouliez offrir à vos élèves.

Moi, aujourd’hui, je n’ai que des larmes à vous offrir, à offrir à votre mémoire et à ceux qui vous connaissaient, et la promesse de ne pas vous oublier."

je songeais à de récentes conversations tenues il y a quelques semaines avec des gens pourtant estimables, avec D. avec A.  qui trouvaient que les enseignants avaient tort de se plaindre, "qu'ils avaient quand même des avantages", qu'ils étaient protégés et trop souvent à récriminer et qu'ils étaient quand même très privilégiés avec beaucoup de vacances. Et je me demandais, en regardant le paysage si ces conneries leur revenaient en mémoire. S'ils imaginaient la concentration que cela requiert et la fatigue qui en résulte et que c'est désormais un métier où l'on risque de plus en plus sa peau.
Ce sont des temps très mélancoliques que je traverse. Et je ne suis pas le seul. Bien sûr l'automne y est pour quelques chose, de même que la recrudescence des cas de covid, mais aussi cet état permanent de tensions sur les ondes, les réseaux sociaux, cette culture du clash et de l'invective, qui se substitue à la pensée, et cette impression tenace qu'on ne fait que s'enfoncer un peu plus chaque jour dans une sorte de chaos... Heureusement, il reste les petits bonheurs, même s'ils viennent de loin, ces choses futiles qui parfois aident à ne pas pleurer, comme la victoire des All Blacks contre une valeureuse équipe australienne chez eux devant un stade comble, dans un pays dirigé par une femme aimée de son peuple et triomphalement réélue parce qu'elle a su, dans l'adversité faire preuve de pragmatisme d'intelligence et d'humanité.

 
Et puis aussi cet incroyable composition de Sonny Clark interprétée par des musiciens d'exception, entendue à la nuit tombante sur l'autoroute, au retour, après une après-midi de marche. Et les beaux paysages du parc et du château de Chantilly, que je publierai ultérieurement si tout va bien.
 

samedi 17 octobre 2020

Catherine van de Rhee


Voilà,
Si je me souviens bien elle naît en 1906 à Bréda aux Pays-Bas d'où sont originaires ses parents. Elle a un frère aîné. Alors qu’elle a six ans, ses parents musiciens tous deux, décrochent un contrat au grand théâtre de Bordeaux. Ils laissent donc leur fille chez un oncle au pays, à La Haye. Je ne sais pas si l'aîné était aussi avec elle. Le frère et la sœur ne viendront en France, que six ans après, lorsque la guerre déclarée entre temps sera finie. Heureusement, durant le conflit les Pays-Bas auront été un état neutre. Elle vit désormais à Bordeaux avec ses parents et poursuit des études de musique. Elle obtient même un premier prix de violon au conservatoire de Bordeaux. Elle a dix-sept ans lors de la tragédie. De retour de courses elle découvre le corps ensanglanté de son père qu’elle aimait tant, assassiné par sa mère avec le couteau de cuisine destiné à découper le gigot encore fumant sur la table. Le père volage ayant paraît-il ironisé sur la jalousie maladive de sa femme, sa carotide en fut tranchée. Il est des circonstances où il vaut mieux éviter de faire le malin. On plaidera le crime passionnel et la mère écopera de trois ans de prison. Elle récupère chez elle sa mère à sa sortie, mais, excédée de l’entendre sans cesse médire du père assassiné, la chasse très vite de chez elle. À partir de là, plus de trace de la mère. Elle se fâchera également avec le frère qui lui aurait reproché d'avoir malgré tout tenté de soutenir sa mère. Elle ne le reverra plus bien que, comme elle, il continuât de vivre dans la région
Ses talents de musicienne lui permettront de survivre dans des orchestres de bals, de guinguette, de formations accompagnant la projection de films muets. Elle se marie brièvement vers 18 ans, avec un ami des parents, sensiblement de leur âge, qui la récupère après le drame. Elle divorce très vite. A vingt deux ans elle tombe enceinte de mon père dont elle ne s'occupera jamais beaucoup par la suite. L'homme qui l'a engrossée puis épousée est, à l’époque, un flambeur sans scrupule, un homme à femmes, un type assez égoïste. Plus tard elle vivra en concubinage avec un ami de cet époux, dont elle n'a pas divorcé et qui est plutôt content que son épouse soit entre de bonne mains. A la naissance de son deuxième enfant, ils vinrent paraît-il ensemble à la maternité. Mais elle ne put le reconnaître que bien plus tard, lorsque le divorce d'avec le premier mari fut signé. Chose étrange, le second enfant devenu adulte et marié donna à ses deux ainés respectivement fille et garçon les noms de la grand-mère meurtrière et du grand père assassiné. Aucun des deux enfant n'eut beaucoup d'affection pour cette mère qui n'avait pas la fibre maternelle. Pendant l'occupation l'aîné fut confié au père qui s'accommoda tant bien que mal de ce qu'il considérait comme un fardeau, et le cadet fut trimballé de familles d'accueil en familles d'accueil qui ne le nourrissaient guère au prétexte que l'argent dévolu à l'entretien de l'enfant n'était pas toujours envoyé. Mon père, chassé du foyer paternel par son géniteur qui venait de mettre enceinte une femme sensiblement du même âge que son fils, s'engagea dans l'armée après avoir refusé l'aide d'un de ses cousins qui lui proposait de travailler dans son entreprise de travaux publics. Il garda néanmoins le contact avec sa mère, toujours établie à Bordeaux où elle travailla le reste de sa vie comme secrétaire pour une entreprise de recouvrements de biens. Son demi-frère lui aussi demeuré dans la région, dut s'occuper de sa mère qu'il recevait tous les weekends. Il existe des photos où l'on me voit avec mes parents et ma grand mère lorsque je suis tout petit. C'est vraisemblablement entre la fin de la guerre d'Indochine, et l'Algérie où mon père se rendit d'abord seul avant que ma mère ne le rejoigne en ma compagnie en 1959. Peut-être la photo ci-dessous date-t-elle de d'une permission (c'est comme ça qu'on appelle un congé dan l'armée ou la police) accordée à mon mon père durant la guerre d'Algérie. Il n'a pas l'air très content d'être surpris comme ça par un photographe de rue, je crois. Je me souviens que cela existait. il fait son regard de tueur, de militaire quoi, ce genre de regard qui t'apprend vite à être sournois quand t'es môme. Je tiens à la main une petite voiture que ma grand-mère a du m'acheter chez Maurice Verdeun, le magasin de jouets alors situé dans la galerie bordelaise et je me demande bien, en la regardant à présent, ce qu'il peut y avoir de si intéressant hors champ, à droite, du côté de l'œil qui ne voit pas.
 
 
 
 
Je fis vraiment la connaissance de ma grand-mère, ainsi que de mes cousins, alors que j'avais huit ans, quand mes parents furent mutés à 80 km au sud de Bordeaux dans le département des Landes, qui fut un endroit de renaissance, j'en ai déjà parlé. Nous allions la voir dans son petit appartement de la rue de la Devise, ou bien elle venait avec mon oncle ma tante et mes cousins. J'aimais bien ces visites alternées. Il arrivait parfois que nous allions pique-niquer avant d'aller à la plage. C'était poulet rôti chips et j'adorais ça. Je l'aimais bien cette grand-mère, elle était un peu fantaisiste, et puis c'est la seule qui me restait. Elle a toujours été très gentille avec moi. Je crois que la dernière fois où je suis allé chez elle, rue de la Devise, alors que j'étais de passage à Bordeaux, fut le jour où Nixon a démissionné.

vendredi 16 octobre 2020

La demeure du rêve


 
Voilà
Le plafond du rêve
est peint d'une couleur étrangère au rêve.

Le plancher du rêve
porte trace de lointaines latitudes.

La demeure du rêve
est voisine d'autres demeures
faites de matériaux différents.

Et l'habitant du rêve
a l'étrange conviction
de n'être pas né là.

Les rôles semblent permutés
et les fonctions interverties.
Tout rêve doit être remplacé par un autre .
Mais l'inévitable échange n'est pas un rêve
(Roberto Juarroz in "Onzième poésie verticale") 

jeudi 15 octobre 2020

Une Image dans une autre

Voilà,
ce jour là, dans un quartier où je ne viens pas souvent, je n’ai pas voulu laisser échapper cette coïncidence. Bien sûr la photo n’est pas très généreuse, et vaguement ironique, peut-être même discriminatoire au regard des nouvelles normes morales intégristes dont je n’ai rien à battre, mais j’aime aussi parfois lorsqu'une image apparaît dans une autre pour contredire la réalité, ou plus exactement pour dévoiler à quel point les images qui nous sont imposées nous mentent et sont des contrefaçons et peuvent même de temps à autre se révéler choquantes voire agressives. Parfois elles s'imposent à la faveur d'un hasard terrible comme un amer constat. D'autres fois elles prêtent à sourire et c'est très bien. Ces hasards mettent de bonne humeur. On s'en réjouit. On n'a pas tous les jours l'occasion de s'amuser. Surtout en ce moment. Alors qu'il y a quelques semaines encore, j'étais parvenu à ralentir le rythme, ces derniers temps je publie avec une certaine frénésie. C'est que je ne suis pas très serein. L'extension prévisible des mesures sanitaires y est pour quelque chose. De même que le visionnage de cet hallucinant discours du président américain récemment observé par hasard sur une chaîne d'informations. Cela m'a laissé dans un état de sidération inattendu. Je ne pensais pas être aussi affecté par ce pitoyable spectacle, par ce délire hystérique truffé de mensonges et d'insultes, par ces propos décousus à la limite de l'incohérence. J'avais l'impression d'un Idi Amin Dada blanc — Barbet Schrœder avait brossé un formidable portrait du dictateur ougandais —, à la simple différence que cet homme a le pouvoir de déclencher le feu nucléaire et préside aux destinées de la plus puissante nation occidentale. On voit la folie, la sénilité à l'œuvre et l'on s'étonne que cela soit possible, non seulement que cette irrationalité puisse trouver des supporters ou même des sympathisants, mais encote que rien dans le fonctionnement des institutions ne puisse empêcher un homme fou de gouverner. Mais bon, sans doute est-ce le lot d'une société plus sensible au spectacle qu'à la pensée, et qui peut-être est elle-même très malade. Il est aussi possible qu'au regard des américains son comportement ne paraisse pas si anormal que cela. J'ai néanmoins songé avec une certaine compassion à quelques uns de mes amis d'Outre-Atlantique dont je sais que cette situation leur fait honte et les inquiète. Bref je redoute un peu les mois qui viennent. Je fais beaucoup de cauchemars. J'éprouve en quelque sorte ce que l'allemand désigne sous le terme de Weltschmerz : la douleur du monde, la douleur pour le monde. Ce n'est pas sans incidence sur mes humeurs.

mercredi 14 octobre 2020

"Hâte d'être démasquée"


 

Voilà,
j'avais réalisé ces photos en Mai dernier, peu avant la fin du confinement, rue du Moulin-Vert dans le quatorzième arrondissement de Paris. C'était à l'époque où nous n'avions le droit qu'à une promenade d'une heure dans un rayon d'un km à la ronde. Le printemps était doux et les rues désertes où chantaient les oiseaux avaient quelque chose d'insolite. Le mot de l'époque c'était "inédit". La situation était "inédite". Faute de masques chirurgicaux, des masques en tissu avaient été confectionnés et distribués. Mais l'espoir d'un retour à la vie normale était en train de poindre. Le nombre de victimes allait décroissant. Le proche été verrait une embellie. Nous sortirions peu à peu de cette étrange parenthèse et nous cesserions de paniquer au moindre raclement de gorge, à la plus petite toux, au plus infime picotement nasal. Et comme on est en France, on pourrait bientôt se retrouver dans les bistrots qu'aucune guerre n'avait jamais empêchés d'ouvrir jusqu'à ce satané virus auquel au passage on avait, dans la conversation courante, du mal à attribuer un genre. On allait enfin respirer. Lors d'un de ces débuts de soirée où nous allions prendre l'air ma fille et moi, cette modeste installation sur un rebord de fenêtre avait attiré mon attention. Quatre mois plus tard, en cet automne pluvieux, il semblerait que la situation se dégrade à nouveau. Dans les milieux bien informés, comme on dit, circulent des rumeurs de couvre-feu. Et le vœu d'être enfin démasqué ne semble plus vraiment d'actualité avant longtemps.
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lundi 12 octobre 2020

Montrer mais pas vraiment


Voilà,
ce que j'aime dans une image, c'est moins ce qu'elle montre que ce qu'elle laisse deviner.  Raison pour laquelle j'ai un penchant particulier pour celles qui attestent que quelque chose nous est dérobé, inaccessible que ce soit dans le cadre ou hors-champ. Ces longues heures durant lesquelles, enfant, je demeurais fasciné par ces deux photos de Jean Péraud déjà présentées sur ce blog, en sont sans doute une des raisons.
Pourtant aujourd'hui, que tous les visages sont dissimulés j'en conçois bien du désagrément. C’est que j’aime regarder les gens. J’y trouve un divertissement nécessaire. J’ai besoin, lorsque je sors, qu’ils soient là, besoin de leur présence, besoin de tous ces visages. Oui ce qui me fascine littéralement c’est la multiplicité de toutes ces différences et le constat que l’autre est toujours dissemblable à moi-même. Il constitue une singularité peut-être inaccessible, mais qui agrémente mon paysage et le rend supportable parce que riche de possibles. Même si c’est une illusion, je peux croire que quelque chose de nouveau peut advenir. Mais aujourd'hui, c'est la possibilité même de  cette illusion qui m'est interdite.
(Linked with our world tuesday)

dimanche 11 octobre 2020

Tout près de chez moi


Voilà,
c'est tout près de chez moi. Je passe souvent devant ce café qui est un bar qui ouvre ordinairement de 18 heures à minuit. Je n'y suis jamais entré. J'ai toujours pensé que c'était un bar exclusivement pour dames. Peut-être à cause de l'ancienne enseigne. Autrefois ça s'appelait "le minou bar". Il ne me semble pas avoir de photos de l'ancienne devanture qui était rouge et noire et illustrée elle aussi. Peut-être l'aperçoit-on dans le film qu'Agnès Varda, autrefois la plus célèbre habitante de cette rue (et aujourd'hui son icône) a consacré à la rue Daguerre. Je me demande si cette institution du quartier survivra aux fermetures imposées par la préfecture en raison de l'épidémie de Covid. D'ailleurs à ce sujet, on est en train d’agiter un chiffre épouvantail en nous expliquant que certains départements ont un taux d’occupation de lits de réanimation de 40% en raison de la covid mais de quoi parle-t-on ? Il y a 5 000 lits de réanimation en France pour 101 départements, c’est à dire à peine 50 lits par département (pour 67 millions d’habitants). Autrement dit, ce n’est pas l’épidémie qui pose problème mais l’effondrement de notre système de santé, laminé par quatre décennies d’une politique libérale ultra agressive. (Linked with monday murals)

vendredi 9 octobre 2020

De fil en aiguille


Voilà,
Internet a du bon. Il encourage les esprits curieux mais désœuvrés à s’abandonner à la sérendipité et à découvrir des choses qui seraient alors restées ignorées. Et l'on est pris de vertige parfois par les destinées des uns et des autres, guidés par l'ambition qui souvent mène vers des chemins  incertains, la plupart du temps empruntés avec ruse et opportunisme. 
Il y a quelques jours, à la radio, j’ai entendu parler d’un compositeur du début du siècle prénommé Florent Schmitt. Dans sa présentation l’animateur a pris force précaution pour introduire l’œuvre de ce musicien. Ses penchants d’avant-guerre pour l’antisémitisme et par la suite ses complaisances à l’égard de l’Occupant et des thèses collaborationnistes avaient en effet de quoi rebuter. L’homme un jour, dans le courant des années 30, lors d’un concert de Kurt Weill à Paris est même allé jusqu'à crier "Vive Hitler" et s’est répandu en insultes antisémites. Cela a plutôt nui a sa postérité. Enfin un petit peu, vraiment très peu, il s'en est plutôt bien sorti. A l'issue de la guerre il ne fut pas poursuivi : Florent Schmitt a expliqué son voyage en Allemagne pendant l'occupation par la volonté de revoir son fils, resté prisonnier dans un stalag depuis juin 1940. Il a justifié son appartenance au Groupe Collaboration par son souci de défendre la musique française. Selon Wikipedia, il a prétendu que sa position lui permettait également de signer des pétitions en faveur de musiciens israélites tels que la cantatrice Madeleine Grey, le pianiste François Lang, le compositeur Fernand Ochsé ou de soutenir ses amis Paul Dukas, Alexandre Tansman ou Arnold Schönberg qu’il appréciait et défendait vigoureusement. Il a plaidé son absence d’implication politique.  Il ne fut donc pas poursuivi.



Tout juste fut-il condamné dans le cadre de l’épuration professionnelle. Et encore : le , le Comité national d’épuration des gens de lettres, auteurs et compositeurs a prononcé contre lui une peine d’interdiction d’éditer ou de faire jouer ses œuvres d’une durée d’un an, interdiction partant du 1er Octobre 1944. C'est à dire une rétroaction nulle, valant absolution. Et par la suite cela n'a pas empêché qu'il soit décoré et honoré du grade de commandeur de la légion d'honneur en 1952.
 Voilà pour l'individu. Mais sa musique, que je n’avais jusqu’à ce jour jamais entendue se révèle tout à fait puissante subtile et saisissante. On devrait aujourd’hui la jouer et la diffuser autant que celle de Ravel Debussy ou Satie qui furent ses contemporains. Je mets en lien la première des trois émissions qui lui ont été consacrées. A noter qu'il fut aussi l'un des premiers à écrire une pièce pour un quatuor de saxophones.



Célèbre romancier, critique musical (c’est lui qui dans le journal "Je suis partout" a rapporté et amplifié l’intervention de Schmitt puisque selon ses dires, Schmitt aurait ajouté "Nous avons déjà assez de mauvais musiciens pour avoir à accueillir les Juifs allemands"), Lucien Rebatet quant à lui, ne s'en est pas mal sorti non plus. Il est mort paisible en 1972 dans son village natal.
 Entré en avril 1929 — malgré un profond mépris pour le camp de la « Réaction » incarné selon lui par Maurras  — comme critique musical au journal nationaliste et monarchiste L'Action française, il  y écrit sous le pseudonyme de François Vinteuil (ce qui paradoxalement ne manque pas de rappeler Proust), puis sous celui de François Vinneuil. En 1932, il devient journaliste à Je suis partout, où son style et ses convictions vont s'affirmer. Il y signe des articles comme « Le Cinéma par ceux qui le font », « Les Étrangers en France : l'invasion » ou encore « Les Émigrés politiques en France ». Il y accueille avec enthousiasme la parution du pamphlet ouvertement antisémite de Céline "Bagatelles pour un massacre". Antisémite virulent, Rebatet outre les juifs attaque dans ses articles, le communisme, la démocratie, l'église et se proclame germanophile et fasciste.
En 1942, il publie Les Décombres, où les juifs, les politiques et les militaires sont dénoncés comme responsables de la débâcle de 1940, sans pour autant que soient épargnées les autorités de Vichy. Il y explique que la seule issue pour la France est de s'engager à fond dans la collaboration avec l'Allemagne nazie. Ce pamphlet, tiré à quelques 65 000 exemplaires sous l'Occupation est désigné comme « livre de l'année » par Radio Paris et souvent qualifié de « best-seller de l'Occupation ». Son auteur finit par être arrêté à la fin de la guerre avec Marc-Antoine Cousteau, le dernier directeur  du journal "Je suis partout", et tout deux sont condamnés à mort.  
Grâce à une pétition d'écrivains comprenant notamment les noms de Camus, Mauriac, Paulhan, Martin du Gard, Bernanos, Marcel Aymé ou Jean Anouilh, qu'on ne peut pas tous suspecter être fascistes, et qui sans doute auraient pour la plupart connu un sort différent si les nazis avaient gagné, le nouveau président de la République Vincent Auriol le gracie en Avril 1947, et sa condamnation à mort, ainsi que celle de Pierre-Antoine Cousteau, est commuée en peine de travaux forcés à perpétuité. Détenu à la prison de Clairvaux, il cosigne en 1950 avec Cousteau Dialogue de vaincus, où il relate, dans un dialogue avec son codétenu, le sens de leurs engagements, leurs désillusions et leurs visions de l'avenir. Tous deux seront finalement libérés — Rebatet en 1952 et Cousteau en 1953, grâce à l'intervention de son frère  Jacques-Yves le fameux Commandant Cousteau.
Étrange destin que celui de Rebatet. Dans sa jeunesse, il s'honore d'aimer Wagner, alors que ce dernier en France représente le symbole honni de l'Allemagne. Arrivant à Paris, il se prend de passion pour Stravinski, Berg, Bartok, et même Schönberg, il s'enthousiasme pour les peintres juifs de l'école de Paris, et aussi pour Picasso, ainsi que pour "Le Manifeste du surréalisme" d'André Breton. Dans un article qui lui est consacré, et dont sont extraits le passage qui suit Robert Belot rapporte que sa haine de la république se serait cristallisée les deux années précédant son entrée à l'Action Française, durant lesquelles il dut survivre en travaillant pour un très modeste salaire dans une compagnie d'assurances où il se sentait déclassé.  Chose curieuse, c'est à l'Action française qu'il peut enfin s'épanouir car la direction littéraire du journal en la personne de Pierre Varillon veut donner sa chance à de jeunes plumes (il y entre en même temps que Thierry Maulnier et Robert Brasillach qui connurent des fortunes fort différentes). Sa haine de la bourgeoisie (qui constituait la part essentielle du lectorat de l'Action Française) le conduit à travailler à "Je suis Partout" où Pierre Gaxotte le rédacteur en chef cherche à recruter des jeunes n'ayant "aucun intérêt dans l'univers capitaliste et une aversion pour l'esprit bourgeois ".  Sa haine de la bourgeoisie se doublera bientôt d'une haine des juifs le menant à préconiser dès 1935, que la France se dote de camps de concentration comme les allemands.
Voyageant de notices wikipedia, en articles divers je constate qu'en France, nombre d'auteurs et de personnalités, ayant eu dans leur jeunesse des affinités avec le fascisme, la collaboration, l'antisémitisme, n'ont guère été inquiétées par la suite pour leur passé, et certains ont même pu accéder à des responsabilités fort importantes et à des honneurs nationaux, comme Maulnier ou Gaxotte. J'ai aussi pu constater que la solidarité entre normaliens ou anciens des grandes écoles dépassait les clivages politiques. Ce qui est encore aujourd'hui le cas d'ailleurs. On comprend ainsi mieux pourquoi ce pays demeure toujours aussi raciste, xénophobe et que l'antisémitisme continue de s'y épanouir, puisque finalement ce sont les enfants et les héritiers spirituels de ces courants de pensée qui se perpétuent encore de nos jours et continuent de s'exprimer dans la presse et à prospérer dans les sphères politiques. 

jeudi 8 octobre 2020

Sous un rayon de soleil traversant les nuages

 

Voilà
"Je considère, telle une vaste contrée sous un rayon de soleil traversant soudain les nuages, toute ma vie passée ; et je constate, avec une stupeur métaphysique, à quel point mes actes les plus judicieux, mes idées les plus claires, les projets les plus logiques, n'ont rien été d'autre, en fin de compte, qu'une ivresse congénitale, une folie naturelle, une ignorance totale. Je n'ai même pas joué un rôle : on l'a joué pour moi. Je n'ai pas été non plus l'acteur :  je n'étais que ses gestes.
Tout ce que j'ai fait, pensé ou été, n'est qu'une somme de soumissions, ou bien à un être factice que j'ai cru être moi, parce que j'agissais en partant de lui vers le dehors, ou bien au poids de circonstances que je crus être l'air même que je respirais.  Je suis, en cet instant de claire vision, un être soudain solitaire, qui se découvre exilé là où il s'était toujours cru citoyen. Jusqu'au plus intime de ce que j'ai pensé, je n'ai pas été moi. (...)  je sais que je n'étais qu'erreur et égarement, que je n'ai point vécu, que je n'existais que dans la mesure où j'ai rempli le temps avec de la conscience, de la pensée. Et l'impression que j'ai de moi-même, c'est celle d'un homme se réveillant d'un sommeil peuplé de rêves réels, ou d'un homme libéré par un tremblement de terre, de la pénombre du cachot à laquelle il s'était accoutumé."  Fernando Pessoa in "Le Livre de l'Intranquillité" (Linked with skywatch friday)

mercredi 7 octobre 2020

Mais il y a toujours quelque chose qui m'échappe (2)



Voilà
Ça me revient, 
j'ai été un des derniers lecteurs du journal "Combat" qui a disparu en Aout 1974. Il eut un éphémère héritier qui s'appelait "Le Quotidien de Paris"

Ça me revient, 
le labdanum est une fragrance que j'aime particulièrement, j'ai trouvé son nom au Musée des parfums du Palazzo Mocenigo à Venise

Ça me revient 
Je ne sais pas pourquoi n'associe la chanson "Paris s'éveille" à un cours de sport en plein air au lycée de Parentis-en-Born. Dans mon souvenir c'est un matin, il fait un peu frais. Paris m'est alors inconnu, mais ce matin-là cette chanson me rend nostalgique d'un endroit que je ne connais pas.

Ça me revient, 
à l'époque de la parution de l'album "Greetings from Asbury Park" on désignant Bruce Springsteen comme le nouveau Bob Dylan

Ça me revient, 
rue de la montagne Sainte Geneviève, il y avait dans les années soixante-dix, juste en face de l'Ecole Polytechnique, une boite de nuit appelée le Sélénite qui disait on appartenait à Johnny Halliday et  dont la façade argentée rappelait vaguement Le Lunar Module, mais peut-être que je confonds et qu'il s'agissait de "La bulle"

Ça me revient, 
ma mère trouvait dans les années soixante que la chanson de Gainsbourg "Couleur café", était raciste. Pourtant en la matière, elle avait quelques longueurs d'avance. Elle trouvait aussi que la chanson "Je voudrais être noir" de Nino Ferrer était du racisme à l'envers

Ça me revient, 
dans les années soixante, ce qu'on avait appelé le "drame de Cestas", un petit bled dans la Gironde, un type s'était retranché avec ses deux enfants dans sa ferme et avait fini par se suicider après les avoir tués

Ça me revient : 
les clarks, ces chaussures qui étaient à la mode quand j'avais entre 15 et 17 ans. De même qu'on était Soit beatles ou Rolling stones, qu'on achetait Best ou Rock et folk les journaux musicaux, eh bien on était soit Clarks, soit comme Agnès, Kickers. Pour ma part, les clarks finissaient toujours par être percées au niveau du gros orteil..

Ça me revient : 
certains noms, Dhuizon j'ai mis un moment à retrouver le nom du village où habitait Felix Guattari situé près de la clinique de la Borde et où je suis allé une fois . Celui qui tenait le bureau de tabac où se rendait mon grand père était-ce Malardeau ? par contre le boucher de Dampierre qui faisait une viande très tendre s'appelait Gentillot ou Gentilleau

Ça me revient, 
cette excursion en Février dernier avec ma fille à la fondation Vuitton pour voir l'exposition Charlotte Perriand, où j'ai pris cette photo

Ça me revient : 
le générique de fin de la deuxième chaîne dans les années 70 avec les hommes volants de Jean-michel Folon et la musique de Michel Colombier dont je me suis aperçu bien des années après, plus précisément lors de l'enterrement de PhilippeTiry, qu'elle était très inspirée d'un adagio du concerto pour hautbois en ré mineur de Alessandro Marcello qui fut diffusé en cette circonstance et qui fut retranscrit par Bach pour devenir l'adagio BWV 974

Ça me revient, 
cette histoire que racontait mon père à propos de Juliette Gréco qui vient de mourir. Il disait qu'elle lui devait un sandwich qu'il lui avait payé dans sa jeunesse à Saint Germain des prés où il l'avait soi-disant côtoyée dans les années d'après-guerre
 
Ça me revient, 
que pour mes quarante ans, lors de ce repas surprise organisé par Christelle, me fut offert un coffret de l'intégrale de Georges Brassens

Ça me revient, la première fois où j'ai failli tomber dans les pommes, c'était lors d'une répétition avec Didier au gymnase Japy — et cela me faisait bizarre de faire du théâtre dans un endroit où l'on avait parqué des juifs avant de les déporter —

Ça me revient
ces excursions que nous faisions parfois avec Dominique Philippe et les filles, le dimanche matin au  Musée des Arts et traditions populaires, près du jardin d'acclimatation

Ça me revient,
dans les années 70, il y avait souvent à l’angle de la rue de Buci et de la rue Jacob un type qui jouait de l’orgue de Barbarie posée sur une carriole noire qu’il poussait et sur laquelle se trouvait un babouin attaché à une chaîne. C’était aussi l’époque où de nombreux hare krisna vêtus de toges oranges se trimballaient dans le quartier en psalmodiant leurs prières
 
Ça me revient 
De Gaulle en1963 disant "la mano en la Mano"(j'habitais à Châlons sur Marne) à Mexico, et aussi pendant l'été 1967, j'étais en vacances avec mes parent à La Mongie "vive le Quebec libre" et je sais qu’il a aussi dit "Fécamp une ville du courage une ville du lointain, une ville de la mer et qui veut le rester et le reste", mais ça on me l’a rapporté bien plus tard

Ça me revient 
la librairie « La joie de lire » de François Maspero Rue Saint Séverin vers Saint Michel

Ça me revient
lorsque j'avais huit ans, c'est à dire vers 1964, il y avait encore des pièces d'un ancien franc qui dataient de l'époque de Pétain puisqu'il y avait la francisque sur l'une des faces et qu'elles comptaient pour un centime
 
Ça me revient, 
c'est Pierre Schoeller, le cinéaste qui le premier m'a parlé du livre d'Anna Tsing "Le champignon de la fin du monde"
 
Ça me revient 
le regard clair de Jean-Marie Lhôte dans son bureau du Musée des Arts Décoratifs, sa bienveillance sa modestie et sa grande érudition dont témoigne sa bibliographie, et sa connaissance des jeux à travers les siècles

Ça me revient, sans que je ne sache pourquoi, mais il y a toujours quelque chose qui m'échappe...

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mardi 6 octobre 2020

Poinciana


 
Voilà 
dans la grisaille parisienne songer à la douceur des îles en écoutant Ahmad Jamal jouer "Poinciana" C'est un morceau à la fois solaire et apaisant tout empreint de douceur. Oui j'aimerais bien qu'on le joue quand il me faudra quitter ce monde. Il suggère pour moi cette nostalgie des lieux ou des choses que l'on ne connaît pas sans qu'il y ait pour autant quoi que ce soit de mélancolique ou de triste. "La langue allemande possède un mot pour désigner cet état : « Fernweh ». Linked with our world tuesday
 


dimanche 4 octobre 2020

Dans l'instabilité

 

 
Voilà,
désormais, nous sommes, durant un temps indéterminé, condamnés à vivre dans l'instabilité, sinon dans une forme de débâcle. A quoi bon s'illusionner, plus rien ne sera comme avant. Et la promesse des jours heureux, que nous adressa notre président au début du confinement, va exiger de ceux qui sont encore assez naïfs pour les espérer, beaucoup de patience. Nous ne pourrons pas continuer à vivre sur le même système de valeurs, ni dans l'ordre, ou l'illusion d'ordre que nous avons connu, même si certains, inébranlables malgré les circonstances, continuent pourtant de l'affirmer. 
En raison de cette épidémie — que l'on s'obstine à nommer pandémie — la réalité doit se reconfigurer. Comment ? On ne sait trop encore, mais c'est sans alternative. Et il est vraisemblable que cela se fera dans la douleur, que cela engendrera beaucoup de révolte, de colère et aussi beaucoup de désespoir et de souffrances.
C'est tout un écosystème basé sur la circulation des marchandises, l'accumulation des biens, l'exploitation des ressources naturelles, l'organisation des services, la mondialisation des échanges qui depuis quelques mois se trouve perturbé et déstabilisé. Nos sociétés capitalistes apparaissent soudain vulnérables, fragiles. Et cette pandémie fait vaciller, mais vaciller seulement, l'idéologie de la croissance continuant de prévaloir pour le moment qui ne repose que sur l'ingénierie financière essentiellement spéculative.
Elle agit aussi comme un retour de refoulé. Et ce qu'on a refoulé jusqu'à présent c'est le principe de réalité. Le réel c'est, a écrit John Warren, paraphrasant Lacan, ce qui fait mal quand on a éteint l'ordinateur. Par exemple s'apercevoir que les tâches de maintenance du bien commun ne peuvent plus être convenablement exercées parce qu'on a tout fait pour les détruire ainsi que ceux qui les assurent. C'est principalement la raison pour laquelle nous sommes tous plus ou moins assignés à résidence.
Pourtant cette épidémie ce n'est pas grand chose au regard des désastres écologiques qui nous attendent et qui se manifestent déjà ici et là, et l'on peut d'ores et déjà entrevoir tout ce que les calamités à venir entraîneront de dérèglements économiques et de désordres croissants. Il est possible alors, qu'au sentiment de peur qui permet aux pouvoirs politiques en place de tenir pour le moment les populations dans un état de servitude sinon volontaire du moins consentie, succèdent paniques révoltes conflits migrations. C'est déjà le lot de bien des populations d'Afrique qui, en matière d'enfer, ont quelques années d'avance sur leurs anciens colons. Il est cependant à craindre que, d'ici peu, même en enfer, il n'y ait de place pour tout le monde. 
En attendant réjouissons nous que, par ces temps indécis, certains recouvrent d'un peu de couleur et de motifs étranges le morne horizon de notre intranquillité. (linked with monday murals).

vendredi 2 octobre 2020

Ruminations amiénoises

 
 
Voilà,
avant-hier dans une des salles du cinéma "les sept parnassiens" récemment rénové, on projetait l’excellent film de David Dufresne intitulé "Un pays qui se tient sage" consacré aux violences policières à l'encontre du mouvement de protestation des gilets jaunes apparus il y a deux ans bientôt. 
Beaucoup d'images difficilement soutenables prises à partir des smartphones des manifestants y sont montrées. André Gunthert a écrit des choses fort interessantes à ce sujet. Donc le film "confronte diverses personnalités aux récents dérapages de l’institution pour de fructueux dialogues" comme le rapporte son éminence "Le Monde". Des séquences crues, brutes et brutales donnent de la police une vision peu rassurante et particulièrement honteuse. Elles alternent avec des commentaires et de réflexions de personnalités d'horizons différents (avocats, ethnographe, historiens, représentant du syndicat de la police "Alliance", manifestants ayant subi des mutilations suites à ces interventions). Ensemble elles questionnent la notion de la violence légitime de l'Etat, telle que l'a définie le sociologue Max Weber, au début du XXème siècle. 
Des analyses assez fines et complexes de la situation dans laquelle se trouve notre pays, sont ainsi partagées. Elles attestent aussi l’état de dégradation de l’institution policière, instrument d'un pouvoir aux abois, qui ne trouve d'autre réponse au mécontentement légitime de sa population qu'une répression  sans discernement.
Mais revenons à cette soirée.  Ce cinéma accueille habituellement un public de la moyenne bourgeoisie intellectuelle. Pour faire simple celle qui lit "Télérama", "Le Monde", "Libération" ou "Les Inrocks". Cependant  dans la salle se trouvent quelques ardents supporters des gilets jaunes, venus en famille et en groupe. Leur comportement contraste avec la discrétion feutrée dont font ordinairement preuve les habitués de l'endroit. Avant la projection ils parlent fort, commentant ce qu'ils voient, peu soucieux du dérangement possiblement causé.
Très vite, à peine le film commencé avec l’apparition de victimes ayant perdu un œil à cause des tirs tendus de LBD, fusent des manifestations d'indignation et des invectives à l’égard de la police, redoublant lorsque apparaît à l'écran Macron aussitôt traité de "pédé", "enculé". Visiblement les codes du lieu ne leur sont pas familiers. Pas plus que la notion d'insulte homophobe. Ils réagissent au premier degré, sans distance. Mais le film raconte quelque chose qu'ils ont vécu, qu'ils ont vu. Peut-être est-ce là aussi le grand événement de leur vie, l'ivresse d'un sentiment collectif et partagé qui est réactualisée là, en même temps que leur ressentiment face dédain dans lequel ils se sentent relégués.
Je sens bien là qu'entre ceux qui manifestent  — pour la plupart victimes du déclassement, de la violence économique exercée par le pouvoir, France des provinces délaissées, des banlieues défavorisées, des espaces périurbains, majorité silencieuse qui ouvre enfin sa gueule, mais aussi parfois France frustre, peu cultivée, abêtie par les émissions de télé-réalité, (je la connais bien j'en viens) Cyrille Hanouna et Eric Zemmour, mais que l'Etat laisse crever la gueule ouverte, français asphyxiés qu'on méprise  et la première forme de mépris, c'est bien la télévision qui l'exerce à l'égard de citoyens transformés en consommateurs — entre eux donc et le public de cette salle, sûrement composé en majorité de bourgeois intellectuels, d'étudiants, de retraités, attentifs à la parole d’autres intellectuels qui  sur l'écran citent Foucault, Hannah Arendt,  Guy Debord, Bourdieu, la gauche bien pensante quoi, la coupure est manifeste. Pourtant...
je comprends la colère de tous ces gens, même s'ils ne sont pour la plupart pas des amis des arts et des lettres, avec lesquels je n'ai sans doute pas beaucoup d'affinités, qui sûrement doivent me considérer comme faisant partie de l'élite pourrie, parce que je connais le langage de l'élite sans pour autant en être.
Je suis effaré par le manque de considération de ceux qui sont en charge des affaires à l'égard des citoyens, devenu des variables d'ajustement du marché. Je suis consterné par le silence et la condescendance des élites intellectuelles à l'égard des foules de prolétaires (qui ne s'autodésignent plus comme ça), de classes moyennes en voie de paupérisation, de chômeurs, précaires, travailleurs intérimaires qui manifestent colère et inquiétude et auxquels le pouvoir ne répond que par la force et l'intimidation. Je suis consterné devant le climat délétère qui règne dans les plus hautes sphères du pouvoir ou des clans affairistes et semi-mafieux sont couverts par le chef de l'État sans que cela ne suscite de scandale. Je suis affligé de voir comme la presse et les médias, à quelques rares exceptions près, sont muselés par le pouvoir politique et financier. Je suis sidéré du comportement de ces anciens socialistes aujourd'hui au gouvernement qui font voter des lois liberticides sans précédent depuis la fin de la guerre d'Algérie. Enfin je suis navré du pitoyable spectacle offert par l'opposition de gauche et par son tropisme suicidaire. 
 Il y a plusieurs mois j'avais brouillonné ces lignes. Elles me paraissent encore d'actualité. Et la crise sanitaire où les premiers de corvée dont on a pu apprécier la nécessité autant que l'abnégation, d'ailleurs misérablement récompensée, alors que les "premiers de cordée" ont fait preuve d'une grande incompétence cependant gratifiée par des promotions (Agnès Buzyn, en est le parfait exemple), cette crise sanitaire n'y a rien changé bien au contraire. Aujourd'hui elle nous musèle un peu plus que ne l'avait fait le projet de loi du 3 octobre 2017 introduisant l'état d'urgence dans le droit commun. Mais ses implications économiques, mettant des millions de gens au rebut, ne seront vraisemblablement pas sans conséquences. Des colères s'additionnent sans rapport entre elles, dont l'agrégat constitue une bombe à retardement. Ils sont de plus en plus nombreux les gens qui bientôt n'auront plus rien à perdre. 
Dans la grisaille automnale des rues d'Amiens où a grandi notre actuel président, (mais Dorgelès y est né, Jules Verne y vécut et y mourut) au pied de cette majestueuse cathédrale à l'intérieur de laquelle pleure un angelot, je songeais à tout cela et aussi au fait que j'aurais bien besoin d'un ange en ce moment, comme celui-ci musicien ou plutôt celui-là, déguisé en libellule, qui m'était un jour apparu dans une rue de Lisbonne. (linked with skywatch friday)  (linked with weekend reflections)
 

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