dimanche 29 décembre 2019

Tenir à distance


Voilà,
parfois au spectacle de tous ces gens qui prennent des photos et auxquels, contre mon gré, je ressemble inévitablement, il m'arrive d'être pris de découragement. Je sais que je fais cela, non pour capter le réel, mais plutôt pour le tenir à distance. Souvent ce n'est pas un lieu, une personne ou une situation que je saisis, mais une idée qui me passe par la tête. Combien parmi les gens qui photographient le font-ils aussi, pour donner une forme à leur inquiétude ? 
"En moyenne, chaque jour, plus de 55 millions de photos sont publiées sur Instagram et 350 millions sur Facebook." (Linked with the weekeknd in black and white)

mardi 24 décembre 2019

Les cent ans de Pierre Soulages




Voilà,
Aujourd'hui le peintre Pierre Soulages a cent ans, je me permets ce modeste hommage à ma façon 
avec ces trois gros plans d'une bâche en plastique noir, aperçue par un matin humide, un été, quelque part en Aveyron

jeudi 19 décembre 2019

Sapin de Notre-Dame


Voilà,
je me suis souvenu de ce grand arbre de Noël devant Notre-Dame que j'avais photographié il y a quelques années. Le cherchant dans mes dossiers je ne pensais pas devoir remonter si loin. C'était donc Noël 2014. Aujourd'hui, en raison des travaux, le parvis n'est plus accessible et pour la première fois depuis longtemps, il n'y aura pas de messe de Minuit, là-bas. Voilà une chose que je n'aurais pas faite dans ma vie. Assister à une messe de minuit à Notre-Dame. C'est une lubie que j'ai quelquefois eue. Mais bon, après tout je suis un affreux mécréant, et si j'ai ce fantasme, c'est sans doute quelque chose qui vient de l'enfance, des calendriers de l'avent où l'on voit des petites églises mignonnettes avec de bon chrétiens qui s'y rendent. Ça doit être l'esprit de Noël. Quoiqu'il en soit, je réécoute comme d'habitude à cette époque les mêmes disques, je me prête aux mêmes rituels, et c'est avec allégresse et sans aucune honte que je régresse. De toute façon je m'en fiche puisque personne ne me regarde. Sinon à part cela, il fait un temps anormalement doux sur Paris, bien que le climat social soit très frais.

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dimanche 15 décembre 2019

Dans la forêt des songes

  
Voilà,
peu de mots et une image à la fois simple et fulgurante où il est question de fièvre apaisée. Tu n'oses y croire. Cela te déconcerte. Pourtant tu voudrais à jamais demeurer à cet endroit où quelqu'un t'imagine à ton grand étonnement. Et tu te prends à rêver d'un monde d'enfance et d'apparitions, de fées et de lutins où les corps se transforment au gré des âmes, ces papillons qui butinent à tous les âges de la vie. Un monde où ces mots te feraient sur-le-champ coupeur de feu, magnétiseur, rebouteux, donnant un sens à tout ce qui te traverse, ou bien te changeraient en parfum en musique en un léger souffle d'air, en embrun en caresse en lumière, en cette pierre bleue roulée qui porte son nom et dit-on, chasse les craintes rassure donne courage et attire la chance.
Et tu te souviens qu'en japonais Musubi est le mot qui désigne le lien émotionnel et invisible qui relie deux personnes
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jeudi 12 décembre 2019

Comme la drogue qui me répugne

 

Voilà,
"Écrire c’est comme la drogue qui me répugne et que je prends quand même, le vice que je méprise et dans lequel je vis. Il est des poisons nécessaires, et il en est de fort subtils, composés des ingrédients de l’âme, herbes cueillies dans les ruines cachées de nos rêves, coquelicots noirs trouvés sur le tombeau de nos projets, longues feuilles d’arbres obscènes, agitant leurs branches sur les rives sonores des eaux infernales de l’âme.
Écrire, oui, c’est me perdre, mais tout le monde se perd, car vivre c’est se perdre. Et pourtant je me perds sans joie, non pas comme le fleuve qui se perd à son embouchure – son seul but, depuis sa source anonyme –, mais comme la flaque laissée dans le sable par la marée haute, et dont l’eau lentement absorbée ne retournera jamais à la mer." Pessoa in Le Livre de l'Intranquillité
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mardi 10 décembre 2019

Inventaire de quelques menues perplexités


Voilà,
Je ne sais pas pourquoi j'ai une passion pour les housses de couette et les parures de lit, et je dois me réfréner car j'ai souvent la tentation d'en acheter alors que je n'ai ni un grand appartement ni beaucoup d'argent
Je ne sais pas pourquoi la mélancolie me saisit quand j'entends des airs de variétés que je trouvais autrefois complètement nuls, ou bien de vieilles chansons indochinoises qu'on diffuse parfois dans les restaurants vietnamiens de province.
Je ne sais pas pourquoi l'humanité met une telle frénésie à détruire son environnement et son espace vital alors qu'elle sait très bien que c'est un suicide collectif
Je ne sais pas pourquoi je continue à m'exprimer sur ce blog et d'en être l'esclave alors que je n'ai plus beaucoup d'inspiration, et qu' il suffirait simplement de publier des photos et hop le tour serait joué
Je ne sais pas pourquoi les noms des instituteurs de l'école primaire de Biscarrosse-Bourg me restent en mémoire : il y avait Mr Sajou qui s'occupait de CE2, Mr Robert le directeur, Mr Peyreigne qui s'occupait des CM1 et Monsieur Despons qui avait en charge les CM2 enfin en tout cas durant les deux années que j'ai passées  dans ce groupe scolaire
Je ne sais pas pourquoi les journalistes de vulgarisation scientifique se mettent à fantasmer sur une certaine super planète possiblement habitable dans un système solaire situé à 31 années-lumière de la terre, alors que la probabilité de s'y rendre est absolument nulle au regard de nos connaissances et de notre technologie.
Je ne sais pas pourquoi, à mon âge encore, je suis aussi déçu et même très triste lorsque les All Blacks perdent un match 
Je ne sais pas pourquoi, j'ai soudain été saisi par cette tête déformée à travers les verres d'un bar où se rendent forcément de nombreux photographes
Je ne sais pas pourquoi, je suis incapable de me concentrer sur des tâches de bricolage domestiques alors que j'ai désormais plus de temps libre qu'auparavant.
Je ne sais pas pourquoi je repense à ce fait divers survenu en Décembre 2010 : lors d'une dispute sur l'existence de Dieu entre quatre russes ivres après avoir bu un litre d'alcool pur, l'affaire a tourné au pugilat et s'est soldée par la mort de deux d'entre eux
Je ne sais pas pourquoi je songe soudain à l'entrée de cette maison que j'ai autrefois photographiée. Peut-être parce que je réalise que c'est là que j'ai pour la première fois cueilli du basilic et que son odeur me ramène toujours à cet endroit.
Je ne sais pas pourquoi il m'arrive parfois d'éprouver de la honte pour des connards dont je n'ai rien à foutre Il y a, d'ailleurs un mot en finnois pour désigner cet état Myötähäpeä (qui se prononce "meuhtaapear")) : par exemple la gêne ressentie (redoublée par l'odeur nauséabonde que ce grand fumeur exhalait)  devant l'auteur médiocre qui, en présence d'un parterre d'étudiants, évoquait "son œuvre", définissait son travail "à la fois symbolique et philosophique", et retraçait son parcours en filant des métaphores toutes plus convenues les unes que les autres. Va te branler pauvre naze. 
Je ne sais pas pourquoi mais lorsque l'urologue m'a demandé combien de temps s'écoulait entre la dernière et l'avant dernière goutte, je me suis senti pris de court et j'ai songé à toutes les choses intéressantes que j'aurais pu faire dans ma vie et que je n'ai pas réalisées.
Je ne sais pas pourquoi je parle si souvent du non sens, et de l'absurdité de la vie alors que je suis persuadé que seul importe l'amour que l'on peut partager (mais c'est peut-être cela qui est absurde)
Je ne sais pas pourquoi mais un jour, entendant par hasard à la radio un morceau du groupe Blitzen Trapper intitulé "destroyer of the void", j'ai cru pendant quelques secondes que je devenais fou. Peut-être parce que cela ressemblait en même temps à trop de morceaux et de groupes des années soixante dix, (Queen, Bowie, Yes). Quoi qu'il en soit, depuis je n'ai jamais osé le réentendre
Je ne sais pas pourquoi mais il m'arrive de m'éloigner du monde, et de penser que je devrais seulement désormais me préoccuper du chemin qui me conduit à ma disparition, à mon effacement, à ma mort que j'espère paisible, bien que les tumultes du monde ne rendent guère cela probable. 
Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai tendance à me méfier d'un philosophe qui déclare tout de go "mon rapport aux chansons est tout à fait distant".
Je ne sais pas pourquoi me revient assez souvent en mémoire l'image de ce musicien de jazz vu dans un petit club parisien, et dont je ne me rappelle pas le nom, mais qui lors de ce concert ne semblait pas être tout à fait là, ou là simplement par intermittence, quand il jouait de son saxo. Lorsqu'il laissait la place à ses partenaires il se retirait vers le fond du plateau. Par moment il était dans la musique, à d'autres il n'y était plus. Quelque chose paraissait l'entraîner loin dans ses pensées. Je m'interrogeais. Était il amer ? Avait-il l'impression de ne pas avoir la reconnaissance qu'il méritait ? Plus tard, il avait introduit un morceau en le dédiant à sa femme morte, et je n'avais pas pu m'empêcher de faire un lien entre ceci et cela.
Je ne sais pas pourquoi mais je trouve extraordinaire que des gens puissent se passioner pour les fourmis au point d'en faire leur métier, qui a nom très rigolo d'ailleurs. Bonjour je suis mimicologue.
Je ne sais pas pourquoi cette phrase extraite que Maupassant fait dire à un personnage d'une de ses nouvelles, me réjouit autant  "je crois bien que j'ai gagné la même maladie que Monsieur. C'est mes nuits qui perdent mes jours"
Je ne sais pas pourquoi je consigne cet inventaire ni pourquoi je l'achève ici. C'est un peu comme les collections ou la thèse de M.A. Il est toujours possible d'y ajouter quelque chose.
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mercredi 4 décembre 2019

Mono no aware


Voilà, 
il existe une expression japonaise —en fait, un concept théorisé au XVIIème siècle par le penseur Motoori Norinaga — "mono no aware" pour désigner la beauté mélancolique qui se manifeste dans toute chose du monde lié à la conscience que tout est transitoire et éphémère. Je ressens parfois cela. Et particulièrement quand je reviens place Furstemberg, et en particulier au 4 devant la vitrine de ce cabinet de curiosités que j'ai toujours connu et dont le charme toujours renouvelé me saisit à chaque fois. Car l'exposition de ces objets disparates surgis de passés et d'horizons divers, et subtilement assemblés, renvoie à des chagrins d'enfance éprouvés lorsque par exemple, à la beauté d'un paysage, s'opposait la bêtise abrupte de ceux qui m'avaient mis au monde. 
Puisque j'avais été engendré, pensais-je alors, par des individus capables de proférer tant d'horreurs, et de se vanter de celles qu'ils avaient autrefois commises, je ne pourrais donc jamais avoir accès à toutes les splendeurs offertes par la nature auxquelles ne semblaient pas être sensibles ceux qui, rêvant pour moi d'un destin semblable au leur, prétendaient m'élever quand en fait ils ne s'employaient qu'à m'abaisser.  Il me fallait chaque jour subir l'antienne de la rancœur et de leur désir de soumettre non seulement tous ceux qui ne leur ressemblaient pas : les "péquins", les civils, et par extension les "nègres", les "bougnoules" les "niakoués", sans oublier les communistes  et les intellectuels, mais encore tout ce qu'ils n'étaient pas en mesure de comprendre. Oui, j'ai longtemps grandi là-dedans. Dans ce microcosme où la beauté est une offense, parce qu'elle relève du sensible et que se laisser captiver par la beauté apparaît comme un signe de faiblesse. Quiconque en est pourvoyeur, trouble l'ordre et fait acte de résistance voire de sédition.

Plus tard, il m'arriva d'être recueilli par des personnes qui avaient du goût pour les choses autant que pour les êtres, et qui étaient dénués de l'arrogance ou de la condescendance qui caractérisent souvent les riches. Ils furent les premiers à me parler, non comme à un inférieur hiérarchique, mais comme à un de leurs semblables.  Ils m'apprirent à considérer le monde autrement qu'on me l'avait appris. Mais il est de secrètes hontes qui ne vous lâchent pas — des livres ont été écrits là-dessus — celles par exemple qui ont trait au manque de discernement, qui trahit les origines. Comme lorsqu'on se retrouve au restaurant et qu'on le ne comprend pas pourquoi tant de verres ni à quoi peuvent servir tous ces couverts. Encore aujourd'hui, j'ai cette crainte que l'emprise subie durant les premières années ne se soit pas totalement relâchée. Dans ces vitrines se trouve quelque chose d'inaccessible. Je ne parle pas de la possibilité ou non d'acquérir un de ces objets, non, ce n'est pas de ça dont il s'agit, ce qui est inaccessible c'est la familiarité avec ces objets. Les toucher me semble impossible. Peur de les salir, de les abîmer. Dans la vitrine, ils perdent de leur réalité en se fondant dans le reflet de la vitre qui les protège. En fait c'est moins eux que je photographie, que l'illusion qu'ils représentent. Et peut-être même est-ce l'adolescent qui, déjà fasciné, traînait autrefois dans les parages, qui incite aujourd'hui l’adulte qu’il est devenu à appuyer sur le déclencheur, pendant qu'il songe en ce lieu pérenne à quelques virtualités inabouties.  
Tiens, j'y pense à présent, un de ces jours, je publierai le récit de ma première rencontre à 17 ans avec l'Auteur Dramatique de Renom, mais aussi à l'époque, un des cadres dirigeants de la filiale française d'une grande entreprise américaine. (Linked with weekend reflection)

dimanche 1 décembre 2019

Cité Véron


Voilà,
j'ai pris ces deux photos le 26 Novembre en sortant de la salle de spectacle "Théâtre ouvert", cité Véron, une impasse située à proximité du Moulin-Rouge, au fond de laquelle se trouve aussi l'appartement où résidait Boris Vian. Théâtre ouvert est un lieu dédié aux écritures théâtrales contemporaines que je connais depuis longtemps. Il a été fondé en 1971 par Lucien et Micheline Attoun, qui étaient là hier soir, bien que cela fait de nombreuses années qu'ils n'en assurent plus la direction. Je me souviens m'y être souvent rendu dans les années 80. C'était un lieu d'effervescence où l'on pouvait croiser des auteurs de théâtre vivants. En 1988, alors que le théâtre était menacé d'asphyxie budgétaire j'avais participé à un événement intitulé le marathon des auteurs. Ceux-ci écrivaient en se relayant pour occuper le lieu vingt quatre heures sur vingt quatre et des acteurs dont je faisais partie lisaient les textes fraîchement rédigés. C'est là que j'ai fait la connaissance de Jean-Paul Wenzel, et aussi de Jasmina Merelles qui est depuis retourné vivre au Brésil. D'ici peu, ces deux salles seront récupérées par la boîte de nuit attenante au Moulin Rouge qui en détient le bail et Théâtre ouvert devra déménager.
L'autre soir, avant la lecture du texte de Guillermo Pisani, intitulé "Je suis perdu", j'ai croisé Danielle G. que j'ai toujours plus ou moins connue depuis que je suis dans ce milieu. Elle s'est cassé le poignet en tombant, et m'a fait l'inventaire de toutes ses chutes au cours de ces derniers mois puis a fini par me dire combien vieillir lui devenait insupportable. Heureusement j'ai aussi croisé Lila K, à l'autre extrêmité du spectre, une étudiante que j'avais aidé à travailler il y a quelques années qui doit avoir un peu plus de vingt ans. J'étais flatté qu'elle me reconnaisse et vienne vers moi. Enthousiaste, elle a plein de projets, d'envies et passer un petit moment avec elle et boire un verre en sa compagnie, fut assez réconfortant. Je l'ai laissée assister à la lecture suivante qui ne m'intéressait pas, et en sortant j'ai pris ces deux photos, en me disant que peut-être je ne reviendrai pas de sitôt ici...
j'aime particulièrement le graphisme de cette silhouette dessinée sur le mur face à l'entrée de la salle.
(Linked with Colourfulworld)

dimanche 24 novembre 2019

Petite ceinture


Voilà,
cette photo je la prends en fin d'après midi un jour du mois dernier où je me baguenaude du côté du quinzième arrondissement sur le site de l'ancienne petite ceinture dont certains tronçons ont été réaménagés en promenade pédestre. Ce jour là, je me suis presque obligé à sortir. "Faut marcher" a dit le docteur, "faire de l'exercice". Moi j'ai plutôt tendance à beckettiser dans mon lit, à me lever tard. Quand il faut bosser je n'ai pas envie d'y aller. J'ai le moral en berne sans trop savoir pourquoi. Mais comme il soleille dehors  et que l'été s'attarde, je me dis pourquoi pas, des idées viendront peut-être en marchant. Mais d'idées, point. Des sensations, des souvenirs plutôt. Mon esprit va à hue et à dia à sauts et à gambades comme disait si joliment Montaigne. Oh il ne va pas bien loin, mon esprit, il musarde dans de modestes regrets, comme de n'avoir jamais pris le petit train d'Auteuil (malgré Verlaine, "Âme, te souvient-il, au fond du paradis / De  la gare d'Auteuil et des trains de jadis", ou de ne m'être jamais permis de franchir l'entrée des entrepôts de Bercy lorsque l'activité y battait encore son plein. 
Et puis je ne sais plus comment j'en viens à songer à ce drôle de monde où de lointains inconnus dont j'ignore le timbre de la voix la démarche la façon de s'habiller sont insidieusement devenus proches. Je pense à cette femme sans apparence plus précisément aux trois lettres de son nom qui la désignaient comme la compagne de l'homme que je ne connais pas mais dont régulièrement je prends depuis des années des nouvelles en consultant son blog, depuis qu'un jour je suis tombé sous le charme de sa production photographique. Ils avaient pourtant eu l'air de bien s'entendre. Je les avais enviés de pouvoir se balader en scooter de nuit dans les rues de cette ville de Floride. Sa vie, ses remarques, son journal de bord m'étaient devenus familiers, et j'avais éprouvé de la peine pour lui à la lecture de cette nouvelle : les trois lettres avaient un jour quitté sa maison. De nouveau il se retrouvait seul. Et puis pendant plusieurs mois, il a disparu des écrans. Un jour il a recommencé à donner de ses nouvelles. II avait eu un très grave accident, et il s'en était fallu de peu pour qu'il mourût. Il avait du traverser les épreuves de l'hospitalisation, mais les trois lettres étaient de nouveau à ses côtés. De nouveau je regarde ses mots ses images. Je l'imagine. Je le suppose. Je l'invente à partir de ses informations qu'il me donne de lui. Il devient une sorte de personnage. Comme nombre de blogueurs qui suscitent mon attention et ma curiosité. 
Et puis je vois ce mur peint je pense à Sami du côté de Perth et à Gracie aussi dans la même ville. Ensuite quatre autres lettres sur un autre blog où dans les chatoyantes couleurs de l'été du noir se broie. Souvent bien des fantômes rôdent parmi les paysages et les souvenirs mêlés qui se donnent à lire. Et puis il y a les poèmes et les histoires en langue espagnole quelque part collectés et partagés depuis un īle des Baléares. En marchant je songe au plaisir enfantin de découvrir ces trésors qui sont comme les pochettes-surprise de l'enfance, ou le cadeau qu'on trouvait autrefois dans les boîtes de lessive Bonux. Tout en réalisant qu'un jour Bonux ne signifiera plus rien pour personne, je me demande comment vit celle qui les traduit en français pour ses lecteurs. Quel est le grain de sa voix, la couleur de ses yeux ? À quoi ressemble sa maison ? Et le philosophe sans qualité qui musarde du côté de Biarritz ? J'envie ses élèves auxquels il dispense des cours. J'aime son ironie distante et l'élégance avec laquelle il manie le sarcasme. Le visiteur qui m'aimait bien, écrivant de subtils poèmes un jour a disparu de la circulation, que devient-il ? Et le misanthrope de Lons-le-Saulnier qui ne donne plus de nouvelles. J'espère qu'il va bien. J'en profite parfois pour parcourir des billets ancien de son blog si érudit si drôle et si joyeusement vachard. Ça me requinque. L. pour sa part a totalement déserté les écrans, alors même qu'elle y écrivait des textes très intimes et très beaux. Et tant d'autres qui me sont devenus familiers. Avec certains  se produisent parfois des échanges, inévitablement superficiels mais toutefois rassurants. Même éphémère une rencontre s'est produite. Écrit on pour se lier, pour se libérer d'une chose trop lourde ? Pour s'alléger ? Pour partager une expérience ? Parce qu'on espère un semblable ? Pour partager un constat ? Pour explorer ou trouver une forme ? Par hygiène ? Pour donner une apparence supportable à sa confusion ? Pour ma part je ne sais pas vraiment. J'écris sans doute pour la femme que ma fille deviendra plus tard. Oui c'est très probable. Pour quelques  autres qui me font confiance, et me soutiennent. J'écris pour combler l'écart entre ce que je vois et ce que je ressens, même si parfois je ferais mieux de fermer ma gueule. J'écris pour ne pas laisser une image toute seule. J'écris parce que je peux encore le faire.
Et songeant à cela je réalise que je ne suis pas en train d'écrire mais de marcher sans but, et que tout ce qui me traverse, je n'arriverai peut-être pas à le restituer, alors il faut faire vite trouver un bus et rentrer chez soi. Dommage, j'étais sur le point de téléphoner à Lionnel, qui habite non loin et que je n'ai pas vu depuis longtemps.


Pour ceux que l'histoire de la petite ceinture intéresse

mercredi 20 novembre 2019

Poupée clouée et autres souvenirs


Voilà,
tu m'as demandé un soir si tous nos souvenirs étaient entreposés dans notre cerveau. Oui, sûrement avais-je répondu. Ce n'est bien sûr qu'une intuition, mais il me semble que si peu de cet organe est utilisé que ce qui est oublié doit être stocké quelque part. Sinon comment expliquer que me soit revenu comme ça, sans raison particulière, sur un quai de gare de banlieue, le souvenir d'Assunta, que les filles de la maison appelaient Sunt, cette vieille italienne austère, au visage émacié, toute de noire vêtue, qui parlait très lentement avec une voix grave. Elle venait quelquefois faire le ménage dans la maison de Châteaudouble, en tout cas, c'est sûr, le premier été de 1973. Elle ne souriait jamais et semblait promener un morne ennui sur toutes les choses qu'elle époussetait. Je ne me souviens pas de l'année où elle a cessé de venir. Dès cet été là, chaque fois que je me promenais dans la campagne, j'étais intrigué par les interventions de Marguerite, la chevrière sauvage que j'ai déjà évoquée il y a longtemps dans ce blog. Je crois que ce personnage fascinait particulièrement Agnès et elle m'avait immédiatement mené sur ses traces. Cette photo date de 1983, et l'on peut comprendre pourquoi j'ai été assez sidéré par cette vision. C'était à l'époque où nous aimions beaucoup les tableaux du peintre surréaliste yougoslave Dado, dont beaucoup représentaient des nouveaux-nés exposés sur des étals de bouchers, et il est possible qu'à ce moment-là j'y ai pensé. Ainsi donc un souvenir appelle une image, qui convoque d'autres souvenirs. Je crois que je suis en perpétuel état d'errance, qui est le nom qu'on donnait autrefois à certains état de folie. L'errance était bien ce qui caractérisait Marguerite, capable de parcourir des kilomètres pour accrocher ses objets et aussi ses imprécations qu'elle notait sur des cartons cousus ensemble et qu'elle attachait ensuite au tronc des arbres.
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lundi 18 novembre 2019

Enfants la nuit dans un magasin biocop


Voilà,
"Parmi les choses que les gens n'ont pas envie d'entendre, qu'ils ne veulent pas voir alors même qu'elles s'étalent sous leurs yeux, il y a celles-ci que tous ces perfectionnements techniques, qui leur ont si bien simplifié la vie qu'il n'y reste presque plus rien de vivant, agencent quelque chose qui n'est déjà plus une civilisation ; que la barbarie jaillit comme d'une source de cette vie simplifiée, mécanisée, sans esprit ; et que parmi tous les résultats terrifiants de cette expérience de déshumanisation à laquelle ils se sont prêtés de si bon gré, le plus terrifiant est encore leur progéniture, parce que c'est celui qui en somme ratifie tous les autres. C'est pourquoi quand le citoyen-écologiste prétend poser la question la plus dérangeante en demandant : "Quel monde allons nous laisser à nos enfants", il évite de poser cette autre question, réellement inquiétante : "A quels enfants allons nous laisser le monde ?" (Jaime Semprun in "L'Abîme se repeuple")
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mercredi 13 novembre 2019

L'autre qui porte mon nom



Voilà,
L'autre qui porte mon nom 
a commencé à me méconnaître. 
Il se réveille où je m'endors, double la conviction que j'ai de mon absence,  
occupe ma place comme si l'autre était moi, 
me copie dans les vitrines que je n'aime pas, 
creuse les cavités que j'élude, 
déplace les signes qui nous unissent 
et visite sans moi les autres versions de la nuit.

Imitant son exemple,
 j'ai commencé à me méconnaître. 
Peut-être n'est-il d'autres manière 
de commencer à nous connaître
(Roberto Juarroz)

lundi 11 novembre 2019

Gastronomie orientale



Voilà,
il n'y a pas très longtemps la docteure de la sécurité sociale, pour m'inciter à équilibrer mes repas, m'a cité une phrase de Mao Zedong qui aurait dit quelque chose comme "le repas du matin c'est pour moi, celui de midi pour mon ami, celui du soir pour mon ennemi" J'ai voulu m'assurer de la véracité de ce propos, non seulement parce que je n'aime pas faire des citations approximatives mais aussi parce que l'embonpoint (et là, au passage, je relève une incohérence orthographique dont la langue française a le secret) de Mao ne me semblait pas attester une diététique convaincante. J'ai donc cherché sur internet et je n'ai rien trouvé à ce sujet. En revanche, les hasards de la sérendipité m'ont amené à cet article fort intéressant que je reproduis ici intégralement:
"Le 31 mars 2012, l’illustrateur tokyoïtes Mao Sugiyama a fêté son 22e anniversaire en optant pour une chirurgie élective d’extraction génitale, connue sous le nom « d’annulation de genre ». Une fois ses organes génitaux retirés, ils ont été congelés et remis à Sugiyama dans un sac en plastique.
Pour couronner le tout, il a offert de vendre ses organes sous forme de repas pour 100 000 ¥ (1 250 $). Et aussi surprenant que cela puisse paraître, six personnes ont précommandé le repas…
Voici le tweet qui a tout déclenché :
« Veuillez retweeter. J’offre mes organes génitaux masculins (pénis complet, testicules, scrotum) comme repas pour 100 000 yens…. Je vais préparer et cuisiner comme l’acheteur le demande, à son emplacement choisi. »
Sugiyama, qui se dit « asexué », est un illustrateur japonais qui aspire à se départir de tous traits sexuels au point de pouvoir « porter publiquement des vêtements transparents ». Pour atteindre son but, le jeune homme a décidé d’enlever tous ses organes génitaux. Mais ce qui vient ensuite est encore plus choquant. Au début, il envisageait de consommer ses propres organes génitaux, mais il a ensuite décidé de les offrir sur Twitter, pour 100 000 ¥ à la première personne ou groupe intéressé. Il a reçu six commandes…
Après que son tweet soit devenu viral, Sugiyama a annoncé qu’il organisait un banquet public, dans lequel il cuisinerait et servirait ses propres organes à la demande de ses clients. La veille de l’événement, l’artiste a tweeté « Je commence à les décongeler », accompagné d’une photo. Le 13 avril, une foule d’environ 70 personnes s’est présentée à l’endroit du banquet, qui a été organisé à Suginami, l’un des 23 arrondissements spéciaux formant Tokyo. L’un des six acheteurs a finalement annulé, mais les cinq autres étaient prêts à obtenir ce pour quoi ils avaient payé.
Habillé comme un cuisinier, Mao Sugiyama a découpé et cuit ses propres organes génitaux le jour J, et les a servi à ses clients curieux. Afin d’être complètement dépourvu de tout trait sexuel, Sugiyama a également enlevé ses mamelons et prévoyait de les servir également, mais après les avoir brûlés avec de l’hydroxyde de sodium, il ne restait apparemment pas grand-chose à cuisiner.
Avant d’organiser le banquet, l’illustrateur japonais s’est fait examiner pour d’éventuelles maladies sexuelles. Les cinq personnes assez folles pour manger ses organes génitaux ont également dû signer un accord libérant Sugiyama et les organisateurs de l’événement de toute responsabilité découlant de la consommation d’organes génitaux humains.
Sugiyama avait plaisanté en disant que se débarrasser de ses organes génitaux réduisait les chances qu’il soit un jour accusé « d’exposition indécente ». Malheureusement pour lui, son événement a été considéré par les autorités comme un acte d’exhibitionnisme. Le maire de Suginami n’était pas content de l’événement ni de la mauvaise publicité qu’il faisait.
La police de Tokyo a ouvert une enquête et a accusé Sugiyama « d’exposition indécente », ce qui aurait pu lui coûter deux ans de prison. La police a tenté d’obtenir un aveu de culpabilité de la part de Sugiyama, mais l’artiste a refusé, affirmant qu’il ne violait pas la loi de quelque manière que ce soit. Il faut dire que le cannibalisme n’est pas illégal au Japon, et l’accusation d’indécence ne s’appliquait pas parce que tous ceux qui assistaient à l’événement savaient exactement dans quoi ils s’engageaient.Une fois que l’histoire a commencé à s’estomper, la colère du maire a également baissé. En février 2013, l’affaire contre Sugiyama a finalement été abandonnée.
On vit une époque formidable non ?
Et puis cette photo, prise il y a quelques années au musée du Louvre, de visiteurs asiatiques dont je suis incapable de deviner s'ils sont japonais ou  chinois, et qui attendait depuis longtemps un texte pour l'accompagner me semble avoir enfin trouvé sa place. De cela je ne suis pas mécontent. (Linked with the weekend in black and white)

samedi 9 novembre 2019

Trente ans déjà

 

Voilà,
il y a trente ans, lorsque le mur de Berlin est tombé, j'avais l'âge des résurrections et j'étais de passage dans un théâtre de la banlieue de Lyon pour y jouer en tournée la pièce de Brecht "Tambours dans la Nuit". Une femme venait de s'installer chez moi, à Paris, sans m'avoir prévenue qu'elle était mariée (je me rappelle soudain ce détail auquel je n'avais pas pensé depuis des années). Pendant les semaines qui avaient précédé, Jean-Paul Wenzel, notre metteur en scène, avait été tout excité par ce bouleversement d'autant plus historique — je parle bien entendu de Berlin — qu'en plus d'être inattendu, il se produisait sans effusion de sang. Mais là, évidemment, l'émoi était à son comble ."Tu te rends compte" répétait-il, "cet été j'ai déjeuné à Avignon avec Heiner Müller, et il disait que jamais de son vivant il ne verrait la chute du mur". 
Célèbre dramaturge est-allemand, Heiner Müller, pour ceux qui ne le connaissent pas, avait cette particularité d'être un écrivain qui, après avoir été censuré et exclu de l'union des écrivains de son pays dans les années soixante, avait été réhabilité en 1973. Par la suite, il fut toujours un ardent défenseur du socialisme et de la RDA tout en étant critique à l'égard des autorités de son pays. Il a néanmoins pu, dans le courant des années quatre-vingts, disposer du privilège de pouvoir librement circuler non seulement en République Fédérale Allemande, mais aussi dans les pays de l'Ouest, où nombre de ses pièces étaient représentées.
Son cas est significatif : cet écrivain et metteur en scène  résolument socialiste qui s’est somme toute maintes fois brouillé avec le Parti qui le considérait trop critique a toujours trouvé une façon de se faire publier ou de monter des spectacles – malgré des difficultés administratives périodiques. En fait, c’est peut-être par la menace de ternir l’image de la RDA à l’étranger qu'il parvenait à créer un espace de négociation dans les coulisses du régime afin d’obtenir des avantages (et ils étaient nombreux ceux accordés à l'intelligentsia) pour sa propre carrière et sa propre liberté d’expression. 
Que Heiner Müller, lui même n'eut pas soupçonné un tel bouleversement — je prête, peut-être à tort, aux artistes une plus grande capacité de ressentir les frémissements du monde  — nous rappelle combien ce fut alors une fracture dans la compréhension des phénomènes historiques. D'ailleurs avec certains membres de l'Intelligentsia est-allemande il s'est par la suite opposé à la réunification.
Je me souviens avoir regardé avec une vague stupéfaction ces images joyeuses où les berlinois des deux bords fraternisaient en s'étreignant devant la porte de Brandebourg côté ouest, et des premiers coups de pioches contre le mur, et puis le concert de Rostropovitch et tout ça. Une amie, dont la conscience politique ne s'est jamais démentie depuis que je la connais, et qui est encore active et toujours engagée dans les luttes émancipatrices qui secouent le monde, avait aussitôt décidé de se rendre à Berlin, afin d' être au cœur de l'événement. De cette époque j'ai retrouvé cette photo de nuit à Bourg en Bresse, où nous avions joué quelques jours plus tard, prise sur le chemin de mon hôtel, après un de ces dîners au restaurant réunissant la troupe une fois la représentation finie.
(linked with the weekend in black and white)

vendredi 8 novembre 2019

Pensif et perplexe

un bel éphèbe, pensif et bien musclé


Voilà,
ce blog a dix ans
et ma fille dix-huit
je suis certes bien moins musclé que ce Marius
méditant au jardin du Luxembourg
mais tout aussi pensif et perplexe que lui.
Pardon, ma fille, pardon
pour ce monde où tu vas faire ta vie d'adulte
ce n'est vraiment pas celui que je voulais 
Shared with skywatch Friday

mercredi 6 novembre 2019

Ces Retrouvailles



Voilà,
Je ne parviens pas à écrire sur ces retrouvailles début Septembre, lors de l'anniversaire de ma très chère amie Delphine, dans la maison du Loir et Cher, parce que j'en ai été fort secoué et que depuis je me sens dans un état étrange.  Delphine et moi nous connaissons depuis quarante-six ans. Nous nous croisons de temps à autre à Paris. Entre mes dix-sept et mes trente et un ans nous sommes beaucoup vus. C'est la petite sœur d'Agnès, mon premier amour avec laquelle, lorsque nous nous sommes séparés, nous avions passés la moitié de notre vie ensemble. Elle sont toujours là les trois sœurs. Les filles de Philippe et Dominique. Laurence, Agnès et Delphine. C'était ma famille.
La première image de Delphine qui s'est imprimée dans ma mémoire je m'en souviens très bien. Hilare, et plutôt moqueuse. Elle devait avoir quatorze ans. C'était un dimanche midi rue de Vaugirard. J'y avais été invité pour déjeuner. Pour mes parents c'était bizarre. C'était la première fois que j'étais invité chez des gens qu'il ne connaissaient pas. Ma génitrice avait insisté pour que je n'arrive pas les mains vides, et en effet lorsqu'elle m'a ouvert la porte Delphine a vu un gars légèrement emprunté avec un modeste bouquet de fleurs à la main, et elle m'a souhaité le bonjour en se foutant un peu de ma gueule. Je débarquai dans un monde étrange, dans une famille à la fois bourgeoise et assez anticonformiste. Le repas m'avait un peu décontenancé. Ce jour là le père n'était pas là. On ne mangeait pas une entrée, un plat principal et un dessert, mais on picorait dans une multitude de plats différents autour d'une table ronde dans la cuisine dont la fenêtre donnait sur la tour Montparnasse en construction, qui n'était encore qu'une colonne de béton centrale autour de laquelle on montait les différents étages.
Mais je reviens à ce week-end. Il y avait là beaucoup de gens que je n'avais pas revus depuis dix ans vingt ans et même quarante. Et puis ceux que j'avais connus enfants, qui jouaient dans mon salon et qui sont à présent parents. Pendant ces deux jours j'ai vu défiler une grande partie de mon existence, et aussi des possibilités inaccomplies de ma vie. C'était en même temps merveilleux, étrange, déconcertant, paradoxal. Je me sentais à la fois bien et complètement déconnecté. Intensément dans le présent tout autant que dans le passé, errant dans une familière étrangeté, comme si j'avais absorbé une substance hallucinogène. Moi qui ne vais pas souvent dans les fêtes, j'avais accepté l'invitation, sans doute parce que je me suis dit qu'il n'y aurait peut-être plus beaucoup d'occasion de s'apercevoir, parce que désormais bien des choses vont probablement avoir la saveur des dernières fois sans que je ne le réalise vraiment. Peut-être d'ailleurs m'avait on invité persuadé que de toute façon je déclinerais la proposition comme il m'est arrivé tant de fois de le faire. Enfin bref j'y étais. Je devais avoir l'air idiot. Je crois que je n'ai jamais autant souri bêtement.

En fait, Je n'avais rien anticipé, rien imaginé. À cause de ma prosopagnosie j'ai mis un certain temps à reconnaître des gens jeunes, à refaire des connections, à deviner qui est la fille ou le fils de qui. Pareil pour la maison. Il y avait des pièces que j'avais totalement oubliées. Ou qui avaient complètement changé. Les arbres dans le jardin avaient poussé. Tout me racontait que les années avaient passé sans moi, et plus que jamais je me sentais comme un vieil enfant qui somme toute s'est bien peu aventuré. Je réalisais que j'avais tout fait en dépit du bon sens et un peu trop tard. Ou peut-être n'avais-je rien fait rien choisi, Je m'étais laissé porter au gré de ma fantaisie, et parfois au gré de celle des autres. J'ai toujours eu l'impression de ne pas vraiment coïncider avec la réalité, d'être toujours plus ou moins en décalage, inadéquat. Au fond j'ai toujours pensé que ma présence au monde était une anomalie, un accident et que j'étais en trop. Du moins, tant que je vivais avec mes géniteurs. Ensuite beaucoup d'amour m'a été donné et d'amitié. Oui c'est pour ça que j'avais accepté l'invitation. Parce que certains parmi ces gens avaient été ma famille et que j'avais grandi avec eux. Et que même si nos chemins s'étaient séparés, ils étaient toujours là, et leur empreinte demeurait en moi, indélébile. Qu'ils devaient bien se souvenir quelle sorte d'infirme de l'existence je suis, et qu'ils ne m'en tiendraient pas trop rigueur. Mais quand même, il y a toujours eu ce sentiment d'être en inadéquation. Jamais à la bonne place. Peut-être même que lorsque je mourrais, j'aurais encore la sensation que ce n'est pas tout à fait à moi que cela arrive.

J'ai, en particulier revu Suzan, la correspondante anglaise de Delphine, qui était à Châteaudouble en 1973, lorsque Dominique avait transformé la maison en une colonie de vacances pour les amis et amies des filles. Nous ne sous étions pas retrouvés depuis, et ce fut quelque chose de fort et de chaleureux. Comme si ces quarante six ans n'avaient été qu'une parenthèse. C'est cela qui me trouble.

Dans cette parenthèse je suis tout de même devenu le père d'une fille intelligente et talentueuse qui m'émerveille qui d'ici peu sera déjà une adulte. Il a fallu donner plus d'amour que je n'en possédais et faire preuve d'un courage que je n'avais pas, pour qu'elle vienne au monde, pour qu'une femme qui n'a jamais pris la mesure de ce qui m'inquiétait, la porte et la délivre, et fasse de moi un homme que je n'imaginais pas être. Et pour cela, pour cette obstination, pour ce désir, qui n'était pas simplement pas juste un désir d'enfant, mais aussi que je sois le père de cet enfant, je lui suis reconnaissant. Ma fille a donné un autre sens à ma vie. Par la suite des choses, des comportements, des valeurs acquises au contact de cette famille, lui ont été transmises. Si ma fille lorsqu'elle était petite, s'est endormie en écoutant des suites de Bach, ou le concerto pour clarinette de Mozart, ou des pièces de Vivaldi, c'est que j'ai découvert ça grâce à eux qui m'ont en partie éduqué.
Ma vie a pris un autre tour... Je ne suis sûrement pas devenu ce que je souhaitais être. Sous bien des aspects je m'y suis pris comme un manche, j'aurais peut-être du faire quelques concessions à un moment donné, maisj'en étais bien incapable. Et puis je ne me suis jamais vraiment projeté dans le futur. Je crois que j'ai toujours eu un problème avec le temps. Je ne pensais pas que j'arriverai jusque là. J'ai oublié d'arriver à maturité. Je suis passé directement d'immature à blet.
 Tout cela est très confus. J'ai du mal en ce moment à faire la part des choses. La vie n'est pas simple ces temps-ci. Je pense à ces trois vers d'Aragon "La pièce était-elle ou non drôle / Moi si j'y tenais mal mon rôle / C'était de n'y comprendre rien". Plus que jamais, j'en suis là. Les temps redeviennent difficiles. Vieillir, je ne trouve pas ça terrible pour le moment. Ça passe trop vite une vie. Comme l'a dit je ne sais plus trop qui, la vieillesse vient trop vite et la sagesse trop tard.
Mais est-ce bien le lieu où raconter tout ça, et le moment de le faire ?
D'ailleurs est-ce bien nécessaire ? Et pourquoi ne puis-je m'en empêcher ?
Quoiqu'il en soit, ce fut un beau weekend. Deux mois déjà.
Depuis, j'ai retrouvé des images du temps où nous étions insouciants...
Quand je laissais les sœurs me maquiller et que je ne rechignais pas à me déguiser.
"Ah jeunesse ! (il marmonne quelque chose qu'on ne peut pas comprendre) la vie, elle a passé, on a comme pas vécu (il se couche)" . Firs, dans "La Cerisaie" de Tchekhov


mardi 5 novembre 2019

Le Courage des Oiseaux


Voilà,
je n'ai pas beaucoup l'occasion de portraiturer des animaux, et ce n'est pas quelque chose qui me vient spontanément à l'idée. Et puis j'habite dans une ville. Mais, il y a quelques jours, c'était la fin de l'après midi, le temps commençait à fraîchir, j'ai aperçu par la fenêtre de la cuisine, ce moineau, tout recroquevillé sur la rambarde de la coursive. Je l'ai photographié derrière la vitre pour ne pas le déranger. Sa présence m'a ému à ce moment là, sans doute parce qu'il me paraissait si vulnérable, si démuni, et si courageux. J'ai repensé à la chanson de Dominique A. (ce chanteur qui n'a pas son pareil pour me filer le bourdon), qui, chaque fois que je l'entends, me ramène dix ans en arrière et fait surgir dans ma mémoire un certain visage et quelques épisodes de ce qui fut une heureuse illusion. (shared with our world tuesday

jeudi 31 octobre 2019

Squelettes et Citrouilles


Voilà,
Halloween n’est arrivé en France qu’en 1997, promu part les entreprises américaines comme Disneyland, Coca-Cola, McDonald’s qui l'ont présenté comme une vieille tradition celte, venue de Gaule, pour dissimuler une opération marketing et augmenter les ventes du mois d'Octobre. Mais s'il est avéré qu'en France, les confiseurs enregistrent une hausse de 30 % des ventes en octobre, l'engouement n’est pas le même qu’aux Etats-Unis, car Halloween n’est pas enracinée dans la culture française, même si de la fin du Moyen-Age, jusqu'au début du XXéme siècle, les petits bretons, notamment du Finistère, creusaient les betteraves pour leur donner une allure inquiétante à cette époque de l'année, pratique qui existe parait-il, encore sous le nom de nuit des betteraves grimaçantes (Rommelbootzen) mais cette fois-ci en Moselle. 
Néanmoins, c'est l'occasion pour les boutiques  de déguisement et de farces et attrapes de se surpasser dans la décoration de leurs vitrines comme ici au bas du Boulevard Arago. Hier, j'ai vu une longue file d'attente devant un semblable magasin car la fête, liée à cet événement connaît, dans les milieux urbains, un certain succès auprès des jeunes et des trentenaires, comme s'il s'agissait d'un carnaval d'hiver. A Paris et dans plusieurs grandes villes, de nombreux bars et discothèques se mettent ce soir à l’heure d’Halloween.
Pour ma part, je trouve toujours plutôt étrange l'exposition de ces crânes de ces squelettes, car la mort est tout de même déjà très présente dans nos actualités. Les grands massacres de populations civiles en Afrique, au Moyen-Orient, les cadavres de migrants en Méditerrannée et en de nombreuses frontières du monde, sans parler des meurtres de masse souvent perpétrés aux Etats-Unis, nous rappellent que c'est Halloween un peu toute l'année. (Shared with weekend reflections - TADD

mercredi 30 octobre 2019

Dormir dans le Métro


Voilà
Il n'a pas choisi. S'est débrouillé pendant des années. A tenté de résister, de s'adapter. A bien fait semblant dans la mesure de ses moyens. Peu à peu les distractions s'étaient réduites. Il ne trouvait plus le moyen de donner le change. Et puis sa façade de rires a fini par se lézarder. Trop d'usure, trop de fatigue. Tout était devenu insipide. Emilio Tempranillo a senti ses forces décliner. Peu à peu il a fini par renoncer. Sans vraiment s'en rendre compte il s'est lentement laissé déchoir. L'espace étriqué de la petite chambre qu'il avait acquise pour ses vieux jours l'oppressait. Afin d'y échapper et de ne pas rester des heures allongé sur son lit, il s'est mis à voyager dans le métro, passant ses journées sur ce réseau qui n'était pas virtuel. Mais il n'y avait personne à qui parler. Ou plus exactement, personne qui voulait lui répondre lorsqu'il parlait. Alors de plus en plus souvent il a commencé à s'assoupir sur les banquettes. A se laisser transporter comme un vieux paquet abandonné. Le soir il retournait chez lui. Puis il a fini par rentrer de plus en plus tard. Un soir, c'était au cœur de l'été, il eut du mal à se souvenir de l'endroit où il demeurait. dans la journée il y avait eu comme un petit claquement dans son œil. Il avait éprouvé une certaine gêne. Tout paraissait un peu plus flou. Il s'est tassé sur lui lui-même, sans s'en rendre compte il s'est pissé dessus. A un moment il a cru entendre quelqu'un lui faire une remarque. Ou peut-être un reproche. Ou bien une menace. C'était une langue qu'il ne comprenait pas. Un enfant pleurait. Fini pensa-t-il. Et en effet il était déjà mort.

dimanche 27 octobre 2019

Vampires


Voilà,
en ce moment la cinémathèque française propose un festival de films de vampires ainsi qu'une exposition qui leur est consacrée. A l'intérieur sur la plupart des murs du bâtiment construit par Frank Gehry se découpe cette silhouette inspirée du "Nosferatu" de Murnau.  

vendredi 25 octobre 2019

Bus de nuit à Montparnasse


Voilà,
ces reflets urbains et nocturnes dans la vitre du bus me ravissent. Je veux dire par là qu'ils m'emportent autant qu'ils me séduisent. Ils offrent un peu de poésie à la confusion du monde et aux désordres de la pensée. Dans ces superpositions fugitives glissant à la surface du verre, toutes choses — visages incertains ou enseignes lumineuses — s'égalisent et se renvoient les unes aux autres dans les dédales d'une réalité fantôme qui ne cesse de se dérober.
En outre, toutes ces apparitions disparaissantes, témoignent aussi d'un bref moment de l'humanité circonscrit à quelques régions du monde, où l'on s'est efforcé de conjurer la peur de la nuit par une débauche de lumière artificielles, d'éclairages, de néons... C'est dans la clémente parenthèse de cet espace-temps relativement préservé de la barbarie qu'il m'aura été donné de vivre et c'est tout de même une chance.
Certains, prédisant un vraisemblable effondrement de cette civilisation, augurent que cela ne saurait durer et que d'ici quelques décennies nous en serons de nouveau réduits à devoir affronter nos peurs ancestrales. Quoi qu'il en soit, la surprise toujours renouvelée de ces visions, de ces plans juxtaposés, de ces d de motifs, où bien des mystères semblent pour toujours cachés, continue d'étonner l'enfant qui a préservé sa demeure dans un corps qui certes n'est plus aussi alerte qu'autrefois, mais s'efforce encore, autant que faire se peut, de penser "à sauts et à gambades".(shared with weekend reflections)

mardi 22 octobre 2019

Les Tortues du jardin des plantes


Voilà,
cette photo fut prise il y a dix ans au Jardin des Plantes à Paris. J'étais venu me promener avec ma fille. J'aurais tendance à supposer que la vie intérieure des tortues est assez sommaire, surtout celle des tortues de zoo, mais il est tout à fait possible que je me trompe. Je vivrai évidemment moins longtemps qu'elles (quoique de récentes informations démentent cette intuition) mais j'ai parfois l'impression de leur ressembler, tant je passe d'heures dans mon lit sans grande envie de sortir ni de bouger, à penser à la taille de mes ganglions, aux douleurs de plus ou moins grande intensité disséminées un peu partout dans mon corps et que je ne puis décrire précisément, à mon compte en banque, au désordre domestique, aux projets en plan, au peu de choses nécessaires et au trop de choses inutiles que je laisserai à ma fille, sans pour autant être capable d'agir en conséquence. 
"Impossible de mettre de l'ordre dans l'élémentaire" écrivait Beckett dans "Le Monde et le pantalon". Eh oui. 
Mais pour passer à un sujet plus gai cette histoire que j'aime bien :  un pauvre homme très âgé transporte sur la route un énorme fardeau. La route monte et l'homme n'en peut plus. Il souffle de plus en plus, se courbe à tel point que sa charge tombe à terre. Il se lamente alors :
- Je ne veux plus vivre  ! Que la Mort vienne et m'emporte !
La Mort se présente à lui. 
- Tu m'as appelée, me voici
- Oui aide moi à remettre cette charge sur mon dos.

dimanche 20 octobre 2019

J'aime / Je n'aime pas (9)


Voilà
J'aime cette péniche aux parois peintes sur le canal de l'Ourcq
Je n'aime pas les escalators qui ne fonctionnent pas
J'aime faire les courses le dimanche matin rue Daguerre
Je n'aime pas les gens qui circulent en trottinette électrique n'importe comment sur les trottoirs
J'aime le fait qu'Henri Salvador ait transformé la chanson "shame on you" en "j'aime tes genoux"
Je n'aime pas les critiques d'art de théâtre et de littérature
J'aime les maisons à l'intérieur desquelles flotte une bonne odeur de soupe
Je n'aime pas les commentaires politiques de la chaîne BFMTV et je ne comprends pas  qu'elle soit diffusée dans les lieux publics
J'aime retrouver la nuit en rêve des personnes perdues de vue depuis longtemps ou qui ne sont plus de ce monde
Je n'aime pas l'utilisation abusive du mot acteur dans les expressions telles que les locataires acteurs de leur cadre de vie, ou bien comment devenir un acteur du changement
J'aime les dimanche après-midi quand on fait des gâteaux avec les enfants
Je n'aime pas les intonations de curé de notre président qui transpire l'hypocrisie
J'aime mélanger des couleurs au pastel sec
Je n'aime pas quand les supporters anglais de rugby chantent le "swing low, sweet chariot"
J'aime la sensation d'accomplissement que procure une journée de ménage complet
Je n'aime pas qu'il y ait de plus en plus de brutalités policières disproportionnées lors des manifestations contre la dérégulation sociale
 J'aime les après-midi studieux à la maison quand il pleut dehors
Je n'aime pas cet acharnement de toute une tripotée de vieux cons envers Greta Thunberg
J'aime écouter la radio la nuit
Je n'aime pas cette sensation de suicide collectif de l'humanité
j'aime la musique composée par Quincy Jones pour "In cold blood" de Richard Brooks
Je n'aime pas le manquement à la parole donnée
J'aime raconter des blagues qui font rire ma fille
Je n'aime pas quand la lunette des toilettes ne tient pas à la verticale
J'aime la Suze Perrier avec deux glaçons

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vendredi 18 octobre 2019

Dormir pour oublier (29)


Voilà
"Chacun s'en va comme il peut,
les uns la poitrine entrouverte,
les autres avec une seule main,
les uns la carte d'identité en poche,
les autres dans l'âme,
les uns la lune vissée au sang,
et les autres n'ayant ni sang, ni lune, ni souvenirs.

Chacun s'en va même s'il ne peut,
les uns l'amour entre les dents,
les autres on se changeant la peau,
les uns avec la vie et la mort,
les autres avec la mort et la vie,
les uns la main sur l'épaule
et les autres sur l'épaule d'un autre.

 Chacun s'en va parce qu'il s'en va,
les uns avec quelqu'un qui les hante, 
les autres sans s'être croisés avec personne,
les uns par la porte qui donne ou semble donner sur le chemin,
les autres par une porte dessinée sur le mur ou peut-être dans l'air,
les uns sans avoir commencé à vivre
et les autres sans avoir commencé à vivre.

Mais tout s'en vont les pieds attachés,
les uns par le chemin qu'ils ont fait,
les autres par celui qu'ils n'ont pas fait
et tous par celui qu'ils ne feront jamais."
(Roberto Juarroz)
Shared with the weekend in black and white

jeudi 17 octobre 2019

La Plage de Cabourg


Voilà,
ce matin, après une nuit luxueuse, — comme seuls peuvent en offrir certains tournages — passée dans le grand hôtel de Cabourg, devenu mythique grâce à Marcel Proust, elle était belle et apaisante la vision de cet attelage au loin et de ce promeneur solitaire avec son chien sur la grève. La triste réalité de ce monde entraîné dans une macabre farandole semblait irréelle alors que c'était la sensation de paix suggérée par le lieu et le moment qui sans doute était illusoire. Ailleurs continuaient les déclarations délirantes de quelques présidents les répressions policières en Equateur, en Catalogne, en Belgique, en France, sournoisement tues par les médias, mais toutefois relayées par les réseaux sociaux, les massacres de Kurdes perpétrés en toute impunité, ceux des yéménites, et de tant d'autres populations qui ne font pas la une de l'actualité. Non loin, des chalutiers géants continuaient d'assécher la mer de ses poissons, des particules toxiques de contaminer les sols, et d'empoisonner le sang de ceux qui ont combattu le gigantesque incendie dont on a peu parlé parce que l'hagiographie d'un ancien président corrompu que l'on savait particulièrement affaibli avait la faveur de l'actualité des médias soucieux de diffuser une rubrique nécrologique abondante car préparée depuis longtemps.  Oui j'en étais là, non pas à étirer de longues phrases dans ma tête, mais à jouir de cet air iodé qui n'était peut-être pas aussi sain qu'il y paraissait. Qu'importe, il y avait la joie fragile et enfantine du dépaysement, le bruit des vagues au loin, et le martèlement bien audible des sabots du trotteur sur le sable mouillé. Ces menus plaisirs qui font le sel de la vie, étaient là, offerts, comme ces mets délicieux à la table de petit-déjeuner du salon Balbec, que j'avais préalablement dégustés avec bonheur et gourmandise. Longtemps que je n'avais mangé de bon cœur du saumon au petit-déjeuner. (shared with skywatch friday)

mardi 15 octobre 2019

Contemplation



Voilà, 
à nous (mes rares semblables et moi) qui vivons sans savoir vivre, 
que reste-t-il, sinon le renoncement pour mode de vie, 
et pour destin la contemplation ? 
(Fernando Pessoa)

dimanche 13 octobre 2019

Faire le gogol


 
Voilà,
J'aime bien faire le gogol. Le gars qui articule pas bien, qui parle fort en bavant un peu, le regard fixe les bras ballants. Je fais ça avec des copains... tout seul... quand j'ai besoin de relâcher la pression... Je ne fais pas semblant. D'ailleurs je ne fais jamais semblant. Je fais un point c'est tout. Mais quand je gogolise, je suis au plus près de moi. Je suis dans la juste expression d'une part de moi. Certaines personnes croient que je me moque. Je me suis jamais moqué des déficients, des handicapės, des bancals. J'en suis un. Au bout d'un moment ça finira bien par se voir. Je sais que ça en effraie quelques uns quand je suis dans cet état. Peu de gens, sont capables d'accepter cette dimension d'eux mêmes. Évidemment parfois j'ai peur que ça me porte malheur. Je pourrais tout aussi bien me retrouver à parler comme ça après un accident vasculaire cérébral, par exemple.

(...)

Débile, "clown, ras risible" comme écrivait Michaux. J'ai joué il y a longtemps dans un court métrage intitulé "Pointête", un gars un peu simplet qui se premait pour un coureur cycliste. Je crois avoir été assez convaincant, puisque des gens pensaient que ce n'était pas un acteur qui jouait. A l'époque, j'attendais ma fille, et j'avais peur que cette interprétation me porte malheur et que mon futur enfant soit autiste. J'étais sacrément ébréché à l'idée de devenir père. D'ailleurs la mère de ma fille, en dépit de ses nombreuses qualités, ne m'a jamais vraiment pardonné cette faiblesse, mais c'est une autre histoire.

(...)

Il y a ce film aussi dans lequel j'aurais adoré jouer. "Les Idiots" de Lars Von Trier. Lui je n'aime pas tous ses films – ce qui ne signifie pas que les films de lui que je n'aime pas soient pour autant mauvais –, mais "Les Idiots" me paraît un chef d'œuvre absolu. Je me souviens en particulier d'une scène ou deux personnes ne peuvent baiser ensemble qu'en faisant les débiles.
D'ailleurs arrive-t-il que les clowns fassent les clowns en baisant ? Il faudrait que je demande à Violaine qui est clown et prof de philo si elle l'a déjà fait.

(...)

Il y a aussi me semble-t-il un exemple littéraire de quelqu'un qui décide de tomber le masque et de faire parler son fou-écrivain : c'est Gary quand il devient Ajar. Le "dispositif Ajar" me fascine encore aujourd'hui pour le paradoxe qu'il constitue : montrer tout en restant caché, tomber le masque et le garder à la fois, être l'un et l'autre, tout en préférant être l'autre plutôt que l'un. De toute façon quand on a offert au monde une certaine image de soi, les gens ne veulent plus vous voir autrement. Et Gary a très bien compris qu'il ne pourrait renouveler son art qu'en devenant un autre, et précisément cet autre là.

(...)

Tous ces trucs auxquels je pense en traînant de-ci de là, entre deux photos, avec des projets dans la tête, de plus en plus difficiles à réaliser en raison de la fatigue. Peter Handke, le dernier prix Nobel de littérature a écrit un essai sur la fatigue, mais je ne me suis jamais résolu à le lire. Trop fatigant, je crains. La photo pour ça c'est bien, c'est ce que je connais de plus reposant. Je peux le faire en me promenant. Oui, mes propos sont peut-être décousus, (quoique j'ai déjà fait pire) mais même si j'ai de plus en plus de mal à articuler une pensée j'ai cependant encore quelques trucs à raconter. Ça me fait du bien.
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