De nos jours donc, si tu veux t'insérer dans la vie sociale et professionnelle, il faut revendiquer une expertise. Que bien sûr tu dois valoriser sur tes rėseaux en la "pitchant" comme il se doit. Mais aujourd'hui l'entreprise parvient à faire de ses employés oups de ses collaborateurs les experts de leur propre licenciement. C'est la servitude volontaire au service du fascisme entrepreneurial. En même temps que cette photo de la couverture du magazine "Challenges" décrivant notre président comme un Hyper-PDG, je reproduis donc in extenso cet
article de Nolwen Weiler paru dans Basta.
"Les salariés de chez Pimkie, enseigne de prêt-à-porter appartenant à la famille Mulliez (groupe Auchan, 4ème fortune française avec 30 milliards d’euros), ont appris début janvier que 208 postes seront supprimés – soit 10% des effectifs en France – et 37 magasins fermés. Selon la direction, la proposition émane pourtant des salariés eux-mêmes ! Elle est le résultat de « groupes de travail » mis en place en décembre par la direction avec les salariés. Objectif : réfléchir de manière « participative » à l’amélioration de la santé économique de l’entreprise Comment ces salariés en sont-ils arrivés à décider de ces suppressions d’emplois ?
La direction peut se dédouaner, et dire que ce sont les salariés qui sont à l’origine des licenciements », tempête Séverine Salperwyck, déléguée syndicale de Force ouvrière (FO). La méthode « participative » a été initiée à l’automne et orchestrée par le cabinet Prospheres, spécialisé « dans la transformation et le retournement d’entreprises ». Elle s’est ouverte par une grande assemblée générale où une « IRM » de l’entreprise – son état de santé économique et financière – a été présentée aux salariés. « Ils nous ont bien répété que nous n’étions pas rentable, que nous perdions de l’argent tous les jours », se souvient Severine Salperwyck.« Ensuite, ils nous ont dit : "C’est vous, les salariés qui êtes les plus à même de transformer cette entreprise" », ajoute Valérie Pringuez de la CGT. « Ils parlent de "méthode transversale", et prétendent que ce n’est pas le directeur qui décide. »
Au total, 180 groupes de travail sont créés pour plancher sur des propositions pour une meilleure rentabilité. Chacun réunit dix personnes, autorisées à se retrouver dans une salle de l’entreprise sur leur temps de travail. « Un groupe de travail s’est par exemple intéressé à la question des antivols sur les vêtements, qui sont très longs à mettre pour les filles qui travaillent en magasin. Ils se sont demandés s’il ne fallait pas mieux les enlever... »
Lors de la restitution, en séance plénière en décembre, à chaque présentation de propositions, les salariés s’entendaient dire « go », « no go » ou « à revoir », selon que la proposition plaisait, ou non, à la direction. Le groupe de travail qui a proposé des fermetures de magasins, vingt au départ, s’est immédiatement entendu gratifié d’un « go ». « Pour nous, il est évident que la direction avait déjà décidé de fermer ces magasins, mais elle veut faire porter la responsabilité aux salariés », avance Séverine Salperwyck. « Dans certains groupes de travail ils ont carrément supprimé leurs propres postes, sans s’en rendre compte évidemment, précise Valérie Pringuez. Ils ont proposé de diminuer le nombre de références [le nombre d’article en magasin, ndlr] de 15 %, mais sans penser un instant que cela allait déboucher sur la suppression de 15 % de postes. »
Une stratégie managériale appliquée à d’autres marques
La méthode "transversale" mise en oeuvre par le cabinet Prospheres peut provoquer quelques dommages collatéraux en matière de relations entre salariés... « Tu sais que tu es en train de me supprimer mon boulot, là », interpelle ainsi Séverine Salperwyck face au collègue qui suggère de ne plus placer d’antivols sur les vêtements. « Ils ne se rendent pas compte qu’un autre groupe de travail pourrait leur supprimer leur poste à eux, soupire la syndicaliste. C’est un jeu sans fin, chacun tire sur l’autre, en ayant l’impression d’améliorer les choses pour tout le monde… » Contactée par Basta !, la direction de Pimkie n’a pas souhaité s’exprimer au sujet de ces groupes de travail.
Cette technique des groupes de travail mise en place par Prosphères risque de se répéter dans diverses enseignes de la Fashion 3 », s’inquiète Séverine Salperwyck. La Fashion 3, c’est un groupement européen d’intérêt économoque fondé en mai 2017 qui réunit l’ensemble des grandes enseignes d’habillement liées à la famille Mulliez (Jules, Brice, Bizzbee, Pimkie, Orsay, Grain de Malice et Rouge Gorge). Les salariés craignent une mutualisation de divers services, avec une disparition de nombreux magasins et emplois. Chez l’enseigne Jules, des groupes de travail, semblables à ceux qui ont été mis en place chez Pimkie, ont été lancés en janvier pour proposer des solutions aux difficultés de leur entreprise.
;Nous pensons que la définition de la stratégie d’entreprise est du ressort de la direction, termine Valérie Pringuez de la CGT. S’ils veulent vraiment intégrer les salariés aux décisions relatives à l’organisation de l’entreprise et du travail, il n’y a qu’à créer une société coopérative. Ainsi nous profiterons tous des intéressements indexés sur les bénéfices de l’entreprise. Mais quand je leur évoque cela, ils me rient au nez."