Voilà
longtemps que je le pense, si notre espèce finit par
disparaître un jour de cette planète, grâce à l’efficacité croissante
des techniques de destruction, ce n’est pas la cruauté qui sera
responsable de notre extinction et moins encore, bien entendu,
l’indignation qu’elle suscite ; ni la cruauté, ni la vengeance, mais
bien plutôt la docilité, l’irresponsabilité de l’homme moderne, son
abjecte complaisance à toute volonté du collectif. Les horreurs que nous
venons de voir, et celles pires que nous verrons bientôt, ne sont
nullement le signe que le nombre des révoltés, des insoumis, des
indomptables, augmente dans le monde, mais bien plutôt que croît sans
cesse, avec une rapidité stupéfiante, le nombre des obéissants, des
dociles, des hommes, qui, selon l’expression fameuse de l’avant-dernière
guerre, "ne cherchaient pas à comprendre". écrivait Georges Bernanos en 1947 dans "La France contre le robots".
Mais, c'est un réflexe terriblement humain. "Ne pas chercher à comprendre" remplacé aujourd'hui par "faut pas se prendre la tête".
On voudrait tellement que le monde ne change pas trop, ni trop vite. S'en tenir aux rituels anciens, immuables. Boire un verre en terrasse sans songer au monde tel qu'il devient ni aux nouvelles qui nous renvoient à l'absurdité de notre condition : il fait chaud à Paris où il n’a pas plu depuis le 16 mai. Trois semaines sans aucune précipitation, cela ne s’était pas produit à cette période de l’année dans la capitale depuis 1949. Et malgré une nuit de précipitations les sols d’Ile-de-France et plus globalement de la moitié nord du pays s’assèchent à nouveau. Oublier qu'il y a une semaine à New-York à cause des incendies au Canada, l’air est devenu irrespirable pendant quelques jours. Qu'il était alors conseillé de ne pas sortir ni de faire du sport, d’utiliser des masques et de recourir à l’air conditionné en fermant les fenêtres. Que si les écoles restaient ouvertes, les activités en plein air étaient supprimées. On rêvait d'un autre futur autrefois, dans les années cinquante. On imaginait que le progrès susciterait le bien être collectif, qu'il serait un moyen d'accéder au bonheur pour l'humanité. On espérait une gouvernance mondiale, celle des Nations Unies.... Putain on est loin du compte...
On ne veut pas songer non plus aux horreurs provoquées par l'invasion russe en Ukraine et aux terribles répercussions alimentaires pour une bonne partie de la planète, — puisque c'est un des greniers à blé du monde — qui ne manqueront pas d'aller en s'amplifiant. On veut oublier que depuis trois mois la température des océans survole tous les records, que celle de l'air décolle dans le monde depuis le début du mois de juin, et que l'étendue des glaces est au plus bas. On veut juste profiter d'une belle soirée de printemps, sur la place Dauphine, en se rappelant des airs d'il y a cinquante ans, quand l'album "dark side of the moon" paraissait, et que la marque de jeans Levi's offrait en France cette affiche publicitaire créée et réalisée par Gilles Bensimon pour l'agence CLM-Bbdo avec la place de la Concorde transformée en un vaste campus universitaire couvert de pelouse
Ce que j’ai simplement compris pour ma part, c’est que j’appartiens à une espèce qui depuis des siècles, cherchant à domestiquer la nature, l’a peu à peu saccagée, et qu’il n’est de retour en arrière possible. Tous ceux qui ont, au cours des cinquante dernières années, tenté d’alerter sur les dangers à venir n’ont recueilli que sarcasmes ou indifférence. Et maintenant je suis fatigué. Pas docile, ni obéissant, non, juste fatigué.