hier, sur Arte (ah oui, il reste au moins ça de gratuit et d'intéressant à la télévision) était programmé le premier film allemand de l'après-guerre "Les assassins sont parmi nous". j'en avais souvent entendu parler, par ma mère me semble-t-il, qui vivait en Allemagne au début des années cinquante (c'est là-bas que se sont connus mes géniteurs, tous deux appartenant aux troupes d'occupation françaises en Allemagne qui est ma terre natale). Cette période d'immédiate après-guerre outre-Rhin, m'a toujours intrigué, sans doute à cause des photos de ruines, que j'ai vues dans mon enfance, et en particulier celle de l'église du souvenir de Berlin que l'on a gardée telle quelle. Sans doute aussi à cause de ce film de Rossellini, "Allemagne, année zéro", que j'ai vu très jeune, je ne me souviens plus dans quelles circonstances. Mon existence est une continuation de cette guerre, c'est curieux quand j'y pense. La guerre au fond m'a toujours accompagné, hanté, pollué. Les deux, le Guy et la Yolande se sont trouvés sur les ruines de la seconde guerre mondiale, ils se marient, puis mon père va en Indochine huit jours après, il revient en Allemagne il assure sa postérité, puis part guerroyer en Algérie. ma mère le rejoint là-bas et m'emmène avec elle. J'ai évoqué ces années là, maintes fois (il suffit de taper sur le label
Enfances). De retour en France, ce sont les garnisons de l'Est. Je fais connaissances avec les champs de manœuvres de Suippes, Mourmelon où le paternel continue de jouer à la guéguerre (c'est que les soviétiques sont à trois jours de char de Paris, dit on alors). Parfois on va visiter les champs de batailles de la première guerre mondiales, les alignements de croix, les ossuaires, ah les beaux dimanche. En 1964, pourtant, l'horizon se dégage on va vivre dans les landes. C'est beau, il y a le soleil, l'Océan, les lacs, les gens sont gentils, l'air est doux, je découvre le Rugby, il me semble que le bonheur est là, en tout cas quelque chose qui ressemble à la paix. Oui mais le soir il y a la télé, le Vietnam tous les soirs aux infos, le vieux refait sa guerre, se fait stratège, il connaît tous ces coins, il dit qu'à la saison des pluies les américains devraient bombarder les digues à Hanoï, quand est connu le massacre de My-Laï, il dit qu'on ne fait pas d'omelettes sans casser d'œufs et laisse entendre qu'il a lui aussi été amené à faire des choses comme ça. Tout ça sur fond de guerre froide et de bandes dessinées de SF qui se trouvent à la maison que je dévore et où il est toujours question de guerre. A dix-sept ans je rencontre la famille Tiry, qui m'ouvre les yeux sur d'autre choses, l'art, la peinture, le théâtre, le vin, la cuisine, mais je suis trop sali, déjà, trop pollué de l'intérieur, la paix, l'harmonie, la joie, j'ai du mal avec ça. Etrange encore, le premier grand spectacle où je joue, s'appelle "Prends bien garde aux Zeppelins" et c'est une évocation de la guerre de toutes les guerres, mon premier téléfilm est sur "la nuit de Cristal", quelques années plus tard je joue dans "Les derniers jours de l'humanité" de Karl Kraus... Mais bon je digresse, je digresse, je voulais parler d'un film. C'est très beau, très étrange, "Les Assassins sont parmi nous". Ce qui est curieux, c'est qu'il encore marqué par l'esthétique expressionniste des années trente (les ombres, les images désaxées, l'usage de la profondeur de champ, des contreplongées, l'abondance de scènes nocturnes, l'image contrastée), que Carol Reed, dans son film "The third man" lui aussi utilisera abondamment quelques années plus tard, comme si les fantômes de l'époque d'avant-guerre rôdaient encore dans ce monde ravagé.