dimanche 29 mars 2020

Cockroaches


Voilà,
je me souviens de ce mur peint vu à New York au milieu des années quatre-vingts. J'en aime toujours autant le graphisme. Ces cafards si représentatifs de la vie new-yorkaise, du moins à l'époque, assis dans un salon avec des attitude humaines sont tout à fait réjouissants. Je me souviens que Shelton l'auteur des "Freaks Brothers", avait écrit un album racontant des histoires du Chat de fat Freddy qui s'intitulait "la guerre des cafards". je crois qu'il y avait un gag récurrent : le général de l'armée des cafards annonce des pertes considérables à l'empereur des cafards et ce dernier répond invariablement, "ce n'est pas grave, nous reviendrons, oui nous reviendrons de plus en plus nombreux". 
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vendredi 27 mars 2020

Jardins urbains

 

Voilà
 "Je ne sais ce qu'il y a de pauvre, de bizarre dans la substance intime de ces jardins citadins, qui fait que je ne peux bien le percevoir que lorsque je ne me perçois pas bien moi-même. Un jardin est un résumé de la civilisation – une modification anonyme de la nature.  Les plantes sont bien là, mais il y a des rues tout autour. Il pousse bien des arbres, mais on a mis des bancs à leurs pied. Dans leur alignement tourné vers les quatre côtés de la ville – ici réduite à une petite place –,  les bancs paraissent plus grands, presque toujours occupés." écrit Fernando Pessoa dans "Le Livre de l'Intranquillité".
N'empêche j'aimerais bien pouvoir m'y attarder moi, dans un jardin ou sur une petite place.
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jeudi 26 mars 2020

Car je vis à la ville et non dans la nature


 Voilà,
"Nuages... J'ai conscience du ciel aujourd'hui, car il y a des jours où je ne le regarde pas, mais le sens plutôt — car je vis à la ville, et non dans la nature qui la contient. Nuages... Ils sont aujourd'hui la réalité principale, et me préoccupent comme si le ciel se voilant, était l'un des grands dangers qui menacent mon destin. (...) Nuages... J'existe sans le savoir, et je mourrai sans le vouloir. Je suis l'intervalle entre ce que je suis et ce que je ne suis pas, entre ce que je rêve et ce que la vie a fait de moi, je suis la moyenne abstraite et charnelle entre les choses qui ne sont rien — et moi je ne suis pas davantage. Nuages... Quelle angoisse quand je sens, quel malaise quand je pense, quelle inutilité quand je veux ! (...) Nuages... Ils continuent de passer, ils passent toujours, ils passeront éternellement, enroulant et déroulant leurs écheveaux blafards, étirant confusément leur faux ciel dispersé. Fernando Pessoa in "Le Livre de l'Intranquillité"
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mercredi 25 mars 2020

Une image de l'ancien monde



Voilà,
tu retrouves une image qui te plaît, une image de l'ancien monde, celui d'avant, celui des fêtes, des parades, des carnavals, des manifestations, des rues occupées, des slogans, des fiertés, celui de l'aveuglement consenti au désastre, celui de l'insouciance, celui où l'on pouvait encore se payer de mots, où lorsque tu envisageais l'avenir de façon pessimiste on te disait comment tu peux vivre avec ce pessimisme et tu répondais "je me débrouille, je m'arrange, quand on s'attend au pire on ne peut qu'avoir de bonnes surprises", et là maintenant tu as la sensation qu'on s'en approche doucement, pour le moment ça va, tu es juste confiné, une bonne partie de l'humanité est confinée chez elle, ça veut dire que tu as un toit, tu as encore un peu d'argent, pour quelques mois, mais tu as un peu de mal à respirer, tu as des ganglions, tu éprouves une vague peur, le moindre reniflement, un petit mal de gorge et tu t'inquiètes, certains de tes proches aussi s'inquiètent pour eux. On s'ausculte, on se prends le pouls, on vérifie sa fièvre, c'est désormais un monde sans étreinte, sans caresse, sans contact, dans lequel il t'est donné de vivre, un monde suspendu, dans l'attente d'on ne sait quoi, dans l'attente que cela cesse, que cela cesse sans que la mort ne s'approche trop de toi, de ta famille, de tes amis, en espérant que la loterie vous épargnera.  
Aujourd'hui tu as fait des courses tôt le matin, tu as longuement marché dans les rues désertes, tu as trouvé ça bien, tu as eu peur quand tu as marché sur la grille d'une bouche d'aération du métro que le virus pénètre dans tes bronches, et tu t'es dit"ah merde c'est trop con", tu as fait quelques photos sans grand intérêt, tu as tué une araignée, tu as vu des oiseaux copuler sur ton balcon, tu as vu une grosse pie dans ta cour, tu as scrollé sur ton smartphone, tu as brièvement ouvert un livre, tu as procrastiné, tu t'es cuisiné un plat frugal, tu as vidé ta boîte mail, tu as tenu une longue conversation téléphonique avec un ami, et ça t'a rappelé le temps lointain de ta jeunesse, où vous faisiez de même, tu as bu beaucoup de thé, tu as un peu éternué, tu as pris des gouttes d'échinacées, tu as écouté la radio en évitant soigneusement les actualités, mais tu as quand même longuement traîné sur les réseaux sociaux, tu as lu des conneries peut-être écrit des conneries, lu des choses intelligentes aussi, pertinentes, tu as essayé de comprendre si le professeur Raoult avait raison ou avait tort, tu as pesé le pour et le contre, tu as liké, tu as commenté, tu as un peu dormi, tu t'es dit "ah on est quand même déjà mercredi, tu as entendu une belle version de my favorite things par Brad Mehldau, tu as regardé des photos, tu as péniblement commencé un photomontage qui ne te satisfait guère, tu as regardé longuement l'aspirateur au milieu de la pièce, tu  as regardé un peu dans les fichiers de ton ordinateur tu as retrouvé une image qui te plaît , une image de l'ancien monde celui d'avant, celui des fêtes, des parades, des carnavals
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mardi 24 mars 2020

Je ne rêve pas plus que je ne vis



Voilà,
D’ailleurs je ne rêve pas plus que je ne vis : je rêve la vie réelle. Tous les vaisseaux sont des vaisseaux de rêve, dès lors qu’il est en notre pouvoir de les rêver. Ce qui tue le rêveur c’est de ne pas vivre quand il rêve ; ce qui gêne l’homme d’action c’est de ne pas rêver quand il vit. J’ai fondu en une seule couleur de bonheur la beauté du rêve et la réalité de la vie. Nous avons beau posséder un rêve nous ne le possédons jamais autant que le mouchoir qui se trouve dans notre poche ou, si l’on veut, que notre propre chair. On a beau faire de sa vie une action pleine, démesurée, triomphale, on ne peut s’empêcher d’éprouver le choc du contact avec les autres, de trébucher sur des obstacles, même minimes, et de sentir le temps qui passe. 
Tuer le rêve c’est nous tuer nous-mêmes. C’est mutiler notre âme. Le rêve, c’est ce que nous possédons de plus intimement nôtre, de plus impénétrablement, inexpugnablement nôtre.
L’Univers, la Vie – réels ou illusoires – sont à tout le monde. Chacun peut voir ce que je vois, posséder ce que je possède – ou, tout au moins, se l’imaginer.
Mais ce que je rêve, nul autre que moi ne peut le voir, nul autre ne peut le posséder. Et si ma vision du monde extérieur diffère de la vision des autres, cela provient de tout ce que, sans le vouloir, je mets de mon rêve dans ma façon de voir, et de tout ce qui, de mon rêve, vient se coller à mes yeux et mes oreilles.
Fernando Pessoa in "Le livre de l'Intranquillité"
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dimanche 22 mars 2020

Rue Bertin-Poirée


Voilà, 
il m'a déjà été loisible de le constater par-ci ou bien par-là. La réalité offre parfois de cruels contrastes. 
Mais ça c'est une image d'avant le confinement généralisé du à la pandémie. Aujourd'hui la prise en charge des sans-domicile qui n'ont plus accès aux structures d'entraide habituelle, comme l'association internationale de bienfaisance rue Bertin Poirée où cette photo a été prise, s'avère problématique. Ils se retrouvent isolés sans accès à la nourriture ni à l'hygiène. Certains même parmi eux ne comprennent pas encore ce qu'il se passe et pourquoi il n'y a plus personne dans les rues. 
Bientôt des gymnases, des chambres d'hôtel, des internats vont être réquisitionnés pour servir au confinement et aux soins des sans-abri. Ce qui probablement ne manquera pas de poser, ultérieurement, d'autres problème d'hygiène.
Comme pour l’ensemble de la population, les personnes hébergées présentant des symptômes ou étant malades mais ne relevant pas d’une hospitalisation (pour mémoire, 80% des malades sont atteints de formes non sévères) doivent pouvoir être au maximum être confinées. Autant que possible, elles seront prises en charge dans les structures d’hébergement elles-mêmes (chambres individuelles, possibilités d’isolement d’une partie du bâtiment).
Cela ne sera cependant pas toujours réalisable du fait de l’absence de possibilité d’isolement dans certaines structures ou s’agissant de personnes à la rue. Aussi, des centres d’hébergement spécialisés pour malades non graves sont en cours de mise en place par les préfectures en lien avec les agences régionales de santé.
Selon les Autorités les deux premiers centres dits de « desserrements » ouvriront à Paris dans les prochains jours, pour un total de 150 places, dont le premier d’ici vendredi et ce déploiement va s’accélérer dans le reste du territoire dans les jours suivants. Plus de 80 sites ont été pré-identifiés dans toute la France par les préfets pour un total de 2 875 places et font l’objet d’une analyse approfondie, en lien avec la direction générale de la cohésion sociale.
L’accès à ces centres se fera sur avis médical. Les ARS mettront en place les mesures permettant une mobilisation adéquate des médecins, du personnel médical et de la réserve sanitaire pour assurer ces orientations et les éventuelles mesures de dépistage.
Mais ça ce sont les déclarations d'intention officielles. Il n'y a pas de masques, pas de tests disponibles. Les hôpitaux sont en sous-effectifs. Il est probables que dans les semaines à venir, le virus se propagera considérablement parmi ces populations. et il n'est pas sûr qu'il y ait beaucoup de cœurs souriants pour les accompagner.

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samedi 21 mars 2020

Dans ma bibliothèque



Voilà,
en fait ce confinement m'aide à réaliser des lubies que j'ai eues autrefois, me concernant. Ainsi m'est il, de temps à autre, arrivé de m'imaginer en train d'écrire paisiblement dans une maison en écoutant Mozart  —"l'écrivain comme fantasme" comme écrivait Barthes : "non l'œuvre mais la posture" — ce que je fais actuellement puisque l'adagio du concerto pour hautbois et cordes (c'est Shazam qui me le dit) passe sur France-Musique. Car en ce moment j'ai tendance à éviter tout ce qui parle du présent, de l'épidémie, de la crise sociale qui se propage. D'autres le font mieux que moi. Je suis comme la plupart des gens, assez inquiet. Moins par le virus, qui bien sûr risque de m'atteindre, que par l'engorgement des hôpitaux et l'impossibilité de traiter ce que suggèrent, en ce qui me concerne, d'autres symptômes. Pour faire bref, je ne suis pas dans la bonne fenêtre de soins.
J'ai aussi la certitude que rien ne sera plus comme avant. Que c'en est fini de cette paix illusoire. Que lorsque la pandémie sera momentanément maîtrisée, du chaos social risque de survenir. Cette crise a révélé trop d'impostures, d'incompétence, de cynisme. Sur les réseaux sociaux, ressortent les vidéos ou le président répondait à des infirmières constatant le manque de moyens avec une condescendance teintée de mépris "vous dites des bêtises". Mais, pendant que les gens sont confinés on continue de casser le code du travail à coup de décrets-lois. Elle dévoile aussi à quel point notre mode de vie est trompeur et repose sur des fausses valeurs. Cela risque d'être un détonateur, comme le fut le cas avec l'éruption du volcan Laki en Islande en 1784  qui causa des perturbations climatiques entraînant plusieurs années de mauvaises récoltes. La situation des paysans fut telle ensuite qu'elle provoqua des révoltes et des doléances dont on ne tint pas compte. Tout cela redoublé par la transition énergétique inévitable que personne n'anticipe, et le changement de paradigme nécessaire dont cette pandémie nous donne une petite idée. Bref, il est probable que je ne finirai pas mes jours dans un monde serein.
Aussi j'accepte ce confinement obligé comme un dernier répit qui m'est accordé. Comme une opportunité pour essayer de mettre un peu d'ordre dans mes affaires, tant que j'en ai la capacité physique. Je ne voudrais pas souffrir. J'aimerais pouvoir dire comme le sculpteur Brancusi  "Je ne suis plus de ce monde, je suis loin de moi-même et détaché de ma personne. Je suis chez les choses essentielles". Ce n'est pas gagné. Il y a chez moi tant de projets en plan, inachevés. Et puis je me laisse toujours distraire par le traitement de  mes photos, l'envie de réaliser des collages, des peintures digitales. et ces derniers jours celles de redessiner sur papier aussi.. Je me suis déjà exprimé à ce sujet. Ces activités soulagent du mal de vivre et me permettent d'exprimer au mieux ce que je deviens.
Toujours est il que j'apprécie de rester dans cet appartement. Même s'il y a trop d'objets devenus superflus. Trop de livres, de disques aussi que je n'écoute plus. D'affaires qui n'ont plus d'usage, de raison d'être. Je ne consulterai sans doute plus jamais, les vieux numéros de l'Autre Journal créé par Michel Butel. Ce serait sans doute une douleur de lire les vieux "Charlie mensuel" qui me renverraient au souvenir de qui-je-fus, et à toutes les espérances et les illusions qui étaient alors les miennes, et aux promesses que je n'ai pas su tenir. Je ne me suis pas construit la vie que je m'étais imaginée. J'ai fait du mieux que j'ai pu. Je me suis quand même beaucoup amusé. J'ai plus souvent joué que travaillé et plutôt traversé la vie en dilettante. Mais c'est une autre histoire.
Aujourd'hui, le futur ne m'offre guère d'autre perspective que de tenter de continuer à donner, dans la mesure de mes moyens forme à ce que j'ai vécu, à ce que j'ai rêvé. je ne suis pas triste. Juste un peu stupéfait, abasourdi. cela me fait songer à des lignes de Michaux dans "Épreuves, exorcismes" :"Nous nous consultons. Nous ne savons plus. Nous n'en savons pas plus l'un que l'autre. Celui-ci est affolé. Celui-là confondu. Tous sont désemparés. Le calme n'est plus. La sagesse ne dure pas le temps d'une inspiration. (...) Qui sur notre sol reçoit encore le baiser de la joie jusqu'au fond du cœur ?"

*
 
Un jour, il y a eu cet aperçu dans ma bibliothèque. Je crois que c'était vers le printemps 2008. Ces images y étaient déposées : d'un côté le portrait de Rimbaud, de l'autre ce pop-up représentant une petite bergère, et puis le reflet d'une des fenêtres du salon où se projetait le monde extérieur. J'y suis encore tout entier. C'est moi, c'est mon environnement, celui que je ne regardais plus à force d'y être, et que je reconsidère désormais, à force d'y être. Curieux paradoxe.
Dehors le printemps commence.
C'est un jour gris.
Les rues sont désertes.
Aujourd'hui Peter Brook a 95 ans. 
Je me souviens de Peter Brook quand nous répétions au Bouffes du Nord. Il m'arrivait de le croiser dans les couloirs du théâtre. Il saluait alors chaleureusement son interlocuteur, lui serrant la main. Il vous regardait alors dans les yeux, échangeant quelques paroles. Dans ce bref échange, il était intensément là. Avec vous. Peu de gens sont capables de manifester une telle présence et une telle générosité dans ce genre de situation.

jeudi 19 mars 2020

Porcs-épics


Voilà,
Je me souviens que sur ce quai de gare, j'avais pensé – je ne sais plus par quelle association d'idées – à la fable de Schopenhauer sur les porc-épics. Enfin si, à vrai dire je me souviens très bien, mais il serait déraisonnable d'en faire part ici. Cela restera entre le paysage et moi. Un bref instant, j'avais retrouvé cette solitude éprouvée quand je voyageais seul dans ma jeunesse, lorsqu'on se retrouve dans des lieux improbables à attendre des bus ou des trains qui ne viennent pas. Parmi le craquètement des cigales et les stridulations des grillons, j'avais aussi repensé à la gare de Boghari où je m'étais senti bien seul lorsque j'y étais retourné, voilà bien des années, et quelque peu inquiet aussi.
Aujourd'hui, de nouveau, avec cette affaire de "distanciation sociale" recommandée par les médecins, cette histoire de porcs épics me revient. Je vous la livre : "Par une froide journée d’hiver, un troupeau de porcs-épics s’était mis en groupe serré pour se garantir mutuellement contre la gelée par leur propre chaleur. Mais tout aussitôt ils ressentirent les atteintes de leurs piquants, ce qui les fit s’éloigner les uns des autres. Quand le besoin de se chauffer les eut rapprochés de nouveau, le même inconvénient se renouvela, de façon qu’ils étaient ballottés de çà et de là entre les deux souffrances, jusqu’à ce qu’ils eussent fini par trouver une distance moyenne qui leur rendit la situation supportable. Ainsi, le besoin de société, né du vide et de la monotonie de leur propre intérieur, pousse les hommes les uns vers les autres ; mais leurs nombreuses qualités repoussantes et leurs insupportables défauts les dispersent de nouveau. La distance moyenne qu’ils finissent par découvrir et à laquelle la vie en commun devient possible, c’est la politesse et les belles manières.”
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mercredi 18 mars 2020

Une étrange pensée



Voilà,
Cette nuit m'est venue une étrange pensée. Oh ce n'est pas une pensée qui calme ni qui rassure. Elle n'apaise pas les angoisses qu'alimentent les bulletins de radio et les réseaux sociaux, bien plus que le confinement lui-même, d'ailleurs. Oui un instant il m'est apparu que peut-être ce virus n'en était pas un. Qu'il était au contraire juste un moyen, une sorte d'anticorps que la Nature a trouvé pour se défendre de son principal prédateur, qu'elle a, en un temps lointain, elle-même généré et qui, depuis qu'il existe, n'a cessé de bouleverser son ordre, s'érigeant perpétuellement contre elle. Car, à bien y réfléchir l'espèce humaine toujours désireuse de transformer à son seul profit tout ce qui vit autour d'elle (jusqu'à provoquer des désastres irréversibles) n'aurait elle pas précisément le comportement d'un dangereux virus mutant dont devrait impérativement se défendre la Nature ? Car rien n'exclut d'envisager que cette dernière constitue un organisme en soi, très complexe possédant une forme d'intelligence à laquelle nous n'avons pas accès, qui lui dicte la nécessité de réduire, sinon d'éradiquer ce qu'il n'est pas déraisonnable de considérer pour elle comme une nuisance insupportable — du moins depuis l'avènement de la révolution industrielle avec laquelle on fait coïncider l'ère de l'Anthropocène —.
Pandémie bien sûr, mais n'oublions pas le reste qui est au moins tout aussi inquiétant : aux iles Marshall sur l'île de Runit, le grand dôme en béton construit pour contenir les déchets radio actifs liés aux essais nucléaires est en train de se fissurer. La fonte du permafrost va libérer de non seulement du méthane mais aussi de vieux virus qui étaient congelés depuis des siècles. Les bombes chimiques des guerres précédentes jetées à la mer et corrodées par le sel vont tôt ou tard lâcher leurs poisons. La raréfaction de l'eau potable à la surface du globe, l'élévation du niveau des mer liée à la fonte des banquises, sans compter les périls que nous font courir les dirigeants populistes tous plus tarés les uns que les autres, les motifs d'inquiétude sont nombreux et d'ailleurs non exclusifs les uns des autres. Cette crise majeure ne fait que mettre en lumière cet aveuglement au désastre qui caractérise nos sociétés dites évoluées, même s'il n'est guère probable que cela suscitera un quelconque sursaut de lucidité parmi ceux qui dirigent les destinées de nos nations.
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lundi 16 mars 2020

Ce néant qui peut être autre chose


Voilà,
je ne peux pas passer mon temps à simplement gloser sur l'impéritie teintée de cynisme de nos dirigeants face à la pandémie de Covid19, ou à gamberger sur mes angoisses et celles de quelques un(e)s de mes ami(e)s, ni à m'énerver contre la connerie et l'ignorance de certains de mes contemporains, ni à remâcher les quelques imprudences que j'aurais pu commettre ces derniers temps. Je suis allé me ravitailler chez le boulanger, au supermarché, chez le marchand de légumes, mais bon tout de même il faut manger... Allez, advienne que pourra.
En attendant j'ai retrouvé ce collage d'inspiration plutôt gothique, réalisé il y a trois ou quatre ans, et l'envie m'est venue de l'associer à ce texte relu après avoir vu "Lisbon story" le film de Wenders, où il est inévitablement aussi question de Pessoa. Un peu de littérature, ça fait quand même du bien en ces temps incertains : "Quant à moi qui déteste la vie avec timidité, j'ai peur de la mort avec fascination. Je redoute ce néant qui peut être autre chose, et je crains simultanément ce néant et cet autre chose ; comme s'il pouvait unir en lui le nul et l'horrible, comme si on allait enfermer dans mon cercueil la respiration éternelle d'une âme corporelle, comme si on y torturait de claustration quelque chose d'immortel. L'idée de l'enfer, que seule une âme diabolique a pu inventer, me semble résulter d'une confusion de ce genre, du mélange de deux terreurs différentes, qui se contredisent et se corrompent mutuellement." 
 Fernando Pessoa in "Le Livre de l'Intranquillité"

dimanche 15 mars 2020

On doit trafiquer quelque chose


 Voilà,
au regard de ce qu'il se passe dans ce pays, je m'aperçois à quel point, ce billet publié il y a dix jours, était assez juste. Aujourd'hui l'incapacité à affronter efficacement un état de crise sanitaire, en dépit des appels réitérés de responsables médicaux et de personnels de santé à l'intention des dirigeants, s'avère criante. Pourtant ce n'était pas faute d'avoir été prévenus. Mais il y avait cette croyance érigée en dogme que cela n'arriverait pas jusqu'à chez nous.
En quelques jours nous sommes passés à la phase du confinement. Cependant nos dirigeants nous disent de rester chez nous, mais pas vraiment puisqu'ils ont maintenu les élections municipales. C'est le dogme absurde sur lequel repose la pensée de notre petit président. Pris dans l'injonction contradictoire qui m'est faite d'aller voter et de devoir rester à la maison (pour ne pas contaminer si je suis un porteur sain, ou ne pas être contaminé), je suis quand même sorti pour remplir mon devoir de citoyen (enfin surtout voter contre les représentants de ce pouvoir) et faire quelques courses. Au passage j'ai pris ces deux photos rue Daguerre. 



A partir de ce soir, et pour un temps indéterminé tout va être mis entre parenthèses à cause de cette pandémie, y compris les soins accordés à la plupart des autres maladies semble-t-il. Je me fais du souci pour ma fille pour sa mère, pour des amis proches. Et pour ce qui me me concerne je me rassure en  constatant que je n'ai pas de température. Sinon, il y a aussi les empêchements que cette situation génère. les obsèques de Didier Bezace auront lieu à huis-clos. On ne pourra pas lui rendre un dernier hommage. Même les enterrements et les crémations vont se faire en catimini. Dans les semaines qui viennent je vais tâcher de me prendre à des tâches pratiques qui nécessitent de la concentration, histoire de ne pas trop gamberger. "On doit trafiquer quelque chose" J'ai des idées de photomontages, de dessins. On verra bien. "On n'a pas tous les mêmes cartes" (linked with Monday murals)


samedi 14 mars 2020

Life can be perfect


Voilà,
mon forsythia a commencé à fleurir le 12 Mars, jours de l'annonce en France des consignes de confinement au motif de ce fameux coronavirus (covid-19 de son petit nom) qui a acquis son statut officiel de pandémie. Donc nous voilà au mieux, réduits à 30 jours de cocooning intensif. C'est certes forcément plus pénible dans les villes que dans les campagnes, mais ce n'est pas non plus le siège de Sarajevo ou d'Alep, ni le Yémen. Pour le moment c'est juste, redoublée par la conscience de notre soudaine vulnérabilité, l'angoisse éprouvée devant ce que nous sommes incapable de rationaliser. 
Ce que met désormais en lumière cette épidémie c'est l'impréparation de nos sociétés pour faire face à l'événement mais aussi l'incohérence de leurs fonctionnements. La politique de flux tendus au nom du profit maximum montre ses limites, et celle de la destruction massive des services publics révèle ses inconvénients. Quand on réduit le nombre de fonctionnaires il ne faut pas s'étonner que cela ne fonctionne pas. Aujourd'hui en France on s'aperçoit par exemple que la restriction du nombre de lits dans les hôpitaux  – 17500 en moins moins au cours des six dernières années – a un impact sérieux sur la gestion de cette crise, de même que la diminution du personnel soignant dans les hôpitaux. Et que dire des chiffres de l'Italie : 70 000 lits fermés en dix ans, réduction de 37 milliards d'euros pour les dépenses du système de santé. Ce n'est pas seulement le coronavirus qui tue, mais surtout l'austérité. D'ailleurs en France des recherches sur ce type de virus avaient été initiées après l'épidémie de SRAS de 2008 en Chine, et puis les pouvoirs publics jugeant que ce n'était plus un sujet d'investigation rentable, puisque l'épidémie ne s'était pas reproduite, ont coupé les crédits.
Les premières victimes de cette crise, autant que les malades, vont être les travailleurs précaires, les petits entrepreneurs, les indépendants, les commerçants et non les grandes entreprises qui ne payent pas d'impôts ni leurs actionnaires qui seront juste un peu moins riches.
Au moins prenons nous conscience de la fragilité du système neolibéral qui régit nos échanges économiques et sociaux. L'injustice qui est au principe même de ce système va en apparaître que plus flagrante. Mais ne nous leurrons pas, les riches, les possédants ne lâcheront rien. Ce sont d'abord, les pauvres qui vont mourir, pas forcément de la maladie, mais de ses effets collatéraux car tout cela provoquera encore plus d’exclusion, de chômage et de détresse.
Nous vivons dans un monde de capitalisme financier où les banques et les fonds d’investissement et de pension font la loi tant que ça rapporte (et sinon exigent des deniers publics pour les sauver), où les Bourses dominent l’économie, où les multinationales ont joué la mise en concurrence de pays qui se mettent, sous leur influence, au dumping social, écologique et fiscal. Un monde et des nations où la dérégulation est devenue la norme, dans le champ de la finance en vertu d'accords dits de libre-échange et de libre investissement qui attribuent de tels pouvoirs aux multinationales que ces dernières peuvent modifier les règles du jeu aux dépens des États.
Dans ce contexte de la mondialisation financière néolibérale, "le coronavirus joue le rôle d’une simple allumette capable de mettre feu à tout un immeuble parce que ce dernier est construit avec des matériaux hautement inflammables, parce que les conduites de gaz sont percées, parce qu’il n’y a pas d’alarme incendie ni de services de pompiers. Bien d’autres allumettes auraient pu et peuvent encore mener à une possible récession liée à un krach boursier" comme le fait remarquer Jean Galdrey dans le quotidien "Reporterre"


Au moins ce virus a-t-il une vertu : celle de nous donner une idée du chaos auquel nous devons nous préparer et qui ne manquera pas, si l'on en croit le diagramme du club de Rome, de survenir désormais à très brève échéance avec plus d'amplitude encore, en raison des désordres sociétaux à venir, combinés au changement climatique global. D'ailleurs ne serait-il pas plus judicieux de considérer cette pandémie comme une première phase du désastre écologique qui nous guette, d'y voir une des premières manifestations de ce fameux effondrement dont on parle tant depuis quelques années. Autant penser d'ores et déjà la catastrophe globale au présent même si, soit dit en passant, de nombreux peuples la vivent depuis longtemps.
En attendant, dans notre vie quotidienne, des choses que l'on croyait immuables sont remises en question. Le cycle des compétitions sportives par exemple. Celui des festivals de musique, de théâtre. Les musées ferment. Les lieux de culte aussi. Les monuments sont interdits à la visite. Tous ces rituels supposés unir des foules dans une même ferveur, une même communion sont annulés. Ainsi cette année, la place Saint-Pierre au Vatican sera probablement déserte à Pâques.
Bien sûr en Europe, il y a quelques incohérences. Les britanniques mus par quelques vieil instinct tribal ou insulaire n'annulent pas le match de Rugby opposant cet après-midi l'Écosse au Pays de Galles. En football Liverpool a accueilli récemment l'équipe de l'Atletico de Madrid et ses supporters. Mal lui en a pris, elle a perdu. Pourvu que la ville n'y ait pas gagné trop de contaminations. En France on maintient les élections municipales (il faut dire que le discours du président sur l'épidémie tenait aussi lieu de discours électoral, le cynisme n'a pas de borne). Les belges par contre ont convenu de fermer les bars et les commerces. Les Espagnols aussi. Sans doute qu'on fera de même d'ici peu. On ferme les frontières à l'intérieur de l'Europe. On chasse les miséreux qui se pressent à nos frontières. Chaque jour apporte son lot de nouvelles alarmistes. Il semblerait que nous vivions une période historique.
On en profitera dans un premier temps pour lire les livres qu'on se promet de lire depuis longtemps, pour regarder des vidéos, écouter du jazz et de la musique classique, découvrir des trucs qu'on ne connaît pas, pour faire du ménage aussi, jeter des vieux papiers, trier des photos, planter des fleurettes, explorer les paysages intérieurs, réparer, rapiécer, bricoler dans la mesure de ses moyens. En essayant de ne tomber malade en aucune façon.
PS. Finalement, in extremis, le match de Rugby a été reporté.
(Linked with weekend reflections

vendredi 13 mars 2020

Songer aux Himbas à Nanterre

 


Voilà,
un jour je suis resté assez longtemps assis sur un banc, dans le parc de Nanterre, où je traînais parce que j'étais en avance à mon rendez-vous. Pour m'occuper je regardais des trucs sur mon smartphone même si ça ne me rend pas pour autant plus intelligent. Et puis par hasard j'ai trouvé cette jolie histoire sur le net.
"Chez les Himbas de Namibie en Afrique australe, la date de naissance d’un enfant est fixée, non pas au moment de sa venue au monde, ni à celui de sa conception, mais bien plus tôt : depuis le jour où l’enfant est pensé dans l’esprit de sa mère . 
Quand une femme décide qu’elle va avoir un enfant, elle s’installe et se repose sous un arbre, et elle écoute jusqu’à ce qu’elle puisse entendre la chanson de l’enfant qui veut naître. Et après qu’elle a entendu la chanson de cet enfant, elle revient à l’homme qui sera le père de l’enfant pour lui enseigner ce chant. Et puis, quand ils font l’amour pour concevoir physiquement l’enfant, ils chantent le chant de l’enfant, afin de l’inviter.
Lorsque la mère est enceinte, elle enseigne le chant de cet enfant aux sages-femmes et aux femmes aînées du village. Si bien que, quand l’enfant naît, les vieilles femmes et les gens autour de lui chantent sa chanson pour l’accueillir.
Au fur et à mesure que l’enfant grandit, les autres villageois apprennent sa chanson. Si bien que si l’enfant tombe, ou se fait mal, il se trouve toujours quelqu’un pour le relever et lui chanter sa chanson. De même, si l’enfant fait quelque chose de merveilleux, ou traverse avec succès les rites de passage, les gens du village lui chantent sa chanson pour l’honorer.
Dans la tribu, il y a une autre occasion où les villageois chantent pour l’enfant. Si, à n’importe quel moment au cours de sa vie, la personne commet un crime ou un acte social aberrant, l’individu est appelé au centre du village et les gens de la communauté forment un cercle autour de lui. Puis ils chantent sa chanson. La tribu reconnaît que la correction d’un comportement antisocial ne passe pas par la punition, c’est par l’amour et le rappel de l’identité. Lorsque vous reconnaissez votre propre chanson, vous n’avez pas envie ou besoin de faire quoi que ce soit qui nuirait à l’autre.
Et en va de même ainsi à travers leur vie. Dans le mariage, les chansons sont chantées, ensemble. Et quand, devenu vieux, cet enfant est couché dans son lit, prêt à mourir, tous les villageois connaissent sa chanson, et ils chantent, pour la dernière fois, sa chanson."
J'ai levé les yeux, j'ai regardé le paysage devant moi, si atrocement laid et si dénué de générosité avec ces deux tours au loin, siège et symbole d'une grande banque française. Il commençait à faire un peu frais ; j'ai redouté qu'il se mette à pleuvoir. J'ai pensé que le monde dans lequel je vivais était décidément bien absurde. Quel rapport pouvait-il bien avoir entre cette humanité dont j'ignorais tout avant de tapoter sur cet engin sophistiqué pourtant devenu en moins de dix ans banal et quotidien et la réalité qui était la mienne ?  Une fille voilée passa qui trottinait vêtue d'un jogging sombre et de nike jaunes fluos. Non loin de jeunes noirs dansaient et exécutaient en parlant très fort des figures complexes autour d'un ghetto-blaster diffusant du rap américain. Quelques canards cancanaient non loin. J'eus soudain une terrible envie de crêpe au sucre.

Souvenir des jours ordinaires.

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jeudi 12 mars 2020

Un Genre de Saudade



Voilà,
En 1994 paraît le film de Wim Wenders, "Lisbon story", récemment réédité en DVD dans une version restaurée. L'histoire est celle d'un ingénieur du son qui, répondant à une lettre d'un ami réalisateur en tournage dans la capitale lusitanienne, décide de le retrouver là-bas. De ce film, très touchant au demeurant, puisqu'on y voit Lisbonne avant qu'elle ne devienne une destination touristique, j'évoquerai surtout les dix premières minutes durant lesquelles se succèdent des paysages de routes et d'autoroutes entre Francfort et le Portugal. Et, tout au long de ce trajet, l'autoradio de la voiture que conduit le personnage principal diffuse des bribes de nouvelles d'actualités dans des langues différentes. Le commentaire en off, rend compte, par le truchement de son personnage, de l'enthousiasme de Wenders pour l'abolition des frontières et pour la possibilité de traverser une partie du continent comme s'il s'agissait d'un même pays (et pourtant il n'y pas encore à ce moment là de monnaie unique). Il y évoque cette croyance répandue à l'époque que c'est le meilleur moyen de maintenir la paix dans cette région du monde. N'oublions pourtant pas que durant ces années les différentes nations de l'ex-Yougoslavie se déchiraient dans une guerre sanglante. Entendre aujourd'hui les mots d'une naïve espérance que nous fûmes nombreux à partager, celle d'une Europe sociale, d'une Europe des peuples, d'une Europe solidaire a quelque chose d'étrange, car on est bien évidemment loin de ça aujourd'hui. Les frontières intérieures se ferment momentanément en raison de l'épidémie de coronavirus, et l'Union Européenne qui n'a d'union que le nom se révèle incapable de trouver des solutions communes à ce problème comme à tant d'autres. De nouveau le spectre de la guerre rôde à nos frontières, et, fuyant les massacres qui meurtrissent leur pays, des exilés désireux de trouver refuge en Europe se voient brutalement refoulés ou internés dans des camps provisoires insalubres se heurtant au refus brutal de leur droit d'asile. Que pèse notre confinement au regard de leurs errances.
J'écris cela au petit matin. A la radio les nouvelles tournent en boucle – les Etats-Unis viennent de décider que tous les vols en provenance de l'Europe sont suspendus pour un mois, le club de foot de la capitale a gagné son match de qualification dans un stade vide, selon l''OMS l'épidémie de coronavirus accède au statut de pandémie, on parle de crise (sanitaire, financière, économique), le président va faire une déclaration solennelle –. Je n'ai pas envie de me lever. Je ne tousse pas je n'ai pas de fièvre, mais je ne me sens pas pour autant dans une forme éblouissante. Mon corps est à l'image de mon appartement. Plein de petits trucs se déglinguent. Dehors il pleut, il fait gris. Hier un grand acteur français qui fut autrefois un de mes enseignants vient de quitter ce monde. Je repense à Lisbonne. Y retournerai-je, un jour ? Allez je vais écouter Madredeus
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mercredi 11 mars 2020

La Nécessité de l'oubli


Voilà,
un soir il y a quelques années, quand j'aimais photographier les ombres fugitives et choisir des temps de pose qui rendent les corps fantômatiques, j'ai attendu S. près du métro Jules Joffrin. C'était en février 2014. Je ne parviens pas à me rappeler de la raison pour laquelle nous étions convenus de nous retrouver à cet endroit si peu usuel pour moi à l'époque. Mais comme le disait récemment Patrick Wotling dans une émission de radio "il faut avoir un minimum de liberté, de légèreté, ne pas être écrasé par le poids du souvenir… C’est l’une des directions qui permettent de commencer à comprendre pourquoi Nietzsche valorise l’oubli. Nietzsche fait un rapport au modèle animal qui est très parlant : l’animal ne connaît pas les angoisses, les crises d’identité qui sont devenues le lot commun de l’homme contemporain et Nietzsche l’attribue notamment au fait que l’animal ne souffre pas de cette hypertrophie de la mémoire qui surcharge, paralyse les régulations vitales fondamentales… L’animal vit dans l’instant". Ce qui ne m'arrive plus très souvent, je dois en convenir. D'ailleurs, au passage un peu de bestialité ne me ferait pas de mal.
S. m'a finalement rappelé que nous étions allé voir dans un théâtre situé à proximité un spectacle intitulé "la liste de mes vœux" 

mardi 10 mars 2020

Monk à Châteaudouble



Voilà,
j'ai fini, il y a quelques semaines la biographie de Monk écrite par Laurent de Wilde. Je me souviens très bien où et comment j'ai découvert Monk. J'avais 17 ans à Châteaudouble, le premier été que passé là-bas. Il y avait le disque "genius of modern music vol one", dans la discothèque du salon. La plupart des autres disques étaient des enregistrements de musique classique, en particulier beaucoup de concertos pour violons de Vivaldi. Je pense que Philippe et Dominique avaient fait l'acquisition du disque de Monk à l'occasion de son passage quelques années auparavant à la maison de la culture d'Amiens où il s'était produit en concert quand Philippe en était le directeur. Il existe d'ailleurs une photo de Martine Franck me semble-t-il, représentant Monk assis sur une banquette juste en dessous d'un tableau de Pierre Soulages et qui figurait dans le bilan d'activité de la Maison de la Culture avant que Philippe ne la quitte. 
 Je me souviens avoir été touché mais aussi très intrigué par cette musique qui était du jazz et aussi quelque chose d'autre de moins identifiable, un peu dérythmé (cela devait être le morceau "Ruby my dear"), qui donnait l'impression que les morceaux étaient train de s'inventer, de se chercher en même temps que s'affirmait la mélodie.  Je ne trouvais pas ça vraiment beau, bizarre plutôt, assez intrigant et légèrement dérangeant, mais pourtant dès qu'il n'y avait personne dans le salon, je l'écoutais. Le pouvoir de la musique, c'est cette faculté de nous dépayser, de nous téléporter dans un autre temps un autre lieu, de raviver des sensations et les sentiments qui étaient alors les nôtres.  Ce disque je l'associe à cette maison, après le 15 août quand le temps devient plus incertain, qu'il y a des orages que les jours raccourcissent presque brutalement et que l'on réalise en regardant par la fenêtre les nuages bien bas de l'autre côté des gorges, que l'été est vraiment trop vite passé. Je me souviens de l'escalier qui menait au grenier de Châteaudouble, du vieux coffre en bois et de ce tableau (une impression sur un support métallique dont je ne me rappelle plus l'auteur). Il m'arrivait alors de ressentir une vague tristesse sans trop savoir quoi faire. Les Indonésiens appellent cet état "Termangu-mangu"


Mais, revenons à Monk : bien des années plus tard, j'ai vu ce film "Straight no chaser" qui lui est consacré, où l'on perçoit quel genre d'homme étrange il pouvait bien être parfois. Cet extrait vidéo en rend compte un peu quand il se lève et se met à esquisser quelques pas d'une danse étrange. Mais ce qui me touche aussi, c'est cette relation brute qu'il entretient avec le clavier, qui suggère que le tempo est une affaire de corps, c'est sa façon de se situer par rapport à l'instrument, de se tenir face à lui. Mais avec un surplomb inhabituel alors que la mélodie se développe comme une équation en une suite d'instants travaillés comme de la matière.  Ce corps puissant m'émeut terriblement parce qu'il a quelque chose à la fois de brut et d'enfantin, d'inaliénable, de définitivement rétif aux conventions. Il se pose là comme un mystère, une énigme. Il est totalement déraisonnable. Il existe un film, ou l'on voit Monk jouer, alors que Count Basie est accoudé au piano que Monk martèle. À un moment Count Basie esquisse un sourire en regardant Monk. On dirait qu'il se moque de lui de sa façon de jouer qui est aussi une façon d'être. Et se sourire en une fraction de seconde révèle tout  l'écart, la distance qui peut exister entre un qui se considère comme un comte, un aristocrate, et l'autre qui est le moine de sa propre musique. Peut-être après tout Monk est-il au Jazz ce que François d'Assise fut à la religion catholique.

dimanche 8 mars 2020

Erreur d'aiguillage


Voilà,
il passa près du rideau de fer sans prêter attention à l'image qui y était peinte tant l'absorbait la lecture de ce message dont le numéro de l'expéditeur lui était inconnu. Il y était question d'un certain Philitas de Cos (vers 340 - vers 285 av. J.-C.)  Le texte rapportait ceci : "Décrit selon des sources anciennes comme un fouineur ennuyeux et trop pédant, il était incapable de s'empêcher de corriger constamment les autres. Poète et érudit il fut le tuteur du roi d'Egypte Ptolémée II, et joua un rôle clé dans la popularisation de l'école de poésie hellénistique, qui s'est épanouie à Alexandrie. Plus tard, les poètes, tels que l'Ovide romain, l'évoquèrent comme un  modèle. Toutefois on raconte à son sujet qu'il s'est tellement pris à corriger les erreurs des uns, à enquêter sur les faux arguments et les mauvais choix de mots des autres, qu'il mourut de faim en faisant des recherches afin d'écrire un essai sur l'utilisation erronée des mots. Sur sa tombe fut gravé l'épitaphe suivant : "Étranger, Philitas est mon nom, je vécus  les mots  fallacieux et le souci des soirées nocturnes m'ont tué". Un smiley  avec une tête de travers des yeux dissymétriques et un sourire langue tirée concluait les message.
Il répondit laconiquement "je crois qu'il y a une erreur d'aiguillage". "en effet" lui fut-il adressé en retour avec un smiley représentant quelqu'un riant aux larmes.
Il se demanda quel genre de personnes pouvait s'échanger de telles informations.
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jeudi 5 mars 2020

Cabinet dentaire


Voilà,
Marcangelo Bovale s'aperçoit que le cabinet dentaire où il a coutume de se rendre a été racheté par un autre dentiste, Monsieur Joubertin, plus âgé que le précédent qui lui demande, alors qu'il est en train d'effectuer un détartrage ce qu'il pense de son prédécesseur. Bien sûr Marcangelo Bovale, ne peut répondre que par des ahanements inarticulés. Cela fait beaucoup rire les quatre assistantes, toutes plus jeunes et jolies les unes que les autres qui s'affairent autour de son fauteuil, sans pour autant accomplir de tâche précise. D'ailleurs, tout en glissant sur le sol comme Michael Jackson lorsqu'il exécute un moonwalk, elles se livrent avec leurs mains à une sorte de chorégraphie minimaliste comme si elles manipulaient un globe invisible. De temps à autre aussi  des membres de sa famille traversent le cabinet où il opère. Il en profite pour présenter ses enfants, deux adolescents, un garçon et une fille aux dents parfaitement rutilantes qui ne cessent de sourire sans jamais parler. Puis le Docteur Joubertin, décide de préparer un amalgame pour une molaire. Deux de ses assistantes, installent Marcangelo Bovale devant une baie vitrée d'où il est possible d'apercevoir un étang derrière lequel se dresse une église. Du temps passe. Marcangelo Bovale songe, en regardant le paysage qu'au cours de sa vie il aura connu deux années palindromes (1991 et 2002) et qu'il  est probable que peu d'êtres vivants parmi ceux qui ont connu la dernière seront encore de ce monde en 2112 lorsque la suivante adviendra.
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mercredi 4 mars 2020

Jamais comme prévu



Voilà,
même si le pire est toujours à envisager, il n'arrive jamais comme prévu. C'est étrange, on cherche toujours à deviner l'avenir, mais les oracles font rarement preuve de perspicacité. Et lorsque certains d'entre eux s'avèrent clairvoyants et en capacité d'argumenter au moyen d'analyses fines et subtiles, ou au filtre d'hypothèses concordantes, ceux qui ont le pouvoir de décider ne les écoutent pas. Donc, si la plupart du temps cela ne se réalise jamais tout à fait comme on l'imaginait, il est rare que cela advienne mieux qu'on ne le supposait. De l'imprévisible surgit, rendant un temps inintelligible la réalité, contrariant les projets qu'on y faisait. Ça se passe autrement voilà tout. C'est la nature même de l'événement d'être surprenant. Comme le disait Cocteau, "les choses ont une façon bien à elles d'arriver". Et parfois elles arrivent toutes en même temps. On réalise alors que les petits symptômes qu'on avait considérés avec dédain, combinés à d'autres paramètres jusque là tenus pour incertains, voire hasardeux, constituent une équation soudain effrayante parce qu'insoluble dans l'immédiat si bien que toutes les options semblent inappropriées. Et l'ordre des choses, ou ce qu'on nous faisait passer pour tel, ne semble plus aussi fiable. Tout un édifice de croyances se lézarde, et ce qui paraissait, il y a peu de temps encore une improbable fiction  — que nous redoutions cependant sans pour autant vouloir l'admettre — prend lentement forme sous nos yeux, sans que nous puissions nous en affranchir. Et il faut se rendre à l'évidence : nous ne nous étions pas préparés. Et concéder enfin qu'un sursis, par définition, ne peut se prolonger indéfiniment. Linked with the weekend in black and white)

mardi 3 mars 2020

Dramatiquement passionnant


Voilà, 
pire que la sensation de solitude : le constat que l’on préfère encore ce désagrément à l’inconfort et l’embarras éprouvés en présence d’autrui.
Ce qui en cette période d'épidémie,  participe opportunément d'une forme de prophylaxie que l'on pourrait qualifier de citoyenne
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dimanche 1 mars 2020

Elégance


Voilà,
aucun amant n'était digne d'elle s'il ne consentait a écouter le récit sans cesse recommencé de cette histoire d'amour qui l'avait tant fait souffrir ; et c'était, selon elle, manquer de classe que de se soustraire à la litanie répétée de ses plaintes et lamentations. Elle avait le chagrin artiste, un don littéraire certain, une plume acérée, un style indubitable, mais l'élégance qu'elle mettait dans ses phrases lui faisait terriblement défaut dans la vie. (linked with monday mural)

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