Voilà,
Paris donne à voir des choses étonnantes, parfois. On n'est jamais déçu, à musarder comme je le fais. Comme quoi, mon pessimisme quasi ontologique n'est pas sans issue. Après tout quand on s'attend au pire, rien n'empêche qu'on ait de bonne surprises. Certes, c'est un peu obscène mais dans le genre, l'exposition, en devanture de la boutique d'un célèbre antiquaire, d'une grosse bite en albâtre, reproduisant à l'échelle une sculpture de l'île de Délos aujourd'hui tronquée, vaut mieux que les photos de sans-domicile qui gisent de plus en plus nombreux dans les rues de la capitale. C'est tout de même de la copie de statuaire classique. Du style "Grand Tour".
Ah ! C'est le moment. Un peu de pédagogie s'impose pour atténuer la vigueur de cette image qui contrevient sûrement à la prude morale des réseaux sociaux.
Apparue à la fin du XVIIème siècle en Allemagne sous le nom de Junkerfahrt (il arrivait même que pour l'occasion on s’enrôlât militairement afin de voyager), la pratique du Grand Tour a été adaptée par les anglais en un voyage destiné à parachever la formation d'un "compleat gentleman" surtout dans le courant du XIXème siècle. Le Grand Tour constituait pour tout jeune homme de bonne famille souhaitant
parfaire son instruction, un passage obligé. Il y achevait ainsi ses humanités ouvrant son
esprit à d'autres cultures, surtout celles liées aux origines de la
société occidentale. Cet itinéraire en quelque sorte initiatique n'offrait pas qu'une dimension
intellectuelle, il attestait également l'accomplissement de l'éducation d'un homme — car bien entendu, ce privilège était exclusivement masculin — sa sortie de l'enfance et l'affirmation de sa virilité.
En l'occurrence, le message est bien passé.
Commençant par la France avec le classicisme
de Poussin et du Lorrain et parfois par les peintres hollandais, ce circuit se poursuivait en Italie afin d'y contempler les maîtres du Cinquecento, Raphaël, Michel-Ange, Léonard de Vinci et toute la clique, mais surtout l'antiquité romaine avec Pompéi et Herculanum. Enfin, il s'achevait aux racines de la culture occidentale, c'est à dire la Grèce et ses vestiges. Ayant accompli ce périple on pouvait enfin prétendre appartenir à l'élite, comme Lord Byron par exemple.
On ramenait beaucoup de souvenirs de ces excusions : des "Vedute" – vues utilisant la perspective pour représenter des architectures urbaines, essentiellement italiennes, mais aussi des moulages, et parfois même des éléments de statuaire.
Ça suffit. Voilà bien assez d'informations pour frimer en société ne me remerciez pas.
Revenons à cette photo.
J'aime aussi beaucoup le reflet de la femme garée devant ce mégalithe finement ouvragé et dressé là comme une promesse. Qui sait si, fumant une clope dans sa voiture, elle n'est pas en train de converser au téléphone avec un homme foutrement bien membré qui pourrait égayer sa soirée.