mercredi 24 février 2021

Mouvant vertige


Voilà,
ouvrant une vieille revue consacrée à Antonin Artaud, que j'ai beaucoup lue autour de mes 17 ans — c'est étrange cette tendance à revisiter les livres de ma jeunesse — je tombe sur cet extrait de "L'Ombilic des Limbes" qui décrit assez précisément l'état dans lequel me met le Covid ces derniers jours,
"Une sensation de brûlure acide dans les membres, 
Les muscles tordus et comme à vif, le sentiment d'être en verre et brisable, une peur, une rétraction devant le mouvement, et le bruit. Un désarroi inconscient de la marche, des gestes, des mouvements. Une volonté perpétuellement tendue pour les gestes les plus simples, 
le renoncement au geste simple,
une fatigue renversante et centrale, une espèce de fatigue aspirante. Les mouvements a recomposer, une espèce de fatigue de mort, de la fatigue d'esprit pour une application de la tension musculaire la plus simple, le geste de prendre, de s'accrocher inconsciemment à quelque chose,
à soutenir par une volonté appliquée.
Une fatigue de commencement du monde, la sensation de son corps à porter, un sentiment de fragilité incroyable, et qui devient une brisante douleur,
un état d'engourdissement douloureux, une espèce d’engourdissement localisé à la peau, qui n’interdit aucun mouvement mais change le sentiment interne d’un membre, et donne à la simple station verticale le prix d’un effort victorieux.
Localisé probablement à la peau, mais senti comme la suppression radicale d’un membre, et ne présentant plus au cerveau que des images de membres filiformes et cotonneux, des images de membres lointains et pas à leur place. Une espèce de rupture intérieure de la correspondance de tous les nerfs.
Un vertige mouvant, une espèce d’éblouissement oblique qui accompagne tout effort, une coagulation de chaleur qui enserre toute l’étendue du crâne ou s'y découpe par morceaux, des plaques de chaleur qui se déplacent.
Une exacerbation douloureuse du crâne, une coupante pression des nerfs, la nuque acharnée à souffrir, des tempes qui se vitrifient ou se marbrent, une tête piétinée de chevaux." 
 
Je n'ai rien à  ajouter. Ce qui épuise c'est la sensation d'aller mieux, puis de retomber encore plus bas, plus profond, d'être aspiré par un gouffre. Et passer de suées en grelottements. tout en étant assailli de pensées sombres, d'images confuses.  La peur parfois d'être à la merci d'une trop forte toux. Je rêve de nature, de campagne, de soleil, de ciel bleu. Il me semble parfois que je ne retrouverai jamais la paix, la sensation de douceur de sérénité. Par chance pour le moment je ne tousse pas trop et je parviens à respirer sans encombre.
Sinon Lawrence Ferlinghetti a rejoint les "pictures ot the gone world". On peut dire qu'il aura fait sa part
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mardi 23 février 2021

Constat


Voilà,
au matin d'une douce journée tu découvres ce surprenant panorama. L'été tire à sa fin. Comment se sont agencées les pensées, tu l'ignores. Sans doute la marche à pied a-t-elle favorisé les libres associations. Bref, tu en es là, à cet instant de ta vie. Tu songes à ce que cela t'a coûté d'efforts durant tant d'années de tenter de surseoir à l'angoisse de vivre. Et soudain tu réalises que désormais c'est celle de mourir qui t'inquiète.
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dimanche 21 février 2021

Déambulation

 
Voilà,
à l'angle de la rue saint Médard et de la rue Mouffetard, dans le cinquième arrondissement de Paris, c'est à dire entre cet endroit qui se trouve dans mon dos, et celui-ci lorsque je remonte la rue, j'ai aperçu cette étrange peinture qui se trouve à l'entrée d'une école je crois. Je ne me souviens pas de mon trajet exact ce jour là. Sans doute suis-je remonté jusque vers l'ancienne Ecole Polytechnique en face du bar "les pipos". Après j'ai du rejoindre la rue des Écoles où se trouve en face de la Sorbonne et du Collège de France la statue de Montaigne, peut-être ai-je ensuite erré du côté de Saint Germain-des-prés, et qui sait ensuite poussé jusque vers les bords de Seine. Je ne me lasse pas du quartier latin et de Saint Germain des prés.
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samedi 20 février 2021

Tisanes onguents et gargarismes


Voilà,
tu te lèves au milieu de la nuit. Fièvre. Tu prends la résolution de laver ton linge. Au cas où. Sait on jamais. Ton cerveau comme une boule de mousse qu'une main hargneuse s'emploierait à lacérer à coups de fourchette. Maladresse. Lessive liquide, tu la renverses. Te reviennent en mémoire les insultes de la Prédatrice lorsque tu étais enfant. Tu en es encore là penses tu. Allez du nerf ! Absolument pas question que cette vieille carne te survive. Programme à 60°. Puis tisanes, onguents, gargarismes. Puis marcher dans l'appartement monter et redescendre l'escalier pour se sentir vivant. Puis au passage un petit coup de Rhum de la Dominique avec du miel dans la tisane de thym. D'ailleurs c'est peut-être elle la correctrice anonyme, celle qui te l'avait ramené lors de ce funeste et lointain décembre. Puis contempler le chaos de cet appartement. toutes les choses en plan. La semaine dernière tu étais bien parti pourtant. Maintenant incapable de lire.  Quelques vidéos. Hier matin, ce documentaire sur le Caravage. Une bonne raison pour aller à Naples, Syracuse, Malte. Mais quand ? Tiens une petite inhalation. Assainir les bronches. Retourner se coucher. Souvenirs. Autrefois tu réalisais des Polareliefs. Tu étais bien plus vigoureux alors. Il y avait encore dans ta vie, place pour la désinvolture.
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jeudi 18 février 2021

Entre paupière et mémoire


Voilà,
guetter les signes de ce qui, selon toute probabilité et au regard de faits indiscutables, doit survenir d’ici peu, mais néanmoins espérer y échapper ou n’en subir que faiblement les embarras. Écouter dans son lit duquel on a du mal à s’extraire un concerto anonyme pour flûte à bec, procrastiner et consentir à la paresse, vice nécessaire dont il n’y a vraiment pas lieu de se culpabiliser et plaisir absolu qui en appelle d’autres. Dehors le ciel grisaille uniformément par-dessus les toits humides alors on s'abandonne à la douillette chaleur du lit. La musique suggère de lointaines et fugitives réminiscences évapanouies dans un battement de cils, visions, sensations à peines perceptibles — oui on a vraiment tous les âges de sa vie — d'anciens paysages émergent entre paupière et mémoire, autres cieux autres rivages, la cabane de bord de plage où l'on ne s'est pas arrêté parce qu'il commençait à faire un peu frais, les souvenirs qui en en appellent d'autres, les occasions manquées, les promenades mélancoliques, la méfiance, les peurs enfouies, les images qu'on ne peut chasser, les coïncidences, l'esprit d'à propos, celui de l'escalier, les petits bruits inquiétants, les gestes embarrassés, les regards embarrassants, les aveux inattendus, les propositions déconcertantes, les voix que l'on croit reconnaître, les refrains idiots, le petit théâtre de la jeunesse, les destins absurdes, les noms sur le bout de la langue, les vaines agitations, les brouillons, les listes forcément incomplètes, les secrets dans des boîtes en fer blanc, les bouts de ficelles, les trombones tordus, les vieux timbres, les articles de journaux jaunis, les équations non résolues, la parenthèse ouverte qui, plutôt que de se refermer finira en points de suspension...
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mardi 16 février 2021

Okay Café


 
Voilà,
en ce moment il ne me reste plus de goût pour grand chose. Écrire m'est trop pénible. Choisir les mots, les tournures de phrases, couper les cheveux en quatre afin de tenter de préciser une pensée, un fait, lui donner une couleur particulière, je n'ai plus la patience, tout ça est bien long à venir et les idées trop rares. Hésiter pendant un certain temps, comme ce fut le cas récemment entre  "Elle tressaille soudain en étouffant un sanglot "ou bien "elle tressaille et ne parvient à retenir ses larmes", à quoi bon ? Et pourquoi fallait-il qu’elle pleure cette conne ? Pourquoi n’aurait-t-elle pas été plutôt saisie par une féroce envie de chier qui l'aurait immédiatement détournée de ce lieu qui la ramenait à ses souvenirs ? 
Mais bon je l'ai déjà évoqué, je m'impose cette discipline comme une gymnastique mentale. Cela donne ainsi à d'autres la possibilité d'exprimer leurs fantasmes de domination. Comme l'intraitable grammairien.ne ou le.la lexicologue obsessionnel.le qui plutôt que de m'envoyer un aimable message pour me signaler une erreur ou suggérer une autre formule va me bombarder de majuscules anonymes. Ça se trouve c'est quelqu'un de très bien, qui manque juste de tact. Pourquoi imaginer un vieux con grincheux et tatillon que la retraite rend maussade ? Et encore tout ça n'est pas bien grave. Il paraît qu'il existe pire ailleurs. Peut-être aurais-je d'ailleurs du apposer au début de ce message un "Trigger Warning" — que les québecois ont astucieusement traduit par le mot-valise "traumavertissement" —, car quand même, j'ai non seulement tenu un propos qui peut paraître sexiste et insultant pour quiconque éprouve de la peine, mais aussi énoncé de peu amènes jugements sur les "seniors" et les "malcomprenants".
Donc, par paresse, je traîne sur mon ordinateur, je retrouve de vieilles photos. Celle-ci date de fin Octobre 2011, prise depuis une péniche lors d'une excursion sur le canal de l'Ourcq avec ma fille. A cette époque je n'avais pas trop de problèmes d'argent. Je n'en étais pas pour autant insouciant. Mais je prenais encore d'aimables clichés de la vie parisienne. Même ça désormais ne me divertit plus. toutefois j'éprouve encore du plaisir à redécouvrir des images autrefois négligées et auxquelles finalement je trouve un certain charme.
Sinon, hier j'ai acheté du mimosa qui embaume la maison. Quoi d'autre ? j'ai aussi envie de rencontrer des inconnus. Et pourquoi pas un mécène ou un bienfaiteur. On peut rêver, non?
 

dimanche 14 février 2021

Couleurs chaudes par temps froid

 
Voilà,
non loin de chez moi, se trouve un restaurant qui organise aussi des cours de salsa dans la journée. Je n'y suis jamais entré, ni pour manger, ni pour danser, sans doute à cause de ces rabatteurs qui le soir sur le Boulevard Edgar Quinet encouragent le passant à s'y rendre, en précisant pour l'appâter qu'on y rencontre de très belles filles. J'ai toujours pensé que la Pachanga était une boîte un peu louche, un attrape nigaud, mais en regardant le site je me dis qu'à la réflexion cela n'est peut-être pas le cas. Je suis passé en début d'après-midi, dans cette rue Vandamme que je n'emprunte pas souvent car je n'avais jamais prêté attention à cette peinture murale aux couleurs chaudes qui se trouve à l'entrée dudit club-restaurant bien évidemment fermé depuis des mois en raison de l'épidémie de Covid. (Linked with Monday murals)

samedi 13 février 2021

En cherchant un livre


Voilà,
Chick Corea, Louis Pons, Jean-Claude Carrière... ces derniers temps des artistes, qui ont stimulé mon univers sensible et intellectuel, qui m’ont aidé à penser, ont accompagné des périodes de création, ou m’ont simplement offert des moments de plaisir, ont quitté cette réalité. Ils furent les compagnons du jeune adulte en formation que les années passées depuis m'ont rendu de plus en plus incertain — je parle de celui qui s’efforçait de se frayer un chemin dans un monde hostile, incompréhensible bien souvent énigmatique. Leur disparition me rappelle à quel point leur œuvre fut autrefois précieuse. Je n’imaginais pas vieillir à l’époque, je ne songeais pas que cela fût même possible. Il m’arrivait parfois, en de très rares moments de me projeter dans cette vague et abstraite hypothèse, mais sans être en mesure d’en imaginer la condition ni l’état. Je connaissais peu de vieux et n’avais aucune empathie particulière pour ceux que je croisais. Je ne voulais surtout pas leur ressembler. D’ailleurs je faisais commencer la vieillesse bien plus tôt que je ne le fais maintenant. J’éprouvais pourtant une admiration sans borne pour Henri Michaux — déjà bien âgé —, mais s’il me semblait le comprendre à l’aune de nos expériences communes, (les drogues et l'hypocondrie), j’étais incapable de vraiment le ressentir aussi intensément que je le supposais. Pourtant je m’en sors pas mal. Je fais encore illusion. Les fées Kératine et Mélamine se sont penchées sur mon berceau. Ce sont bien les seules d’ailleurs...  On me croit plus jeune que je ne le suis à cause de mes cheveux noirs. Peut-être le suis-je vraiment d'ailleurs. Après tout n'ai-je pas perdu ma dernière dent de lait à 64 ans ? Cette apparente jeunesse me permet d'entendre des gens de mon âge ou parfois même ne l'ayant pas encore atteint, pérorer du haut de leur "expérience" et même m'expliquer la vie. Prenant l'air un peu con, non sans une certaine jubilation, je les écoute dispenser leurs théories souvent vaseuses et leurs prétentieuses considérations. Quand je suis très lassé de ces conneries, il m'arrive parfois d'avoir envie de leur balancer qu'à cinq ans je savais déjà à quoi ressemble un type égorgé et les tripes à l'air qui gît dans un fossé et quelques autres détails mais à quoi bon. Où je m'aperçois que j'ai franchement pris un coup de vieux dans la tête, c'est que les gens me fatiguent avec leurs histoires. J'ai déjà tant de mal à me rappeler des miennes...
Sur la photo du haut, il manque un élément. Le livre de Louis Pons consacré au dessin. Un ensemble de notes et d'aphorismes, sur lequel je n'arrive pas à remettre la main. Rien ne m'agace tant que ce genre de situation. En le cherchant — sans succès donc —, je suis tombé sur d'autres documents. En particulier un petit carnet où la mère de ma fille a noté toutes les choses horribles que j'ai pu dire pendant sa grossesse, tant j'étais paniqué. J'ai éprouvé non seulement une immense honte, mais un terrible chagrin et le remords de lui avoir infligé ça, elle qui est une bonne et très courageuse personne. Il lui en fallu de la force pour résister. Même si je n'ai pas été pris par surprise et que j'ai acquiescé à son désir d'enfant, l'attente de celui-ci a été pour moi une source d'angoisse terrible, que j'ai extériorisée, sans discernement. Je m'en suis voulu par la suite de n'avoir pas été capable de manifester de l'amour pour l'être-à- venir, et d'avoir tant récriminé sans soutenir celle qui le portait. C'est sûr que j'ai irrémédiablement déchu à ses yeux. Dans ces circonstances les femmes préfèrent un mâle protecteur, même quand elles on demandé à un vieil enfant de les féconder. Je ne suis devenu père que lorsque j'ai tenu ma fille dans mes bras. C'est comme ça. La première fois, je lui ai tout dit, tout raconté du difficile chemin qui m'a conduit vers elle, je lui ai dit que je l'aimerai toujours et promis que je serai là pour l'aider. Sans doute était-ce un peu prétentieux, puisque désormais je ne lui suis d'aucune utilité en maths en physique en chimie en biologie, mais elle s'en sort très bien sans moi.
J'ai aussi retrouvé des pages que j'avais écrites pour et par elle, alors qu'elle n'avait que huit mois. Elles sont justes. Elles sont belles. Ça a atténué l'état dans lequel je me trouvais. En fouillant par-ci par là à la recherche de ce satané bouquin, je suis tombé sur ces graffiti dont je ne me souvenais plus. Impossible de savoir de quand ils datent exactement. Les années quatre-vingt sans doute. J'ai toujours eu besoin de laisser sortir mes monstres. Ceux que j'appelle mes clandestins.

 

jeudi 11 février 2021

Joggeuse


 
Voilà,
il songeait que le capital va toujours où il fait un maximum de profit, c’est-à-dire où les frais de production sont les plus bas. De là à en conclure que le principe de la maximisation du profit agit comme un principe meurtrier, il n'y avait qu'un pas. Et puis dans le jardin du Luxembourg dépeuplé, il pensa aussi que ces derniers mois, avec cette épidémie, entre le moment où une décision de confinement est prise, et son effet, il se passe bien trois semaines. Et que durant ces trois semaines, — à moins d'être directement concernés par la maladie, eux ou leur entourageles gens, pour la plupart,  sont impatients et ne comprennent pas le sens des sacrifices auxquels ils doivent déjà consentir ni pourquoi on leur en impose d'autres. Évidemment les médecins et les personnels soignants n'évaluent pas la situation pareillement, eux qui sont en prise directe avec les incidences du virus sur le fonctionnement des hôpitaux. C'est alors qu'il réalisa que comme en matière d’écologie le temps de latence est de trente à cinquante ans, on ne s'en sortirait pas puisque les décisions que devraient prendre aujourd’hui les gouvernants n’auront d’effet que lorsqu'ils ne seront plus de ce monde. D'ailleurs c’est pour cela qu’elles n’ont jamais été prises par le passé. Il faudrait que la catastrophe soit évidente. Peut-être d'ailleurs l'est-elle déjà sans que nous nous en rendions compte. Ou peut-être sommes nous dans le déni. Personne ne se fait à l’idée que ça peut changer, que ça va changer. En fait on voudrait que les efforts soient pour les autres. La solidarité d’accord mais à condition que ça ne coûte pas. Apercevant la joggeuse qui venait à sa rencontre, il réalisa qu'il l'avait déjà croisée quelques minutes auparavant. Elle courait vraiment vite. C'est sans doute à ce moment là qu'une idée folle commença à germer dans le cerveau de Léonardo Vaccarèse.

mardi 9 février 2021

Nuit, La Défense

 
Voilà,
"Pourquoi la forme est-elle belle ? Parce que, je crois, elle nous aide à contrer notre pire crainte, celle que la vie pourrait n’être que chaos, et que donc notre souffrance ne veuille rien dire." La formule de Robert Adams est touchante, parce que naïve, car oui la vie est un chaos où, quoi qu'on fasse notre souffrance est dépourvue de sens. So what ? Nous ne pouvons y faire grand chose. Cette pensée rappelle celle d'un personnage de Dostoïevski, "la beauté sauvera le monde". Je n'en crois rien bien sûr. D'ailleurs n'a-t-on pas trouvé de la beauté dans la plus effroyable catastrophe que l'homme ait engendré et trop souvent reproduite. 
Une image n'est qu'une image, elle permet de faire écho à la réalité, mais aussi de la transformer parfois. Il peut arriver que notre regard atténue l'emprise de ce monde trivial et y trouve matière à poésie. L'image agit alors telle un charme, comme on nommait au moyen-âge l'enchantement produit par la magie ou par le sort dans le but d'apaiser la douleur. Rien de plus. Et cela ne dure jamais longtemps.

dimanche 7 février 2021

L'Arbre bleu


Voilà,
sur le billet précédent j'évoquais quelques souvenirs liés à la petite place située en face de l'ancienne École Polytechnique. Si on longe celle-ci, on remonte la rue Descartes qui croise la rue Clovis et se continue jusqu'à la place de la Contrescarpe. Puis dans le prolongement, c'est la rue Mouffetard qui redescend vers Censier Daubenton. Juste après le croisement de la rue Clovis, au 46 rue Descartes on peut apercevoir cette fresque, intitulée "L'arbre bleu" réalisée en 2000 par Pierre Alechinsky qui fut notamment l’un des membres influents du groupe COBRA (1949-1951) fondé par les poètes Christian Dotremont et Joseph Noiret, les peintres Karel Appel, Constant, Corneille et Asger Jorn. l'une des marques distinctives d'Alechinsky est d'entourer son motif central de cases, vignettes inspirées des prédelles des retables médiévaux. A droite de cette fresque, un poème d'Yves Bonnefoy intitulé "L'arbre des rues"

Passant,
regarde ce grand arbre
et à travers lui
il peut suffire.

Car même déchiré, souillé,
l'arbre des rues,
c'est toute la nature,
tout le ciel,
l'oiseau s'y pose,
le vent y bouge, le soleil
y dit le même espoir malgré
la mort.

Philosophe,
as-tu chance d'avoir l'arbre
dans ta rue,
tes pensées seront moins ardues,
tes yeux plus libres,
tes mains plus désireuses
de moins de nuit.
 
Quelques mètres plus bas, on peut apercevoir le café "Le Bateau ivre", titre d'un des plus célèbres poèmes de Rimbaud, (auquel soit-dit en passant Yves Bonnefoy a autrefois consacré une monographie) où se donnaient dans ma jeunesse des lectures littéraires. Des artistes débutants s'y produisaient aussi avec leur guitare. Je n'ai jamais osé y rentrer. Non loin, sur l'autre trottoir, au 37 se dresse un immeuble qui abrita autrefois le poète Paul Verlaine.  

 
 
Ainsi, par la grâce du petit commerce, les deux poètes qu'une liaison orageuse réunit autrefois se voient de nouveau associés. A ce sujet, il fut, par l'entremise d'une lettre signée par de nombreux abrutis, proposé il y a quelques mois que tous deux soient rapatriés au Panthéon dont le frontispice s'orne de la devise "Aux grands hommes la patrie reconnaissante", au prétexte que "le fait de faire entrer ces deux poètes qui étaient amants, oui, ensemble, au Panthéon aurait une portée qui n'est pas seulement historique ou littéraire, mais profondément actuelle". Notre actuel ministre de la culture s'est enthousiasmée pour cette proposition débile, de même que quelques intellectuels désireux de faire le buzz. Une telle ineptie, a de quoi atterrer car elle témoigne d'une volonté de refaire l'histoire au profit d'une cause par ailleurs tout à fait respectable. Mais l'idée de séquestrer au Panthéon ce "voyou" que fut le jeune Rimbaud, qui railla avec génie le "patrouillotisme" français, fit l'Eloge de la Commune, et manifesta souvent une ironie cruelle à l'égard des grands hommes de son temps, cette idée on se demande comment elle a pu germer tant elle semble absurde. Un excellent article du journal "Marianne", recense d'ailleurs tous les arguments contre cette proposition à laquelle il n'a heureusement pas été donné suite. 
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 & Mersad's Through my lens

vendredi 5 février 2021

Le Bar des Pipos


Voilà,
j'ai pris cette photo il y a fort longtemps, en 1998, je crois. Mais Le Bar des Pipos, existe toujours. Les "Pipos" c'est ainsi qu'on appelait les polytechniciens qui étudiaient juste en face lorsque l'École Polytechnique, dont on peut apercevoir l'entrée principale reflétée sur la vitre du bar,  se trouvait encore rue de la Montagne Sainte Geneviève. Ce fut mon quartier entre 1970 et 1975. Toute ma découverte de Paris s'est faite à partir de cet endroit, de cette petite place. Si l'on remonte par la gauche, la rue de la Montagne sainte Geneviève continue vers l'église. La petite échoppe qui fut autrefois une librairie papeterie où l'on vendait des journaux, puis ensuite une librairie, puis un restaurant corse, a été récupérée par le restaurant "L'écurie" une vieille institution du quartier qui faisait l'angle de la rue de la Montagne Sainte Geneviève et de la Rue Laplace. Un peu plus haut sur la gauche juste avant l'église, perpendiculaire, se trouve la rue Saint-Etienne-du-Mont rejoignant la rue Descartes et qui m'a toujours ému, parce qu'elle est inchangée depuis deux siècles. Les soirs d'hiver, avec la neige, elle m'évoquait des illustrations de calendrier de l'Avent.
J'espère qu'au printemps il sera de nouveau possible d'aller boire des coups à la terrasse des Pipos. Si je me souviens bien, ils ont un très bon Saint-Joseph là-bas. Rien n'a changé, le comptoir est un bon vieux zinc. Je ne suis pas un acharné des cafés parisiens mais là j'ai envie d'y retourner. La petite épicerie que l'on aperçoit était autrefois asiatique. C'est là que j'ai pour la première fois goûté des boules de cocos et des pâtisseries vietnamiennes à la pâte de soja. La rue que l'on voit se prolonger mène tout droit vers le Collège de France. Elle passe devant le restaurant "le coupe-chou" qui me faisait rêver lorsque j'avais quinze ans. Plus tard, j'y ai mangé car un des comédiens de la troupe de Didier Flamand qui s'appelait Francis Lemonnier, en était propriétaire. C'est là que nous faisons nos repas de premières et de dernières. 
Je me demande si je ne suis pas en train d'éprouver cette sorte de nostalgie dépourvue de regret que les japonais appellent Natsukashii 

jeudi 4 février 2021

Déplorations


Voilà,
Je déplore ne pas me trouver en ce moment à cet endroit, je veux dire non loin de la mer
 
Je déplore le fait que l’un des plus beaux disques jamais édités porte un nom aussi con et une couverture aussi peu en accord avec la musique qui y est gravée. Je veux parler d’atomic basie bien sûr.

Je déplore qu’en entendant aujourd’hui l’album « songs of Leonard Cohen » mon incapacité à l’écouter sans être hanté par le jeune homme que j’étais alors et accablé par le constat que ma vie n’a pas ressemblé à ce que je rêvais d’en faire.

Je déplore cet embarras dans lequel au moment d’un départ ou d’une arrivée, nous mettent les gestes barrière qui, depuis quelques mois nous privent du témoignage de la joie ou de la gratitude

Je déplore apercevoir autant de masques usagés jetés n'importe comment dans la nature 
 
je déplore le fait que les gens qui gueulent parce que les bars sont fermés ne gueulaient pas aussi fort quand on a fermé les lits d'hôpitaux, qu'on a réduit les budgets pour la recherche ou pour l'enseignement.
 
je déplore devoir  parfois me heurter à l'incommensurable bêtise et l'acrimonie des "imbéciles heureux fiers d'être nés quelque part", qui revendiquent leur terroir comme un étendard, et qui, pour peu qu'on écrive de Paris, vous assignent à ce lieu, vous reprochant soudain d'être de la capitale avec tous les clichés s'y afférant
 
je déplore avoir quelquefois la faiblesse d'accorder du temps à des gens qui n'en valent pas la peine et qui par conséquent me le font perdre

je déplore  constater que le proverbe "si jeunesse savait et si vieillesse pouvait" s'avère aussi juste
 
je déplore  ne pas savoir jouer du piano ou de la guitare
 
je déplore être aussi fauché en période de crise
 
mais heureusement je trouve qu'il y a encore bien des motifs de se marrer 
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