Voilà,
lu, il y a quelque temps dans le journal "Le Monde", sous la plume de Renaud Machart, un magnifique exemple de diplomatie funèbre (à envisager comme une sous-catégorie de l'éloge funèbre) : "Prompt à mélanger les genres et les fonctions, il écrivait sur ceux dont il dirigeait les enregistrements discographiques (chez harmonia mundi), à qui il confiait ses transcriptions, ou avec qui il donnait sur scènes ses textes en tant que lecteur. Mais ses amitiés n'étaient jamais de complaisance et le liaient durablement aux meilleurs". Une façon de désigner en 340 signes ce qu'on appelle communément un conflit d'intérêt, d'illustrer l'expression "être juge et partie" et et de moralement justifier l'arbitraire par un argument d'autorité, celui de la valeur : je transgresse la morale parce que celui dont je parle est valeureux, et je n'ai que des amis de qualité. Personne jamais ne dira "je l'aide parce qu'il est con, d'ailleurs tous mes potes sont des buses et des crétins notoires".
Le défunt en question publiait aussi des chroniques dans la république des livres de Pierre Assouline. J'en ai lu quelques unes, avec un intérêt souvent mâtiné d'agacement. La plume vive et alerte, le trait souvent saillant laissent rarement la place au doute. On est sommé de comprendre que l'on a à faire à quelqu'un-qui-sait. Par exemple, cet homme qui semblait disposer de nombreuses cordes à son arc, dans une préface d'une pièce de Shakespeare qu'il avait traduite, n'aurait pas hésité, toujours selon Renaud Machart, à brocarder un traducteur, qui selon lui "avait les qualités requises pour traduire Shakespeare ; ne manquait que le talent". À ce propos ce fier trépassé considérait que "Les traductions de Shakespeare sont presque toutes incompréhensibles.
D’une lenteur exaspérante, d’une parfaite inefficacité dramatique.
Shakespeare y a résisté, comme les malades de Molière à leur médecin. Mais ce n’est pas le seul miracle : les comédiens aussi ont survécu à ce
traitement, à ces phrases imprononçables, à ces tirades obscures ; et
ce n’est pas le moins prodigieux… ". C'est faire peu de cas du travail considérable de Jean-Michel Déprats pour les pièces du dramaturge anglais, de celui de Yves Bonnefoy dont la traduction de "Hamlet" est subtile autant que merveilleuse à prononcer, sans parler de ses traductions des "Sonnets".
On nommait cela "se hausser du col", autrefois chez les gens polis. On pourrait aussi bien dire ne pas se moucher du pied, se faire mousser, avoir les chevilles qui enflent. Pour ma part "ne plus se sentir pisser" convient au futile et nonchalant clampin que je suis. Je déteste cette posture d'autorité, cette suffisance bourgeoise. Ce n'est pas contre le savoir que je m'insurge mais contre la posture arrogante de qui est persuadé d'être, du fait de sa culture, plus et mieux que le commun des mortels. Est-ce parce qu'il avait "la grosse tête" que le bonhomme est mort d'une tumeur au cerveau ? En outre, ce monsieur qui se targuait de posséder le sens de la nuance affirmait aussi "aimer Céline". Les gens qui prétendent "aimer Céline" sont, à mon sens, soit d'ignobles cons qui éprouvent une sympathie post mortem pour une infecte raclure, soit des gens qui ne mesurent pas le poids des mots. On touche là aux limites de la métonymie. Voici pourquoi : si pour ma part, j'aime passionnément certains livres de Céline et particulièrement "Voyage au bout de la nuit", (surtout la séquence africaine), ou la trilogie Nord Rigodon D'un château l'autre, je ne peux oublier le répugnant comportement du délateur qui voulait être comme l'a rapporté dès 1938 Hanns Erich Kaminski, dans son pamphlet "Céline en chemise brune," le plus nazi des collabos. L'abjection exsude à chaque page de "Bagatelles pour un massacre", "Les beaux draps" et "L'école des cadavres".
Mais à propos de cadavre, revenons à celui dont il est question.
De son vivant, il avait, dans la petite société des journalistes des musiciens et de l'édition, pignon sur rue et beaucoup d'entregent. Il disposait d'un petit pouvoir d'influence dans l'intelligentsia et pour cela devait être craint respecté ou haï. Au demeurant, sa notice wikipedia atteste du fait qu'il a accompli de nombreuses choses, apparemment fort intéressantes, et vraisemblablement je n'atteindrai jamais le centième de son érudition. Il suffira donc de ne retenir que le meilleur de cet homme suffisant — en tout cas c'est ce que renvoie son écriture — et, paraît-il, coléreux. Sûrement suis-je très injuste avec cet homme que je ne connais pas et qui peut-être avait moins de défauts que de qualités. J'espère que ce que je trouverai l'occasion de lire des choses de lui qui me le rendront plus sympathique. Ce n'est sûrement que mon problème : la fatuité, la morgue, la condescendance des autres me rendent teigneux. Mais peut-être est un trait de caractère difficilement évitable chez les gens sûrs d'eux-mêmes. J'ai vu récemment une interview de Charlize Theron soumise au questionnaire de Proust. A la question "quelle qualité préférez vous chez un homme" elle a répondu "la confiance en soi". J'ai compris pourquoi Charlize et moi on n'a jamais fait affaire ensemble ⸮
Mais vanité que tout cela désormais.
Sinon, le titre de cet article qui est aussi le nom d'une rue, me paraît à propos. Je suppose évidemment que la maîtrise en question doit ou devait être une de ces écoles de chant qu'on appelle aussi psallette (je viens de découvrir ce mot, et cette joie simple éclaire ma journée). Mais l'ambiguïté sied bien au sujet traité : à la fin, la maîtrise s'avère une illusion et finit en impasse, puisque c'est toujours la mort qui gagne.
Quant à la photo elle me plaît car on y voit quelqu'un qui cherche son chemin. Je m'y reconnais : l'impression de n'avoir fait que cela ma vie durant, et peut-être avec cet air débonnaire et un peu ridicule d'un touriste égaré. Je m'en fous.